Will Smith : le Prince de Bel-Air et roi d'Hollywood est-il fini ?

Geoffrey Crété | 9 avril 2022 - MAJ : 24/04/2022 14:05
Geoffrey Crété | 9 avril 2022 - MAJ : 24/04/2022 14:05

Le Prince de Bel-Air, Bad Boys, Independence Day, Men in Black, Wild Wild West, Ali, After Earth, Suicide Squad, Je suis une légende... Retour sur la carrière de Will Smith, ses réussites, ses échecs, et ce que ça raconte sur l'homme et l'acteur.

Regarder la filmographie d'une star hollywoodienne comme Will Smith, c'est regarder l'homme derrière l'acteur. C'est une opération fascinante, qui permet de retracer la vie, les ambitions, les rêves et les résurrections d'un artiste. À ce petit jeu, Tom Cruise est le plus passionnant, mais ça n'en reste pas moins intéressant de regarder les autres.

Intronisé héros hollywoodien avec Bad Boys, Independance Day et Men in Black, le Prince de Bel-Air a connu des hauts et des bas, parfois extrêmes. Pour un Ali chez Michael Mann, il y a une catastrophe industrielle comme Wild Wild West. Pour un Hancock, il y a un Suicide Squad. Pour un Je suis une légende, il y a un After Earth. Et pour un Oscar du meilleur acteur, il y a la fameuse gifle à Chris Rock, qui a des conséquences pour la carrière et le business Will Smith.

Retour sur la riche et étrange carrière de Will Smith.

 

Bad Boys for Life : photoPermis de baffer

 

grand prince, petit roi

Période : début des années 90

Moment majeur : Le Prince de Bel-Air

À la fin des années 80, Will Smith est déjà une petite star du rap aux États-Unis, sous le nom de The Fresh Prince, aux côtés de DJ Jazzy Jeff. Il n'a rien d'un acteur, et n'y pense même pas.

L'idée du Prince de Bel-Air germe d'abord dans l'esprit de Benny Medina, producteur de musique qui pense à une sitcom adaptée de sa propre vie : il a grandi dans les quartiers pauvres de Los Angeles mais a découvert un autre monde en devenant ami avec un adolescent blanc et riche de Beverly Hills, dont la famille l'a finalement accueilli.

 

Will Smith : photoLe petit Prince

 

C'est sur le plateau du Arsenio Hall Shaw qu'il croise Will Smith, venu accompagner sa petite copine de l'époque - laquelle lui avait conseillé de venir réseauter, puisqu'il était financièrement dans la mouise après l'échec de son dernier album, et quelques problèmes avec les impôts. Benny Medina lui parle de son projet de série et du premier rôle, mais le rappeur répond qu'il n'est pas acteur.

Il est néanmoins invité à une soirée chic chez Quincy Jones, impliqué sur le projet du Prince de Bel-Air. Il lui redit que ce rôle est pour lui, et lui demande d'improviser des essais devant l'assemblée - composée notamment de Spielberg et Stevie Wonder. Will Smith refuse, et Jones lui répond : "'On peut se revoir dans deux semaines pour une audition. Ou tu peux prendre 10 minutes maintenant et ça peut changer ta vie pour toujours'. Je me suis dit, OK. J'ai dit oui, je me suis lancé, et à la fin tout le monde applaudissait".

Quincy Jones fait écrire le contrat juste après. Trois mois après, le pilote du Prince de Bel-Air est tourné.

 

Le Prince de Bel-Air : photo, Will SmithCool kid

 

Le succès est immense, avec près de 20 millions de téléspectateurs chaque semaine pour suivre cette famille noire et riche, combo alors assez inédit. Le Prince de Bel-Air a droit à 6 saisons, et c'est Will Smith qui a souhaité arrêter, après avoir constaté que la saison 5 était celle du déclin. Le succès s'exporte, puisque la série est rachetée à travers le monde. En France, elle débarque en 1992 sur Antenne 2.

Le Prince de Bel-Air marque ainsi la naissance de cette future superstar, monstre de charisme qui bouffe l'écran et ses partenaires (sauf quand Carlton danse). Will Smith, 22 ans, s'impose comme l'incarnation du cool absolu des 90s, de ses fringues à son goût pour la musique. Il n'est ni le môme du ghetto, ni le coincé des privilégiés : il flotte entre les deux, a ses propres règles, et dépasse les clivages et clichés.

Alors que SeinfeldLa Fête à la maisonRoseanneCheersSauvés par le gong ou encore Mariés, deux enfants passionnent l'Amérique, il débarque comme un ouragan. Il n'est pas le premier acteur afro-américain à entrer dans l'arène du petit écran (Cosby Show amuse déjà depuis 1984), mais il incarne un vent de fraîcheur auquel personne ne résiste.

 

photo Qu'est-ce que j'y peux, je suis plus cool que toi

 

l'independance du good boy

Période : 1995-1999

Moments majeurs : Bad Boys, Men in Black, Independence Day

Le Prince du petit écran, très remarqué dans le drame Six degrés de séparation en 1993, est véritablement devenu petit roi avec Bad Boys. C'était le premier film de Michael Bay, qui n'aimait pas le scénario, et il n'y avait d'ailleurs pas vraiment de scénario terminé au début du tournage. Bay racontait à Entertainement Weekly en 2022 : "Sony ne croyait pas en ce film, parce que deux acteurs noirs, ça ne vend pas à l'international."

Mais lui y croyait dur comme fer. Il comptait justement sur ses deux acteurs, tous deux venus de la télévision, pour allumer l'écran. Il encourageait l'improvisation, et il avait raison. Le film, au budget modeste de 20 millions, est un phénomène avec plus de 141 millions au box-office.

En 1995, tout change pour Will Smith. D'un coup, il passe de l'autre côté, notamment grâce à un plan. Michael Bay voulait absolument qu'il ouvre sa chemise dans une scène d'action. L'acteur avait de sérieux doutes, mais a vite compris que Michael Bay avait raison.

En 2011, Smith expliquait à GQ : "C'est à ce moment-là que j'ai appris l'importance de chaque image. Cette image précise m'a fait passer d'acteur comique de TV, à potentielle star de cinéma. Les scénarios qu'on m'a offerts ont complètement changé. C'était la première fois que je voyais les femmes réagir comme ça face à moi. C'était la transformation du petit mec mignon d'à côté, qui peut te faire rire, au mec qui gère autant dans une baston de bat qu'au lit".

