Simetierre : pourquoi le film original est toujours aussi bon, 30 ans plus tard

Christophe Foltzer | 13 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 13 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec le succès de Ça en 2017, Stephen King revient à la mode, et c'est tant mieux, parce qu'on l'aime beaucoup. Logique donc que ses histoires les plus emblématiques soient réadaptées sur grand écran et à la télévision. Logique donc qu'on reparle de Simetierre, qui fut probablement l'une des meilleures adaptations de son oeuvre sur grand écran.

Simetierre, de Dennis Widmyer et Kevin Kolsch, est donc sorti dans nos salles le 10 avril dernier. Si l'on n'a pas été surpris par la mise en chantier de ce remake, son traitement de l'histoire par contre, nous a quelque peu pris au dépourvu, surtout si l'on est fan du livre et du premier film. Mais n'entrons pas dans le territoire du spoiler ou de la critique, elle est disponible ici.

Puisque ce Simetierre est l'une des grosses sorties du mois d'avril, il nous a paru indispensable de revenir sur le film original, réalisé par Mary Lambert et sorti en 1989. A nos yeux, il reste toujours d'une efficacité redoutable même 30 ans plus tard. Et nous allons tenter d'expliquer pourquoi. Evidemment, nous ne pouvons que conseiller à ceux qui ne l'ont pas encore vu de s'y précipiter parce qu'on va quand même bien SPOILER le film.

 

photo SimetierreAbandonnez tout espoir, vous qui entrez ici

 

DE QUOI ÇA PARLE ?

Tout comme la version de 2019, Simetierre nous présente la famille Creed, composée de Louis, Rachel et leurs deux enfants, Ellie et Gage. Louis est médecin universitaire et vient d'avoir un nouveau poste dans le Maine. Une belle baraque, un coin sympa et bucolique à ceci près que la route devant la maison est la voie de passage de camions qui foncent sur le bitume, ce qui la rend extrêmement dangereuse. Une mise en garde que s'empresse de faire Jud Crandall, le vieux voisin des Creed.

Il en profite aussi pour les amener au bout du sentier qui part de leur propriété, un cimetière d'animaux, dernier repos des victimes de la route, créé par les enfants. Si Rachel ne voit pas l'endroit d'un très bon oeil, Louis, lui, est plus intéressé par ce qui se trouve derrière la barrière d'arbres au fond du cimetière. Mais Jud reste muet.

 

photo SimetierrePromenade du dimanche

 

Dès son premier jour à l'hôpital, Louis perd un patient, Victor Pascow, victime d'un accident de la route. La victime ne tarde pas à lui apparaitre en rêve et, pour le remercier d'avoir essayé de le sauver, le met en garde contre le cimetière. Il ne doit JAMAIS aller au-delà de la barrière végétale, là où le sol est acide.

Thanksgiving. La famille est partie à Chicago et Jud informe Louis que Church, son chat, est mort sur sa pelouse. Comme Louis craint d'annoncer la mauvaise nouvelle à sa fille, Jud lui propose une alternative : enterrer le cadavre au-delà de la barrière, dans le vrai cimetière, celui des indiens Micmac. Church revient mais il n'est plus vraiment le même.

 

photo SimetierreLe drame

 

Le drame se passe lors d'un pique-nique. Essayant de rattraper son cerf-volant, Gage se fait écraser par un camion. Fou de douleur, Louis profite d'un nouveau voyage de sa famille à Chicago pour enterrer son fils dans le cimetière des Micmac, malgré les avertissements de Jud qui lui raconte la sordide histoire d'un vétéran qui a connu le même sort quand il était plus jeune.

Gage revient animé par une grande soif de sang. En parallèle, saisie par un très mauvais pressentiment, Rachel retourne chez elle en dépit des avertissements occultes de Pascow. Gage tue Jud puis Rachel. Louis n'a plus d'autre choix que d'éliminer Church et son propre fils. Face au cadavre de sa femme, il prend la décision de l'enterrer elle-aussi, pensant que cette fois tout se passera bien.

