Abyss, Aliens, True Lies... James Cameron crée à nouveau le débat (et il faut se calmer)

Mathieu Jaborska | 28 avril 2024
Mathieu Jaborska | 28 avril 2024
 

Les ultra-attendues éditions 4K de True Lies, Aliens et Abyss relancent le débat sur le "Cameron effect", dans des proportions... démesurées.

Ce 24 avril sont parues officiellement les éditions Blu-ray 4K de Aliens, le retourTrue Lies et Abyss, trois films très appréciés de James Cameron et de véritables arlésiennes de l'industrie. Les restaurations de Abyss et True Lies étaient particulièrement attendues, surtout sur le marché home vidéo, puisque les deux longs-métrages n'ont jamais eu droit à un Blu-ray en France ! C'est un véritable évènement pour les cinéphiles qui se contentaient de l'image SD de leur vieux DVD.

Toutefois, ces éditions flambant neuves, sorties dans le sillage de Titanic, n'ont pas fait l'unanimité, loin de là. Disponibles auparavant aux États-Unis, les copies ont été la cible de vives critiques qui ont viré à la guerre de position entre technophiles sur les réseaux sociaux. Le coeur du débat n'étant pas uniquement leur qualité, mais plus généralement la question de la restauration cinématographique à destination des écrans contemporains. Petit état des lieux, avec les conseils du vidéaste et technicien Le Labo de Jay, contacté par nos soins.

Attention, les images illustrant l'article ne sont pas tirées des éditions en question.

 

Aliens of the Deep : photoJames Cameron lisant Ecran Large au fond de la fosse des Mariannes 

 

Le "Cameron Effect"

À vrai dire, le débat ne date pas d'hier. Il ne concerne pas uniquement James Cameron, mais a gagné en intensité avec la version 4K de Terminator 2, considérée par certains comme le pire disque Ultra HD a avoir atterri dans les rayons des supermarchés. Le grief : l'utilisation abusive du DNR (Digital Noise Reduction), procédé qui gomme numériquement le grain naturellement généré par la pellicule. Ce choix, désormais associé au sobriquet "Cameron effect", donne une texture non seulement cireuse, mais surtout très différente de la manière dont elle a été envisagée au tournage, a priori. En d'autres termes, l'esthétique argentique est lissée pour ressembler à une esthétique numérique.

Les protestations avaient repris avec l'édition de Titanic, dans une moindre mesure. Et elles explosent avec cette salve de sorties. N'ayant ni le matériel ni l'expertise technique pour mesurer le phénomène, Ecran Large s'appuie sur les divers tests et articles ayant fait irruption sur le net, alimentant une discussion pour le moins houleuse. Selon HD Numérique et la plupart des sites spécialisés, le film le plus épargné par ces retouches controversées est sans nul doute Abyss (ouf), si bien que la colère se concentre majoritairement sur Aliens et surtout True Lies, sur le point de devenir l'édition vidéo la plus détestée du format.

 

 

Il faut dire que les reproches faits par les professionnels, preuves à l'appui, sont assez édifiants. La réduction du grain s'accompagne de tout un tas de modifications et de choix, pour certains, difficilement compréhensibles. Toujours selon HD Numérique, dont on conseille de lire les articles pour plus de détails techniques, la version 2024 d’Aliens "est associée à des dommages significatifs, tangibles et visibles, suscitant des débats quant à la légitimité de toute cette entreprise de restauration".

Non seulement le grain d'époque est gommé, mais des détails sont ajoutés par dessus. Et c'est ce procédé qui agace la toile, d'autant qu'une rumeur s'est depuis propagé : Park Road, la structure en charge de la restauration (également derrière la très polémique série Get Back), aurait utilisé l'intelligence artificielle pour combler les trous.

 

 

À l'heure de l'émergence de Midjourney, la nouvelle révolte. Sauf qu'elle est difficile à vérifier concrètement. Tout au plus peut-on évoquer certains logiciels comme Topaz, évoqué par Le Labo de Jay dans sa vidéo sur Titanic. "C'est un truc qui va recréer du détail. Il ne va pas en inventer. Ce n'est pas de l'IA générative", nous précise-t-il. Topaz renforce du détail à partir de la source. Il n'en crée pas de toutes pièces. De plus, il ne s'agit que d'un exemple. Impossible de répertorier les outils utilisés.

