Ready Player One et Under the Silver Lake : deux Pulp Frictions qui interrogent la pop culture

La Rédaction | 27 décembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 27 décembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

À quelques mois d’intervalles sont sortis Ready Player One et Under the Silver Lake. Deux films attendus, perçus comme singuliers dans la carrière pléthorique ou naissante de leurs auteurs respectifs. Malgré des sujets et des univers très différents sur le papier, ces deux propositions pourraient bien s’avérer les deux facettes complémentaires d’un même mouvement naissant. Et si après avoir célébré pendant plus d’une décennie la pop culture sous toutes ses formes, le 7e Art commençait à s’en inquiéter ?

 

 

UNDER THE PLAYER ONE

Dans le blockbuster de Steven Spielberg, Wade Watts existe via son avatar Parzival, grâce auquel il parcourt un multivers virtuel conçu par le légendaire Halliday. Son labyrinthe de références pop contient trois épreuves, lesquelles lui donneront trois clefs, dont le détenteur deviendra propriétaire et maître de l’OASIS, El Dorado virtuel où s’ébattent plusieurs générations en pleine extase nostalgique.

 

PhotoQuand les icônes des années 80 reprennent le pouvoir

 

Dans Under the Silver Lake, Sam est un jeune désoeuvré, coincé dans ses fantasmes musico-cinéphiles et porc forcené à ses heures perdues. Entre ennui et demi-gueule de bois, il consacre son existence à l’espionnage et à la drague lourdingue de ses voisines ou d’inconnues, de coups rapides en délires masturbatoires. Lorsque Sarah, qu’il vient de rencontrer et qu’il ambitionne désespérément de conquérir, disparaît, il plonge dans une spirale cauchemardesque, à la fois enquête et dédale référentiel.

Science-fiction, cinéma de genre, années 80 et monstres en tous genres d’un côté, film noir, thriller, pulp, Nouvel Hollywood et musique psychédélique de l’autre. Deux continents, distincts et pourtant si proches. Deux continents arpentés par deux héros masculins adolescents ou adulescents, piétinant sur le tapis-roulant d’un quotidien fait d’une cascade de références.

S’ils y évoluent avec une aisance évidente, ils seront dans un premier temps incapables de comprendre en quoi leur apparente capacité à décoder ces mondes et leurs indices masque une autre réalité. Et c’est dans cette conception inquiète de l’arsenal culturel qui nous entoure désormais, que se nichent peut-être les premiers feux d’une révolution symbolique.

 

photo, Andrew GarfieldUn petit cochon en quête de grand amour

 

 

TARANTINO CINEMATIC UNIVERSE

Ces deux dernières décennies, un double mouvement a enflammé et énergisé, de différentes manières, la culture populaire. Deux logiques, opposées, usant de la même matière première comme carburant.

 

Photo Uma ThurmanKill Bill ou la centrifugeuse pop ultime de Quentin Tarantino

 

D’un côté, Quentin Tarantino et ses descendants directs ont montré que l’héritage, entre autres du cinéma, pouvait constituer le pilier d’un monde fictionnel. En retravaillant, recyclant et régurgitant sa formidable érudition, Tarantino a, depuis Pulp Fiction, contribué à montrer que notre mémoire collective était devenue un monde à proprement parler, et pouvait être appréhendée comme tel. Bien entendu, il ne fut pas le premier à envisager, l’hommage, la transformation et le détournement comme autant de mécaniques, mais il est sans doute le premier à l’avoir envisagé de manière aussi totale, dans une logique de réhabilitation de quantité de sous-genres, tombés dans l’oubli et/ou réservés aux initiés.

Parallèlement, l’avènement planétaire des blockbusters de super-héros, couplé à la mode devenue phénomène industriel des remakes et reboots va elle aussi puiser dans ce qui fut longtemps une culture méprisée. L’internationale geek passe des souvenirs émus des échanges de VHS et vieux comics aux affiches de multiplexes. Marvel, DC, et finalement toutes les franchises des années 80, jusqu’aux plus obscures ou anecdotiques (commercialement parlant) doivent passer à la moulinette de la réactualisation.

