Taxi : comment Luc Besson est devenu le roi d'un empire (qui a failli mal tourner)

Geoffrey Crété | 3 février 2018 - MAJ : 01/03/2022 11:26
Geoffrey Crété | 3 février 2018 - MAJ : 01/03/2022 11:26

Retour sur la saga Taxi, et la manière dont elle a changé les choses pour Luc Besson.

En France, en 1998, il y a eu Titanic de James Cameron, avec ses 21 monumentaux millions d'entrées. Puis, loin derrière le sacre de James Cameron, une poignée de comédies françaises : Le Dîner de cons de Francis Veber (9,2 millions d'entrées), Les Couloirs du temps, les visiteurs 2 de Jean-Marie Poiré (8 millions), et Taxi de Gérard Pirès (6,5 millions). 

Pour ce dernier, pas de stars, pas de formule confortable, pas de réalisateur chevronné, si ce n'est Luc Besson, installé dans l'ombre du film d'action, avec Samy Naceri et Frédéric Diefenthal, comme producteur et scénariste. Le succès-surprise changera la donne pour lui et EuropaCorp. Retour sur cette histoire.

 

 

ALLUMAGE 

Quand Luc Besson a l'idée de Taxi en 1996, il a rencontré de beaux succès avec Subway en 1985 (2,9 millions d'entrées, 13 nominations et 3 César), Le Grand Bleu en 1988 (9,1 millions d'entrées, 4 nominations et 2 César), Nikita en 1990 (3,5 millions d'entrées, 8 nominations aux César et le prix pour Anne Parillaud) et Léon en 1996 (3,5 millions d'entrées, 7 nominations aux César). Il est lancé dans son premier film hollywoodien avec Le Cinquième Elément avec Bruce Willis, est loin d'être ce réalisateur mal-aimé par la presse, et gère sa société Leeloo Productions, créée en 1992 après Les Films du Dauphin.

Besson a l'envie, mais pas le temps. Il veut produire mais pas réaliser ce buddy movie, avec un policier et un chauffeur de taxi. Et se tourne logiquement vers Gaumont avec lequel il collabore depuis Subway. Sauf que les patrons Nicolas Seydoux et Patrice Ledoux sont tout sauf enthousiastes. L'idée d'un film d'action comique, tourné à Marseille, sans acteur connu, et sans Besson à la réalisation, est pour eux une mauvaise équation. Le réalisateur aurait pu plier, repenser le film, mais non : il croit dur comme fer en Taxi.

 

Taxi 4 : Photo Bernard Farcy

Préparation du swatting du box-office par Taxi

 

DÉMARRAGE

Si Gaumont ne veut pas de Taxi, Taxi trouvera une maison ailleurs. Avec l'aide de Pierre-Ange Le Pogam, un des pontes de Gaumont, à ses côtés. Un article de L'Express rapporte qu'il est le seul à y croire, persuadé que Luc Besson mènera le projet à bien, coûte que coûte. Il va frapper à la porte d'ARP, société de production et distribution encore toute jeune (fondée par ses amis Laurent Pétin et Michèle Halberstadt), et qui va exploser sur la scène publique avec Taxi puis Rosetta, Palme d'or des frères Dardenne en 1999. 

Avec ARP, Besson lance donc Taxi, et place tous les pions. Des acteurs au scénario qu'il signe (et écrit en un mois), en passant par le réalisateur Gérard Pirès, il assemble la machine. Il convainc tous les partenaires, dont Canal + et TF1 Films Production, que caster deux jeunes acteurs inconnus est une bonne idée, alors que la logique voudrait des visages connus.

Ainsi arrivent Samy Naceri et Frédéric Diefenthal. Le premier a quelques apparitions à son actif, dont une figuration dans Léon, de Besson. Le deuxième, à peu près pareil. Ils ne sont personne, et vont devenir les visages d'une nouvelle génération. En arrière-plan, dans le rôle de la fille, un autre nom qui comptera plus que tous les autres : Marion Cotillard. Elle aussi n'a alors qu'un CV très maigre.