Tout au plus peut-on également s'interroger sur la source du nouveau master. Généralement, les puristes apprécient un nouveau scan du négatif original, théoriquement le plus proche possible de la version diffusée en salles. Or, tout porte à croire que la copie d'Aliens est tirée du master utilisé pour le Blu-ray de 2010. Un upscale, comme on dit dans le jargon. Encore une fois, les raisons possibles sont multiples. Comme souligné justement, manipuler la copie d'une oeuvre aussi ambitieuse n'est par exemple pas sans risque.

 

Titanic : photoUn film à 9 millions de dollars la bobine

 

De vrais mensonges ?

La copie Ultra HD de Aliens a donc entretenu le débat d'autant plus complexe que Cameron n'a jamais caché son dédain pour le grain d'origine, dû à des contraintes techniques lors du tournage. De plus, ce deuxième volet a toujours eu des scories visuelles. En revanche, l'état de la copie de True Lies défie toute relativisation. Là aussi, le film comporte quelques scories, notamment au niveau du point. Comme celle d'Aliens, cette version présente des corrections à ce niveau. Sauf qu'ici, le résultat est au mieux très imprécis.

Mais le principal problème, c'est encore une fois la réduction du grain et la création de détails. Certaines scènes semblent presque comporter des CGI, tant les visages paraissent artificiels. Pour être honnête, même sans être un connaisseur, les captures d'écrans qui ont affolé la toile paraissent assez... étranges, bien qu'il faille se méfier d'images balancées sur les réseaux sociaux, potentiellement salement compressées et très loin des conditions de visionnage optimales.

 

True Lies : photo, Arnold SchwarzeneggerTwitter devant les captures d'écran

 

Ces images partagées partout ont largement embrasé lesdits réseaux sociaux, tandis que les tests américains (tels que celui de AVClub) et français confirmaient le carnage. HD numérique, pourtant fidèle à sa neutralité, remarque "que True Lies (1994) semble marquer l'apogée des controverses associées à ces pratiques de modernisation IA, engendrant des dommages significatifs et aboutissant à une qualité de présentation qui, il faut le dire sans complaisance, ne se montre pas du tout à la hauteur des attentes associées à une sortie 4K Ultra HD Blu-ray".

La pilule passe d'autant moins que niveau support physique, le seul Blu-ray édité du film est une version espagnole loin de faire office de référence. Les Français quant à eux se contentaient jusqu'ici d'un simple DVD. Aliens et surtout True Lies ont été les éditions taxées de "révisionnistes" par de nombreux cinéphiles, accusant le cinéaste de remodeler complètement ses chefs-d'oeuvre à l'aune de sa passion actuelle : le cinéma numérique, qu'il ne cesse de pousser dans ses retranchements avec les Avatar.

 

 

Pourtant, il déclarait encore en avril 2024 sur le plateau de C à vous, à propos des effets spéciaux d'Aliens : "Chaque film est en quelque sorte un instantané de la technologie disponible à cette époque-là. Ça ne sert à rien de retourner en arrière et de réimaginer ce qu'on aurait pu faire". Alors, pourquoi retoucher à ce point l'image ? Cameron use-t-il de sa légendaire maitrise du storytelling ? A-t-il vraiment entièrement supervisé la restauration ? Quelqu'un d'autre aurait-il pris ces décisions ? À vrai dire, on ne le saura probablement jamais.

 

Aliens, le retour : photoTrès belle année 1986

 

This time it's war

Et c'est là tout le problème de ces éditions : certains y voient une trahison pure et simple, d'autres s'en accommodent, arguant que les films n'ont jamais été aussi détaillés. Quelques-uns défendent même cette approche, qu'ils jugent plus adaptée à nos habitudes de visionnage. Et réseaux sociaux obligent, le débat a dérapé, quelques illuminés insultant même sciemment Iron Jim sur Twitter. On en revient à l'éternelle question de la propriété d'une oeuvre, les plus virulents restant persuadés que son destin leur appartient. D'ailleurs, les parallèles avec les "special edition" de George Lucas ont fusé.

