Ville Neuve : critique animée

Christophe Foltzer | 3 juillet 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 3 juillet 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Le cinéma d'animation a ceci de particulier, par rapport au cinéma live, qu'il n'est limité que par sa technique et peut facilement s'affranchir des contingences du réel pour nous proposer des visions uniques de notre monde. Et c'est exactement le pari que tente de relever Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière.

L'ENCRE DE TES YEUX

Lorsque l'on découvre Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière, il nous apparait tout de suite évident qu'il ne s'adresse pas à tout le monde. Que ceux qui carburent aux designs ronds et aux images de synthèse saturées de couleur se préparent à avoir un choc puisque ce film d'animation québécois se veut avant tout une expérience sensorielle à la limite de l'artisanat.

 

photo Ville NeuveJoseph, tourné vers un passé rassurant

 

Cette approche audacieuse, le film la justifie par son propos, là encore bien loin des films d'animation actuels. Ville Neuve ne s'adresse effectivement pas aux enfants puisqu'il nous raconte un couple brisé qui tente de se reconstruire par temps de crise. Dans le Québec de 1995 en l'occurrence, lorsque le pays est agité par de grands troubles consécutifs à une campagne référendaire qui doit décider une nouvelle fois de son indépendance.

Dans ce contexte, Joseph, homme dans la force de l'âge qui vient d'être passé à tabac, s'exile dans une maison isolée de Gaspésie où il avait passé les plus beaux moments de sa vie. En plein carrefour existentiel, il décide de rappeler son ex-femme, Emma, pour lui proposer de le rejoindre et de, peut-être, se donner une nouvelle chance. C'est en pleine agitation citoyenne que ces deux êtres vont tenter de réapprendre à se connaitre et peut-être s'aimer à nouveau.

 

photo Ville NeuveUn couple prêt à renaitre ?

 

L'ENCRE DE TON CORPS

À partir de ce postulat fichtrement mélancolique, Félix Dufour-Laperrière tire une expérience assez déroutante, très loin du cinéma commercial. Film d'animation indépendant à vocation auteurisante, Ville Neuve opte pour un parti-pris esthétique assez radical puisqu'il est réalisé à l'encre de Chine et se permet de casser de nombreux codes de mise en scène plus classique pour en appeler davantage à nos sens.

Le gros avantage d'un tel procédé, c'est de rendre le film assez unique en son genre et d'installer immédiatement une ambiance qui enveloppe le spectateur prêt à y plonger. Déroutant au début, le style montre très rapidement son efficacité et ses qualités, le réalisateur n'hésitant d'ailleurs jamais à basculer dans l'abstraction artistique pour nous communiquer ses émotions.

 

photo Ville NeuveUn parti-pris parfois radical

 

Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cela fonctionne. Le design simple, et non simpliste, permet une identification totale aux personnages, respectant ainsi le procédé de la fameuse "ligne claire". Des décors épurés et des personnages pas trop détaillés permettent ainsi au spectateur de se projeter plus facilement dans l'univers du film. L'animation, elle, n'est pas en reste également et nous réserve quelques morceaux de bravoure impressionnants et toujours justifiés.

Pourtant, Ville Neuve possède un gros défaut : son rythme. Si le film ne dure que 1h15, son parti-pris contemplatif et poétique étire parfois un peu trop son propos pour le rendre aussi impactant que souhaité. Si l'on se trouve en présence de nombreux tableaux poétiques et éloquents, ils diluent malheureusement un peu trop le parcours de nos personnages, toujours attachants. Et même si le film retrouve un certain dynamisme dans sa conclusion (fort belle d'ailleurs), il risque d'en laisser plus d'un sur le bas-côté entre-temps.

 

photo Ville NeuveUn discours sous-jacent malheureusement très actuel

 

Oui, Ville Neuve n'est pas un produit de consommation courante, c'est une oeuvre exigeante avec son public et qui sollicite toute son attention et un abandon presque total du spectateur pour l'embarquer dans les méandres d'une histoire d'amour désenchantée. À ce titre, le film est une réussite. Mais peut-être que le problème ne vient pas de lui, mais de nous.

En effet, on se plait à penser durant la projection que, si le film nous déroute autant, c'est peut-être justement parce qu'il bouscule nos habitudes de spectateurs, conditionnés par des oeuvres toutes plus calibrées les unes que les autres (ce qui ne veut pas dire qu'elles sont mauvaises, attention). À la différence d'un Toy Story 4, par exemple, Ville Neuve exige qu'on lui fasse une confiance absolue et qu’on laisse ses à priori à l'entrée de la salle. Et, rien que pour ça, il mérite d'être vu.

 

affiche finale

Résumé

Film exigeant avec son public, Ville Neuve ne plaira assurément pas à tout le monde. Mais pour qui est prêt à mettre ses habitudes en danger et à pardonner un rythme parfois un peu plombant, l'expérience vaut clairement le détour.

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commentaires
Simon Riaux
03/07/2019 à 15:56

@hérolde

C'est un barbarisme qui désigne communément un film n'utilisant pas des techniques classiques de l'animation, ou, s'il les utilise en partie, vise à tout à fait les gommer via une patine photo-réaliste.

Hérolde
03/07/2019 à 15:53

hé c'est quoi un film "live" ?

herolde
03/07/2019 à 15:53

hé j'ai jamais su, c'est quoi un film "live" ?

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