La Mule : critique chargée jusqu'aux yeux

Simon Riaux | 12 juin 2022
Simon Riaux | 12 juin 2022

La Mule est ce soir à 21h sur TF1 Séries Films.

Quelques mois seulement après son spectaculairement raté 15h17 pour ParisClint Eastwood revient avec La Mule. Alors qu’on ne l’avait plus vue devant la caméra depuis 2012 dans Une nouvelle chance, le metteur en scène, pourtant prolifique, ne s’était pas offert de rôle depuis le funèbre Gran Torino en 2008. Voilà donc un retour inattendu, dont la dimension testamentaire s’accompagne d’une détonante vitalité.

PÉPÉ MALIN

Dès l’ouverture de La Mule, nous suivons Earl Stone, horticulteur frivole qui encaisse remarquablement ses soixante-dix printemps, jusqu’à une rapide ellipse qui le laisse à la rue, vaincu par la révolution Internet il est forcé de céder son entreprise, son terrain et son domicile à sa banque. Surprise initiale, pour la première fois depuis des années, la photo d’un film d’Eastwood n’embrasse pas la rengaine sépulcrale (au moins) depuis Million Dollar Baby.

L’auteur a confié la photographie à Yves Bélanger, passé par Xavier Dolan (Laurence anyways), Jean-Marc Vallée (WildDemolition) et le rythme surtendu des tournages de séries hollywoodiennes (Big Little Lies et Sharp Objects). Le technicien insuffle ainsi constamment une urgence, mais aussi une patine chaleureuse au métrage, qui évite alors instantanément l’écueil de l’introspection morbide qui tendait les bras à ce récit imprévisible.

 

La Mule : photo, Clint Eastwood, Taissa FarmigaClint Eastwood, toujours là malgré les années

Imprévisible car malgré l’évidente métaphore que file l’auteur, en se penchant sur la trajectoire fatale d’un octogénaire préférant rouler pour un cartel que se ranger des voitures, son histoire demeure d’une implacable drôlerie, d’une tendresse désarmante. En effet, sitôt ce vieux grigou un brin satyre d'Earl au contact des narcos dont il va devenir un atout majeur, le scénario est progressivement contaminé par un humour de plus en plus systématique.

Qu’elle file un coup de main à une association de lesbiennes bikeuses ou se moque gentiment d’un couple outré par son vocabulaire encore saturé de références racistes, la star met en scène les ruptures de la société américaine pour mieux en proposer une réconciliation truculente.

 

photo, Clint Eastwood, Alison Eastwood Eastwood a choisi sa fille Alison Eastwood pour interpréter la fille de son personnage

 

THE OLD MAN AND THE GUNS

Eastwood s’amuse énormément à détourner son image (que reste-t-il du surhomme justicier quand il peut à peine ouvrir le coffre de son pick-up sans assistance ?), n’hésitant pas à se dépeindre en vieillard dépassé par les événements, et répandant autour de lui une absurdité salvatrice.

Ce sera l’occasion pour le metteur en scène de passer en revue les travers qu’on lui a prêtés au fil des décennies. Machiste ? Raciste ? Sexiste ? Clint Eastwood détourne les clichés qui lui collent à la peau pour se peindre en monument anachronique, conscient d’arriver au bout d’une traversée à l’issue de laquelle il abandonnera un monde qu’il ne reconnaît plus.

 

photo, Clint EastwoodOld Man Clint

 

Car si la vieillesse dans La Mule est un naufrage, elle n’en demeure pas moins un naufrage heureux, un cataclysme tranquille, qu’il convient d’accueillir avec panache. C’est là toute la beauté du film, au cours duquel se réinstalle progressivement un sens de la tragédie finalement beaucoup plus subtil que dans Gran Torino, où il n’est plus question de renouer un ultime instant avec la grandeur d’hier, mais bien d’apprécier les derniers éclats lumineux d’une flamme vacillante.

 

photo, Dianne Wiest, Clint Eastwood Dianne Wiest et Clint Eastwood

 

Enfin, on est estomaqués par le courage et la malice mêlés avec lesquels Eastwood nous offre ce qui restera sans doute un de ses derniers voyages. L’aride simplicité avec laquelle il filme son visage, devenu paysage lunaire, sa bouche tremblante et sa peau parcheminée sont autant de moments suspendus.

L’image de ses mains arthrosées, alors qu’il tente d’agripper avec gourmandise les hanches d’une prostituée, sont autant de terrains inexplorés par le 7e Art. Et sous nos yeux, parfois embués de larmes, le grand Clint refuse, malgré les embardées, malgré la nuit tombante, de lâcher le volant.

 

Affiche US

Résumé

Testament, confession, introspection tout autant que doigt d'honneur hilare aux sectaires de tous poils, cette Mule est chargée à bloc.

