Marche ou crève : critique nervous breakdown

Christophe Foltzer | 6 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 6 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Un premier film, c'est généralement l'occasion de parler de soi. Parce qu'autant commencer une carrière par un sujet que l'on maitrise mais aussi parce que c'est probablement pour ça que l'on a décidé de faire du cinéma.

A MA SOEUR

Et c'est d'autant plus vrai dans le cas de Marche ou crève puisque la réalisatrice Margaux Bonhomme a décidé de livrer une expérience on ne peut plus personnelle et marquante : sa vie avec sa soeur handicapée. Elisa arrive en effet à l'âge où les premiers vrais choix de vie doivent être pris. Quitter le cocon familial (déjà bien explosé), quitter la campagne pour la ville et y faire des études, laisser son passé derrière soi et, enfin, acquérir une indépendance longtemps fantasmée. Une étape d'autant plus compliquée pour l'adolescente qu'elle doit, en parallèle, s'occuper de Manon, sa grande soeur polyhandicapée, en compagnie de son père, alors que sa mère vient de quitter le domicile familial. Entre vie personnelle, responsabilités familiales, perspectives d'avenir incertaines et découverte de soi, l'été d'Elisa risque d'être mouvementé.

 

photo Marche ou crève

 

Nous résumons le film sur un ton volontiers léger, probablement pour nous protéger encore un peu du choc frontal qu'a été sa découverte. En effet, Marche ou crève n'a rien d'une comédie, il se révèle prenant dès ses premières secondes, impression grandement facilitée par l'usage d'un 4:3 enfermant et étouffant parfaitement en phase avec ce que vit son héroïne. La grande force du film, et elle est évidente dès le départ, c'est qu'il ne versera jamais dans le pathos, dans la démonstration premier degré qui annihilerait totalement son propos et dans laquelle bon nombre d'autres réalisateurs auraient probablement plongé pour plus de facilité.

Non, ici, Margaux Bonhomme nous offre une tranche de vie en mode réaliste, vraisemblablement enrichie de sa propre expérience et le film ne prend jamais ses personnages de haut, qu'ils soient handicapés ou non. A travers un récit au final plutôt classique (fin de l'adolescence, choix de vie contradictoires, nécessaire coupure avec l'environnement familial et mélancolie qui en découle), la réalisatrice nous transporte dans un quotidien qui peut s'avérer oppressant par les contraintes qu'il impose à ses personnages mais qui se révèle en réalité profondément humain et bienveillant.

 

photo marche ou crèveExtraordinaires Diane Rouxel et Jeanne Cohendy

 

ASCENSION

C'est évidemment par ses comédiens, extraordinaires, que le film trouve son rythme et son ton. Cédric Kahn en premier lieu, dans le rôle du père, qui compose un personnage tout en failles dissimulées, qui fait passer ses filles avant lui et qui se bat contre ses propres démons. Un personnage qui fait du bien à voir dans le cinéma français puisqu'il se trouve très loin du cliché du père de famille cabossé qui tente de s'en sortir. Cette composition ambigüe et toute en profondeur se retrouve d'ailleurs dans le reste de son casting, comme un garant de véracité dramatique. Et ce sont bien entendu les deux jeunes héroïnes qui remportent le morceau.

 

photo Marche ou crève

 

Diane Rouxel, dans le rôle d'Elisa, compose une adolescente typique, certes, mais parvient à lui insuffler une intériorité qui fonctionne très bien. Au détour d'un regard, d'un sourire, d'une posture, elle communique sans mal tout ce que son personnage doit taire pour le bien commun. Et le film ne cache rien de son rapport contradictoire à sa soeur, entre amour sincère, épuisement nerveux et reproches inavoués. C'est par elle que le film nous questionne sur la portée de nos choix, notre responsabilité face à notre famille et surtout sur la culpabilité qui peut en découler. Jeanne Cohendy, elle, est estomaquante. Composer un rôle d'handicapée est un exercice des plus périlleux qui veut vite tourner au ridicule. Rien de tout cela ici, puisque le personnage de Manon fait preuve d'une incroyable authenticité, d'un souci du détail qui en renforce le réalisme, conséquentiel évidemment à l'expérience personnelle de la réalisatrice qui y a puisé toutes les attitudes nécessaires pour rendre ce personnage authentique et profondément humain. Un double prix d'interprétation féminine totalement mérité au dernier Festival International du film de Saint-Jean-De-Luz.

BIen entendu, premier film oblige, Marche ou crève comporte un certain nombre de scories, dans son histoire un peu trop cousue de fil blanc par exemple, ou entendre un choix de titre maladroit dont on ne comprend pas vraiment le sens par rapport au récit. Mais ces quelques défauts n'effacent jamais la puissance du propos, le grand impact émotionnel sur le spectateur et sa distribution phénoménale qui transforme un film en apparence tout simple en une vraie expérience de cinéma. Et, pour un premier essai, c'est remarquable.

 

Affiche

Résumé

Marche ou crève est donc un premier film on ne peut plus réussi, juste et fort qui traite ses spectateurs avec autant de respect que ses personnages. Un début de carrière on ne peut plus prometteur pour Margaux Bonhomme.

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