Premier contact : critique du troisième type

Geoffrey Crété | 1 novembre 2021 - MAJ : 03/11/2021 11:20
Geoffrey Crété | 1 novembre 2021 - MAJ : 03/11/2021 11:20

Avant Blade Runner 2049, Denis Villeneuve plongeait déjà dans la science-fiction avec Premier contact. Le réalisateur de Prisoners, Enemy et Sicario filmait Amy Adams et Jeremy Renner dans une rencontre du troisième type, avec l'espoir pour beaucoup d'un grand film de science-fiction. Pari réussi ?

(PREMIER) CONTACT

Difficile de ne pas lire dans Premier contact un message crypté lié à Blade Runner 2049, la suite du film culte de Ridley Scott qui sortira un an après. Ayant gravi les échellons pour devenir un cinéaste de premier plan en six ans, après la révélation Incendies en 2011, Denis Villeneuve entre pour de bon sur les territoires du film de studio, avec une question primordiale : saura t-il conserver son identité et son âme au sein du système 

Adapté du livre Story of Your Life de Ted Chiang, Premier contact avec Amy Adams et Jeremy Renner offre quelques éléments de réponse en livrant un spectacle à cheval entre le mainstream et le film d'auteur. Un vrai numéro d'équilibriste, en grande partie réussi.

 

Photo Amy AdamsHello darkness my alien friend

 

Le mal-aimé Sphère de Barry Levinson, Contact de Robert Zemeckis, ou encore Solaris, le fabuleux livre de Stanislaw Lem adapté par Andrei Tarkovski et Steven Soderbergh : cette histoire de vaisseaux aliens qui rencontrent l'humanité pour de mystérieuses raisons résonnera dans l'esprit de beaucoup de fans de science-fiction. Une science-fiction qui s'intéresse plus aux esprits qu'aux corps, avec une réflexion sur le temps et le déterminisme, centrée sur le facteur humain dans un paysage et un genre d'ordinaire associés au grand spectacle.

Au coeur du film, il y a ainsi le personnage d'Amy Adams, linguiste enrôlée par le gouvernement américain lorsque l'un des nombreux OVNI apparus sur Terre s'installe sur le territoire. Silencieux, majestueux, imposant : le vaisseau ovoïde flotte comme un gigantesque point d'interrogation. Une énigme venue d'ailleurs, posée à une humanité démunie face à cette non-menace qui chamboule leur système de pensée. Cette rencontre du troisième type n'est ni un danger, ni un cadeau. C'est un mur blanc sous forme d'épreuve, dont l'opacité cache un gigantesque miroir.

 

PhotoDans le vaisseau... ou dans l'esprit ?

 

STRANGER THING

Premier contact est sans surprise une réflexion sur l'Homme, plus qu'un film sur l'Alien et l'Ailleurs. Le très grand (l'espace, les vaisseaux, la dimension étourdissante de la résolution) renvoie au très petit (la fragile héroïne, la nature humaine, et l'utérus, comme un vaisseau). De la même manière que l'héroïne se bat pour empêcher les gouvernements de passer à l'action, le film préfère les mots et les silences graves à toute forme de spectacle ou démonstration visuelle gratuite.

 

Photo Amy AdamsEt pourtant, du cachet visuel, il y en a

 

Denis Villeneuve emballe une oeuvre à la noblesse double. La place de la communication et de la réflexion à l'échelle de l'espèce humaine, au-delà des frontières et des cultures, a un sens particulièrement fort dans le monde d'aujourd'hui. L'idée d'antagoniser l'Autre, par principe et par sécurité, prend également un lourd sens, dans la grande tradition de la science-fiction qui offre un miroir tourné vers la réalité. Le scénario met l'accent sur l'importance du langage et la précision des mots, notamment en opposant la légèreté d'un murmure qui résonne jusqu'à renverser le cours des événements pour stopper le métal militaire et la bureaucratie. 

Et c'est parce qu'il filme ce faux film d'invasion (qui aura en partie été vendu comme un thriller haletant au public) en prenant soin de résister aux travers du genre, qu'il lui donne toute sa cohérence. Dans le fond comme dans la forme, Premier contact est un film solide, qui n'adopte pas la vitesse du monde en 2016. Ce qui lui confère une grâce certaine.

