Entre David Lynch et Hérédité : The Strange Ones, ou quand le ciné indé joue aux frontières de l'horreur

La Rédaction | 26 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 26 novembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La sortie de The Strange Ones en DVD et VOD est l'occasion de revenir sur cette belle surprise de 2018.

Premier film de Lauren Wolkstein et Christopher RadcliffThe Strange Ones est sorti discrètement cet été. Une période idéale pour encadrer ce thriller noir et tortueux, où deux frères fuient leur mystérieux passé en sillonnant les routes isolées d'une Amérique moite à l'atmosphère lourde.

Alors que ce petit coup de coeur d'Ecran Large est disponible en DVD et VOD depuis le 20 novembre, retour sur les ambitions de ce métrage aux frontières du film de genre.

  

  

 

AUX FRONTIÈRES DU RÉEL

Délimiter le réel, savoir si quelque chose se passe dans sa tête ou ailleurs : The Strange Ones prend un plaisir malin et pervers à semer le trouble sur la véritable nature des événements, et le rapport des protagonistes à la réalité. La frontière entre le rêve et le cauchemar est aussi mince que celle entre les faits et le fantasme. Un parfum d'étrangeté qui renvoie à Martha Marcy May Marlene, où l'héroïne meurtrie avouait ne plus être certaine de savoir différencier les deux.

Le film de Lauren Wolkstein et Christopher Radcliff, et celui de Sean Durkin avec Elizabeth Olsen, avancent sur ces mêmes territoires obscurs. Les deux ont d'ailleurs un parcours similaire : le long-métrage est né d'un court-métrage, et a pu exister grâce à Sundance. Martha Marcy May Marlene est parti du court Mary Last Seen, quand The Strange Ones est une extension de Deux inconnus, film de 14 minutes sorti en 2011.

 

photo, Elizabeth Olsen, John Hawkes Une forêt, une fille, un flingue

 

Sur ces deux films souffle le même vent de mystère, qui anime une partie du cinéma indépendant américain. Le spectre est large, et va de The One I Love de Charlie McDowell à The Invitation de Karyn Kusama, en passant par Donnie Darko de Richard Kelly même. A chaque fois, le spectateur est invité à un voyage au-delà du réel, qui flirte avec le fantastique, où il perdra quelques repères, et devra réévaluer le rapport à la réalité.

Que ce soit pour en rire, en pleurer, ou en trembler, ce cinéma qui se tourne le plus souvent en marge avec des budgets très serrés, offre une perspective passionnante sur l'état du cinéma américain - ce cinéma trop souvent caricaturé et réduit aux blockbusters, et qui vibre pourtant régulièrement pour ceux qui y prêtent attention.

 

Photo Une forêt, un frère, un flingue

 

LES TROUBLES DE L'ANGOISSE

The Strange Ones n'est pas un film d'horreur. Mais l'horreur semble guetter les personnages, à chaque rencontre, derrière chaque arbre, et au détour des dialogues les plus anodins. Une menace abstraite, qui se précise au fil de leur voyage-fuite, et menace d'engloutir Nick et Sam, et leur monde.

Dans un motel poussiéreux et désert au bord d'une piscine, dans l'immensité d'une forêt ou dans les flammes d'une maison, les deux réalisateurs orchestrent une lente descente aux enfers, logiquement comparée à David Lynch. C'est un puzzle que le spectateur est invité à comprendre et décrypter, avec cette sensation omniprésente que la clé finale sera douloureuse et terrible.

 

PhotoLa clé de voute ou le gouffre de la fin ?

 

S'il a des atours plus chics et hollywoodiens, Nocturnal Animals de Tom Ford (produit via sa société, Fade to Black, hors du circuit des studios donc), avait pris un chemin similaire. En partant d'une histoire a priori simple, où une femme esseulée replonge dans son passé à la lecture d'un livre écrit par son ex-mari, le réalisateur de A Single Man a lui aussi construit un labyrinthe ténébreux. Une quête d'indices et de sens, où le passé et le présent s'entremêlent, où la réalité et les artifices de la fiction se superposent.

Là aussi, la plus simple des situations semble sur le point de s'écrouler pour laisser place au cauchemar. Une rencontre ordinaire sur une route de nuit devient le début d'un cauchemar meurtrier, un simple manuscrit se transforme en coup de poignard symbolique. La fausse banalité et familiarité des décors cache des choses inavouées.

Dans les deux cas, et malgré d'évidentes différences vu les moyens nettement plus indépendants de The Strange Ones, il y a une atmosphère terriblement envoûtante, qui vibre à la lisière du genre, et semble toujours prêt à glisser vers l'horreur. Il n'y a pas d'entité cauchemardesque à la It Follows et pourtant, la peur semble tapie dans l'ombre.

 

Photo Amy AdamsLa solitude avant les tourments

 

FAMILLE JE VOUS HAIS

Avant de prendre la forme d'un monstre ou d'une force extérieure, la peur naît souvent dans un cadre bien plus intime : celui de la sacro-sainte famille. The Strange Ones joue avec cette idée : la menace n'est-elle pas au sein du duo, le mal ne coule t-il pas dans les veines des deux garçons ?

La famille est vecteur de névrose et devient une prison dans It Comes at Night, où deux clans se rencontrent et s'affrontent dans un monde où un mystérieux virus renforce le repli sur soi et la paranoïa. Dans Welcome the Stranger (avec encore une fois Riley Keough), c'est le retour inattendu d'une sœur qui brise l'équilibre. Une idée d'implosion sournoise poussée à son paroxysme dans We Are What We Are et dans Hérédité, où la cellule familiale devient le théâtre de l'horreur absolue.

 

PhotoPortrait de famille

 

De manière plus discrète mais également bien plus tordue, The Strange Ones traite le sujet au fil de l'aventure du duo. Il met en jeu des questionnement sur le corps, la sexualité, la pudeur et le cadre culturel des relations, qui impose d'office des rôles et étiquettes.

Impossible d'en dire plus, au risque de briser l'énigme du film, dont l'effet est à préserver à tout prix.

 

Photo James Freedson-JacksonJames Freedson-Jackson, révélation de The Strange Ones

 

Quelques raisons qui font de The Strange Ones l'un de nos petits coups de cœur de l'année. Qu'un film indépendant américain de ce calibre trouve son chemin jusqu'à nos salles de cinéma, et ne soit pas oublié dans les cartons des années avant d'être disponible en DVD et VOD, est une très bonne chose. Ne reste plus qu'à lui donner sa chance, et se laisser envoûter.

The Strange Ones est disponible en DVD et VOD chez Epicentre depuis le 20 novembre.

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commentaires
Cheval
26/11/2018 à 18:24

Bon dossier, merci, même si j’ai malheureusement raté The Stranges One en salle, je raffole de ce genre de film qui trouble la réalité sans pour autant tomber explicitement dans le fantastique.

Dans le genre film indé américain, je pourrai citer aussi The Bottom of the World, où un jeune homme part à la recherche de sa petite amie disparue au fin fond de l’Amerique profonde. Le film emprunte beaucoup aux effets et aux imageries de David Lynch, mais arrive de temps en temps à trouver sa voie, pour nous dépeindre le cauchemar d’une relation toxique entre deux amoureux.