Alors qu'il attend dans sa cuisine, une Rachel décharnée entre. Ils s'embrassent, elle saisit un couteau, Louis s'est trompé.

 

photo SimetierrePas de happy end

 

LES FOSSOYEURS

Bien que Stephen King ait déjà eu les honneurs de plusieurs adaptations de ses oeuvres (Carrie au bal du diable, Shining, Christine pour les plus connues), Simetierre est une date très importante pour l'auteur puisqu'il s'agit de la première adaptation dont il a totalement le contrôle. Ainsi, il en signe le scénario tout comme il oblige la production à tourner le film sur les lieux mêmes de l'action, dans le Maine, tout autant qu'il est intraitable sur le traitement du script qui doit être scrupuleusement suivi.

 

PhotoLe maître

 

En résulte un film organique et viscéral, une horreur très premier degré qui dénote dans la production de l'époque et qui est à mettre au crédit de sa réalisatrice : Mary Lambert.

Née en 1951 dans l'Arkansas et ayant suivi une formation à l'école de design de Rhode Island, Mary Lambert se fait d'abord connaitre en réalisant plusieurs clips pour Madonna au début des années 80, et pas des moindres, puisqu'on lui doit, entre autres, Like a Virgin et surtout Like a Prayer qui avait défrayé la chronique à l'époque.

En 1987, elle réalise son premier long-métrage, Siesta, avec Gabriel Byrne, thriller adapté d'un roman de Patrice Chaplin. Simetierre est le film qui la révèlera au grand public puisqu'il a notamment remporté le Prix du Public au Festival d'Avoriaz (ancêtre de Gerardmer) en 1990.

 

photo Mary LambertMary Lambert

 

Le film ayant été un grand succès à sa sortie (il a rapporté plus de 57 millions de dollars de recette pour un budget estimé à 11,5 millions), on pensait que Lambert connaitrait une carrière prestigieuse. C'est alors qu'en 1992, elle fait un choix curieux en réalisant... Simetierre 2, qui ne rencontre pas le même succès (17 millions de dollars de recettes pour un budget estimé à 8 millions), avec notamment Edward Furlong, Anthony Edwards et Clancy Brown au casting. Un film étrange, décalque inversé du premier qui verse régulièrement dans le grand guignol et perd le spectateur avec ses choix de scénario discutables.

Après ce coup d'épée dans l'eau, Mary Lambert ne fera plus grand chose d'éclatant et se dirige vers la télévision, même si, parfois, elle accepte quelques DTV peu glorieux. Citons notamment Urban Legend 3 : Bloody Mary en 2005 et Mega Python vs Gatoroïd en 2011. Bref, plus de quoi crier au génie.

 

photo Simetierre 2Simetierre 2, un choix... curieux

 

Outre la photographie magnifique de Peter Stein, Simetierre brille encore sur un autre plan, celui de sa musique. Composée par le grand Elliot Goldenthal, elle marie de façon admirable l'horreur pure et la mélancolie de l'enfance perdue dans des mélopées que ne renierait clairement pas Danny Elfman.

Une comparaison qui ne cessera de se justifier par la suite tant le compositeur de Tim Burton et Goldenthal évoluent dans les mêmes sphères artistiques. Comment pourrait-on en douter lorsque l'on sait que c'est lui qui a composé l'incroyable partition d'Entretien avec un vampire pour laquelle il a eu une nomination aux Oscars.

 

Photo SimetierreLe cimetière MicMac

 

C'EST TOUJOURS AUSSI BIEN ?

A l'aune du remake, la question se pose bien entendu. Mais y répondre n'est pas si simple tant Simetierre contient tout ce qui fait l'attrait des productions à l'ancienne tout comme pas mal de défauts de l'époque. Au rang des points faibles, commençons par là, citons en premier lieu ses comédiens inégaux.

Si Fred Gwynne campe un Jud Crandall fantastique, débonnaire tout autant que trouble et inquiétant, que le très jeune Miko Hughes campe un Gage phénoménal (surtout lorsque l'on voit ce qui lui est demandé dans le film), on ne peut pas en dire autant de leurs camarades de jeu. La jeune Blaze Berdahl ne convainc pas dans le rôle d'Ellie, réunissant tous les stigmates de l'enfant acteur coincé entre l'excès des émotions et l'artificialité du jeu.

