L'Heure de la sortie : le cinéma de genre français serait-t-il (encore) en train de renaître ?
Le cinéma de genre français existe, et L'Heure de la sortie le rappelle encore.
Le refrain est bien (trop) connu : en France, on ne sait pas faire de bons films de genre. Pire, on n'aime pas ça, et on n'a pas envie d'en faire. Une ritournelle sans cesse contredite par des premiers films, des essais et des surprises, à peu près chaque année.
Rien qu'en 2018 : La Nuit a dévoré le monde, Dans la brume, Ghostland, Revenge. Et 2019 commencera sur une note de genre avec L'Heure de la sortie, de Sébastien Marnier. De quoi avoir envie de revenir sur ce courant, en France.
VIANDE SAISIE
En mai 2018, le CNC marque un coup au moins symbolique : la création d'un fond de soutien au cinéma de genre, sous la présidence de Julia Ducournau, réalisatrice auréolée du succès de Grave. Avec plus de 149 000 entrées, ce premier film centré sur une végétarienne qui découvre les joies de la viande, à ses risques et périls, a résonné de Cannes jusqu'aux Etats-Unis. Et prouvé, encore une fois, que le cinéma de genre français existe, qu'il peut être bien, soutenu par le public comme la critique, et traverser les frontières.
Une nouvelle qui a réchauffé les coeurs des spectateurs avides de chair fraîche, et des artistes en quête de financements. Et qui rappelle que le cinéma de genre français lutte pour sa survie, avec des soubresauts et tentatives de réanimation réguliers. La plus marquante date du début des années 2000, dans une ère post-Scream qui a remis le slasher sur le devant de la scène.
Ainsi était arrivé Promenons-nous dans les bois de Lionel Delplanque, une histoire d'acteurs réunis dans un chateau pour préparer une représentation du Petit Chaperon rouge, et affronter un tueur. Un gros défi pour les producteurs de Fidélités Films, qui ont lutté pour financer et distribuer le film. Pathé s'était lancé à leurs côtés, pour une réussite : si la critique a détruit le film, il a attiré près de 750 000 spectateurs. Un feu vert pour le milieu.
Se promener dans le slasher post-Scream
BARBECUE PARTY
Dans la foulée, Fidélité productions a créé le label Bee Movies pour explorer le genre. Arrivent Un jeu d'enfants avec ses mômes inquiétants en 2001, Bloody Mallory de Julien Magnat en 2002, ou encore Maléfique d'Eric Valette en 2003. Le mouvement lancé par Promenons-nous dans les bois est stoppé net face aux scores très mous de ces films.
Mais entre ça et le buzz autour de Trouble Every Day en 2001, ça donne des idées. En 2003 sort Haute tension d'Alexandre Aja, un survival sanglant avec Cécile de France qui attire un peu l'attention (plus de 110 000 entrées). C'est moins que Brocéliande (dans les 200 000 entrées) de Doug Headline, pourtant oublié depuis. Qui lui-même avait fait moins que Saint Ange de Pascal Laugier (plus de 232 000 entrées). Le succès n'est pas faramineux, mais suffisant pour créer un bel espoir.
Canal + flaire un potentiel bon coup et lance French Frayeur, pour annoncer ses intentions de soutenir le genre. Ils de David Moreau et Xavier Palud est le premier bébé de cette union, et le succès est au rendez-vous avec près de 250 000 entrées en 2006. La boîte de production Sombrero Films s'engouffre dans la brèche avec le label Studio Mad. Quelque chose semble se passer.
OPEN BAR
Résultat : un paquet de propositions plus ou moins mémorables et réussies, en l'espace de quelques années. Une vague inédite dans le paysage français, qui donne une impulsion à toute une génération, des deux côtés de l'écran.
2006 : Sheitan de Kim Chapiron.
2007 : Eden Log de Franck Vestiel, À l'intérieur de Julien Maury et Alexandre Bustillo.
2008 : Frontière(s) de Xavier Gens, Humains de Jacques-Olivier Molon et Pierre-Olivier Thevenin, et Martyrs de Laugier.
2009 : Vertige d'Abel Ferry, Captifs de Yann Gozlan et Mutants de David Morlet.