 

photo, Will Smith, Martin LawrenceHéros local

 

Ce n'était toutefois que la première étape. Quand Roland Emmerich veut le caster dans Independence Day, après le refus d'Ethan Hawke, le studio s'y oppose. Le réalisateur expliquait à The Hollywood Reporter en 2021 : "C'était évident que ça devait être Jeff Goldblum et Will Smith. Le studio a dit, 'Non, on n'aime pas Will Smith. Il a tout à prouver. Il ne marche pas sur le marché international'". Son producteur et co-scénariste Dean Devlin ajoutait : "Ils ont dit, 'Tu castes un mec noir dans ce rôle, tu tues le film à l'étranger'. Notre réponse, c'était, 'C'est un film sur des aliens, ça va marcher côté étranger'. C'était une grosse bataille, et Roland a vraiment défendu Will. Et on a gagné".

Quand Independence Day sort en 1996, Bad Boys leur a de toute façon donné raison, d'autant que l'acteur a entre temps tourné Men in Black. C'est la sainte-trinité du succès.

Le symbole Will Smith grimpe à une vitesse affolante. Il sauve Miami de méchants barons de la drogue dans Bad Boys, la Terre d'aliens belliqueux dans Independence Day, et dans Men in Black, il est tout simplement formé pour devenir un agent chargé de protéger l'humanité de toutes ces menaces venues d'ailleurs. En quelques années, le grand môme à casquette est transformé en soldat hollywoodien de premier ordre, celui qui sauve la veuve et l'orphelin des menaces les plus absolues, sans jamais altérer son IMC, ni devenir une menace pour les hommes, les femmes, les enfants, les blancs, les noirs, les riches ou quiconque.

 

photo, Jeff Goldblum, Will SmithHéros américain

 

Dans les trois films, c'est la même ambition : Will Smith est l'archétype du héros américain moderne, drôle mais pas ridicule, beau mais pas méchant, fort mais pas inhumain. Il a des failles, il a de l'humour. Il est la moitié cool du duo, et enchaîne les répliques façonnées pour le grand public. Il plaira à votre belle-mère et votre petit frère, sera un modèle pour les hommes et un fantasme pour les femmes (ou vice-versa).

Alors que Spike Lee s'impose dès Do the Right Thing comme la flamme de la contestation, et que presque tous les acteurs afro-américains incontournables passent chez lui (Halle Berry, Wesley Snipes, Samuel L. Jackson, Denzel Washington, Angela Bassett et même Martin Lawrence), Will Smith trace sa route en pleine lumière - destination succès faramineux.

Avec trois énormes succès en poche (plus de 817 millions pour Independence Day, un score titanesque), il est intronisé. Ce qui se confirme quand Tony Scott le caste dans Ennemi d'Etat, dans un rôle proposé qui avait été proposé à Tom Cruise.

 

Men in Black : photo, Tommy Lee Jones, Will SmithHéros galactique

 

LE wild wild CRASH

Période : 1999

Moments majeurs : Wild Wild West

Arrivé au sommet du business à une vitesse éclair, Will Smith semble inarrêtable. Il se sent donc inarrêtable lorsqu'il jette son dévolu sur un projet qui traîne des pattes depuis un moment : l'adaptation en film de la série Les Mystères de l'Ouest. Passé entre les mains de Shane Black et Mel Gibson, puis Tom Cruise, le film excite Will Smith et Barry Sonnenfeld, le réalisateur de Men in Black. Pour eux, ce sera James Bond au Far West.

En théorie, l'affaire était dans le sac. En réalité, c'était le début d'un joyeux chaos. George Clooney s'en va, après de multiples débats et réécritures. Le scénario est transformé dans tous les sens, avec des idées farfelues, comme Will Smith qui se travestit en danseuse, ou la fameuse araignée mécanique géante du climax. "Une fois que cette araignée est arrivée, ça a changé l'ampleur, la dimension et le ton du film", racontait le réalisateur à Melmagazine en 2019. Le budget gonfle jusqu'à 170 millions, une somme alors énormissime.

Barry Sonnenfeld pointe du doigt l'autre vrai problème : tout le monde voulait refaire Men in Black, avec un duo similaire. Kevin Kline devait être le Tommy Lee Jones du film, face au blagueur Will Smith. Sauf que Kevin Kline voulait être drôle, lui aussi.

 

photo, Will SmithDumb and Dumber

 

Après des projections-tests légèrement inquiétantes, Wild Wild West passe sur la planche des reshoots, pour rajouter de l'humour et de la sensualité, et couper des personnages et des scènes. Le budget grimpe encore un peu, et Barry Sonnenfeld explique qu'il savait parfaitement que c'était un ratage. "Je pense qu'il y avait un meilleur film que celui qu'on a sorti, mais pas un très bon film".

Avec environ 220 millions au box-office, Wild Wild West se crashe. Personne n'a oublié cet accident de parcours, et certainement pas Will Smith, qui a depuis reparlé du piège de ce sentiment de toute-puissance post-Men in Black. En 2016, il disait à The Hollywood Reporter : "Je voulais gagner et être la plus grande star, et ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un décalage, à l'époque de Wild Wild West. Je me suis retrouvé à faire la promo de quelque chose parce que je voulais gagner, et pas parce que j'y croyais." En 2021, il affirmait chez GQ que c'était le pire film de sa carrière.

Un désastre d'autant plus terrible que Will Smith a refusé le rôle de Neo dans Matrix pour aller sur son neo-western-comique. Il n'avait ni compris ni aimé le pitch des Wachowski, et s'est reposé sur la seule chose en laquelle il croyait : lui-même.

 

photo, Will SmithWild Wild à l'ouest

  

L'anti-will smith

Période : 2000

Moment majeur : Ali

À l'aube de l'an 2000, après s'être écrasé contre le mur de sa propre ambition, Will Smith cherche à se réinventer. Un choix conscient, dont il parlait parfaitement avec The Morning Call à l'époque : "J'ai discuté avec Steven Spielberg à une soirée, et je lui ai demandé en rigolant pourquoi il ne m'engageait jamais pour ses films. Il m'a dit, 'Tu es trop énorme pour mes films !'. J'ai rigolé. Mais ça m'a marqué. La personnalité que j'avais créée était devenue trop grosse pour les histoires que je voulais raconter. J'avais commencé à écraser mes personnages. Les gens me voyaient à l'écran, et se disaient, 'Tiens, c'est Will Smith !'".

Arrive ainsi La Légende de Bagger Vance, prototype du drame hollywoodien dans la pure tradition du genre. Adapté du livre de Steven Pressfield, le film raconte l'histoire d'un champion de golf qui, traumatisé par la Première Guerre mondiale, retrouve le goût de la vie et du green grâce à ce fameux Bagger Vance. Matt Damon a beau être en haut de l'affiche, c'est le personnage de Will Smith qui porte le titre du film sur ses épaules, avec un rôle défini comme une énième représentation du "magical negro" (le personnage noir quasi magique, qui aide le héros blanc à être le héros). 

