Millenium : Ce qui ne me tue pas - critique qui n'aime plus trop cette femme

Geoffrey Crété | 15 janvier 2023 - MAJ : 16/01/2023 10:42
Geoffrey Crété | 15 janvier 2023 - MAJ : 16/01/2023 10:42

Lisbeth Salander est de retour. Après Noomi Rapace chez Niels Arden Oplev et Rooney Mara chez David Fincher, Claire Foy reprend le flambeau punk-hacker pour Fede Alvarez. L'actrice, révélée par The Crown, et le réalisateur de Don't Breathe - La Maison des ténèbres et Evil Dead ont ainsi une mission claire : faire de Millenium une future saga d'action.

LES HOMMES QUI MISAIENT SUR LA FEMME 

Un peu comme Spider-Man, Lisbeth Salander, l'héroïne de Stieg Larsson, en est à son troisième visage. Il y a d'abord eu Noomi Rapace dans la trilogie Millénium version suédoise, puis Rooney Mara dans Millenium - Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, version David Fincher. Il y aura désormais Claire Foy dans Millenium : Ce qui ne me tue pas, qui illustre le désir du studio Sony de ne pas abandonner cette potentielle franchise.

Et l'intention est aussi de lisser tout ça au passage. Le générique l'illustre parfaitement : en reprenant les codes de celui du Fincher (figures noires, liquide gluant et corps tordus par la technologie), mais en utilisant un thème beaucoup plus doux que le Immigrant Song de Karen O et Trent Reznor, et en emballant ça en express, il témoigne d'une volonté d'offrir un spectacle plus formaté et familier, loin du feel bad movie revendiqué de plus de 2h30 avec Daniel Craig et Rooney Mara. 

Le succès en demi-teinte du film de David Fincher, et les exigences du cinéaste connu pour son perfectionnisme, ont poussé le studio à tout réévaluer. Ou comment reprendre le contrôle de la bêteMillenium : Ce qui ne me tue pas a donc coûté moitié moins (environ 40 millions, contre 90), se paye deux nouveaux acteurs et un nouveau réalisateur avec Fede Alvarez, propulsé par Evil Dead et Don't Breathe - La Maison des ténèbres - un cinéaste plus maléable donc. Quitte à perdre l'identité et la valeur des personnages au passage.

 

photo, Claire FoyLisbeth #3

 

MISSION : TROP POSSIBLE

Dans le générique du Millenium version Fincher, le remix violent d'Immigrant Song était comme un coup asséné au spectateur avant une enquête longue, tortueuse et envoûtante. Dans Millenium : Ce qui ne me tue pas, la musique de Roque Baños est bien plus tranquille, et c'est le reste du film qui lance au public une salve de petits coups pour l'impressionner. Explosion spectaculaire, course-poursuite sur la glace, combat rapproché, fuite dans une gare, balles lancées dans tous les sens : Lisbeth a des airs de Jason Bourne dans le film de Fede Alvarez.

Chez Fincher, le duo fouillait dans les archives et étudiait des images, et avançait dans un brouillard pour déchiffrer la réalité. Ici, la réalité n'est qu'une insignifiante ligne de code, qui ne demande qu'à être décryptée et balayée. Lisbeth est une hackeuse sortie de Watch Dogs, qui pirate tout et n'importe quoi avec une facilité déconcertante. La scène dans la gare en est un parfait symptôme.

L'enquête avance grâce à une somme d'indices absurdes (une photo par ci, un bracelet par là), témoignant d'un désintérêt, voire même d'une incompréhension du genre. De toute évidence façonné avec un souci d'efficacité très hollywoodien, le scénario privilégie la péripétie au dialogue, enfermant alors les personnages dans de toutes petites cases utilitaires.

 

photo, Claire FoyTrois personnages unidimensionnels se cachent dans cette image

 

LA FEMME QUI RÊVAIT D'UN TRUC À FAIRE

En réécrivant en grande partie la trame du roman de David Lagercrantz, qui a repris le flambeau après la mort de Stieg Larsson, le film annonce une claire intention de placer Lisbeth au centre. Une décision logique vu la popularité du personnage, visage incontestable de la saga qui a permis à Noomi Rapace et Rooney Mara d'exploser à l'écran. Incarné par Sverrir Gudnason, Blomkvist est plus que jamais transparent et rangé dans un coin, pour laisser tout l'espace à l'héroïne. Mais là encore, le film est bien tiède.