 

Taxi : Photo Marion Cotillard

Un rôle qui lui vaudra un César du meilleur espoir féminin

 

DÉBRAYAGE 

Le tournage n'a pas commencé que la production affronte un problème de taille : Gérard Pirès se casse le bras une semaine avant le premier jour. Signe du destin : Besson appelle à la rescousse Gérard Krawczyk, un autre de Gaumont. Il gère donc le début des prises de vue avant le retour de Pirès... et Taxi 2, Taxi 3 et Taxi 4, qu'il réalisera. Pirès supervise le travail de loin, valide les rushes chaque soir.

Malin, Besson a négocié un accord avec Peugeot : en échange d'une mise en avant de la voiture, il y aura un chèque et des véhicules à disposition du tournage, certains pour parader et briller à l'écran et d'autres, pour être écrasés dans les scènes d'action. La biographie non autorisée Luc Besson, l'homme qui voulait être aimé, de Geoffrey le Guilcher, revient sur ces détails, et parle d'une enveloppe de 100 000 à 300 000 euros selon les épisodes de la saga. D'ailleurs, le même livre affirme que les ventes de 406 ont explosé après la sortie du film. A tel point que le cinéaste aurait négocié durement un pourcentage sur ce succès, selon le journaliste-écrivain.

Le tournage du premier opus ne dure que 27 jours, pendant l'été 1997. Quand le film sort en avril 1998, c'est le raz-de-marée.

 

Photo Samy Naceri, Frédéric Diefenthal Samy Naceri et Frédéric Diefental, duo de héros dans le premier Taxi

 

ACCÉLÉRATION

A Paris, c'est plus de 190 000 spectateurs dès le premier jour. Presque 800 000 en une semaine. Taxi attirera au final 6,5 millions de personnes. Pour un film qui a coûté environ 8 millions, c'est un succès énorme. Un triomphe même, qui se répercutera jusqu'aux César, où le film décrochera sept nominations (dont meilleur réalisateur, meilleur film, meilleur espoirs pour Samy Naceri et Marion Cotillard), et deux prix (meilleur montage et son).

Pour Luc Besson, c'est une victoire absolue. Il lance Taxi 2 sans plus attendre. Le budget a grimpé jusqu'à 10 millions, mais rassemble en une semaine la moitié du score total du premier. La suite terminera à 10,3 millions d'entrées. Entre temps, Luc Besson a réalisé Jeanne d'Arc avec sa Leeloo.

En 2000, Leeloo Productions devient EuropaCorp. Après Les Films du Dauphin bercé par Le Grand Bleu et Leeloo en référence à l'héroïne incarnée par Milla Jovovich, les choses deviennent sérieuses : l'ambition, au-delà de son propre cinéma, est de rayonner et créer un rêve à l'échelle globale. Il a commencé avec Yamakasi - Les samouraïs des temps modernes en 2001, et continuera avec Le Baiser mortel du dragonWasabi, et Le Transporteur, une autre franchise à succès construite sur de la tôle froissée et du mâle en premier plan.

Quand Taxi 4 sortira en 2007, il y aura déjà eu Le Transporteur 2 et New York Taxi, remake américain et vrai flop.

 

Photo Frédéric Diefenthal, Samy Naceri Le duo, dans Taxi 4

 

PANNE SÈCHE

Franck Gastambide et Malik Benthala l'ont chanté durant toute la promo de Taxi 5 : réaliser un épisode de la saga était un rêve de gosse. Ils ont contacté Luc Besson sur les réseaux sociaux, ont rencontré Luc Besson dans la Cité du cinéma pendant qu'il tournait Valerian et la Cité des mille planètes, ont eu l'accord et la bénédiction de Luc Besson.

La franchise n'attendait donc qu'une nouvelle énergie pour repartir ? Presque. Depuis Taxi 4, les relations entre EuropaCorp et ARP, et donc Luc Besson et le couple Pétin, ont tourné au vinaigre, pour de banales histoires de gros sous. A l'origine, ARP a droit à 30% des recettes, notamment reversés par EuropaCorp sur les scores à l'étranger, où la société de Besson assure la distribution. En 2008, ARP attaque la société de Besson, avant d'abandonner, puis relancer la machine l'année suivante.

