L'Échange : Critique

Sandy Gillet | 11 novembre 2008
Sandy Gillet | 11 novembre 2008

Depuis Impitoyable, chaque œuvre de Clint Eastwood ressemble à une somme.  Le réalisateur semble chercher à la fois l'épure et l'apothéose de tous les genres qu'il visite. Du mélodrame au polar en passant par le récit de guerre ou celui de sport, Eastwood taille ses films dans la veine la plus classique d'Hollywood. Il en résulte une intemporalité visuelle et thématique qui donne d'autant plus de force à sa vision. En ce sens, L'Echange apparaît comme la synthèse de toute sa  filmographie récente, voire, n'ayons pas peur d'aller trop loin dans l'enthousiasme, de toute ses créations.

La richesse de L'Echange  se déploie à la fois sur son ample durée et sa tranquille humilité. Les multiples récits de souffrances déchirantes sont centrés autour du personnage de la mère trahie, superbement incarnée par Angelina Jolie, dans ce qui est probablement son meilleur rôle. Le film touche à tous les genres et tous les sentiments. A la fois reconstitution historique, enquête policière, film de procès, récit de corruption, conte cruel sur l'enfance, chronique d'hôpital psychiatrique et bien sûr un portrait de femme forte et bouleversante. Et encore, on ne vous dit pas tout, de peur de dévoiler les surprises d'une œuvre qui semble inépuisable.

Mais avant de pouvoir théoriser sur la forme, d'une classe proverbiale, ou sur les thèmes abordés, il faut simplement vivre L'Echange. Comme un déchirement insondable, que certains trouveront peut-être trop lacrymal, mais qui, au contraire, trouve le juste équilibre entre mélodrame et retenue. Tout autant qu'avec Million Dollar Baby ou Sur la Route de Madison, Eastwood nous désarme entièrement ; nous laissant, dès les premières scènes d'intimité entre la mère et son fils, complètement acquis à son sujet.

 

 

On peut beaucoup pleurer devant ce crève-cœur, on peut aussi se passionner pour ses zones d'ombre et ses ambiguïtés, car le film ne se laisse pas apprivoiser d'un seul regard. Parfaitement aidé par des seconds rôles fantastiques (depuis quand n'avait-on pas vu John Malkovich aussi sobre ?), Eastwood crée une galerie de portraits qui échappent bien souvent aux stéréotypes attendus, ou, tout du moins, les magnifient. Au cœur du film Angelina Jolie use de toute la palette de son talent, et on admet qu'on ne l'imaginait pas si vaste.

A l'image de There will be blood en début d'année 2008, L'Echange peut impressionner par sa puissance. Mais à l'inverse du film de Paul Thomas Anderson, Eastwood a voulu revenir au plus près de ce qui peut rendre l'humain attachant. C'est ainsi le pendant positif de l'histoire de Daniel Plainview, un autre versant de l'Amérique, qui lutte contre son passé fait de sang et de trahison. Même face à la tragédie, il s'agit de ne jamais perdre espoir. Même face à la faiblesse, à la corruption, au mensonge, il est possible de résister. Et cette résistance, aussi vaine qu'elle puisse paraître, est à elle seule la plus grande et la plus belle des victoires. L'Echange est un hymne à cette croyance en la bonté et la justice humaine. Il nous faut l'écrire aujourd'hui, pour ne pas le regretter plus tard : c'est un chef-d'œuvre. (5/5)

Jean-Noël Nicolau

 

 

CRITIQUE CANNOISE (rédigée en mai 2008 à la suite de la projection du film en compétition au festival de Cannes) 

Clint Eastwood est décidément un cinéaste passionnant. De retour à Cannes en compétition officielle avec L'échange, l'histoire d'une mère (Angelina Jolie promise à un prix d'interprétation et plus tard à l'Oscar) à la recherche de son fils disparu dans le Los Angeles d'avant la grande dépression, le voici qui apporte une nouvelle pierre à l'édifice d'un cinéma où la narration et sa mise en valeur priment sur le reste.

D'aucuns diront qu'il s'agit là d'une forme de classicisme qui mériterait juste de figurer au musée du cinéma, mais Eastwood en décide systématiquement autrement et remet le couvert pour le pire (Créances de sang, Mémoires de nos pères) et le meilleur (Million dollar baby, Lettres d'Iwo Jima). Mais avec L'échange on est bien un cran au-dessus, là où se trouvent des bijoux tels que Un monde parfait (dont L'échange pourrait être une forme de remake côté pile) ou Chasseur blanc, cœur noir à savoir l'alliance parfaite entre l'amour du travail bien fait (mise en scène et directions d'acteurs au cordeau), la précision du « story telling » (où Eastwood est définitivement passé maître) et cette volonté de partager des thèmes ou des obsessions devenues récurrentes de film en film et qui ne peuvent que balayer les dernières réticences de ceux qui pensent qu'il ne s'agit là que d'un cinéma d'illustration.

 

 

C'est que L'échange traite pour la énième fois au sein de la filmo du bonhomme de ce passage si fragile de l'enfance à l'âge adulte. De ce moment où tout bascule et pour lui et pour ceux qui l'entourent. L'enfant qui disparaît ici rappelle ainsi celui qui fut traumatisé dans Mystic River ou encore celui qui est enlevé dans Un monde parfait ou enfin celui que n'a jamais eu le personnage joué par Eastwood dans Million dollar baby.

C'est de l'impossibilité ou de la difficulté de transmettre qu'il s'agit ici, de celle que le cinéaste de la Malpaso Company veut sans cesse juguler en nous donnant à voir cette pépite de cinéma à l'attention des générations futures. (4,5/5)

Sandy Gillet 

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(4.5)

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