Un lourd flashback suivi d'une scène d'intro avec Lisbeth en ange vengeur, insistent sur cet aspect du personnage. Mais le récit délaissera vite ce sous-texte féminin et féministe. Ses pulsions de vigilante sont mises de côté et rejouées dans le climax, avec au milieu une histoire d'armes nucléaires et d'agence gouvernementales à la James Bond - le programme s'appelle d'ailleurs Firefall. Sans oublier une autre ficelle de prédilection du scénario classique : le môme autiste à protéger. Un élément parfaitement banal hérité du livre.

 

photo, Claire FoyClaire Foy, nouvelle Lisbeth élue par les studios

 

La place occupée par la soeur, là encore différente du roman, pose aussi quelques problèmes tant cette Camilla est artificielle. Malgré le talent de Sylvia Hoeks, excellente dans Blade Runner 2049 et castée ici pour rejouer peu ou prou la même chose, le personnage ressemble à un levier un peu grossier pour humaniser Lisbeth et percer son mystère. Leur confrontation finale a quelques accents troublants, mais le scénario aura préféré l'action et les tirs, à elles. 

Difficile alors pour Claire Foy de prendre son envol. La comparaison avec Noomi Rapace et Rooney Mara est inévitable, mais un peu vaine tant la vision des personnages a jusque là été très différente. Mais au moins y avait-il une vision claire dans la trilogie suédoise et le film de Fincher. Dans Millenium : Ce qui ne me tue pas, l'identité de Lisbeth Salander se dilue, pour ressembler au stéréotype de la fausse dame de glace qui cache sa sensibilité derrière ses grands airs. Il n'y a plus la violence, l'ambiguïté ou l'étrangeté : simplement un bulldozer pensé pour porter un gros film.

 

photo, Sylvia HoeksLa révélation de Blade Runner 2049 rejoue la folie froide

 

NEIGE ET BROUILLARD

Les nombreuses incohérences et absurdités étalées à l'écran, ainsi que les seconds rôles pas bien épais (Lakeith Lee Stanfield, Vicky Krieps, Claes Bang, Cameron Britton ou encore Synnøve Macody Lund), ont heureusement une chose pour eux : la mise en scène de Fede Alvarez. Révélé par le sympathique remake d'Evil Dead, encensé avec l'efficace Don't Breathe - La Maison des ténèbres, le réalisateur uruguayen passe un cap avec un budget hollywoodien intermédiaire. Et si enrôler un jeune réalisateur souple est devenu le sport préféré de bien des studios, Alvarez s'en sort avec les honneurs.

Sous forte inspiration Fincher, il travaille une ambiance glaciale plus que charmante. Gris, noir, blanc : avec son directeur de la photo habituel Pedro Luque, il impose une cohérence plus que bienvenue à l'univers de ce nouveau Millenium. C'est clairement dans la ligne directe de Millenium - Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, mais Alvarez filme des décors plus variés et vivants, sans pour autant perdre son cap. En ça, le film apparaît nettement plus solide que beaucoup d'autres produits hollywoodiens.

 

photo, Claire Foy Un peu de rose dans ce monde de brutes

 

Fede Alvarez pèche toutefois par excès d'envies. À vouloir trop s'amuser et styliser son film, il lui donne des airs arty un peu vides. La scène dans la boîte de nuit ne raconte à peu près rien, hormis son désir de filmer un couloir bien éclairé et une fenêtre circulaire. Le loft où vit Lisbeth ressemble plus à un décor de cinéma, qu'à un lieu qui raconte le personnage. Et il y a la sensation que le réalisateur saisit la moindre occasion pour agrandir la palette de couleur monochrome (la rencontre au musée), quitte à alourdir certains éléments.

Sa caméra s'arrête un peu trop sur certains accomplissements et partis pris, et lorsqu'il compose un beau plan dans la baignoire sous les flammes ou s'attarde sur l'allure blanche et rouge de Camilla, Alvarez se regarde trop filmer pour le bien de son histoire. C'est sans surprise très loin de la maîtrise discrète et assurée de David Fincher, dont le spectre plane incontestablement sur Millenium : Ce qui ne me tue pas.

Mais ce n'est pas la comparaison qui étouffe cette nouvelle adaptation des personnages imaginés par Stieg Larsson. Sony avait embauché Steven Zaillian puis Andrew Kevin Walker pour adapter La Fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette, mais a préféré s'éloigner vers le quatrième opus peu aimé. Alors qu'un cinquième livre est déjà sorti (La Fille qui rendait coup sur coup, en 2017), il est clair qu'il y a ici un désir d'ouvrir sur de nouvelles bases une potentielle franchise, coûte que coûte. Nul doute que Millenium : Ce qui ne me tue pas prouve que c'est envisageable et probable. Nul doute également que ça n'a rien de bien frais ou excitant.

