Interview With the Vampire : critique qui prend à la gorge sur Paramount+

Axelle Vacher | 10 mai 2024 - MAJ : 10/05/2024 22:02
Axelle Vacher | 10 mai 2024 - MAJ : 10/05/2024 22:02
 

Au terme d'une genèse absolument interminable, la série adaptée du célèbre roman d'Anne Rice est finalement arrivée en octobre 2022... aux Etats-Unis. En dépit d'une réception plutôt flatteuse, Interview With the Vampire est longtemps restée inédite en France ; mais voilà que deux ans plus tard, Paramount+ a finalement obtenu les droits de diffusion de cette version créée par le scénariste Rolin Jones (Friday Night Live, Boardwalk Empire) et produite par le duo Mark Johnson (Rain Man, The Holdover) et Alan Taylor (The Sopranos, Game of Thrones). Aussi, le temps du mea culpa est venu : malgré nos réticences initiales, la chaîne AMC a plutôt bien réussi son pari.

 
 

vampire, vous avez dit vampire ?

À notre décharge, le projet semblait bien mal embarqué. Impulsé en 2016 par feu la romancière et son fils Christopher Rice, cet Entretien avec un Vampire 2.0 a malheureusement souffert d'un préambule des plus chaotiques, pour le dire poliment. Fallait-il y voir un signe ? Peut-être. Mais encore traumatisés par l'infâme Reine des damnés et la tout aussi peu savoureuse comédie musicale Lestat, Rice mère et fils ont souhaité persévérer dans leur entreprise, bien déterminés à faire des Chroniques une odyssée sérielle en bonne et due forme.

Malgré un duo plein de bonnes intentions, le projet Interview With the Vampire s'est toutefois retrouvé balloté de producteurs exécutifs en distributeurs, avant de finalement atterrir chez AMC Networks en 2020. Et tout le monde sait ce qu'il s'est passé en 2020. Une pandémie et trente-six mille anicroches plus tard, Jones, Johnson, puis Taylor sont officiellement désignés comme les têtes pensantes d'une première saison, laquelle déniche au passage ses nouveaux amants maudits. 

  

Interview With the Vampire : photo, Jacob AndersonQuand ça commence à devenir compliqué

 

Sam Reid (déjà aperçu dans The Riot Club) est ainsi annoncé comme le remplaçant d'un ancien Tom Cruise peroxydé, tandis que Jacob Anderson, connu pour avoir prêté ses traits au taciturne Vers Gris de Game of Thrones, est choisi dans la foulée pour incarner le non moins morose Louis de Pointe du Lac. Tout ce beau monde réuni, la production aurait pu, en toute logique, s'extirper gaillardement de son cercueil... mais là encore, que nenni.

Parlons peu, parlons bien, la promotion d'Interview With the Vampire n'a pas convaincu grand monde ; à commencer par Ecran Large, qui s'était fait une joie de vilipender les premiers aperçus officiels. Colorimétrie résolument fade, faux sang aux allures de peinture acrylique bon marché, lentilles de contact vraisemblablement commandées sur Amazon... Disons qu'il était difficile de trouver quelque chose à rattraper dans ces images censées attiser la curiosité. 

 

Interview With the Vampire : photo, Sam Reid, Jacob Anderson"On va s'en sortir, te dis-je"

 

Outre le culte dont profite l'œuvre de Rice depuis ses débuts en 1976, le film de 1994 réalisé par Neil Jordan s'était déjà plus ou moins imposé comme une adaptation parfaite auprès des aficionados de suceurs de sang (l'auteure de ces lignes précise par ailleurs l'avoir revisionné tellement de fois que c'en serait presque embarrassant). Alors autant dire que les expectatives autour de cette nouvelle série au bien-fondé déjà douteux n'étaient pas nécessairement au beau fixe.

  

 

memory is a monster

Une fois n'est pas coutume, Ecran Large peut l'avouer sans (trop) rougir : nous avions tort. Plutôt que de comparer inutilement Interview With the Vampire à son prédécesseur cinématographique, il s'agit de considérer cette proposition pour la réinterprétation qu'elle est réellement. Mark Johnson en avait largement discuté : de nombreux changements par rapport au roman original étaient à prévoir, tel que le cadre spatio-temporel au sein duquel prend désormais place le récit.

