La Voix du succès : critique cordes sensibles

Mathias Penguilly | 15 juillet 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathias Penguilly | 15 juillet 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

À l'époque d'Instagram, de McDonald's et d'Uber, le métier d'assistant de célébrité n'est finalement qu'un job de merde parmi tant d'autres. Nisha Ganatra choisit comme héroïne une assistante ambitieuse qui s'échine pour obtenir la considération de la diva dont elle prend soin. Douce, discrète, mais pas fade : quoi de mieux pour l'interprète d'Anastasia Steele, qu'un rôle de jeune femme ambitieuse pour s'émanciper du carcan Cinquante nuances de Grey ?

TROUVER SA VOIX

La Voix du succès plonge dans les coulisses de l'industrie musicale américaine à travers l'entourage d'une grande chanteuse à voix qui a atteint un plateau dans sa carrière. Une satire du milieu et de ses dérives, le film entend critiquer - assez superficiellement, toujours - la manière dont sont traitées les femmes d'âge mûr ainsi que l'entourage professionnel proche de ces célébrités. Le tout est nappé dans une bande-son pop et une ambiance californienne aussi douce et cotonneuse que de la barbe à papa.

Le personnage principal est Maggie, l'assistante personnelle de la chanteuse Grace Davis (Tracee Ellis Ross, un mix de Céline Dion et Beyoncé au star power un peu daté), interprétée par Dakota Johnson. Maggie est bonne dans son job, mais elle rêve secrètement d'être un peu plus qu'une larbine pour sa boss - son idole.

Alors qu'elle s'essaie en douce au métier de productrice musicale, elle rencontre David (Kelvin Harrison), un chanteur amateur, aussi riche que talentueux. Elle choisit de le produire en douce puisque Grace Davis ne semble pas la reconnaitre à sa juste valeur. On y suit également le manager historique de la diva (le rappeur Ice Cube, très amusant en impresario vanné et pantouflard) avec lequel Maggie entretient une forme de rivalité tacite, ainsi que Gail (June Diane Raphael), une ancienne assistante écervelée qui vit aux crochets de la star.

 

photo, Ice CubeLorsqu'Ice-Cube se met à la place de son manager

 

THIS IS THE VOICE

Typiquement, La Voix du Succès fait partie de ces films indéfinissables, dont on ne peut résumer que par un "boh, ça se laisse regarder" laconique. Et c'est bien vrai : ça se laisse regarder... mais pas plus que ça. Le film ne prend pas la tête, il est simplement un peu trop lisse et gentillet. Dakota Johnson n'est pas le genre d'actrice auquel on voue une haine passionnée, mais de la même façon, difficile de trouver sa performance ambitieuse. Elle retrouve un personnage de jeune première discrète, charmante sans être vraiment captivante.

Heureusement, elle est accompagnée de plusieurs monstres de charisme qui nous empêche de mourir d'ennui. Harrison, Ice-Cube et Ross crèvent l'écran à chacune de leurs apparitions. Le premier par son charme indéniable, le deuxième pour son personnage bougon hilarant et enfin la dernière par son aura impressionnante. Le casting de seconds couteaux n'est pas toujours au même niveau cependant (Zoe Chao et June Diane Raphael très en deçà) et se retrouve cantonné à des rôles comiques un peu caricaturaux, dont on questionne encore l'intérêt une fois le visionnage terminé.

La musique qui ponctue le parcours de Maggie est par ailleurs très agréable à écouter. Un mix de pop californienne et de chansons un peu jazzy, la bande-originale brille grâce à plusieurs voix magnifiques. Chacun des deux interprètes musicaux est particulièrement bon : le timbre suave d'Harrison et la voix chaleureuse de Tracee Ellis Ross nous embarquent immédiatement. Cette dernière a d'ailleurs peu de choses à envier à sa célébrissime mère, la légende du rock Diana Ross.

 

photoCe genre de star

 

VOIX DE GARAGE

Là où le film pêche en revanche, c'est dans sa narration très bancale. La mise en place du dilemme qui se pose à Maggie (rester assistante ou quitter son idole pour réussir en produisant la musique d'un autre) prend énormément de temps, donnant lieu à un dernier acte précipité où toutes les étoiles s'alignent en quelques scènes à peine. Rien ne nous prépare à cette résolution ultra-rapide qui bénéficie d'un deus ex machina abracadabrantesque et bien pratique. Le personnage de David est déterminant, malgré sa grande discrétion dans la stratégie de promotion du film. À croire que deux protagonistes féminines ne sont finalement pas encore considérées comme assez fortes pour offrir un dénouement intéressant par elles-mêmes.

Le film possède une jolie photographie, bénéficiant d'une très belle lumière californienne et de très beaux acteurs, régulièrement filmés en plans serrés. Là encore néanmoins, la mise en scène est très classique et n'offre rien de très original.

On pourra aussi reprocher une certaine simplicité des décors. L'extérieur de la demeure de l'extravagante Grace Davis semble un peu fade pour un personnage aussi haut en couleur. De la même façon, l'épicerie bobo et le bar en rooftop sont devenus des lieux communs pas spécialement novateurs pour un film de ce genre. Une mise en scène moins conventionnelle aurait certainement pu apporter au film ce qui lui manque en personnalité.

 

photo, Tracee Ellis Ross, Dakota JohnsonUn dénouement plus rapide que la vitesse du son

 

D'AMOUR ET D'EAU TIÈDE

Dès le départ, l'angle d'attaque semble passablement différent de ce qui nous avait été vendu. La bande-annonce se concentre exclusivement sur la relation entre les deux personnages féminins et oublie carrément de mentionner le deuxième arc narratif du film : la rencontre entre Maggie et David, un jeune chanteur prometteur qu'elle veut produire pour se faire les dents. Évidemment, les deux personnages tombent amoureux et le soufflé pseudo-féministe - qu'on nous avait promis - retombe. Pof.

Leur idylle est très mignonne et fonctionne (assez) bien, toutefois, elle affaiblit complètement l'angle de départ du film, présenté comme un conte californien sur le parcours de deux femmes ambitieuses. Leur amourette dure une bonne moitié du film et se conclut avec un happy end prévisible, mal amené et dispensable. Elle occupe le terrain au détriment des autres personnages trop peu développés sur le plan psychologique.

 

photo, Dakota JohnsonThis is (absolutely) a Love Story

 

Par exemple, la crise existentielle et professionnelle de la diva Grace Davis était supposée être le coeur de l'intrigue. Pourtant, mis à part deux mentions très brèves de son angoisse du nouvel album (trop peu de femmes quarantenaires ont renoué avec la gloire), les angoisses de la chanteuse ne sont jamais vraiment approfondies. À la place, la cantatrice multiplie les caprices et les piques acérées : on s'attache à son personnage de célébrité fantasque et pourrie gâtée, mais pas pour les raisons qu'induisait le pitch du film.

Le film n'est donc pas raté en soi, ni même pénible à regarder, il manque juste un peu de saveur. Si vous vouliez découvrir une satire de l'industrie musicale vraiment réussie, on vous conseillera plutôt Kill Your Friends d'Owen Harris, beaucoup plus méchant et piquant.

 

Afiche fr

Résumé

La Voix du succès ne trouve jamais la note juste, perdue entre sa volonté inaboutie - inexplorée ! - de faire passer un message et ses personnages gauches et un peu convenus. Il se dégage néanmoins une certaine douceur de la photographie et de la bande-son, qui rend le film attendrissant, mais pas vraiment inoubliable.

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