Manchester by the Sea : critique qui prend le large

La Rédaction | 8 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 8 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec Manchester by the Sea, l’Américain Kenneth Lonergan nous offre un des films les plus poignants de l’année. Un drame sur le deuil et la culpabilité porté par un Casey Affleck au sommet de son art, récompensé de l'Oscar du meilleur acteur pour son rôle.

Drame en trompe-l’œil

Lee Chandler (Casey Affleck) est un homme seul. Sa vie de gardien se résume à nettoyer la merde des autres, de manière littérale. Ses uniques contacts avec le monde extérieur : des discussions orageuses à propos de robinets qui fuient, et des bagarres dans les bars. Lorsqu’il reçoit un coup de fil lui apprenant l’hospitalisation en urgence de son frère Joe (Kyle Chandler) après une crise cardiaque, Lee quitte Boston pour Manchester, Massachusetts. Là, il apprend la mort de son frère et découvre que celui-ci lui a légué la tutelle de son fils adolescent…

Le synopsis de Manchester By the Sea pourrait être celui d’un mélo classique sur le deuil, dans lequel l’Oncle Lee aiderait son neveu Patrick, un adolescent désaxé, à surmonter l’épreuve de la perte. Mais Manchester By the Sea n’est pas un mélo classique ; c’est un drame qui, sous ses faux airs de chronique sociale et familiale, raconte le deuil à deux niveaux de récit. La mort de Joe fait écho à une autre perte impossible à surmonter, qui constitue le cœur du récit, et le foyer du drame initial.

 

Photo Casey AffleckCasey Affleck dans le plus grand rôle de sa carrière

 

Deux hommes sur un bateau

La réussite du film repose sur son magnifique duo de personnages. Avec son regard bleu et sa voix éraillée, Casey Affleck traîne son mal-être et sa silhouette plombée dans quasiment tous les plans. Face à cet homme qui sombre, Lucas Hedges incarne un Patrick remarquablement nuancé, qui mène sa barque comme il le peut. Si ce n'est pas le premier rôle du jeune acteur (qui avait passé une tête dans le Moonrise Kingdom de Wes Anderson), il explose littéralement dans la peau de Patrick et vient compléter chaque vide de l'existence du personnage d'Affleck. La force de ce duo est toutefois à double tranchant.

Si elle confère une émotion qui ronge de l'intérieur les destins de chacun, on peut regretter (un peu) que Manchester by the sea s'y repose trop largement et ne laisse que peu de place aux femmes. Pourtant, nul doute que le long-métrage a beaucoup de choses à tirer de la plupart d'entre elles, notamment Randi, l'ex-femme de Lee, fabuleusement incarnée par Michelle Williams.

Malgré un nombre limité d’apparitions, la comédienne offre l’une des scènes les plus puissantes du film, à travers de simples regards, de rares mots et quelques pleurs pour venir dévaster les personnages (et les spectateurs) et déployer l'immense pudeur d'émotions qui inonde le métrage.

 

Photo Casey Affleck, Michelle WilliamsUne scène déchirante

 

Le roulis des souvenirs

Outre la qualité de ses interprètes, le film frappe également par la finesse du dispositif mis en place. Le drame se tisse par bribes à travers une structure éclatée, qui traduit les allers-retours incessants de Lee dans son propre passé. Kenneth Lonergan utilise la musique de manière singulière, non pour amplifier les émotions, mais au contraire pour apporter un contre-point analytique aux émotions qui se dégagent des séquences. À travers la métaphore du congélateur qui symbolise l’anesthésie de Lee, ou encore le moteur de bateau qu’il se refuse à réparer, comme analogie avec son cœur cassé, le réalisateur infuse le récit de symboles puissants, qui donnent au drame la dimension d’un conte initiatique.

Le cinéaste, qui met ici en scène son troisième long-métrage en seize ans (après Tu peux compter sur moi et Margaret), démontre l’étendue de sa maîtrise et sa capacité à toujours convoquer l’outil narratif le plus juste. Sa palette stylistique impressionne. Flashbacks, montage alterné, métaphores oniriques, montage simple, mais parfaitement rythmé, quasi-plans-séquences contemplatifs… plutôt que de chercher un effet signature, Lonergan déploie quantité de techniques, toujours conçues pour maximiser l’impact des séquences et mettre en lumière la composition de ses comédiens. Une démarche humble, pour un résultat d’une puissance dévastatrice.

Critique rédigée par Elsa Vasseur et Simon Riaux.

 

Affiche

Résumé

De Manchester by the Sea, on retient l’intelligence du dispositif de narration et, surtout, le magnifique personnage de Lee, porté par la performance d’un comédien hors norme.