Ici, l'échange titulaire s'est déjà déroulé entre Louis et Molloy à San Francisco ; mais voilà que cinquante ans plus tard, le vampire souhaite se replier à l'exercice. Ayant depuis établi ses quartiers à Dubai, il fait de nouveau appel au journaliste (campé pour l'occasion par un excellent Eric Bogosian) en vue de réviser ses précédentes confessions.

 

Interview With the Vampire : photo, Eric BogosianQuand tu constates le nombre de libertés créatrices entre les deux entretiens

 

La démarche a beau sembler un brin facile, elle permet néanmoins d'inclure efficacement les différentes altérations apportées au texte de Rice. À commencer par le personnage de Louis, repensé pour l'occasion jeune homme créole condamné au placard par les mœurs de La Nouvelle-Orléans de 1910, et reconverti en gérant de maison close (histoire d'épargner au spectateur moderne de sympathiser avec un propriétaire de plantation et des esclaves qui vont avec).

Ce parti pris a beau avoir fait grincer quelques mâchoires, il a le mérite d'établir de solides bases sur lesquelles construire la romance entre le pauvre bougre et Lestat. Car c'est bien là l'ambition manifeste de cette nouvelle version, désireuse d'exploiter tout le potentiel de ce couple atypique

 

Interview With the Vampire : photo, Jacob Anderson, Sam ReidLestat rencontre même les parents, c'est-y pas meugnon ? 

 

Le "sombre cadeau" avancé par le blondinet n'est donc plus tant offert en soulagement aux tendances suicidaires de Louis qu'en vue de l'affranchir des rejets dont il est victime – familiaux, sexuels, et bien sûr, ethniques. Après tout, la figure vampirique s'est longtemps imposée comme une métaphore prompte à dénoncer pléthore de marginalisations.

Chez Rice en particulier, le monstre est personnification du deuil, mais aussi créature non genrée à la sexualité polymorphe (du moins, c'est ainsi qu'elle l'a décrit aux colonnes de Playboy en 1993). Mais Jones, Johnson et Taylor ont pour leur part favorisé un angle dont les intrications dépeignent sensiblement racisme systémique et autres joyeusetés – ce qui, au vu du climat social nord-américain actuel, n'aurait pu être plus adéquat.

 

Interview With the Vampire : photo, Jacob AndersonQui se souvient de ce qui arrive au nourrisson dans le Dracula de Coppola ? 

 

folie à deux

Au demeurant, Interview With the Vampire explore avec diligence une romance gothique généreuse. Et pour ce faire, la chaîne a décrété qu'il valait mieux ne pas y aller de main morte. Les lecteurs des Chroniques se rappelleront sûrement que les vampires y sont peu ou prou eunuques, mais les producteurs exécutifs ont préféré faire fi de ce léger détail.

C'est que Louis et Lestat n'attendent guère leur nuit de noces pour se découvrir bibliquement, et le caractère résolument organique de leur relation (appuyé par l'alchimie indéniable entre les deux acteurs) continuera d'être copieusement mis en scène au fil des épisodes. "Sexy" semble donc avoir été l'une des principales notes d'intention en salle d'écriture, et malgré une série de bandes-annonces plus que bancales, le spectateur sera ravi de découvrir que la notion de plaisir n'y est pas que charnelle.

 

Interview With the Vampire : photo, Sam Reid, Jacob AndersonBye bye le sous-texte

 

En effet, l'esthétique y est opulente ; décors et costumes ont de toute évidence été élaborés en vue de traduire au mieux l'univers du récit et l'individualité de chaque personnage (mention spéciale pour la séquence de bal masqué de l'épisode final, et une bonne partie des robes prêtées à Claudia). Et ne parlons même pas de la narration hypnotique du récit par Anderson, lequel incarne la multidimensionnalité de Louis à la perfection  

Malheureusement, il fallait bien qu'il y ait une ombre au tableau. Aussi, et malgré ses nombreuses qualités visuelles et narratives, la série accuse une poignée de faux-pas, le principal revenant fâcheusement à la caractérisation de Lestat. Hybride entre le monstre décrit par Louis et l'antihéros autour duquel les suites littéraires s'articulent, le personnage de Sam Reid se doit de cocher un nombre de cases mirobolant, tant et si bien qu'il finit par être dépeint comme un fourre-tout lunatique et instable.