Sonder les testeurs, spécialistes du sujet, quelques semaines après le début de la tempête, c'est se heurter à une certaine lassitude. Pour la plupart, ils ne veulent pas alimenter une polémique qui n'a déjà que trop duré. Le vidéaste Le Labo de Jay, travaillant depuis 20 ans dans la post-production et qui propose des tests très pointus sur diverses sorties, a même agrémenté sa vidéo sur Abyss d'une prise de distance sur la situation. Il réitère pour nous à quel point la controverse met avant tout en évidence le zèle des internautes.

 

 

"On est dans un système où n'importe qui avec une télé OLED et un lecteur Blu-ray est un expert en vidéo. […] Personne ne sait de quoi il parle, c'est aussi simple que ça. Moi, j'ai une bagnole, je ne suis pas mécanicien." Le souci selon lui : chacun a sa petite idée quant aux choix effectués, alors que d'innombrables paramètres sont à prendre en compte.

On ne sait pas ce qu'ils ont fait avec ces films, on ne sait pas de quoi ils sont partis. Ce n'est jamais simple. Moi je me dis que les mecs qui font ces films-là, ce ne sont pas des manchots. Ils sont triés sur le volet. Si le film sort comme ça, c'est qu'il y a une raison. Après, je ne sais pas si elle est économique, si le négatif est abimé, s'ils n'ont pas le temps... Je n'en sais rien."

Les modifications effectuées par Park Road resteront mystérieuses. Et d'ailleurs, elles ne viennent peut-être même pas d'eux : "Ils ont un client, il y a une prod', un réalisateur. Ce n'est pas le labo qui décide que le film va sortir comme ça. Ça n'existe pas." La question de la restauration se heurte au même mur que beaucoup d'autres : la masse en colère des réseaux sociaux, persuadée d'avoir toutes les réponses. Celle de la pente glissante, elle, se heurte à une réalité indéniable : restaurer un film pour l'édition vidéo, ce n'est pas lui rendre son lustre d'antan. Au fur et à mesure des éditions, des étalonnages, le film change. La vraie question, c'est à quel point.

 

 

Le matériel a changé. Les télévisions ont connu plusieurs révolutions depuis les VHS pan and scan. Le HDR tant apprécié a atteint des niveaux de contraste que les écrans de cinéma de l'époque n'ont pu qu'effleurer. Et une génération entière est en train de grandir devant les photographies numériques plates des séries Netflix, adaptées à un visionnage en dual screen avec Tik Tok, debout dans le métro aérien. Art technologique par définition, le cinéma est en perpétuelle évolution et les compromis exigés par sa restauration à l'usage du grand public se multiplient tout autant, pour le meilleur... et pour le pire.

Bien sûr, on peut regretter que le cinéaste ou ses équipes transforment à ce point leur oeuvre. Et de toute évidence, l'édition de True Lies fait peine à voir. Mais faute d'avoir la main sur un processus archi-complexe, elle ne mérite pas l'indignation. 

Encore une fois, cet article tente de vulgariser un sujet dense et particulièrement technique. Pour une meilleure compréhension des modalités de ces éditions, mieux vaut se diriger vers les liens et vidéos insérés dans le texte.

Un immense merci à la passionnante chaîne Le Labo de Jay.

 

Tout savoir sur James Cameron

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commentaires
Berlingo
07/05/2024 à 00:26

En revoyant mes vieux DVD collector, en THX et déjà remasterisés de T1, T2, Abyss et Aliens sur un lecteur blu-ray, j'en viens à me dire que ça suffit largement. On a une qualité d'image et de son optimale, des couleurs et des contrastes au top, un rendu proche de la version cinéma, avec le grain de la pellicule...
Pourquoi vouloir une version parfaitement lisse comme si le film était tourné avec les caméras HD d'aujourd'hui? Je ne vois pas l'intérêt! C'est toujours le même débat depuis les versions "améliorées" de la première trilogie Star Wars...


30/04/2024 à 12:33

Loin de moi l'idée d'aller chercher des noises à JC (@Allons, allons... : on peut faire un festival si ça te dit) mais je n'ai pas aimé l'image d'Avatar 2 : le VFR m'a donné l'impression de regarder des cutscenes PS5.

Par extension, je suis persuadé que ces restaurations numériquement pimpées vont me poser problème. JC se veut un fer de lance de l'utilisation des nouvelles technologies mais de fait, il en essuie aussi les plâtres. Il aurait bien mieux fait de s'inspirer de la superbe restauration de Mission Cléopatre, par ex.