 

photoTerminator : Dark Fate, le retour du refoulé

 

La mémoire devient un capital, qui agace rapidement une fraction de puriste, de gardiens du temple auto-proclamés, ou tout simplement de spectateurs en quête de créations originales. En quelques années seulement, on sera passé de la célébration élégiaque et cinéphile de Tarantino à la lessiveuse Disney.

Au sein de ce nouvel écosystème, les giga-succès sont aussi bien un nouveau Le Livre de la Jungle qu'Avengers : Infinity War, un méga best-of comme Stranger Things et demain peut-être le reboot de Gremlins. Le rapport à la pop culture se retrouve ainsi profondément chamboulé.

 

photo, Chris EvansAvengers : Endgame

 

PULP FRICTION

À leur manière, Ready Player One et Under the Silver Lake semblent s’inscrire parfaitement dans le système décrit ci-dessus. Une partie du public, passant à côté de la proposition de Steven Spielberg, l’aura d’ailleurs accusé de se complaire en fan service, ne saisissant pas que c’est justement le sujet, et la critique, qu’appose le réalisateur sur l’écosystème commercial et culturel qu’il a largement contribué à créer.

Son héros rêve de se perdre dans une compétition qui lui permettra d’expérimenter bonus, avatars et références dont il finira par comprendre qu’ils n’ont de sens que s’ils sont réinventés, transformés, et ultimement convertis en récit, non brandis comme des trophées (d’où l’autodafé final). Le Sam d’Under the Silver Lake, de son côté, mettra l’ensemble du récit à réaliser qu’il doit symboliquement sortir de l’écran, et de tous les symboles désormais vides de signification qu’il contient, pour vivre quelque chose.

 

photo, Andrew GarfieldFétichiste du fantasme

 

Cette signification, concentrée et contenue dans l’ultime séquence du film de David Robert Mitchell, fait bien sûr écho à Ready Player One. Tous deux déclarent simultanément leur amour de la pop culture et de ses emblèmes, autant qu’ils dressent un portrait inquiet de sa redéfinition et une autopsie terrible de ceux qui la subissent ou la lisent trop superficiellement.

Wade ne comprend pas qu’il est l’objet de corporations qui usent de sa passion pour s’enrichir et appauvrir la culture qu’il adule, tandis que Sam ne peut interpréter les symboles qui l'entourent ou trouver l’amour qu’il cherche, puisque ses obsessions décodeuses le retranchent de l’existence. D’où un constat quasi-similaire dans les deux œuvres.

 

PhotoAvatars vs Avatars vs Avatars

 

Si la culture pop n’est plus envisagée que comme une forme figée, un objet mort, devant lequel il faut se prosterner, une énergie éteinte et passée qu’il convient d’évoquer et de dupliquer, alors elle disparaîtra, en asservissant ceux qu’ils l'aiment. David Robert Mitchell et Steven Spielberg composent ainsi une étonnante angoisse pop, dont la conclusion est des plus simples et stimulantes.

On aura parfois vite représenté Ready Player One comme une création réac, en raison de la décision de son héros de fermer ponctuellement la virtuelle OASIS. Il ne s’agit nullement d’attaquer la virtualité, les jeux vidéo ou la culture populaire, mais de rappeler qu’ils ne peuvent transcender le réel que si ce dernier existe suffisamment pour les nourrir. Ainsi, c’est peut-être un nouveau terrain de jeu, d’interrogation, une nouvelle manière d’appréhender la pop culture sur grand écran.

 

Affiche françaiseUn poster mélangeant habilement mort, énigmes et indices...