 

La Légende de Bagger Vance : photo"À votre service"

 

L'acteur continuait : "Je me suis dit que Bagger Vance était une super opportunité pour arrêter ça. C'est la première fois de ma carrière que j'ai complètement mis de côté mes instincts et mon désir naturel de forcer ce truc de Will Smith dans les scènes. C'était très effrayant. C'est effrayant de sentir que pendant une scène, cette personnalité que vous avez créée essaie de revenir, pour faire des blagues et animer la scène, pour dire 'Hey regardez-moi !'".

Avec Robert Redford derrière la caméra, La Légende de Bagger Vance semblait né sous une bonne étoile. Mais le film sera un échec cuisant (un budget de 80 millions, et à peine 40 au box-office), avec un accueil glacial.

 

photo Will, Matt et un moment viril 

 

Will Smith avait néanmoins un autre tour dans son sac. Il se préparait à incarner Mohamed Ali dans un film, développé depuis des années, mais qui patinait avant son arrivée. C'était d'abord un projet construit pour sa propre gloire, avec son fidèle Barry Sonnenfeld à la barre. Mais le désastre de Wild Wild West a changé la donne - pour le meilleur.

En 2000, Michael Mann arrive. Après le succès de Révélations, le cinéaste hésitait entre plusieurs projets, avant de choisir celui de Will Smith. L'équation est alors parfaite. Un rôle en or, un réalisateur de prestige, un salaire de 20 millions (soit 1/5 du budget au moins) : Will Smith est au sommet. C'est aussi le premier film de sa boîte de production Overbrook Entertainement, fondée en 1998.

Icône sportive, icône culturelle, icône politique : Mohamed Ali cristallise quasiment toutes les lignes de fracture de l’Amérique contemporaine. Et s’il n’est pas toujours perçu depuis ce côté de l’Atlantique comme une personnalité clivante, il aura incarné à lui seul un condensé des passions les plus violentes et puissantes à avoir traversé les USA. Sans surprise, Will Smith y voit un rôle fantastique.

Ali n'est pas un succès en salles (à peine 90 millions au box-office, pour un budget de plus de 100 millions), mais Will Smith décroche sa première nomination aux Oscars. Il est arrivé aux portes de la légitimité hollywoodienne, et c'est l'année parfaite pour ça, puisque Denzel Washington et Halle Berry sont oscarisés.

 

photo, Will SmithBoxer contre soi-même

 

LE retour du prince

Période : 2003-2004

Moments majeurs : Men in Black 2, Bad Boys 2, I, Robot

Ali aurait pu ouvrir en grand de nouvelles portes à Will Smith, qui portait désormais le sceau des Oscars et de Michael Man. Mais il reprend vite ses bonnes vieilles habitudes, et revient précisément à sa fameuse personnalité de showman. Au lieu d'avancer vers le danger, il replonge dans le confort de la nostalgie, avec les suites de deux de ses plus gros succès.

En 2002, il y a Men In Black II. Même rôle, même réalisateur, même partenaire à l'écran. Des pantoufles de luxe. Peu importe si le film est peu aimé, et considéré comme le pire de la trilogie : c'est un carton, avec plus de 440 millions au box-office.

En 2003, il y a Bad Boys II. Même rôle, même réalisateur, même partenaire à l'écran. Rebelote : le film est peut-être descendu en flèche, mais il rencontre son public (plus de 273 millions au box-office). Will Smith est une recette, et une garantie.

 

Photo Will SmithWill Smith, armé, regarde à droite

 

Independence Day 2 aurait pu conclure la sainte-trinité nostalgie, mais ce désastre arrivera plus tard - et Will Smith l'évitera. A la place, l'acteur jette son dévolu sur un autre projet de science-fiction, développé sans succès depuis des années :  I, Robot, adapté d'Isaac Asimov. Passé entre les mains de différents studios, réalisateurs et acteurs (notamment Denzel Washington), le film décolle avec lui.

Le réalisateur Alex Proyas expliquait à Money Into Light : "Le film s'est vraiment fait grâce à lui, c'est certain. D'un coup, le studio était très excité à l'idée de faire un film avec Will Smith. Il y avait une raison au fait qu'il était l'acteur le mieux payé. Il comptait pour le box-office. (...) Il ne voulait pas faire un film plein de gags, ou trop 'film de Will Smith'. C'est le studio qui voulait plus d'humour. (...) Ce n'était pas facile pour lui à ce niveau, parce qu'il pensait que cet humour n'allait pas avec l'histoire."

Ainsi, Will Smith a piégé Will Smith. Alors que tout le monde préférait imaginer qu'il imposait sa loi, notamment parce qu'il était producteur exécutif d'I, Robot, il était finalement victime de lui-même. Reste que le film a été un joli succès, avec plus de 350 millions au box-office.

Autre passage obligatoire de l'époque : la voix dans un blockbuster d'animation. Pour lui, ce sera Gang de requins, un sous-Nemo de Dreamworks (qui affirme que c'est un pur hasard), où il partage l'affiche avec Robert De Niro, Angelina Jolie, Renée Zellweger, Jack Black, et même Martin Scorsese. Son rôle : un poisson blagueur, qui rêve de gloire et de richesse.

 

Photo, Will SmithWill Smith, armé, regarde encore à droite

 

l'homme ordinaire

Période : 2005-2006

Moments majeurs : Hitch, A la recherche du bonheur, Sept vies

Will Smith a 35 ans. L'adolescent qui chasse des aliens et gangsters est loin. Il s'agit désormais de grandir, et montrer son visage d'adulte, en cochant les cases hollywoodiennes adaptées.

La première : l'amour. Smith devient Hitch - Expert en séduction, une comédie romantique qui cartonne en 2005, avec plus de 370 millions au box-office (autant que Batman Begins, sorti la même année). L'acteur accepte les règles du jeu hollywoodien, même les plus aberrantes, comme il expliquait au Birmingham Post : "Il y a ce mythe qui dit que si vous avez un acteur et une actrice noirs, dans une comédie romantique, les gens ne voudront pas le voir. On a dépensé 50 millions environ pour ce film, et le studio ne voulait pas prendre de risque. C'est comme ça que l'idée est arrivée, d'avoir un acteur noir et une actrice blanche - ce qui est OK pour le monde, mais un problème aux États-Unis". D'où Eva Mendes, latina.

 

photo, Eva Mendes, Will SmithNe fais pas peur aux blancs, surtout

 

Après le rire, les larmes doivent parfaire le costume de l'adulte. Viennent ainsi À la recherche du bonheur et Sept vies, tous deux réalisés par Gabriele Muccino. Dans le premier, adapté de l'histoire vraie de Chris Gardner, il joue un père célibataire, qui se bat envers et contre tous pour avancer, malgré les échecs et les dettes. Là encore, l'image de marque de l'acteur est presque un frein, puisque le principal intéressé n'était pas particulièrement emballé à l'idée d'être incarné par le héros de Men in Black : "Je n'étais pas très enthousiaste, franchement. J'ai toujours vu Will comme une star de blockbuster, de science-fiction. Ma fille m'a dit, 'S'il peut jouer Muhammad Ali, il peut te jouer toi !'".