 

Photo Amy Adams, Jeremy RennerAmy Adams et Jeremy Renner

 

Dans le registre de la nuance et de la gravité subtile, Amy Adams brille, encore une fois. Avec le film de Denis Villeneuve et le magnifique Nocturnal Animals de Tom Ford sorti au même moment, l'actrice rappelle avec une sobriété et une justesse affolantes qu'elle est l'une des meilleures du cinéma américain contemporain. Elle apporte à ce personnage d'héroïne hollywoodienne (voir la scène à bord du vaisseau qui rappelle Prometheus et sa logique scientifique) une dimension tendre et fragile. Sachant qu'elle est le coeur du film, et le vecteur de sa charge émotionnelle, elle assure une grande partie du service.

 

Photo Amy AdamsUn duo de choc 

 

PRISONER

Il manque toutefois une certaine force à Premier contact pour être à la hauteur. Il y a trop de ces scènes et petits conflits ordinaires, notamment avec un Forest Whitaker purement accessoire. L'intrigue se révèle bien plus simple et attendue que prévu. Il y a bien une poignée d'images marquantes, plusieurs séquences brillantes et une utilisation ingénieuse des effets spéciaux (notamment autour des aliens eux-mêmes, intelligemment laissés dans leur mystérieuse brume), mais le film ne semble pas décoller au-delà de la frontière indispensable à l'intrigue. L'horizon est comme bloqué lorsque l'histoire s'approche de l'ultime frontière qui le sépare d'un grand film profond de science-fiction.

Alors que chaque recoin de Sicario semblait habité par Denis Villeneuve, le cinéaste semble ici moins puissant, voire presque absent dans certains moments. Il ne plie pas le genre de la science-fiction comme il tordait celui du thriller dans le film sur les cartels, malgré de superbes cartes en main. Il ne va pas aussi loin dans l'abstraction, dans la pureté - alors que thématiquement il va dans ce sens. Ce sentiment occupe particulièrement l'esprit face au climax, qui vend artificiellement un semblant de spectacle voire d'apocalypse sans trop y croire, celui-ci étant moyennement cohérent avec l'ambiance. 

 

Photo Amy AdamsParé au (pas) décollage

 

La musique étrange et fascinante du regretté Johan Johannsson semble elle aussi reléguée au second plan, hormis deux scènes qui rappellent que ses compositions étaient magnifiquement utilisées par Denis Villeneuve dans Sicario - où elles étaient le coeur de certaines scènes, et envahissaient tout l'espace cinématographique. Même le titre (VF ou VO) traduit un désir d'universalité sommaire très hollywoodien, sans l'étrangeté ou la clé de lecture d'un Prisoners ou d'un Enemy. D'une efficacité indéniable, Premier contact a donc des atouts clairs, sans pour autant être aussi grand qu'il ne le laissait espérer.

 

Affiche

Résumé

Un film de science-fiction noble, avec une formidable Amy Adams, qui résiste avec une certaine assurance aux codes du film d'aliens pour attaquer le genre avec intelligence. Reste toutefois l'impression que Denis Villeneuve n'y a pas déployé l'entièreté de son talent, un peu écrasé par le poids du cahier des charges.

Autre avis Alexandre Janowiak
Loin du film SF spectaculaire, le Premier Contact de Denis Villeneuve sonde avec délicatesse l'intimité humaine et la spiritualité de l'étrange, dans une passionnante et émouvante réflexion sur l'existence.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.8)

Votre note ?

commentaires
sylvinception
02/11/2021 à 12:16

Quand vous voyez les notes, vous pouvez déjà deviner que Riaux n'est pas dans le coup.

Pierre. B
02/11/2021 à 12:04

Premier Contact, tout d'abord une musique de film, une formidable et surprenante partition. La réalisation est presque parfaite. Vers la fin, le scénario s'enlise et spectateurs, on perd pied. Les acteurs sauvent le film. Peut-être, avec le temps, ce film sera mieux compris. Pierre

Ghob_
01/11/2021 à 18:16

Découvert il n'y a pas longtemps, mais c'est un des films de SF vus ces dernières années que j'ai préféré. Une sorte de mesure, dans les plans, le rythme, les cadrages, faisant qu'on ne s'attend jamais à une action pétaradante, sachant d'avance que le métrage restera centré sur la personne, sur l'humain. Et j'avoue qu'en ces temps de destruction-porn et autres grosses machineries misant toujours plus sur l'impact visuel le plus outrancier, tomber sur une bobine SF qui prend le temps d'accompagner ses personnages et de se focaliser sur eux (ainsi que leurs doutes ou questionnement) a quelque chose de presque "rafraîchissant".
Mais ces nobles intentions ne seraient rien sans l'apport émotionnel de Amy Adams, qui donne réellement corps au récit, bien secondée par un Jeremy Renner assez sobre, mais parfaitement à sa place.