Allons, allons...
30/04/2024 à 08:46

Tout ça donne donne du ' grain' à moudre aux spécialistes de l'image en pantoufles..oh, oh.( Bientôt en one man show en province)

Eomerkor
29/04/2024 à 12:34

Je ne connaissais pas le Labo de Jay. C'est très instructif pour quelqu'un comme moi qui se demande si il doit passer en full Bluray 4K comme je l'ai fais en abandonnant sans regret mes DVD. Pour le moment mes yeux ne le réclament pas et mon porte-monnaie en est fort satisfait. Il n'y a que la colorimétrie qui pourrait me faire changer d'avis. De toute manière la 4K est loin d'une résolution de pellicule argentique. De ce que j'ai lu 6k pour du 35mm, 12k pour du 70mm et 16k pour de l'Imax. On n'aura jamais une image avec une même intensitée. Le grain qui a sa patte sur un écran de ciné devient du bruit et peut être difficile à regarder. Un peu de DNR ne fait pas de mal même je ne suis pas adepte du lissage artificiel. Chacun peu se faire son avis et avoir ses réserves mais sur True Lies on peut difficilement se mentir sur le procédé utilisé... Quit à avoir un grain, pétition et sitting pour une sortie rapide de Piranha 2 en 4K.

Cidjay
29/04/2024 à 11:12

Très bon artilce !
Perso, il n'y a que le 4K de Abyss que j'attendais, donc je suis heureux de savoir que c'est celui qui a le moins souffert de la conversion.
Après, je ne suis pas un Nazi de l'image, donc je mets toujours en priorité l'histoire du film avant la technique (coucou Avatar 1 et 2).

CInégood
29/04/2024 à 09:30

Sans lecteur 4K et sans être grand fan de Cameron, je vous remercie pour cet article riche en infos pour les amoureux de l'image que nous sommes.
Merci EL !

Nyl2
29/04/2024 à 09:20

Pour avoir vu True Lies à la cinémathèque, où il y a une coupure au début du film, j'ai tendance à me pencher sur la piste de la pellicule endommagé. D'autant que c'est l'œuvre le moins connu de notre cher canadien.

Zurdo
29/04/2024 à 08:15

Sinon concernant le débat sur Cameron et l'altération de son œuvre, j'ai tendance à penser, comme pour Lucas, qu'elle lui appartient et qu'il en fait ce qu'il en veut. Il nous reste toujours notre opinion et la liberté d'acheter le produit ou pas.
Après sur True Lies ça va trop loin et je me demande quand même à quel niveau il a vraiment été impliqué, et s'il l'a vraiment été quels sont les motifs réels qui l'ont fait prendre cette direction. Jay a quelques pistes très très intéressantes mais la plupart sont probablement difficilement avouables (pellicule endommagée, crainte de ressortir un négatif original, mauvaise prise de vue originale, effets spéciaux dépassés....). C'est dommage mais on ne connaîtra probablement jamais toutes les conditions et les objectifs de ces restaurations pour vraiment les juger correctement. Ça aurait pu donner des bonus assez passionnants.

Zurdo
29/04/2024 à 07:50

Merci pour m'avoir fait découvrir le Labo de Jay, son travail est assez fantastique! Sa vidéo sur True Lies est édifiante et sa remasterisation n'a aucun sens. Certains plans sur les visages font peur. Ses commentaires sur l'utilisation du HDR et du Dolby Vision sont aussi précieux et permettent de faire la distinction entre arnaque marketing et réel apport.
J'ai vu certaines scènes de Titanic que j'ai trouvées magnifiques par contre même si on sent le nettoyage. Heureusement Abyss semble épargné, visionnage en blu-ray prévu rapidement.

Pseudonaze
28/04/2024 à 22:16

Je me suis offert Abyss en 4K (j'ai déjà le DVD spécial édition sorti début des années 2000) j'ai regardé le film hier soir et c'était comme si je le voyais pour la première fois !
Image sublime, alors en effet le piqué de l'image trahi certains effets spéciaux comme certains détourage sur fond bleu mais rien de rédhibitoire.
Ce film est un chef-d'œuvre et ça fait plaisir de pouvoir enfin le voir dans cette qualité.

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