Autre avis Alexandre Janowiak
Manchester by the Sea bouleverse et ébranle comme rarement. Entre sa pudeur d'émotions dévastatrice et un Casey Affleck déchirant, le drame de Lonergan ronge de l'intérieur durablement. Immense film.
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Lecteurs

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commentaires
Flo
21/12/2023 à 16:39

Kenneth Lonergan adopte une réalisation non linéaire (un style qui permet de faire travailler le cerveau des spectateurs) pour raconter le possible retour à la vie d’un homme vivant dans la plus basse contrition. Mais le pourquoi du comment importe peu quand débute le film, ça n’est pas un mystère à ce moment là… ça le devient plus tard, au fur et à mesure que ce personnage a des réminiscences sur son ancienne vie dans cette ville, alors qu’il quitte son boulot rabaissant de concierge pour faire enterrer son frère.
Du moins, c’est ce qu’il était censé faire. Jusqu’à ce que de nouvelles responsabilités lui tombent dessus, alors qu’il ne s’en sait pas digne, et que qu’il ne veut surtout pas rester ici. Et que la tristesse la plus insondable menace de le faire s’effondrer, à l’instant où il se sent « piégé » et que l’afflux d’informations horribles sur son passé nous révélera tout… même sur l’adagio le plus usité.
Heureusement, il a un neveu marrant, et eux deux ont un caractère de cochon qui vient alléger la grosse mélancolie de cette histoire.

Une histoire initiée par Matt Damon, qui continue à régulièrement raconter une certaine masculinité bostonienne, très couillonne quand les gars se regroupent et ont quelques actes irresponsables sur la conscience (fermer trop longtemps les yeux sur Harvey Weinstein, par exemple).
Continuation aussi pour Casey Affleck des rôles de personnages un peu lâches, grands gamins mal embouchés et éteints (depuis « Lonesome Jim » et Gus van Sant au moins), dans l’ombre d’un grand frère mâle alpha – mais Kyle Chandler est un modèle américain plus positif qu’un Ben.
Et petite remontée pour Lonergan, qui n’a vécu qu’un mini traumatisme avec son film précédent (une bataille artistique insensée).
Au milieu, les femmes ont droit à des prestations météoriques (Michelle Williams, quand-même !), mais qui font mouche à chaque fois.

Est-ce qu’on peut alors s’autoriser à aller de l’avant, tout en accepter de couper les ponts avec une partie non négligeable de sa vie, sans devenir la mauvaise personne qu’on peut laisser croire ?
Tout déchirantes et douloureuses quelles soient, les décisions finales nous montrent un peu comment être un homme (bien).

Ethan
09/02/2021 à 19:57

Bien aimé aussi

zoom7
09/02/2021 à 16:15

Ce film est excellent malgré qlq longueurs. Casey affleck nous plombe le moral tellement il joue on peut pas dire quvil ait volé son oscar et il y a 2 scenes extremement chargées en emotion. Ce film m a marqué

Vento
09/02/2021 à 13:14

Très beau film avec une structure jamais vue parce qu'il ne s'agit pas ici de simples introspections ni même du fait de relater le passé de façon classique, les protagonistes avancent malgré leurs douleurs , dans une continuation difficile mais en ayant conscience tout n'est pas infranchissable

caravaggio
09/02/2021 à 12:26

un peu déçue par ce film Je l ai trouvé un peu brouillon, plus banal qu'annoncé ;

Eddie Felson
09/02/2021 à 06:51

Un très beau film, porté par de remarquables comédiens, Casey Affleck en tête, et une structure narrative inspirée. Le film souffre néanmoins de longueurs. Quelques séquences mémorables.
À découvrir assurément

Alxs
09/02/2021 à 02:35

Chef d'oeuvre de la décennie pour ma part, je m'en suis toujours pas remis. Jamais dans le pathos, maniant l'humour et la retenue pour tout exploser dans quelques séquences dévastatrices. Je prends le temps de l'oublier pour mieux le rédécouvrir à chaque fois.

Sanchez
08/02/2021 à 22:00

Une merveille. Un chef d’œuvre sur l’irréparable

Kyle Reese
08/02/2021 à 18:58

@Jean Jean

Plutôt un" abruti" qui finit par ne plus l'être à la fin en arrivant enfin à croire en lui en prenant enfin ses responsabilités. Son parcours pour y arriver est assez poignant. Un film sensible avec un jeu tout en finisses de Casey Affleck qui trouve le ton juste, un peu lent un peu long pas pour tout le monde c'est sur.

rientintinchti
08/02/2021 à 18:49

Film qui n'a rien à raconter. Il faut bien que le cinéma soit tombé très bas pour encenser ce truc. Il n'y a que du vent là-dedans... Allez poubelle et remboursez... vite, très vite... et plus vite que ça....

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