En cause : EuropaCorp tarderait à leur reverser la part prévue, et ARP n'a eu d'autre choix que de les rappeler à l'ordre pour être payé. Et signaler au passage des dépenses douteuses, déduies des recettes. EuropaCorp se défend, se justifie. En 2012, le tribunal de commerce tranche et blâme tout le monde : EuropaCorp aurait dû justifier tous les frais, mais ARP aurait dû user de son droit de vérifier les comptes. Face aux explications non convaincantes d'EuropaCorp, la société est condamnée à payer 1,4 millions d'euros.

Besson n'accepte pas la décision : il vide les tiroirs et ressort un millier de justificatifs, puis réclame l'analyse d'un expert qui lui sera accordée en 2015. En attendant, il devra payer environ 428 000 euros à ARP. Un an plus tard, les esprits se sont calmés, et un accord à l'amiable est trouvé. EuropaCorp lâche 750 000 euros à ARP. 

 

Photo Bernard FarcyBernard Farcy dans Taxi 4

 

FAUX DÉPART ?

Ainsi le taxi a pu ressortir du garage des finances, libéré par ses parents longtemps accaparés par la compta. Ils se sont réconciliés, produisent un cinquième opus ensemble, et ont même vidé les caisses pour célébrer leurs retrouvailles : avec environ 20 millions d'euros, Taxi 5 est le plus gros budget de la franchise, loin devant les 17 du quatrième.

Le budget aura sans cesse grimpé, passant de 8 à 10, puis à 14, puis à 17, et enfin 20. Le box-office, lui, a suivi une trajectoire différente : 6,5 millions, 10,3 millions... puis 6,1 millions, et enfin 4,5 millions. Taxi 5 va t-il suivre la pente glissante ? Malgré le troisième meilleur démarrage de l'année, avec plus de 320 000 entrées en inclutant les avants-premières, le film se place derrière les débuts de Taxi 2 (plus de 800 000 entrées), Taxi 3 (plus de 500 000 entrées) et Taxi 4 (environ 450 000 entrées). Sa première semaine a beau dominer le marché, avec 1,5 millions d'entrées, elle reste loin des précédents épisodes.

Les prochaines semaines apportent une réponse claire, et particulièrement attendue vu la situation financière compliquée d'EuropaCorp, dans une mauvaise passe en partie à cause de la déception Valerian et la Cité des mille planètes. Mais il semble déjà clair que le taxi, hier cheval de course du studio français, est parti pour devenir un vestige d'une autre époque.

 

Affiche

Affiche officielle

Tout savoir sur Taxi

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commentaires
Poncho ramirez
25/04/2018 à 12:51

Sacrée bouse ce taxi

Birdy
23/04/2018 à 09:42

Encore mieux, en 5 jours, mais j'ai confondu Rocky, écrit en quelques jours mais réécrit plusieurs fois. Record à battre ?

Birdy
23/04/2018 à 09:39

@ fedor85 : Taxi Driver a été écrit en 3 semaines...

Zanta
21/04/2018 à 16:53

Curieux de savoir comment la (très oubliable) série Taxi Brooklyn a pu se monter, si il y avait un imbroglio juridique autour de la marque.

StarLord
20/04/2018 à 22:21

Article super intéressant merci!

Petite erreur: Leon est sorti en 1994 non en 1996 ;)

Dutch Schaefer
20/04/2018 à 17:39

Je pense surtout que cette mode de vouloir "reanimer" des films cultes des années 80, 90 est une idée de merde!
SOS Fantômes, Conan, Karaté Kid, Point Break, Footloose, Fame, Poltergeist... QUE DES BOUSES!
Non simplement, le plus gros problème de ces reboots et autres reamke, c'est... L'ORIGINALITE!
C'est le néant total!
Les ricains nous servent des vieilles soupes périmées depuis déjà quelques années et nous bêtement, que fait on en France... Pareil!
Là c'est Taxi, mais demain, c'est... Rabbi Jacqueline avec l'insupportable Florence Foresti!
AU SECOURS!

fedor85
19/04/2018 à 17:25

"au scénario qu'il signe (et écrit en un mois)" ah ben voila, ça explique pas mal de chose ^^