2010 : Dans ton sommeil d'Eric Du Potet et Caroline du Potet, La Horde de Benjamin Rocher et Yannick Dahan, Captifs de Yann Gozlan, La Meute de Franck Richard, Le Village des ombres de Fouad Benhammou, Djinns de Hugues Martin et Sandra Martin.
2011 : Livide de Maury et Bustillo, La Traque d'Antoine Blossier.
Les exemples se multiplient et c'est toute une génération de cinéastes et cinéphiles qui rouvre les yeux, retrouve l'appétit et envisage un avenir couleur sang. En théorie du moins.
VIANDE TIÈDE
Car il suffit de quelques gros bides pour détruire l'édifice. Malgré de beaux moyens, Djinns se vautre dans l'anonymat. Derrière les murs, premier film de genre tourné en 3D en France, est un bide en 2011 : malgré Laetitia Casta qui a attiré l'attention des JT, seulement 20 000 spectateurs se déplacent. L'international sauvera la mise, mais le signal local est clair. Studio Mad s'effrondre après ce flop.
Il n'y a qu'à suivre la carrière de Julien Maury et Alexandre Bustillo pour constater la pente descendante du genre : entre A l'intérieur (environ 70 000 entrées en 2007) et Aux yeux des vivants en 2014, il y a un désintérêt du public, et une perte de foi du côté des producteurs. Et donc des budgets de plus en plus réduits, et donc des films de plus en plus compliqués à mener. Nulle surprise de voir le duo s'envoler vers les USA pour Leatherface, après avoir failli réaliser divers projets.
Même chose du côté de Pascal Laugier, qui cherchera du soutien hors des frontières avec The Secret et Ghostland. Pendant que Hollywood recycle leurs films (Martyrs, Inside), eux semblent lutter dans leur pays pour continuer.
Derrière les murs (et à côté du succès)
PLATS AVARIÉS
Quelque chose s'est donc passé durant quelques années. Et quelque chose a changé après. Pas en bien, puisqu'aucune industrie n'a été lancée, comme beaucoup l'espéraient. Une industrie qui aurait permis de solidifier le genre au sein du système, créer une base de financement stable, et ainsi permettre à de futurs Dario Argento, John Carpenter, Wes Craven, Juan Antonio Bayona, Neil Marshall, Mike Flanagan, Jaume Balagueró ou Ari Aster de naître.
Les facteurs sont multiples. Un appétit vain de producteurs qui n'aimaient ou ne comprenaient pas le genre, qui validaient des scénarios qui n'auraient pas dû l'être, et qui lançaient des réalisateurs trop peu expérimentés. Donner un budget de plus de 3 millions pour un pari comme celui de Derrière les murs, à deux réalisateurs débutants, a été largement questionné.
Dans un excellent article de Ulyces, Jacques-Olivier Molon raconte de son côté que les producteurs lui ont proposé de co-réaliser Humains avec Pierre-Olivier Thevenin, à sa grande surprise, alors qu'il était censé être seulement maquilleur. Il est le premier à reconnaître avoir été dépassé par la mission. De quoi expliquer (en partie) ce navet pourtant porté par Lorànt Deutsch, Sara Forestier et Dominique Pinon.
Humains, ou la découverte d'une espèce disparue : le (bon) scénariste
Le public a aussi son rôle dans l'histoire. Car sans succès, pas d'avenir pour le genre. D'autant que la culture de ce cinéma, en France, reste discrète, et nécéssite donc une réelle manoeuvre marketing : toujours selon Ulyces, À l'intérieur a vu quasiment un tiers de son budget s'envoler dans la promo. Pour un succès finalement modeste (environ 71 000 entrées).
Et c'est un cercle vicieux. Pour chaque spectateur qui déplore la qualité des essais made in France et chante les louanges des équivalents anglo-saxons, il y a un réalisateur qui rage d'avoir un budget ridicule, qui brise ses ambitions. Et des exploitants qui ne croient pas en ces films, et hésitent à les programmer chez eux. L'international a équilibré les comptes de bien des bides français (Derrière les murs et La Horde par exemple), mais tout reste bien trop fragile.
PLATS DE RESISTANCES
Faut-il pour autant ranger les espoirs au cimetière ? Non. Notamment parce que ces dernières années, le sujet est (encore) revenu sur le devant de la scène avec le succès surprise de Grave, de Julia Ducournau. En 2018, La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher et Dans la brume de Daniel Roby ont tous deux filmé Paris dans l'apocalypse - des zombies pour le premier, d'un brouillard mortel et mystérieux pour le deuixème. Derrière les deux, un scénariste nommé Guillaume Lemans.