Denise Crosby campe une Rachel Creed en demi-teinte, peu aidée il est vrai par un personnage mal dégrossi. Passant de la mère aimante à la femme névrosée, elle ne tient malheureusement pas la tension inhérente à son personnage bien qu'elle s'octroie quelques scènes incontournables du film.

 

photo SimetierreCette saloperie de Church

 

Mais le grand problème du film, c'est bel et bien son héros, Louis Creed, incarné par Dale Midkiff. Son regard mort, son phrasé à deux de tension, tout ceci est parfait, mais dans la seconde partie du film. Or, Midkiff est sur ce mode, dès le départ, ne s'enflammant qu'en de rares occasions. Conséquence directe, son évolution dramatique n'est pas aussi efficace qu'escompté et il faut attendre la toute fin pour vraiment croire à cet homme brisé par la mort, à ce cartésien basculant sur le plan occulte parce qu'il n'arrive plus à gérer ses multiples deuils. Franchement dommage.

L'autre gros point faible, pour les jeunes générations du moins, c'est sa mise en scène très datée qui fera ressembler le film à un vieux téléfilm des années 80 pour les spectateurs les moins ouverts d'esprit. Et c'est vrai que l'on pourrait lui reprocher pas mal de moments, comme des ralentis complaisants et forcés sur les blessures de Pascow ou encore ce "Noooooooon !" extrêmement gênant de Louis face au cadavre de son fils.

 

photo SimetierreFred Gwynne et Dale Midkiff

 

Pourtant, passé ces quelques défauts, Simetierre remplit toujours autant son contrat. Parce que la puissance de son histoire demeure intacte encore aujourd'hui. Parce qu'il est nimbé d'une ambiance crépusculaire troublante et marquante, parce que son basculement dans l'horreur est très bien maitrisé.

C'est en cela que Simetierre est un film important pour le genre. Si on le replace dans le contexte de son époque, il arrive à un moment bien spécifique, la fin des années 80 : lorsque les films d'horreur se partagent entre des copies du Aliens, le retour de James Cameron et les aventures des boogeymen légendaires (Jason, Freddy...) qui basculent de plus en plus dans le second degré. Cette époque qui marque l'avènement des vidéosclubs, des clips et de tout le langage pop-culturel qui y est attaché.

 

photoZelda, cauchemar de beaucoup d'ados dans les années 80

 

Simetierre fait le choix d'un classicisme audacieux. Il prend son temps pour poser ses personnages et son histoire, il mise avant tout sur son ambiance, entretient son mystère et propose une horreur graphique et frontale en mode premier degré qui n'a d'autre but que de choquer son spectateur.

Simetierre est une tentative très adulte d'une réflexion sur le deuil impossible, parcouru de moments saisissants comme les flashbacks concernant Zelda (la soeur malade de Rachel), les apparitions de Gage revenu de l'au-delà et bien entendu son cimetière hypnotisant.

 

Photo SimetierreCommettre l'irréparable, figure 1

 

Si le scénario a opéré des coupes franches par rapport au roman (notamment le Wendigo, élément crucial du livre qui n'est pas évoqué ici), c'est pour le mieux puisque, du coup, le récit s'accroche à un traitement réaliste de son histoire qui bascule progressivement vers l'horreur pure tout en plaçant dès le départ des indices sur la fatalité de son issue.

Simetierre se vit comme un choc frontal, une descente aux enfers poisseuse et irrémédiable où l'espoir n'existe pas. Un film anti-commercial pourrait-on dire, qui n'est pas là pour faire plaisir ou glorifier son public. Ce genre d'oeuvres dont nous avons cruellement besoin aujourd'hui.

 

Si après 30 ans, Simetierre montre ses faiblesses et a pris un coup de vieux, il n'en reste pas moins une valeur sûre du genre et un incontournable du cinéma d'horreur des années 80. Revoir Simetierre aujourd'hui, c'est plonger dans ses propres ténèbres, accepter de vivre un cauchemar sans aucune rédemption possible. Un vrai film d'horreur, en somme. Un classique quoi qu'il arrive.