 

Interview With the Vampire : photo, Sam ReidWith a taste of your lips, I'm on a ride ; you're toxic, I'm slippin' under

 

Dans l'idée, cela aurait très bien pu ne pas être particulièrement dramatique. Mais le portrait à demi abusif qu'en ont fait producteurs et scénaristes afin de justifier l'éventuelle révolte de Claudia nuit à sa romance avec Louis.

Quelques sorties de route mises à part, la série respecte néanmoins chacun des points narratifs majeurs du roman dont il s'inspire, et en propose donc une revisite pertinente dont les libertés créatives s'avèrent, pour la plupart, étonnamment bienvenues. Un constat rassurant qui laisse ainsi au public le loisir d'espérer le meilleur pour la suite.

Interview With the Vampire est disponible dès ce 10 mai en exclusivité sur Paramount+

 

Interview With the Vampire : Affiche officielle

 

 

 

Résumé

 

Les aficionados des vampires d'Anne Rice avaient largement matière à craindre le pire. Mais la série Interview With the Vampire propose une revisite certes imparfaite mais ambitieuse, et pétrie d'une sensualité mélancolique singulièrement fidèle au matériau d'origine.

 
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Lecteurs

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commentaires
Baballe
13/05/2024 à 16:02

Il y avait un sous texte crypto intéressant c'est maintenant surligné et ouvertement guet. La subtilité est partie en vacance avec le scenario. Sous entendre insinuer, même si l'époque était différente apportait plus de nuance.
On est face à une série tv bas de game.

Cidjay
13/05/2024 à 13:35

Y'avait un sous-texte dans entretien avec un vampire ?
Moi quoi croyait que ça parlait simplement d'hommes qui sucent... ...du sang !

Axelle Vacher - Rédaction
11/05/2024 à 11:38

Ghost Leopard / En toute honnêteté, je m'étais lassée aussi au fil des ouvrages ; et comme je le mentionne dans ma critique, le film de Neil Jordan s'était déjà imposé à moi (et à un beaucoup d'autres) comme une adaptation parfaite à bien des égards. Le film ayant forgé ma cinéphilie, et ma mère m'ayant bercée à la saga des Chroniques, la licence m'est chère, donc je me suis plongée dans la série malgré les très (très) nombreuses réticences que je pouvais avoir. Et j'ai franchement été très agréablement surprise ; IWTV réinterprète le roman sans le dénaturer, y rend hommage sans tomber dans le fanservice, et modernise sans jouer les pseudos donneurs de leçon.

Ghost Leopard
10/05/2024 à 19:32

Ça fait longtemps que j'ai abandonné la saga lestatienne, n'ayant que peu apprécié deux opera (pluriel d'opus, si,si, j'ai vérifié) publiés après la Reine des Damnés, le Voleur de Corps et Memnoch le démon, que j'ai trouvés ennuyeux.
Du coup, je ne sais pas si j'ai envie de revisiter la saga.
Le film de Neil Jordan n'a pas vieilli.

Axelle Vacher - Rédaction
10/05/2024 à 17:14

Hugo Flamingo la poucave | il n’y a pas à spoiler le twist final comme ça enfin…

Kyle Reese
10/05/2024 à 17:09

J'y suis allé un peu à reculons ayant un très grand souvenir de la saga littéraire, ainsi que de l'adaptation de Jordan. Mais en effet c'est l'une des meilleurs séries de Vampires, adaptation particulièrement brillante du roman à la fois fidèle dans le ton mais avec des libertés totalement payantes. J'ai été littéralement conquit, les acteurs sont excellent et j’attends avec impatience la saison 2. Ces Vampires sont vraiment magnifiquement bien incarné. J'en oublierais presque le film.

Hugo Flamingo la poucave
10/05/2024 à 16:23

Avec Louis qui révèle que Rashid est en fait l'ancien vampire Armand et l'amour de sa vie, la saison 1 m'a laissé sur ma faim. J'ai hâte de voir la suite

Maxim
10/05/2024 à 14:16

Grand fan du film j’étais très sceptique mais je dois avouer que la serie est une réussite en n’essayant jamais de copier le film ça évite le jeu des comparaisons souvent préjudiciable. Cette série permet aussi de mettre en avant de manière explicite ce qui manquait au film la sexualité et l’amour entre Louis et lestat

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