Aucun n'a rencontré le succès escompté, mais ils ont prouvé à quel point le combat n'était pas abandonné. Il a certainement évolué, en intégrant dans l'équation des éléments propices au marché international, comme le casting d'Olga Kurylenko dans Dans la brume. La Nuit a dévoré le monde a été tourné en français et en anglais, dans deux versions, tandis que Ghostland de Pascal Laugier et Revenge de Coralie Fargeat ressemblent quasiment à des films étrangers.
Avant eux, il y avait Evolution, Dead Shadows, et quantité d'autres films divers et variés qui témoignent d'un coeur qui continue de battre. En 2019, il y a L'Heure de la sortie donc, mais aussi Adoration de Fabrice Du Welz, et un nouveau film encore mystérieux de Julia Ducournau. C'est une bataille encore loin d'être gagnée côté business, avec un avenir incertain pour le genre, mais c'est encore les preuves que l'histoire reste à écrire, et que de nombreux chapitres sont déjà à l'horizon.
Ne reste plus au public qu'à nourrir ce beau monstre, pour qu'il grandisse, s'installe et puisse se relever pour enfin marcher, et non plus ramper.
Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?
05/01/2019 à 11:35
@Dae-Soo
Etant donné que dans le paragraphe avant cette phrase, on parle du casting d'acteur étrangers et du tournage en anglais : on parle non pas du résultat mais bien d'éléments qui sont calibrés pour le marché international (par opposition à un film avec acteur français, tourné en France, et en français), puisque celui-ci s'est montré très friand des films de genre français par le passé (même ceux que le public français boudait).
05/01/2019 à 01:36
Euh, ça veut dire quoi "ressemblent presque à des films étrangers"? Au niveau du résultat sur pellicule ou du casting et de l'équipe technique?
Très bon article en tout cas, mais j'ai tiqué sur cette phrase, et la réponse à ma question pourrait ouvrir un débat intéressant, du genre pourquoi un film français ressemble à un film français, et même mieux, une telle formation est-elle juste à la base, c'est de l'art bon sang !
04/01/2019 à 23:18
@ Atef
Comme dit plus bas, c'était difficile de faire dans l'exhaustif dans le cadre d'un tel dossier, qui touche tant de sujets et sur tant d'années.
Mais on suit Marina de Van depuis Sitcom, et elle aurait effectivement elle aussi pu être citée.
04/01/2019 à 22:53
On a un peu vite oublié Marina de Van : Dans ma peau, ne te retourne pas et Dark Touch. Domage !
04/01/2019 à 22:53
@Jorah
Pas un oubli. L'article n'est pas exhaustif, mais dresse un portrait du paysage ces dernières décennies. Il manque pas mal de titres, il s'agit simplement d'une sélection pour illustrer le propos. Hostile y a effectivement sa place.
04/01/2019 à 19:38
@Ronin666 Oui !! Et franchement son premier est top et mérite d’être dans la liste je trouve... même si c’était une petite distribution, il est sortie en salle, à gagné plein de prix dont un au NIFFF et il était à Sitges
04/01/2019 à 19:35
@Jorah Pas vu Hostile mais oui, j’en ai entendu parlé l’annee dernière. Son deuxième c’est ça ? Ça a l’air cool en tout cas https://variety.com/2018/film/global/berenice-marlohe-in-meander-1202807194/
04/01/2019 à 19:21
Et Hostile de Mathieu Turi ? C’est sortie en salle, y’a du monstre... un oubli ? Son prochain est déjà ànnoncé et c’edt Aussi du genre pur et dur.
04/01/2019 à 18:57
que le cinéma tout court renaisse en france, se sera pas mal.
04/01/2019 à 18:20
De rien.
En passant comme ça y'avait NightFare (2016) de Julien Séri aussi (et que vous aviez chroniqué) sorti en salle chez nous - Sorti chez Netflix US ;)
Universal Pictures qui a chopé les droits (excusez du peu ;))
Et on peut aussi se dire que le dernier Richet "l'empereur de paris" ;) pourrait faire parti de la liste ? ;)