Nocturnal Animals : Critique noire

Geoffrey Crété | 4 janvier 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 4 janvier 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Presque sept ans après le très beau A Single Man, Tom Ford est de retour avec un thriller noir et alambiqué, porté par Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon, Isla Fisher et Aaron Taylor Johnson. Célébré par le Grand Prix du jury à Venise, Nocturnal Animals sera t-il l'un des premiers événements de l'année ?

Jusqu'en 2009, le nom de Tom Ford n'était qu'une étiquette de luxe bien connue des amateurs de mode. Puis, A Single Man. Pour son premier essai derrière la caméra, le créateur de mode démontrait un sens inouï de la mise en scène, et une capacité extraordinaire à générer du cinéma autour d'une histoire simple. Un talent remarquable qui aura été qualifié de formalisme froid, voire vide, mais qui témoignait de la naissance éclantante d'un cinéaste.

Presque sept ans plus tard, Nocturnal Animals, adapté du roman Tony and Susan d'Austin Wright, le confirme. 

 

Photo Amy Adams

 

LE ROUGE ET LE NOIR

Résumer l'intrigue de Nocturnal Animals, c'est prendre un risque : celui de l'abîmer, parce qu'elle est d'une richesse et d'une étrangeté inattendues qui la rendent difficile à déchiffrer. D'un côté, il y a une femme, épouse malheureuse et glaciale d'un bel homme vide. Elle reçoit le manuscrit d'un livre écrit par son ex-mari, qui lui est dédié et qu'elle commence à dévorer. De l'autre, les mots sur les pages prennent vie : elle imagine son ex mari être le héros de ce cauchemar, où il croise une bande de voyous sur une route déserte en pleine nuit avec sa femme et sa fille.

Entre les deux, Tom Ford étire l'énigme et nourrit le trouble. Il multiplie les ruptures, brouille les pistes, mélange les niveaux de fiction et les temporalités. Un doux parfum de mystère noir flotte sur le film, de ses toutes premières secondes à ses ultimes instants. L'incroyable et magnifique générique de début (naturellement accusé d'être tape-à-l'oeil et prétentieux) tient d'ailleurs d'avertissement : Nocturnals Animals brouille les frontières entre le beau et le monstrueux, et se déjoue des attentes pour entremêler la douceur à l'horreur, avec notamment une poignée d'images choc.

 

Photo Jake Gyllenhaal

 

LES JOLIES CHOSES

Nocturnals Animals est sans surprise un objet magnifique, illuminé par une fantastique direction artistique. La photo de Seamus McGarvey (à la fois capable de 50 nuances de Grey et Godzilla, et qui a récemment signé le superbe épisode Nosedive de la saison 3 de Black Mirror) et la musique d'Abel Korzeniowski (à l'oeuvre sur A Single Man et également la série Penny Dreadful dont les fans reconnaîtront quelques notes) contribuent à créer une ambiance fascinante, à la croisée des genres.

Il y a une froideur à la Fincher dans le film, mais également un montage plus chaud, une sensualité exacerbée et une attention portée aux corps et aux peaux. La mécanique est plus étrange, comme un long cauchemar inextricable. De la fiction qui prend vie à l'écran à l'existence censée être réelle de Susan, en passant par ces souvenirs perdus d'amour et de désespoir, Tom Ford étale le factice, transformant ces tranches de vies et obsessions en gigantesque théâtre, où le plus faux (et beau) n'est pas forcément à l'endroit le plus évident.

 

Photo Jake Gyllenhaal, Michael Shannon

 

LA REVANCHE D'UN BRUN

Mais Nocturnal Animals a aussi une force, presque inattendue pour ceux qui considéraient A Single Man comme un film froid. Dans ses derniers instants, le film de Tom Ford trouve tout son sens dans une scène d'une simplicité remarquable, qui dévoile le sens profond et terriblement clair de l'histoire. C'est dans les yeux d'Amy Adams, d'autant plus éteints qu'ils avaient retrouvés une lueur de vie, que Nocturnal Animals se termine, avec une force brutale et silencieuse inattendue. Au-delà de l'horreur et du cauchemar au coeur du manuscrit, il y a cette cruauté, cette entreprise de vengeance et de destruction qui s'abat.

Le deuxième film de Tom Ford a des défauts. L'équilibre entre la partie de Jake Gyllenhaal et celle d'Amy Adams est étrange, parfois déstabilisant dans sa manière de gérer les deux facettes de l'intrigue. Certains choix narratifs côté thriller, notamment dans les ellipses lors de la résolution de l'enquête, ne sont pas toujours convaincants et harmonieux. La caricature du monde branché de l'art contemporain, avec son luxe froid et ses belles gueules surmaquillées (éléments absents du livre que Tom Hord a apporté pour injecter son vécu), n'est pas d'une finesse folle.

 

Photo Aaron Taylor-Johnson

 

Comme A Single Man, le paysage de Nocturnal Animals est habité par des stéréotypes. Il n'y a qu'à voir l'apparition de Laura Linney, réjouissante en vieille et terrible bourgeoise, ou Aaron-Taylor Johnson et Michael Shannon, parfaits en redneck et cowboy. Le réalisateur jongle avec les genres, passe d'une parenthèse romantique au polar noir, avec une touche de mélodrame et même de comédie.

Tom Ford joue avec ces archétypes, les tord et les malmène. Il joue avec la virilité inhérente à Jake Gyllenhaal et la candeur lumineuse d'Amy Adams, qu'il transforme en poupée glaciale. Cette enveloppe dorée, d'une beauté ostentatoire, est à la fois le fond et la forme. Et le réalisateur prouve que derrière les paillettes, les couleurs et les lumières, il est incontestablement un cinéaste fanastique.

 

Affiche

 

Résumé

Nocturnal Animals ressemble à un long et éprouvant cauchemar, d'une beauté époustouflante et d'une brutalité sourde. La preuve définitive, après A Single Man, que Tom Ford est un cinéaste remarquable.

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Lecteurs

(2.5)

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commentaires
Alex
11/01/2020 à 14:13

Ce film m'avait marqué en tout points, montage, réal, acteurs, une belle maitrise !

Prometheus
16/02/2017 à 14:11

Excellente surprise que ce film qui oscille entre drame, thriller (assez dur) et leçon de vie, le tout portée par une très belle brochette d'acteurs confirmés qu'on ne présente plus.
Visuellement, très beau lors de certains plans fixes, avec une belle photo, et des décors parfaitement exploités.
Clairement un film qui marque, dont on ne mesure pas forcément tous les ressorts en direct, mais qui chemine lentement et sûrement après le visionnage.
A voir !

MystereK
15/01/2017 à 13:25

Pas tout à fait juste pour les Cahiers du cinéma : seul deux journaliste sur 5 trouvent cela mauvais JPT et JG, les Michel Ciment est neutre et les 3 autres le conseille.

En tout cas, leur avis, bon ou mauvais, sont beaucoup plus constructif sque "Elle est trop bonne la meuf" qui n'est ni un avis sur le film, ni une remarque respectueuse, juste une remarque digne du XIXème siècle.

Bob
19/12/2016 à 10:03

Amy Adams réveillerait un mort (pour rester poli)

Tenia Tenieux
19/12/2016 à 09:23

Elle est trop bonne la meuf.
En tout cas Les Cahiers ont trouvé ça tout pourri.

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