Qu'est-ce qu'on a encore fait à la comédie française, et pourquoi est-elle encore là ?

Simon Riaux | 14 novembre 2021
Simon Riaux | 14 novembre 2021

C’est ce 30 janvier qu'est sorti le très attendu (ou redouté) Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ?. Suite d’un film au succès national incontestable, le nouveau long-métrage de Philippe de Chauveron débarque avec le désir de tasser les vertèbres du box-office.

L’occasion était trop belle pour ne pas passer en revue ce qui compose aujourd’hui la recette type du blockbuster humoristique hexagonal. Genre honni par la presse et une partie du public, qui concentre à lui seul une défiance spectaculaire, il est aussi capable de rassembler ponctuellement plusieurs millions de spectateurs, chaque succès générant dans son sillage une armée de clones, voués à se transformer en bides spectaculaires.

On pointe volontiers du doigt leur indigence technique, la nullité de leurs comédiens ou leur positionnement politiques foireux. Mais concrètement, quels sont les véritables ingrédients des comédies françaises ?

 

photo, Medi Sadoun, Ary Abittan, Frédéric Chau, Noom Diawara Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ?

 

FAMILLE JE VOUS HAIME

La grosse comédie qui tâche peut en grande partie se percevoir comme un héritage dégénéré du vaudeville qui fit les beaux jours du théâtre français au XIXe siècle. Héritage, parce qu’on ne compte plus, même en 2019, les films incapables de faire rire avec autre chose que les ressorts rebattus des schémas relationnels de la famille nucléaire ; dégénéré, parce que ces productions oublient que le vaudeville fut un jeu de massacre de l’ordre moral bourgeois infiniment jubilatoire.

Rien qu’en 2018, Kad Merad aura été un membre de La ch’tite famille, un papa en quête de Doudou, puis un paternel en galère avec Le Gendre de ma vie. Pour leur part, si Les Tuche vont bouffer à bien des râteliers symboliques, leurs mésaventures reposent avant tout sur les liens familiaux, quand les deux épisodes de Papa ou maman traitent du divorce comme s’il s’agissait d’une révolution copernicienne fraîchement découverte.

 

Photo La Ch'tite Famille

 

Au-delà de ces grosses machines, quantité de films un peu plus modestes se jettent également sur les mécaniques familiales. De Demi-sœurs en passant par La Monnaie de leur pièce, Comment Tuer sa Mère ou Neuilly sa mère, sa mère !, tout le monde paraît trouver les amants dans le placard, les tatas qui puent du bec, les belles-mères acariâtres et les mariages foireux d’une folle originalité.

Et comme on l’a dit, tous ces dézingages en règle proviennent tout droit du vaudeville, sauf que leur sens a totalement changé. Les Labiche, Feydeau ou Guitry se régalaient certes des affres de la cousinade, du cauchemar du mariage et des nœuds dramatiques pitoyables ou ridicules qu’ils apportaient, mais jamais pour réconcilier leurs protagonistes ou faire triompher qui que ce soit.

La famille dans son acceptation bourgeoise devait alors être l’objet d’une analyse et d’une critique, dont on passait les hypocrisies au lance-flamme. Le paradigme s’est désormais retourné, et si on met à mal la famille, c’est systématiquement pour la faire revenir plus forte.

  

Affiche officielleUne grosse comédie politique

 

TECHNO-DEBILO

Preuve que la comédie franchouille est bourrée d’imagination (non), elle a recours à des manips scénaristiques extrêmement sophistiquées pour détourner l’attention du spectateur. En effet, comment rejouer systématiquement les mêmes récits, dénués d’enjeux, et aux messages souvent bien plus réacs qu’il n’y paraît ?

Les scénaristes ont trouvé la parade : tout maquiller à coup de changements sociaux ou technolgiques. Ainsi, Le Gendre de ma vie feint de se pencher sur les évolutions des relations hommes-femmes pour nous servir un énième récit sur la comédie du mariage et l’inversion des rôles, réchauffé à moitié.

 

photo, Kad Merad Le Gendre de ma Vie

 

Malgré son ripolinage à coup de smartphoneLe Jeu n’est qu’un vaudeville ultra-classique et balisé, dans lequel les agissements secrets des personnages se voient progressivement mis en lumière. Quant à 100% Bio de Fabien Onteniente, où Christian Clavier, boucher-charcutier de son état, fera la rencontre de son futur gendre vegan, on veut bien faire le pari que le métrage n’aura rien à dire du vivre-ensemble ou des habitudes des Français, de leurs traditions culinaires ou de leurs bouleversements, préférant recycler les vieilles recettes odorantes de la fausse comédie de mœurs.