À la recherche du bonheur sera un tournant pour Will Smith, nommé pour la deuxième fois aux Oscars, avec en plus un immense succès en salles. Sans oublier qu'il joue un autre gros morceau de sa vie d'homme et acteur, avec la présence de son fils Jaden, dans le rôle de son fils à l'écran. Mais Will Smith se défend de tout népotisme : c'était l'idée du réalisateur. Le studio y était farouchement opposé, mais Muccino s'est battu jusqu'au bout pour les convaincre.

Will Smith le rappelle donc pour Sept vies, un drame où il surenchérit sur les larmes, puisqu'il interprète un homme dépressif, hanté par la mort de sa femme dans un accident de voiture, et qui décide d'aider sept inconnus. Bonus ultime : il tombe amoureux d'une femme, malade et condamnée. Ne manque plus qu'un sauvetage de chatons. Quelque part entre Un automne à New York et Un monde meilleur, c'est une guimauve qui remporte encore un beau succès en salles.

 

À la recherche du bonheur : photo"J'ai une idée, ça s'appelle After Earth"

 

En promo, Will Smith est plus que jamais le sujet, plus encore que les films et les rôles. Quand Collider l'interroge sur son statut de superstar, il répond :

"J'ai lu quelque chose à propos d'un alpiniste qui voulait monter au sommet de l'Everest. Il veut le faire. Il y arrive, arrive en haut, et réalise qu'il ne peut plus respirer. Et la seule chose à laquelle il pense, c'est comment il peut redescendre aussi vite que possible. C'est cette idée bizarre de 'Fais attention à ce dont tu rêves'. Tu avances, tu te bats, tu avances, tu te bats, et il y a ce petit inconfort qui s'installe. La dernière année a été un peu effrayante et frustrante pour moi.

J'ai eu une révélation en tournant Sept vies. J'ai compris qu'une part de ce sentiment venait du fait que je regardais trop ma vie, moi-même, mon futur. J'ai eu cette immense révélation, à quel point je veux être plus, faire plus, vivre au service de l'humanité vs au service de l'aspect commercial de mes films."

Will Smith semble ainsi rêver d'un presque impossible grand écart : être autant Tom Cruise que Tom Hanks, à la fois un héros extraordinaire et un everyday man, à la James Stewart.

 

Sept vies : photo, Will SmithPleure sur moi bébé

 

l'homme extraordinaire

Période : 2007-2008

Moments majeurs : Je suis une légende, Hancock

Entre l'âge adulte et l'adolescence éternelle, le rire spectaculaire et les larmes intimes, c'est un éternel régime yoyo. Après une parenthèse tristesse et mélo, Will Smith revient ainsi aux rôles de héros, à l'action et au blockbuster, mais avec une touche nouvelle : une forme de noirceur et de désespoir. C'est l'heure de la gueule de bois, entre rires et horreur(s).

Dans Je suis une légende, tiré du livre très noir de Richard Matheson, c'est le dernier homme dans un monde post-apocalyptique, qui ne peut compter que sur son chien face à des espèces de vampires. Dans Hancock, c'est un super-héros désabusé, alcoolique, ingérable. Dans les deux cas, l'héroïsme semble derrière, et l'histoire parle de l'après. Que se passe-t-il après le happy end d'une survie face à l'apocalypse ? Que reste-t-il pour un surhomme dans un monde normal ? Will Smith est désormais un adulte, usé par la vie.

En théorie, Je suis une légende et Hancock sont des films loin de l'image de marque de Will Smith, family man ultime, prêt à sauver la veuve et l'orphelin. Surtout Hancock, où il s'en prend à un môme, et ferait passer Iron Man pour un bon samaritain avec ses beuveries désastreuses, ses "fuck" et autres exploits de bad boy.

 

Hancock : Photo Will SmithWill Smith par terre

 

Mais une force supérieure était à l'œuvre. Les producteurs de Hancock voulaient un film accessible aux adolescents, et ont allégé quelques scènes pour y arriver. Par ailleurs, le réalisateur Peter Berg a lui-même décidé de couper une scène montrant comment une éjaculation du surhomme Hancock pouvait littéralement tuer l'heureuse élue.

Dans Je suis une légende, c'est surtout une histoire de fin, qui change tout. Dans la version cinéma, Smith le héros se sacrifie, après avoir trouvé le remède au mal, et sauvé femme et gosse. Dans la version alternative, il découvre la réalité derrière les visages effrayants des créatures finalement humaines, et comprend qu'il est lui-même devenu un monstre en les capturant pour ses expériences.

Là encore, Will Smith et son ego de héros étaient les coupables parfaits, mais le réalisateur Francis Lawrence expliquait à Screen Rant en 2018 :

"Quand vous dépensez autant d'argent, vous paniquez à l'idée de faire un film bizarre et artistique, sur un homme seul avec son chien à New York, alors vous essayez de rendre ça plus spectaculaire (...) La fin alternative est meilleure. C'est la version plus philosophique, mais en même temps, on fait exactement ce qu'on ne doit pas faire, non ? Le héros ne trouve pas de vaccin. Ils partent vers l'inconnu et les créatures censées être les ennemis, ont finalement une part d'humanité, et ne sont pas les méchants. Le héros est le méchant. On a montré le film en projection-test deux fois, et il a été vivement rejeté, et c'est pour ça qu'on a fait l'autre fin."

 

Je suis une légende : photo, Will SmithWill Smith encore par terre

 

Plus de 585 millions au box-office pour Je suis une légende, près de 630 millions pour Hancock : Will Smith reste dans tous les cas un demi-dieu du dollar. Mais sa soif de succès était insatiable. Il avouait en 2021 chez Oprah Winfrey qu'il a pris conscience de cette addiction lors du beau démarrage de Je suis une légende au box-office domestique (plus de 77 millions), en discutant avec James Lassiter, son partenaire producteur :

"Pendant 30 secondes, je suis content, puis mon esprit dérive. Et je me demande pourquoi on n'a pas été jusqu'à 80 millions. Il m'a dit, 'Quoi ?'. Et j'ai dit, 'C'est 77. Tu penses que si on avait changé la fin ?'. Parce que je voulais une fin qui ressemble plus à Gladiator. Il me dit, 'C'est l'un des plus gros démarrages de tous les temps. De quoi tu parles ?'. Et moi, 'J'ai compris, je me demande juste pourquoi on n'a pas été jusqu'à 80'. Et c'est la seule fois où il m'a raccroché au nez".