Tout savoir sur Ready Player One

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commentaires
Kyle Reese
28/12/2020 à 13:29

RPO très sympa niveau réalisation et clin d’oeil à tout va mais trop léger je trouve. Un méchant un peu en toc. Et puis 2 morts (l’oncle du hero et sa femme) qui ne servent à rien et qu’on oublie très vite. Under the silver lake, trop long et lent, une bonne 1/2 en trop. A la fin je me fichais de ce qui se passait.

Nick Tamer
28/12/2020 à 12:46

Un article de très bonne qualité ! Merci Ecran large :)

Ikea
28/12/2020 à 09:00

Le parallèle entre les deux films est intéressant et très bien vu.

Pour autant, si RPO m'a questionné sur mon rapport à la pop culture, c'est bien par l'ennui qu'il a créé chez moi lors de son visionnage, un ennui que je ne pense pas volontaire de la part de Spielberg évidemment. Un film auquel il manque une certaine vitalité derrière ses mouvements constants (tout bouge et tout paraît vide), comme une impossibilité de réenchanter un monde alors qu'on voudrait divertir.

... Alors que ce désenchantement est bien le propos de UTSL, qu'il le prend à bras le corps et le transmet avec réussite (malgré quelques défauts d'écriture) tout en proposant quelques pistes par la fuite en avant ou la réappropriation. Petit fait amusant (et parlant) : c'est l'excellent Disasterpeace qui en a fait la musique, soit une figure forte du "néo-rétro" dans les jeux vidéos (FEZ par exemple). Un film qui, jusqu'au bout, dépasse la révérence aux références et cherche un ailleurs, là où Spielberg accumule, dénonce et pourtant, caresse dans le sens du poil.

Jo
27/08/2018 à 12:07

Merci Ecran Large, définitivement le meilleur site francophone sur le cinéma. Qu'on soit d'accord ou pas, vous exprimez des opinions et des analyses au lieu de bêtement relayer le matériel des attachés de presse, sans rien remettre en perspective. Ni trop court, ni trop long, ni trop underground, ni trop mainstream, ce genre de site est presque inexistant alors que ça devrait être la base du journalisme. Big up.

Adam
27/08/2018 à 11:20

Cette article m'a fixé un nouveau RDV ciné pour cette année avec "Under the Silver Lake".

Article intéressant. J'avais pas envisagé que le cinéma Tarentino soit à l'origine d'un mouvement nostalgique mais c'est pas faux quand on constate qu'il réintègre certains cinéma tombé un petit peu en désuétude.

Par contre à la fin de l'article "On aura parfois vite représenté Ready Player One comme une création réac, en raison de la décision de son héros de fermer ponctuellement la virtuelle OASIS." , j'ai pas du tout perçu ce message comme réac. J'avais plutôt l'impression qu'il essayait de ménager la chèvre et le chou. Mes parents moralistes auraient crié qu'ils fallait fermé définitivement ce jeu vu que les protagonistes n'ont pas l'air de réaliser qu'ils vivent dans une decharge.

Ben Linus
27/08/2018 à 00:31

Article intéressant, mais je ne mettrais pas sur un même pied RPO et UTSL. L'un est un blockbuster sympathique mais qui, sous un message intéressant (bien que convenu), ne fait que régurgiter 40 ans de pop-culture pour servir un scénario plus que classique (parfois même bancal), allant jusqu'à contredire ce qu'il dénonce ; l'autre est en revanche un petit bijoux de mise en scène dont le fond et la forme sont parfaitement en accord.

Sigi
26/08/2018 à 21:37

La scène du "Compositeur" de Under the Silver Lake est aussi phénoménale qu'elle est juste et terrifiante. Une des plus fortes vu dans un film cette année. Chapeau.

corleone
26/08/2018 à 20:51

… et je le dis en tant que fan du Maestro Spielberg.

corleone
26/08/2018 à 20:51

Ready player one au mieux film très moyen au pire gros gloubiboulga filmique surestimé.

Hank Hulé
26/08/2018 à 20:36

On peut aussi trouver silver lake ultra chiant, ce qui est mon cas. Pourtant kiffé son précédent.

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