On pouvait espérer qu’une plateforme comme Netflix aide les auteurs français à s’affranchir de ces recettes antédiluviennes. Mais non, Plan Cœur témoigne exactement de ces tropismes grossiers. Sous couvert de renouveler les schémas de la comédie romantique, de traiter des bouleversements à l’œuvre dans les couples hexagonaux, la série se vautre dans une série de clichés embarrassants.

 

photo, Zita Hanrot, Sabrina Ouazani, Joséphine DraiPlan Con

 

Pourquoi feindre de s’appuyer sur les nouveaux modes de communication et notamment les applis de rencontre, quand on recycle (mal) Pretty woman en flattant tous les stéréotypes du bon vieux couple hétéro, de la folledingue libérée sexuellement priée de se ranger en passant par la méchante femme enceinte au bord de la crise de nerfs ?

 

photo, Chantal LaubyLa comédie française, ça manque quand même un peu d'enfants

 

À DROITE TOUTE

On aura pointé du doigt (et à raison), combien Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? prend les apparences de l’impertinence pour se vautrer dans un bon vieux racisme à l’ancienne.

Mais la comédie de Philippe de Chauveron est très loin d’être la seule à proposer un discours idéologiquement marqué à droite. La chose n’a d’ailleurs rien de problématique, et on pourrait se féliciter que le cinéma comique français ne sorte pas exclusivement des cerveaux ralentis de mauvais chroniqueurs humoristiques de France Inter.

 

Photo Christian Clavier, Elsa Zylberstein A Bras Ouverts

 

Le souci avec la comédie droitarde bien de chez nous, c’est qu’étrangement, elle ne s’assume pas comme telle, quitte parfois à semer le malaise jusque chez ses participants. On se souvient de Marina Foïs, critiquant vivement Epouse-moi mon pote ou son désir d'atténuer un peu la misogynie de Papa ou maman. On songe bien sûr à la description dégueulasse, sous couvert de rire, des exilés et de ceux qui veulent leur venir en aide dans Le Grand Partage (ou À bras ouverts).

Pendant de ces positions, les scénarios s'échinent à présenter leur système de pensée comme une forme de bon sens évident, et toute forme d'altruisme comme un sophisme, aux conséquences toujours ravageuses pour les doux neuneus qui y cèdent (voir Le Grand Partage mais aussi le portrait absurde de l'intellectuel médiatique campé par Christian Clavier dans À bras ouverts).

 

Photo Tarek Boudali, Philippe LacheauEpouse-Moi mon pote

 

Un scénario a bien le droit de vouloir tourner en dérision un camp idéologique et ses représentants, mais ce qui rapproche quantité de ces productions, c’est leur farouche volonté de nier leur bagage politique. Un Epouse-moi mon pote se pare volontiers des oripeaux de la tolérance, quand il répand simultanément quantité de clichés homophobes. Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? se vend comme une satire mordante des crispations et réflexes racistes français… quand il les flatte tous. Et la liste continue…

 

photo, Zita Hanrot, Sabrina Ouazani, Joséphine DraiPlan Con

 

QUEL EST LE PROGRAMME ?

On pourrait penser que c’est cet agenda politique qui constitue le cœur du projet, la philosophie sous-terraine et commune de ces machines à rires. Mais peut-être faut-il voir dans le maillage esthétique qui les connecte, autre chose qu’une simple proximité politique. Cette dernière semble en effet plus un symptôme qu’une cause.

On vous recommande chaleureusement de visionner la conférence de Jean-Baptiste Thoret, La France intouchable, dans laquelle il tente d’autopsier les principes esthétiques de la comédie française grand public.

 

 

Il y énonce une théorie : si ces œuvres ne ressemblent pas à des œuvres de cinéma, c’est justement parce qu’elles n’en sont pas. Pas parce qu’elles seraient impures, indignes ou pas assez « méritantes » pour être qualifiées de cinématographiques, mais parce qu’elles visent un tout autre but. Ne cherchant pas à s’inscrire dans un héritage de motifs et de techniques issus de l’histoire du 7e Art, elles visent à atteindre le fameux « temps de cerveau disponible », non pas du public des salles mais du spectateur de télévision.

Dès lors, leur écriture, leur rythme, leur construction entend se situer dans une charte publicitaire, ne pas détonner entre deux spots, deux séquences de réclame. Par conséquent, le recours à des recettes qui en appellent au publicitaire est logique.

 

photoQu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu ?