Will Smith parlait d'une petite folie autour de l'obsession du succès, soit l'un des grands motifs de sa carrière. En plus de laisser imaginer qu'il avait bel et bien pesé sur la fin du film, en voulant de toute évidence un sacrifice, une mort héroïque.

 

Je suis une légende : photo, Will SmithLa petite voix intérieure de Will Smith

 

retour vers le futur

Période : 2012

Moments majeurs : Men in Black 3

Ce n'est pas anodin si Men in Black 3 sort la même année que le premier Avengers. Le monde était en train de changer. Les vrais super-héros étaient arrivés, pour reprendre le flambeau des héros ordinaires d'hier - ceux-là mêmes qui avaient fait la gloire de Will Smith. La quarantaine bien entamée, l'acteur était désormais face à une galerie de jeunes belles gueules, intronisées nouvelles références du spectacle hollywoodien. 

Will Smith a donc refait ce qu'il savait si bien faire : rouvrir une porte vers sa propre histoire et gloire d'hier. Rien de mieux que le passé pour affronter le futur. Ainsi, les idées d'Independence Day 2, Men in Black 3 et Bad Boys 3 ont refait surface. Soit la parfaite sainte-trinité de Will Smith, qui rejouait les années 90, pour mieux contrer le 21e siècle.

Mais tout ne s'est pas passé comme prévu, puisque le monde avait bien changé, justement.

 

Independence Day : photoIndependence Paycheck

 

Développée depuis le début des années 2000, la suite d'Independence Day devait en réalité être une double suite, pour former une trilogie. Mais en 2011, le projet prend l'eau, avec la rumeur d'un Will Smith demandant 50 millions pour tourner les deux épisodes, ce qui a refroidi le studio Fox. Les aliens sont donc remis au placard, pour quelques années. Mêmes problèmes de business pour Bad Boys 3. Discuté depuis 2008, le film traîne, passant entre les mains de différents scénaristes, sans succès.

Seul Men in Black 3 a avancé, mais avec des problèmes là aussi lourds de sens. Le premier : hier grand copain de Will Smith, le réalisateur Barry Sonnenfeld a failli ne pas être rappelé, suite à quelques problèmes sur Men in Black 2. Il a finalement convaincu les producteurs (et Will Smith), et accepté un salaire deux fois moins élevé au passage. La douceur idyllique des années 90 est loin.

Men in Black 3 est surtout devenu un parfait exemple des dérives de l'industrie. La production a été lancée en quatrième vitesse, pour pouvoir profiter de la disponibilité de toute l'équipe, et d'une ristourne fiscale avec la ville de New York. Il n'y avait pas de scénario, mais peu importe. Le boss de Sony, Doug Belgrad, assumait chez Los Angeles Times : "Bien sûr, lancer une production sans scénario terminé n'est pas idéal. Mais nous avions une immense confiance, parce que c'est une suite, et parce que tous ces éléments créatifs impliqués... n'allaient pas attendre longtemps".

 

Photo Will SmithUne affaire qui roule (presque)


Barry Sonnenfeld en rajoutait une couche chez Empire : "On savait en commençant le tournage qu'on n'avait pas de deuxième et troisième acte terminés. Est-ce que c'était responsable ? La réponse est, si le film marche autant que je le pense, c'était du génie. Si c'est un désastre, alors c'était une idée vraiment stupide".

Sans surprise, Men in Black 3 a été un petit enfer de production. Le scénario était écrit et réécrit pendant le tournage (parfois à la demande de Will Smith, selon IndieWire et Los Angeles Times), à tel point que tout a été mis en pause. Et que cette pause a été rallongée, pour pouvoir permettre à plusieurs scénaristes de repasser sur l'histoire. Néanmoins, des répliques étaient quand même parfois écrites juste avant que la scène ne soit tournée.

Coût des opérations : des millions, qui se sont ajoutés à un budget déjà énorme. Men in Black 3 aurait ainsi coûté 250 millions (100 de plus que le deuxième), et 375 millions en comptant le marketing. Avec 624 millions encaissés au box-office, l'honneur était sauf. Même si la rentabilité de la saga devenait plus que douteuse.

 

photo, Will SmithWill Smith s'adressant aux scénaristes

 

Au-delà de l'aspect business, ce troisième Men in Black raconte quelque chose de Will Smith. C'est lui qui, sur le tournage du deuxième épisode, a eu l'idée de ce voyage dans le temps pour sauver K. C'est lui qui a imaginé son personnage comme le seul à ne pas avoir oublié le passé, et le seul à voir, savoir, et pouvoir sauver le monde. J doit voyager dans le passé pour sauver le futur, et ce flashback est lourd de sens pour l'acteur, qui ne cesse de regarder dans le rétroviseur des années 90.

Dans un remix hollywoodien de La Jetée (et donc L'Armée des 12 singes), J découvre finalement le beau mensonge derrière son histoire. Il n'a pas été trouvé par hasard, pour être transformé en héros. Sans le savoir, il était quasiment né pour être héros, depuis son enfance, suite à la mort de son père tué par un alien, et grâce à la protection invisible de K. Une manière de redéfinir le personnage, la saga entière, et au fond, Will Smith lui-même. Il n'y a pas de hasard, uniquement des destins.

 

Men In Black 3 : photo, Will SmithLe saut de l'ange


tel père, tel fils

Période : 2014

Moment majeur : After Earth

À la fin de Men In Black 3, Will Smith adulte regarde Will Smith enfant (ou du moins, sa représentation hollywoodienne fantasmée). De quoi confirmer l'obsession de l'acteur pour la famille, et plus particulièrement le rapport père-fils. Obsession qui s'incarne en Jaden Smith, son fils. Il l'avait déjà placé sur À la recherche du bonheur et The Karate Kid (dont il est aussi l'un des producteurs), mais le pire est à venir.

After Earth est parti d'une idée de Will Smith, qui voulait raconter l'histoire d'un père et son fils, en situation de survie extrême, dans un cadre de SF. C'est lui qui a été chercher M. Night Shyamalan, pour lui vendre le projet, avec son fils dans le premier rôle. Avec également la boîte Overbrook Entertainement à la production (et donc, Will Smith et Jada Pinkett-Smith), c'était une histoire de business-famille.

Mais After Earth n'était pas qu'une question de Smith. Le papa-star a beau être crédité pour l'histoire, Shyamalan a co-écrit le film, et Sony avait entre les mains un blockbuster à 130 millions difficile à vendre. Leur meilleur argument était de le vendre sur Will Smith, qui n'a pourtant qu'un petit rôle dans le film, et en évacuant quasiment totalement le nom de Shyamalan. "C'est un film de Jaden Smith déguisé en film de Will Smith", disait une personne de l'équipe, anonyme, au Los Angeles Times.