 

Tout savoir sur Simetierre

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commentaires
BabyMale
15/04/2019 à 15:39

Très bel article... avec une analyse pertinente du film original ! J'aurai simplement ajouté que les apparitions de Victor Pascow restent marquantes, grâce à l'interprétation habitée de Brad Greenquist. Son maquillage est saisissant de réalisme et la scène où il apparaît la première fois en pleine nuit chez les Creed pour conduire le docteur au cimetière est anxiogène au possible !

carboni
13/04/2019 à 21:01

Ah l'épreuve du temps, peu de films des années 80 réussissent ce passage....Misery vieillit mieux. Mais malgré tout, en faisant abstraction des affres du temps Simetierre reste un excellent film.

M.Wyzell
13/04/2019 à 20:15

@ Le Waw
Dernier film de terreur en 30 ans ... Vraiment ? Et Babadook, Shining (un peu plus vieux certes), Calvaire, Hérédité, The Witch ...?

Pour moi il faut savoir accepter que certains films n'ont pas réussi à passer l'épreuve du temps, ce film marchait à une époque mais est très dépassé de nos jours, en tant que gros consommateur de cinéma d'horreur en tout genre, je trouve qu'il ne fonctionne plus maintenant (que ce soit la réalisation, les scènes d'horreur ou le jeu, ce film fait très "vieillot" tandis que certains autres films plus vieux arrivent à conserver encore un aspect moderne).

Dutch Schaefer
13/04/2019 à 19:37

Le bouquin reste bien supérieur au film des années 90!
Mais, si le film de Lambert reste bien au dessus de tout, c'est surtout que une fois le côté "King" est effacé, on reste en présence d'un fantastique film d'épouvante!
Et ce n'est pas un remake moisi, à la sauce 2000; qui va venir détrôner une des meilleures adaptations cinématographique des oeuvres de Stephen King!
Simetierre arrive bien en haut dans mon classement (avec Christine, Mist, Les Evadés, Dead Zone) ((Mon plaisir coupable: PEUR BLEUE ;-) ))

Le Waw
13/04/2019 à 17:21

Déjà parce que sa fin n'est pas une grosse fin avec une famille de zombie badass style et poseurs comme dans la version 2019. Aussi parce que les revenants n'ont pas le don de se teleporter en haut du cimetière indien pour y enterrer leur mère et revenir fracasser le Darron en 2 minutes. Et surtout parce que c'est le dernier film de vrai terreur en 30 ans. Et même si le remake est sympa, dommage qu'il sombre dans le produit pour les 15 /25 à s dans ses 20 dernières minutes.

La Rédaction - Rédaction
13/04/2019 à 15:00

@ Richter
Dans ce cas n'hésitez pas à lire notre dossier du weekend dernier ;)
https://www.ecranlarge.com/films/dossier/1082353-simetierre-pourquoi-le-livre-de-stephen-king-reste-un-chef-doeuvre-dhorreur-totale

Richter
13/04/2019 à 13:48

Bel article effectivement! J'ai vu le film il y a longtemps et malgré ces qualités indéniables, je lui préfère toujours le roman.

Bond
13/04/2019 à 13:38

Ce genre d'oeuvres dont nous avons cruellement besoin aujourd'hui.
Vous avez tout dit , en ce sens la comparaison entre les 2 simetieres est très révélatrice de notre époque
Le premier est un vrai film d’horreur (pas de concession) tout est effrayant dans ce film , le chat fait mille fois plus peur dans le 1er que dans le deuxième, le retour de l’enfant idem , l’accidenT etc...
Le nouveau , sans être un mauvais film, caresse le public dans le sens du poil , on est dans le politiquement correct ( je ne donnerai pas d’exemple pour ne pas spolier le film)
Le mieux c’est de regarder les deux pour se faire un avis

Flash
13/04/2019 à 13:24

Excellent article et entièrement d'accord avec la phrase de conclusion.