En ce qui me concerne, malgré quelques petites scories ici et là et un final forcément un peu décevant (je rejoins l'avis d'EL là-dessus), ça reste quand même un des films de SF que j'ai pris le plus de plaisir à voir. Du très bon cinéma ! (et nan, je ne trouve pas Villeneuve "surestimé", même si par moments il semble parfois se perdre en route ou perdre de sa superbe dans les moments les plus décisifs... mais ce sera toujours préférable à 90% des productions "grand public" qu'Hollywood nous balance à longueur d'années à un rythme effréné).
Non, Premier Contact n'est pas parfait, mais il reste une des propositions les plus intéressantes vues dans le genre ces dernières années. En ce qui me concerne, je valide !

Et Dune a confirmé que le bonhomme a de vraies appétences dans le domaine de la SF, contrairement à beaucoup de réalisateurs qui signent juste parce que c'est stipulé sur les contrats, mais sans jamais investir réellement le genre en question...
Bref, moi je valide à 200% et je suis curieux de voir où il se tournera après sa dyptique Dune... mais pour sûr, je pense qu'il y aura de très belles surprises !

Ghob_
01/11/2021 à 17:54

Découvert il n'y

Vince B
03/02/2021 à 06:59

De mémoire, le film développe la nouvelle de Ted Chiang ... en montrant comment le travail de la linguiste sur cette langue va la préparer de manière quasi-physiologique à appréhender le temps et ce déterminisme qui s'y déploie et dans lequel elle oeuvre (venir avec un traducteur automatique n'aurait pas permis cette apprentissage à l'humanité via son travail à Elle). Le film prend cette valeur, puisqu'il oeuvre lui aussi à sortir la nouvelle d'une certaine fadeur , ampleur... c'est une sorte de version 2. Le travail sur le langage et l'effet miroir est subtile, au point que les Wolfram (père... Mathematica et fils) ont contribué à l'élaboration du langage extraterrestre !

Partipris
31/01/2021 à 15:37

Je voulais simplement corriger
Psychologique
Ébauche!
CQFD!

Partipris
31/01/2021 à 15:34

je m'attendais à quelque chose de beaucoup plus évident bien que le scénario soit très bien mais il y a quand même beaucoup mais beaucoup de longueur s..,.la mise en scène est impeccable ainsi que des images mais ce que je trouve dommage, on n'en finit pas avec ces écritures et ces créatures dont on ne perçoit que les formes floues comme des céphalopodes....
à part la musique j'ai trouvé vraiment très particulière je me suis demandé pourquoi il fallait trouver la réponse à cette énigme pour le mois gigantesque au propre comme au figuré.
La longueur du film aussi, laissait entrevoir- du moins je le pensais- un élément aussi minime fût il- pour que nous puissions avoir l'e Auche d'une réponse....
Ici je trouve que l'accent sico logique et analytique et beaucoup plus me que pour un simple film dans le style d'envahisseurs......

Karlito
31/01/2021 à 13:02

Jy2m -> Il me semble justement que le langague très particulier des ET demande bien plus qu'un simple appareil de traduction pour en saisir toutes ses dimensions. Il y aussi une approche plus pédagogique et peut-être aussi respectueuse de l'intelligence que ces envoyés confèrent aux humains et de leur faire comprendre à quel point le bord du gouffre est si proche...

Jy2m
31/01/2021 à 10:05

Pour pouvoir apprécier ce film il faut au préalable admettre que des extraterrestres maitrisant une technologie leur permettant de voyager à travers les galaxies ne sont pas capables d’avoir un petit système de traduction pour pouvoir communiquer avec les créatures des planètes où ils se posent, appareil de traduction que nous humains d’aujourd’hui, qui n’avons pas encore mis les pieds sur la plus proche de nos planètes voisines, pouvons nous procurer, il est vrai sans l’option langages extraterrestres, pour moins de 200 €. Donc, si l’on accepte ça, effectivement on peut regarder ce film mais, il faut bien le dire, il est tout de même difficile d’oublier cet illogisme.

Marc
31/01/2021 à 07:47

Premier Contact est captivant plein d'émotion Louise au contact des Heptapodes voit son avenirs la maladie de sa fille malgré ce drame elle décide de ne rien changé de sa vie sa relation avec Ian bouleversant. visuellement ce film est une réussite totale Denis Villeneuve avec ce film nous montre son talent avec nuance Premier Contact un film rare intense .

Plus
votre commentaire