 

After Earth : Photo Jaden Smith, Will SmithSi je fail, tu fail

 

À l'écran, c'est un véritable passage de flambeau. Gravement blessé et coincé dans une carcasse de vaisseau, le père place son seul espoir en son fils, qui doit évoluer sur une planète sauvage. La progéniture affronte la solitude et la peur, survit au froid et au poison, et affronte des aliens monstrueux, le tout au rythme de la voix off du paternel. Une belle démonstration de comment devenir un homme ("Je ne suis pas un lâche !", hurle l'ado à son père autoritaire), selon la dictature d'une certaine masculinité à peine toxique.

C'en serait presque un renoncement pour Will Smith, si ce n'était pas en réalité la mise en scène d'une dynastie hollywoodienne. Et c'en serait presque un triomphe formidable, si After Earth n'avait pas été un désastre. Avec environ 240 millions au box-office, le blockbuster au budget officiel de 130 millions est tout sauf une réussite éclatante. Aux États-Unis, c'est même une catastrophe en salles.

 

After Earth : photo, Jaden SmithHéros de père en fils

 

Pensé par Will Smith comme le premier volet d'une nouvelle franchise, After Earth se crashe. Un échec qui traumatise l'acteur, comme il le reconnaissait en 2015 chez Esquire : "Ça a été une leçon utile. Ça a été l'échec le plus douloureux de ma carrière. (...) Wild Wild West a été moins douloureux qu'After Earth parce que mon fils était impliqué, et c'est moi qui l'ai amené là. Ça, c'était épouvantable."

L'enfer continue avec un rôle proche du gag absolu, puisque Will Smith incarne Lucifer dans Un amour d'hiver, un super-navet aussi romantique qu'un tesson de bouteille Heineken. Ce n'est qu'un petit rôle surprise, et un cadeau fait au réalisateur Akiva Goldsman (crédité aux scénarios d'I, Robot et Je suis une légende). Il disait à Variety à l'époque : "Ce film, c'est 20 ans de faveurs. On n'avait pas un gros budget, donc j'ai demandé à tous les gens avec qui j'avais travaillé. Je voulais la personne la plus charmante du monde pour jouer le diable. Et Will Smith est l'homme le plus charmant du monde".

Un passage éclair mémorable, puisque l'acteur porte des boucles d'oreille, donne la réplique à Russell Crowe, et a l'honneur d'un duel de sales gueules CGI. Personne n'a pu l'oublier, surtout que le film est un naufrage commercial (budget de 75 millions, à peine 30 au box-office), d'autant plus spectaculaire qu'il est porté par Colin Farrell. À la même période, c'est une série de douches froides pour la boîte de production des Smith, Overbrook Entertainement. Le remake de la comédie musicale Annie et la comédie d'action Target avec Reese Witherspoon sont des déceptions. Le vent a (encore) tourné.

 

Un amour d'hiver : photoLe diable est dans les détails

 

mélocomeback

Période : 2015

Moments majeurs : Seul contre tous, Diversion

Après le désastre Wild Wild West, Will Smith avait redoublé d'effort pour reprendre en main son succès, avec le beau rôle d'Ali, et les pantoufles de Men in Black 2 et Bad Boys 2. Après celui d'After Earth, c'est presque la même chose.

En miroir avec À la recherche du bonheur et Sept vies, il tourne Seul contre tous et Beauté cachée, là encore coup sur coup. Le premier est le prototype du drame tiré d'une histoire vraie, où il incarne un médecin qui a révolutionné la neurologie, et révélé les dangers du sacro-saint football américain. Le deuxième est un parfait mélo sur le deuil d'un père, type grande leçon de vie sur l'amour, le temps, et la mort bien sûr. Le parallèle avec A la recherche du bonheur et Sept vies est plus qu'évident.

Dans les deux cas, ce sont des projets qui traînaient à Hollywood depuis quelque temps (Ridley Scott était attaché à Seul contre tous, et Beauté cachée devait se faire avec Hugh Jackman). Will Smith l'ordinary man, qui pleure comme un homme ordinaire : check.

 

Beauté cachée : photo, Will SmithRéunion stratégie post-After Earth

 

Il y avait eu Hitch, comédie romantique sur un arnacœur professionnel qui enseigne la drague, mais apprend à grandir en rencontrant une adversaire amoureuse à sa taille. Il y a désormais Diversion, comédie romantique sur un arnaqueur, qui croise la route d'une experte arnaqueuse à sa hauteur.

Symptôme tristement banal du refus de Will Smith d'encaisser le temps qui passe : l'âge de sa partenaire à l'écran. Elle a 25 ans, alors qu'il approche de la cinquantaine. Dans Diversion, Margot Robbie est encore plus jeune qu'Eva Mendes dans Hitch. Une équation d'autant plus drôle que le scénario était passé entre les mains de Ryan Gosling, Emma Stone, Ben Affleck, Kristen Stewart... laquelle aurait quitté le projet face à cette différence d'âge trop grande.

Beauté cachée, Seul contre tous et Diversion assurent le service de réconciliation avec le monde. Will Smith se repositionne, avec une nomination aux Golden Globes, des partenaires de luxe à l'écran, et une certaine fadeur efficace.

 

Diversion : photo, Will Smith, Margot RobbieLa diversion par la jeunesse

 

suicide solo

Période : 2016-2017

Moments majeurs : Suicide Squad, Bright

Mais le vrai virage s'appelle Suicide Squad, qui arrive dans des circonstances légèrement chaotiques, et lourdes de sens, puisque Will Smith était à la croisée des chemins. D'un côté, il était engagé sur Independence Day 2, écrit autour de lui. De l'autre, il était courtisé par Warner Bros. pour rejoindre l'univers étendu mis en place par Man of Steel et Batman v Superman. Le passé, la nostalgie, la facilité, versus le futur, la modernité, et l'évidence de succomber aux sirènes super-héroïques.

En 2016, Will Smith expliquait chez Entertainement Weekly : "J'avais deux scénarios devant moi. Independence Day 2 et Suicide Squad. Je devais choisir. Le choix d'aller sur Suicide Squad, peu importe les qualités du film, c'était le choix d'essayer d'avancer, par opposition à m'accrocher au passé. Je veux absolument avancer, faire de nouvelles choses."

Et tant pis pour Roland Emmerich, qui perd son acteur principal au dernier moment. Independence Day 2 était en pleine préparation, une dizaine de millions de dollars avait été dépensée, et tout le monde a décidé de réécrire en urgence le scénario, sans le personnage de Will Smith. Un choix qui, selon le réalisateur, explique largement l'échec du film. Mais il a pu se consoler en observant le petit carnage de Suicide Squad.