Autre avis Alexandre Janowiak
La Mule est un road-movie, un drame familial et surtout une sublime quête de rédemption, parlant des regrets, du deuil, de transmission et du temps. Clint Eastwood est superbe dans ce rôle d'une déchirante fragilité, d'une spontanéité amusante et d'une attachante tendresse.
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Lecteurs

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commentaires
Hocine
15/06/2022 à 12:15

Dernier succès commercial de Clint Eastwood, La Mule donne beaucoup de fraîcheur à sa filmographie des années 2010, qui, depuis Invictus, semblait s’être réfugiée dans un académisme et un classicisme routiniers. Certes, American Sniper, Sully et Richard Jewell sont des films majeurs de la période. Quant à J.Edgar et Jersey Boys, ils n’ont suscité ni l’enthousiasme du public, ni celui de la critique, malgré les qualités certaines qu’ils recèlent.
Au-Delà était un film aussi inclassable que ne l’était Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal. Enfin, Le 15h17 pour Paris faisait office de sortie de route.

La Mule est un retour au premier plan de l’acteur Clint Eastwood, après le testamentaire Gran Torino et le film anecdotique, Une Nouvelle Chance. Je dirais même que dans La Mule, l’acteur prend le pas sur le réalisateur, avec beaucoup de bonheur. Il prouve qu’il est meilleur acteur qu’on ne le pense habituellement. Et probablement, meilleur acteur que Clint ne le pense lui-même. Même si en terme de performance d’acteur, il n’a pas fait mieux depuis Million Dollar Baby. Sans enlever à sa performance dans Gran Torino, son caractère riche et essentiel.
La Mule représente quelque part, l’aboutissement de films tels que Les Pleins Pouvoirs, Jugé Coupable, Space Cowboys, Créance de Sang et Une Nouvelle Chance, qui semblaient tous comporter des éléments autobiographiques de Clint Eastwood.
À côté de La Mule, Cry Macho apparaît comme une version très appauvrie et dénuée de toute tension dramatique.

La Mule démontre également la longévité exceptionnelle de Clint Eastwood en tant que star de cinéma. Longévité qui peut être un modèle pour beaucoup de stars plus jeunes dont Tom Cruise: à ce titre, dans Top Gun: Maverick, il a quelque chose de très « eastwoodien ».
De plus, Top Gun: Maverick a été qualifié de testamentaire et crépusculaire: épithètes que les critiques de cinéma ont régulièrement employé pour caractériser les films de Clint, depuis une trentaine d’années.

Clint Eastwood demeure une figure ô combien essentielle du cinéma américain.

Rakis
13/06/2022 à 19:44

Un film que j'avais raté (boudé) à sa sortie, et j'avais eu tort tant ce road movie est hilarant et roublard. Le rythme est parfois lent ? Ben d'une faut des films qui prennent leur temps, et puis à son âge, il va pas nous faire une virée à la Fast & Furious !

Jolly
13/06/2022 à 00:50

Du très grand CLINT merci MONSIEUR

Kelso
12/06/2022 à 23:41

Très bon film comme souvent avec Clint Eastwood derrière la caméra et malgré son âge il assure encore devant la caméra.

alulu
12/06/2022 à 21:09

Ça fait deux fois en six mois que je rêve de lui, j'ai peur pour sa personne. La Mule, une belle balade triste.

Mule
12/06/2022 à 20:32

100% d’accord avec cette critique

Pat Rick
26/10/2020 à 13:24

Pas mauvais mais pas mal de coup de mou aussi.

Andarioch
08/07/2019 à 10:18

En fin de compte un peu déçu par le film. Prévisible, répétitif (recup du chargement, je roule en chantant, livraison...), quelques scènes obligées et faciles sur le thème rédemption.
Par contre c'est sur les petits détails qu'on prend son pied. Comme dit dans la critique les scènes des lesbiennes et du couple black sont de courtes petites merveilles sur un thème (pratiquement?) jamais traité au cinoche à savoir le vieux machin très ouvert mais qui ne s'embarrasse pas de politiquement correct.. Enrobé par le sourire canaille du Clint, c'est du petit lait pour le fan. Ce sont les exemples les plus frappants mais il y en a plein d'autres. Ce sont finalement ces petites touches qui donnent toute sa saveur au film.

Bribri
13/02/2019 à 20:01

Excellent. Pas de concurrent. Robert Redford peut être. Les harry, sur la route de Madison, américain snipper, gran Torino etc. Magnifiques. Quel talent. Et Bradley Cooper , la relève sûrement. Je suis une inconditionnelle. Bravo

Dutch Schaefer
09/02/2019 à 08:31

Eastwood est un monument du cinéma à jamais!
Ce nouveau film est une nouvelle pierre à son édifice!
Clint aura traversé le temps du 7ème, à chaque fois en utilisant son personnage, et son image!
Il se met une fois de plus en scène et accepte son âge et le chemin parcouru!
Il est loin le temps de "Harry" ou "Du Bon"!
La il y a un homme qui regarde derrière lui et voit toute cette route faite!
Il arrive au bout du chemin et avec LA MULE Eastwood offre un film testament!
Merci pour tout MONSIEUR!

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