 

Affiche française

Résumé

Définitivement passé au hachoir hollywoodien, Millenium est devenu un thriller très ordinaire, truffé de raccourcis et scènes d'action poussives. Il faudra bien le savoir-faire du réalisateur Fede Alvarez pour donner un peu de style et de vie à ce produit très formaté.

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Lecteurs

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commentaires
Marc
15/01/2023 à 20:07

Il me semble j'ai vu ce film mais je n'ai aucun souvenir. Millénium: Les hommes qui n'aimaient pas les femmes realisé par David Fincher la meilleure adaptation de Millénium. Rooney Mara est parfaite dans le rôle de Lisbeth Salander

Suède 1 Etats Unis 0 full version
09/12/2020 à 20:21

A T9 et Dunédain en résumé, je dis :

Fincher, réalisateur au top, porte à l’écran un chef d’œuvre du polar et le résultat est monumental ; on a envie de dire quoi de plus normal après tout c’est Fincher ; le mec qui a fait Seven et Fight Club ; excusez du peu

Alvarez, réalisateur normalement doué, avec un studio qui souhaite créer une franchise et un roman moyen comme base, réalise un film moyen ; quoi de plus normal après tout il n’est pas un magicien de la transmutation comme Ridley, Steven ou Christopher et on ne peut pas décemment lui reprocher de ne pas être un demi-dieu de la caméra

Je dis donc : ce n’est pas juste de comparer les deux ; le résultat est donné d’avance et donc l’article tendancieux (je pense d’ailleurs que le film d’Alvarez est meilleur en soi une fois qu’on oublie le film de départ, ce qui n’est pas fait ici)

Vous dites : pas du tout, Alvarez et les scénaristes n’avaient qu’à transformer le roman en or et réaliser un chef d’œuvre ; comme d’autres le font ; c’est vous mon cher Kastor qui êtes subjectif

Je dis : vous demandez à Alvarez de faire de la transmutation du métal (un roman moyen) en or (un chef d’œuvre) là ou Fincher, le demi-dieu, adapte directement le chef d’oeuvre, cela ne tient pas et ce n’est pas subjectif, c’est factuel

Je termine : il est plus pertinent et naturel de comparer Fincher à l’adaptation suédoise initiale de « The girl with a dragon tatoo » et là l’avantage Fincher est moins clair.

En somme, avec un matériel de départ comparable, quelle est la véritable valeur ajoutée de Fincher et des grands studios américains ? la photographie, la mise en scène, les acteurs… ? Mara ou Rapace ?

Du coup (transition), concernant Mara

Je dis : c’est une super actrice pas de doute, mais son apparence est moins dans le personnage que sa devancière Rapace, plus naturellement punk dans les traits et l’attitude

Vous dites : non et je suis claire (c’est sûr sans argument pas de risque que cela ne soit pas clair)

Je dis : si si ! et j’ajoute Claire Foy, actrice également exceptionnelle (The Crown), est encore plus loin de Lisbeth physiquement telle que décrite dans le premier roman

Vous dites : non (plus signature)

Je dis : OK avez-vous des arguments sur le fonds ? (plus signature)

KastorSuede Etats Unis 1 0
09/12/2020 à 18:40

A T9 En résumé, je dis :

Fincher, réalisateur au top, porte à l’écran un chef d’œuvre du polar et le résultat est monumental ; on a envie de dire quoi de plus normal après tout c’est Fincher ; le mec qui a fait Seven et Fight Club ; excusez du peu

Alvarez, réalisateur normalement doué, avec un studio qui souhaite créer une franchise et un roman moyen comme base, réalise un film moyen ; quoi de plus normal après tout il n’est pas Ridley, Steven ou Christopher et on ne peut pas décemment lui reprocher de ne pas être un demi-dieu de la caméra

Je dis donc : ce n’est pas juste de comparer les deux ; le résultat est donné d’avance et donc l’article tendancieux (je pense d’ailleurs que le film d’Alvarez est meilleur une fois qu’on oublie le film de départ, ce qui n’est pas fait ici)

Vous dites : pas du tout, Alvarez et les scénaristes n’avaient qu’à transformer le roman en or et réaliser un chef d’œuvre ; comme d’autres le font c’est vous mon cher Kastor qui êtes subjectif