 

Suicide Squad : photo, Will SmithDeadchauve

 

Quand Suicide Squad a été annoncé, c'était un gros projet pour le studio, et tous les gens impliqués. Ce film de groupe, centré sur une bande de vilains, devait ouvrir les portes de l'univers étendu de Superman et Batman, ramener le Joker, amener des personnages cultes (Harley Quinn), et déboucher sur quantité de projets solo. Will Smith devait ainsi avoir droit à un film Deadshot, annoncé en 2016 (Rolling Stone a depuis affirmé que c'est aussi et surtout le salaire de 20 millions, demandé par Smith, qui a refroidi le studio).

Quelques années après, l'échec du film reste monstrueux. Derrière le succès commercial (plus de 746 millions tout de même), il y a un carnage à tous les niveaux. Le réalisateur David Ayer a largement confirmé que son film avait bel et bien été saccagé par les producteurs, suite à l'accueil glacial de Batman v Superman. Et la suite-reboot-remake The Suicide Squad, par James Gunn, a passé un coup de karcher sur ce beau monde.

Parmi les victimes les plus remarquables : Will Smith, mis à la poubelle entre les films, contrairement à Harley Quinn, Rick Flag ou encore Amanda Waller. Peut-être que personne n'a osé ramener Deadshot pour le fusiller comme Captain Boomerang, mais l'effet est similaire. Will Smith était l'un des maillons faibles de Suicide Squad... probablement parce qu'il voulait en être le maillon fort.

 

photo, Will Smith, Margot Robbie"Pas la peine d'insister : t'es pas dans la suite"

 

Ce serait presque grotesque si ça n'était pas si logique : Suicide Squad est un film de groupe, mais c'est aussi et surtout un film de Will Smith. Peu importe si c'est à cause de l'acteur, du réalisateur, des producteurs et du département marketing qui a poussé pour qu'il soit plus important. À l'écran, Will Smith semble vampiriser le récit et la bande, de la première minute (une scène d'intro ridicule sur lui) jusqu'au climax (la sous-intrigue neuneu sur sa fille).

Dans le monde des comics, Deadshot est un assassin sans foi ni loi, qui a accidentellement tué son frère en voulant le défendre contre leur père violent. Dans le monde de Will Smith, c'est d'abord un papa qui veut retrouver sa fille. Le refrain du paternel parfait est une nouvelle fois étalé à l'écran, avec en point d'orgue une scène magique de niaiserie, où l'Enchanteresse tente de piéger Deadshot en prenant l'apparence de sa progéniture. Gros plan sur les yeux, sur le hurlement, sur l'héroïsme, avec musique triomphante en fond : le Will Smith Show bat son plein, jusqu'à l'épilogue où papa et enfant échangent un "Je t'aime". La Suicide Squad étant évidemment mise en scène comme une famille dysfonctionnelle, digne d'une sitcom, le naufrage est entier.

Dans la foulée, Will Smith retrouve le réalisateur David Ayer pour un autre navet : Bright, une histoire de flics et d'orcs, clairement influencée par Men in Black. Après plusieurs semaines de bataille et d'enchères, le projet est acheté par Netflix, pour la somme alors inédite de 90 millions de dollars (le film coûtant en réalité à peine 50 millions, tout le monde a dû se faire plaisir au passage). C'était un autre signe des temps.

Après les super-héros, Will Smith était emporté par la vague SVoD. Comme Suicide Squad, Bright a été un carton, malgré une critique désastreuse. Et comme Suicide Squad, il n'a pas eu le destin prévu, puisque la suite, longtemps annoncée, aurait finalement été annulée, discrètement.

 

Bright : Photo Will Smith, Joel EdgertonVolte / Face

 

will vs smith

Période : 2019

Moments majeurs : Gemini Man, Aladdin

Will Smith a franchi le cap des 50 ans, mais il a l'air d'en avoir 20 de moins. Le temps semble n'avoir que peu d'emprise sur son visage, ce qui est presque poétique pour un acteur qui remixe sa propre mythologie depuis des années. Mais le temps est réel. Dans ce monde qui avance de plus en plus vite, et alors que ses succès d'hier sont désormais des franchises poussiéreuses, que reste-t-il à Will Smith ? Lui-même.

Arrive ainsi l'un des films les plus passionnants de sa carrière : Gemini Man. Depuis la fin des années 90, cette histoire de clones était passée entre les mains de quasiment tout Hollywood, avant de prendre véritablement forme en 2016, avec de nouveaux producteurs, et Ang Lee aux manettes. En 2019, Will Smith signe pour incarner ce tireur d'élite (Deadshot bis), qui doit se battre contre son clone.

Difficile de ne pas mettre Gemini Man en parallèle avec Oblivion, film de SF où Tom Cruise (autre monument de l'héroïsme hollywoodien, qui court après lui-même) était confronté à ses clones. Dans les deux cas, il y a une puissante réflexion sur leur statut de héros américain, en lutte contre son identité industrielle.

 

Gemini Man : photo, Will SmithUne idée derrière la tête

 

Lessivé, usé, blasé, le Will Smith de Gemini Man prend conscience de la vacuité de son existence, et veut se retirer du système. Mais le système l'en empêche, en lui envoyant la meilleure des armes : lui-même. Le héros affronte ainsi son propre miroir, dans un flashback destructeur : un clone plus jeune, plus rapide, plus endurant, plus obéissant. Grâce à l'hallucinante technologie numérique, le Will Smith moderne affronte le Will Smith d'hier, comme si l'acteur quinqua avait la possibilité de se mesurer à lui-même dans Bad Boys et Independence Day.

Dans une scène, le vieux Will explique au jeune Smith qu'il doit désobéir, se libérer de sa hiérarchie et sortir du système, pour devenir quelqu'un de meilleur. Une idée vertigineuse sous forme d'aveu et thérapie cinématographique, où l'acteur semble regarder sa propre trajectoire, pour mieux en mesurer la valeur.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si tout l'enjeu du scénario est une nouvelle génération de soldats plus performants, car privés d'émotion. Dans le climax, l'ultime ennemi se révèle justement être un autre clone, version avancée et quasi-indestructible car complètement coupée de son humanité. Juste après, le vieux libère le jeune, en tuant à sa place le grand méchant business man, pour porter seul le fardeau. À la fin, le programme familial reprend le dessus, mais de manière tordue, puisque le jeune clone est désormais élevé et protégé par le vieux clone.

 

Gemini Man : photo, Will SmithPas si Bad le Boy

 

Gemini Man raconte une chose : le besoin de réparer, par la magie du cinéma et de la technologie, une blessure. Il faut faire la paix, et reconnecter l'homme au héros ; la chair au cerveau ; le Will Smith adopté par le public, et le Will Smith qui existe sans le public. Une réparation d'autant plus mélancolique que le film sera un échec cuisant en salles, avec environ 170 millions au box-office pour un budget officiel de 140 millions. Difficile de ne pas le prendre personnellement, puisque Gemini Man est le plus Will Smith de tous les films de Will Smith - il est deux fois sur l'affiche.