 

Et ce recours charrie dans son sillage les évocations d’un imaginaire commun, le plus banal et standardisé possible (le recours systématique aux intrigues familiales ou amicales vues 1000 fois), la présence d’artefacts technologiques consommables, de biens désirables, qui confèrent au tout une illusion de modernité, d’immédiateté, mais aussi un certain discours humain, politique et philosophique plutôt à droite, plutôt centré sur l’individu et réfractaire aussi bien aux changements de paradigmes qu’aux visions plus collectives de l’existence.

Ainsi, on voit qu’il est bien trop simpliste d’envisager les grosses comédies françaises comme des projets écrits trop vite, pensés avec les pieds ou fruit d’une quelconque incompétence. De Camping à Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ?, les enjeux, buts et concepts sont relativement identiques.

 

Tout savoir sur Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu ?

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commentaires
Tnecniv
16/11/2021 à 05:30

+1 pour la vidéo de Thoret que j'ai d'ailleurs regardé par coïncidence il y a quelques jours, j'aime beaucoup ses analyses malgré ce côté élitiste. Pour ceux que ça intéresse et qui ne seraient pas au courant, Il a sorti récemment un livre sur Michael Mann que je pense me procurer d'ici peu, déso pour le HS . Pour revenir au sujet, ça m'a juste évoqué que depuis quelques jours, j'ai cette grosse envie de revisionner l'emmerdeur d'Édouard Molinaro, voilà ^^ .

clic
15/11/2021 à 21:03

En ce qui concerne netflix, c'est bien simple il n'y a quasiment aucune comédie française de qualité. Le catalogue est d'une pauvreté abyssale dans ce domaine. Il y en a qui vont et viennent mais il faut les saisir au vol. Heureusement qu'il y a de quoi se consoler en films d'auteur, de ce point de vue là on est déjà bien mieux servis.

#diez
15/11/2021 à 14:58

@Jolo

Le cinéma français est bien plus riche que tes préjugés.

Le sommet des dieux, Tralala, Annette, Onoda, Illusions perdues, Délicieux, Mandibules, 5eme set, Kaamelott, La traversée, Vers la bataille, Médecin de nuit, Bac nord, Boite noire, Le dernier voyage, La nuée, Teddy, Aline,...

Pour n'en citer que quelques uns de ces derniers mois.

Il faut arrêter avec cette idée complètement biaisée que le cinéma français est pauvre et ne se résume qu'à de la comédie populaire de bas étages et du drame dramatico-dramatique.

Yee
15/11/2021 à 13:38

Ahahahaha
Je suis européen et pas très loin de la social démocratie
Donc je dois puer pour tous les extrêmes

Jolo
15/11/2021 à 12:05

Honnêtement ils ne savent faire que ça, soit des comédies à la pelle soit des drames indigestes qui te mettent mal à l'aise dans la sale soit des a moitie porno qui se la joue provoque, le cinema français on dirait qu il se limite à 2 genres et demis

Je prefere mille fois regarder un Venom 2 tout aussi naze qu'il est que de voir un de leur poubelles

Pine Twix
15/11/2021 à 11:23

@Yeee

Ouaip, les zemmouriens quoi... nauséabond est tellement utilisé qu'il devient malheureusement galvaudé. Après si tu es de droite classique, si ça te rassure, tu n'es pas de la "droite-qui-pue" (bien qu'en ce moment on vous confond tous non ?) ;)

Yeeee
15/11/2021 à 09:55

Droite qui pue ?

Morcar
15/11/2021 à 09:30

Des "comédies pour public TF1" comme je le dis tout le temps, comme l'a été par exemple l'énorme succès "Bienvenue chez les Ch'tis", qu'il est interdit de critiquer pour beaucoup de gens, à moins de passer pour un pisse froid.
Les dernières comédies françaises à m'avoir plu sont "Barbaque" de Fabrice Eboué et "Problemos" d'Eric Judor. Et elles ne correspondent en rien avec les schémas détaillés dans cet article avec lequel je suis en accord à 100%
Il doit sans doute y avoir un lien ;)

Castor
15/11/2021 à 07:25

Rien sur les films de Jaoui, Poldalydès Bonitzer etc... ?Car dans le genre manque d'inventivité répétitions des mêmes histoires avec une mise en scène réciproque c'est pas mal sans compter les comédies sociales à deux balles dont la presse raffole

Yamcha
14/11/2021 à 21:19

Pauvre Simon Riaux, obligé de visionner tout un tas de comédies françaises pour écrire un article ; aurait-il perdu un pari ? :]

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