Serenity : critique qui mouille en mer et nanarde au large

Simon Riaux | 11 mars 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 11 mars 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Serenity de Steven Knight nous arrive avec des airs de catastrophe ferroviaire capturée au ralenti. Gang-bang critique d’une rare violence, flop impitoyable sur le territoire américain, rachat discret par Netflix avant une sortie internationale en catimini et premiers échos publics évoquant un hilarant trauma filmique… Derrière cette spirale de détestation, se cache pourtant une œuvre sympathique avec Matthew McConaughey et Anne Hathaway.

TROU DETECTIVE

Obsédé à l’idée de pêcher un spécimen de thon qui lui échappe depuis toujours, Baker Dill voit soudain débarquer dans son existence aux rites immuables un amour de jeunesse, le suppliant d’assassiner son époux violent en haute mer, contre la promesse d’une grosse somme d’argent, et une réunion avec le fils qu’il n’a jamais connu. En quelques minutes à peine, Steven Knight revêt avec une jubilation évidente la défroque du film noir à papa, pour mieux en faire péter les coutures dès son deuxième acte.

Serenity mène ainsi deux chantiers en parallèle, avec le même réjouissant premier degré. D’une part, il nous promène au cœur de l’île de Plymouth, de sa collection de personnages aux personnalités et hormones en bataille (tous les corps suent, suintent, ruissellent, exhalent, exsudent et extravasent) tout en prenant soin de révéler systématiquement la totale artificialité de ce décor aux relents de rhum et de stupre.

 

Photo Matthew McConaughey, Anne HathawayPêcheur à la dérive et femme fatale...

 

Plutôt que de prendre le spectateur pour un imbécile qui ne verra rien venir, le scénariste et réalisateur s'amuse à sur-signifier la fausseté de cet îlot, factice jusque dans ce qui semble son unique fonction, balader des touristes replets en mer et honorer bruyamment leur compagnes à la faveur de draps trop humides.

Vendu à tort comme un film à twist, le récit de Knight s’amuse du concept pour le retourner comme un gant. Dès le premier tiers de Serenity, chaque séquence dévoile sa nature factice, et nous amène à toute berzingue vers un retournement de situation dès lors extrêmement attendu. Ce qui l’est moins, c’est son incidence sur le récit. La plupart des thrillers ou néo-noirs s’amusant avec l’idée de high-concept métaphoriques se voient généralement obligés d’abandonner leur personnage principal dans la dernière ligne droite, une fois ce dernier ayant révélé son statut de marionnette. Or, Steve Knight refuse d’abandonner Baker Dill.

 

photo, Matthew McConaughey, Djimon Hounsou Djimon Hounsou et Matthew McConaughey

 

ENTERRE THE MATRIX

Comme souvent Matthew McConaughey excelle à rejouer la partition du Sudiste ahuri, auquel il adjoint une belle sensibilité. Il est le vaisseau idéal de ce métrage maladroit, mais parcouru d’impulsions géniales, et de désirs culottés. Ainsi, une fois révélée sa nature de pantin, ce curieux héros ne perd pas l’attention de la caméra, et l’ensemble se part d’un questionnement existentiel assez touchant : que faire, que devenir, quand on n’est manifestement plus rien ?

Un personnage en quête d’auteur. Cette figure, rare dans le cinéma américain, émerge ici, alors que Baker s’interroge sur la réalité même de son existence. C’est dans cette tension que le tout atteint une relative beauté, établissant une foi inébranlable dans la fiction, et dans sa valeur rédemptrice. Peu importe finalement que Baker soit, jusque dans ses plus infimes gestes, un pion. Peu importe qu’il ne puisse dévier des rails choisis pour lui. Il en souffre et désire exister malgré. Il y a dans cette contradiction, aussi appuyée que le simili-film noir initial, une sincérité désarmante, qui rend l’ensemble bien plus attachant que Locke ou Crazy Joe, du même auteur.

 

photo, Diane Lane, Matthew McConaughey Diane Lane et Matthew McConaughey

 

Bien sûr, Serenity n’atteint pas tous ses buts, loin s’en faut. Son intégrité esthétique se heurte notamment à un impensé total de certaines réalités matérielles et conceptuelles, qui amoindrissent considérablement l’impact de sa dernière moitié. Dernière moitié qui manque de pulvériser le film au cours de deux scènes finales, si lourdement et verbeusement explicatives qu'elles annihilent une grande partie du charme qui a précédé.

De même, si tous les comédiens sont impeccables, aucun à l’exception de Dill, ne bénéficie d’un arc narratif abouti. D’Anne Hathaway à Diane Lane, deux facettes de figures féminines et représentations outrées du désir du personnage principal, on ne retiendra que de fascinantes esquisses éjectées violemment du récit, justement quand celui-ci a bien du mal à rendre crédible son postulat technologique.

 

affiche

Résumé

Malgré d'évidentes faiblesses et maladresses, Serenity ose avec une sincérité et un culot désarmants, qui font de cette création une curiosité bien loin du nanar annoncé.

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Lecteurs

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commentaires
Simon Riaux
19/03/2019 à 10:13

@post-pseudo

Heu... Oui ?

On vous écoute.

Nalevi
16/03/2019 à 22:14

Colle d habitude Matthew est parfait déglingue et imprègne de cette même folie qui donne du corps au scénario
Bien vu
!
Surtout qu en ce moment y en a pas mal qui se ressemblent et il fallait oser !

Alain 62
15/03/2019 à 18:01

Les 75 % du film agréable, très bien joué, très bons acteurs, pour ma part le reste du film deviens plutôt fanstatique et pas fini

post-pseudo
13/03/2019 à 00:36

Je conseille juste au rédac de ce papier de regarder ce que veut dire "ferroviaire " dans un dico ;) bises

Paflechien
12/03/2019 à 07:59

Une gentille histoire ou l'on comprend, dès le premier plan, la supercherie.

NeoGeo
11/03/2019 à 21:25

@ Number6 : ;D

Thierry
11/03/2019 à 19:08

Vraiment bon film, avec de bons acteurs, sans oublier une mention spéciale pour la photo. De ces œuvres qui conjuguent le meta-discours avec ici une belle réussite. Serions-nous la marionnette de quelques concepteurs ? Et nos histoires, l'histoire de nos vies ne sont-elles pas la résultante de programmes qui nous agissent. Et en ce cas n'y auraient-ils pas quelques programmeurs écrivant et même stimulant ces programmes. Qu'est-ce que le libre-arbitre, avec cette question terriblement profonde et essentielle : si poupées et marionnettes il y a, la poupée est-elle non seulement capable de devenir consciente des fils qui l'agitent, mais plus encore, trouvera-t-elle les ressources pour couper tous les fils qui font d'elle une poupée ? Pinocchio a réussi cela, pourquoi pas nous ? J'aime le cinéma qui arrive, comme ici, à être source d'inspiration. Cela est bon. :))

Number6
11/03/2019 à 18:58

Préfère revoir celui avec Nathan Fillon.

Hank Hulé
11/03/2019 à 17:59

Pas d'accord : un film totalement con qui veut jouer au plus malin et qui ne sait pas comment se terminer.
ceci dit, ça se regarde avec les yeux d'un lapin ébloui par les phares d'un 38 tonnes ...

Cooper
11/03/2019 à 17:22

D'accord avec vous, j'avais entendu trop de mal de ce film mais j ai décidé de le voir quand meme et j'ai été surpris de toute ces mauvaise critiques, il est bien sympa et Matthew McConaughey impec comme d'hab.

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