Je dis : vous demandez à Alvarez de faire de la transmutation du métal en or, cela ne tient pas et ce n’est pas subjectif, c’est factuel

Je termine : il est plus pertinent et naturel de comparer Fincher à l’adaptation suédoise initiale et là l’avantage Fincher est moins clair

Kastor again
09/12/2020 à 18:08

Je dis le roman est crucial dans le résultat au cinéma comme montre le peu de différences vraiment significatives entre l’adaptation cinéma suédoise du premier roman vs celle de Fincher (ce qui soit dit en passant relativise le talent de ce dernier ; la première adaptation étant également excellente et les acteurs plus locaux que Daniel et Rooney).

T9
09/12/2020 à 17:11

@Kastor

Je répète, signe et conclue, encore : question de point de vue, rien de plus. Donc non, c'est pas "déloyal".

Kastor Tient 10mn
09/12/2020 à 16:48

A T9 et Dunedain

Oui la comparaison est déloyale et à deux titres :

Primo : les deux réalisateurs n’ont clairement pas la même envergure et de facto certainement pas la même marge de manœuvre vis-à-vis du studio : Fincher fait partie du gratin des réalisateurs contemporains dont le talent est internationalement reconnu ; le second n’a absolument pas le même « tableau de chasse » et sa capacité à faire entendre sa voix est clairement limitée

Secondo : le matériel de base n’a clairement pas la même qualité ni la même intensité dramatique puisque le premier Millenium a révolutionné le polar, lancé la mode du thriller nordique, fait la fortune d’Actes Sud - son éditeur français - et donné lieu à rien moins que deux adaptations au cinéma. L’autre roman est en revanche une suite de commande beaucoup plus conventionnelle dont Sony comme l’éditeur d’ailleurs espéraient pouvoir tirer une franchise en modifiant substantiellement le profil de Lisbeth Salander qui occupe ici tout le paysage (une sorte de super justicière à la Jason Bourne).

Concernant Rooney Mara ; je dis qu’elle incarne physiquement moins bien la violence intérieure et le quasi-autisme émotionnel de Lisbeth ce que Noomi Rapace fait à merveille, naturellement. Claire Foy est encore plus éloignée. Cette remarque, assez objective, ne dit rien de la qualité de Rooney Mara et Claire Foy comme actrices jouant Lisbeth Salander ; elles sont justes moins dans l’image de Noomi Rapace naturellement punk de par ses traits de visage acérés.

Simon Riaux
09/12/2020 à 11:21

@Zanta

Bonjour, je pense que si personne ne pose la question, c'est tout simplement parce que Fincher n'a pas voix au chapitre. C'est Sony qui possède les droits de la franchise, et que David Fincher veuille ou ne veuille pas y retourner n'a aucune espèce d'importance.

Quant à la raison pour laquelle personne ne lui pose la question, peut-être fait-il également savoir qu'il ne souhaite pas que soit abordé tel ou tel sujet en entretien. Soit parce qu'ils ne l'intéressent pas, soit parce que des clauses contractuelles l'empêchent de l'évoquer.

Zanta
09/12/2020 à 11:08

Dans toutes les interviews que donne Fincher à propos de Mank, personne pour lui demander si il referait un Millenium pour Netflix ?
Dommage.
Un scénar déjà écrit, une actrice nommée à l'Oscar pour le rôle, et ce contrat d'exclusivité avec une plateforme qui aime les thrillers pour adultes.

Kyle Reese
08/12/2020 à 23:52

Moi je voulais Fincher pour les suites et je me serais mis à lire les romans.
Mais il me semble que Fincher demandait un budget trop élevé et que Craig surtout était très frileux pour revenir car ils avaient tourné pendant le pire hiver du pays depuis des lustres.
Bien dommage. Ce mix de réals, acteurs et même auteurs est difficilement tentant pour qqun qui n'a pas lu le phénomène littéraire à l'époque du buzz. Du coup, pas de Fincher, pas d'autre film de cet univers, pas grave.

T9
08/12/2020 à 21:04

@Kastor

"je n’ai pas dit que Rooney Mara était mauvaise j’ai dit qu’elle était moins Lisbeth que Noomi Rapace"

Tu as dit "choix de Lisbeth moins convaincant que Noemi Rapace" (c'est Noomi d'ailleurs)
J'ai répondu "Rooney Mara excellent choix, question de goût c'est tout"
Ma réponse était donc adaptée à tes mots, et claire. Comme le reste, simple avis.

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