La même année, l'identité de Will Smith se dilue dans d'autres CGI, pour le blockbuster de Disney, Aladdin. L'âge s'efface dans l'éternel rôle du génie, la couleur de peau disparaît dans ce rêve bleu. L'acteur n'est plus le héros, mais le guide à côté du héros. Le succès est simple, facile, sans surprise, avec plus d'un milliard au box-office.

 

photo, Will SmithS'inscrire dans l'éternelle légende Disney

 

very BAD BOY

Période : 2020-?

Moments majeurs : Bad Boys 3, La Méthode Williams, l'Oscar, la gifle des Oscars

En 2020, c'est l'heure du bilan des vieilles conserves de Will Smith. La saga Independence Day ? Morte, suite au flop total du deuxième épisode en 2016 - et même en cas de succès, le personnage de Steven Hiller a été tué. Men in Black ? Le quatrième épisode annoncé en 2013 est de l'histoire ancienne, puisqu'un reboot a été annoncé en 2015, sans Will Smith.

Reste alors Bad Boys. Depuis 2009, tout le monde en parle, régulièrement. En 2014, Martin Lawrence affirme que c'est dans les tuyaux. En 2015, le réalisateur et scénariste Joe Carnahan est engagé. Dans la foulée, Sony parle de deux suites, qui sortiront en 2017 et 2019. Mais en 2017, Carnahan s'en va, et Lawrence annonce que c'est fini. Sauf que non, puisque Bad Boys for Life est officiellement lancé en 2018.

Le film résume merveilleusement Will Smith : plus personne ne l'attendait et n'y croyait après tant d'années, plus grand monde n'aurait misé dessus, mais il a finalement été un joli succès. 17 ans après Bad Boys 2, la bête était encore en vie.

 

Bad Boys for Life : photo, Will Smith, Martin LawrenceBad Boys, Old Boys

 

Quel est le rôle de Will Smith là-dedans ? Indice du côté de Joe Carnahan, qui revenait sur son départ avec Collider en 2019 : "J'aime Will, c'est un mec super. Mais je me connais. Et je pensais qu'on tombait dans la logique des rendements décroissants. Je n'étais pas au service de l'histoire que je voulais raconter, que le studio avait validé. Et encore une fois, je n'accuse pas Will. C'est son visage sur l'affiche, c'est son nom, et il faut faire les choses comme on pense qu'elles doivent être faites".

Deuxième indice de son implication dans Bad Boys For Life : c'est encore une histoire de père-fils, et même de passé qui revient hanter le présent. Mike a un fils caché, qui ignore tout de lui, et essaie de le tuer. Un peu comme avec son jeune clone dans Gemini Man, il doit lui montrer la voie, et lui enseigner l'art de la paix, loin de la violence.

Bad Boys For Life engrange plus de 420 millions en salles, début 2020, avant l'ouragan Covid. C'est incomparable avec les milliards Marvel et compagnie, c'est très loin des Jumanji (800 millions) et Fast & Furious (plus de 750 millions). Mais avec un budget de 90 millions, c'est une autre catégorie, et c'est donc un succès.

Will Smith reste une valeur sûre, et c'est sûrement ce qui motive Apple pour lâcher 130 millions afin de mettre la main sur Emancipation, un film sur l'esclavage avec lui, et réalisé par Antoine Fuqua.

 

Bad Boys for Life : photo, Will SmithBad Dad

 

En parallèle, Will Smith porte un autre projet : La Méthode Williams, où il jouera Richard Williams, père et entraîneur des joueuses de tennis Serena et Venus. En réalité, le vrai projet semble crier Oscar. Non seulement c'est un beau rôle hollywoodien, puisque tiré de la vraie vie (comme avec Ali et À la recherche du bonheur, qui lui ont valu une nomination), mais l'acteur publie en même temps ses mémoires, sobrement intitulées Will. Il y parle de son enfance, de son propre père. Sa vie, son œuvre.

Dernière touche au tableau : il signe un accord avec National Geographic, pour une série documentaire où il chante la gloire de Mère Nature pendant six épisodes. Ne manque plus qu'un sauvetage de chatons, encore.

 

La Méthode Williams : photo, Will SmithLe roi déchu

 

Rien ni personne ne peut résister à cette offensive massive du héros total. Bingo : il est sacré meilleur acteur en 2022, en plus d'être nommé comme producteur pour le meilleur film. Mais bien sûr, avant même qu'il ne mette la main sur l'or de la consécration, l'Oscar était souillé par la fameuse gifle.

Le scandale est entier pour le gentil homme d'Hollywood. En quelques jours, le château de cartes s'écroule. Will Smith quitte de lui-même l'Académie des Oscars, en mea culpa. Le développement de Bad Boys 4 est mis en pause, tout comme le thriller Netflix Fast and Loose. D'un coup, le pur héros hollywoodien, armé du plus beau des sourires Colgate, est cloué au pilori.

Rétrospectivement, le marathon publicitaire et la course à l'Oscar de La Méthode Williams prennent une autre couleur. Fin 2021, en interview, Entertainment Weekly disait à l'acteur : "On a quelques questions, et on aimerait que vous y répondiez le plus sincèrement possible". Sa réponse : "Non ! Je suis une star de cinéma. Je dois maintenir ma personnalité publique". Le prestigieux New York Times, lui, titrait : "Will Smith en a fini avec l'envie d'être parfait". Pas sûr que le monde était prêt pour ça.

Dans tous les cas, l'ironie voudrait que son prochain gros rôle soit bien Je suis une légende 2, suite d'un film où il était donc censé être mort. Soit le meilleur aveu d'une éternelle résurrection, encore et toujours.

Tout savoir sur Will Smith

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commentaires
Mokuren
12/04/2022 à 09:29

J'avoue être un peu triste pour cette histoire de gifle. Je comprends complètement que l'Académie prenne des sanctions, car on ne peut pas tolérer une quelconque forme de violence dans un événement de ce genre (surtout aux USA, où ils sont armés jusqu'aux dents, on ne sait pas jusqu'où ça pourrait aller), C'est juste par rapport au fait que ce soit Will Smith. Je comprends qu'il ait été énervé par la blague de Chris Rock, mais qu'est-ce qui lui a pris de se laisser aller comme ça ? Je pense qu'il avait dû prendre quelque chose avant. En tout cas, quel dommage d'avoir sapé sa carrière de cette manière. Je trouve ça triste.

Il n'y a pas que du bon dans cette filmo, mais Will Smith est une icône qui a fait rêver le public. Vous avez bien fait le point sur ses films marquants. Mon préféré est sans hésiter Je suis une légende.

L'indien Zarbi.
12/04/2022 à 08:59

Ali est formidable.
Bon, ce n'est pas n'importe quel réalisateur.

Geoffrey Crété - Rédaction
11/04/2022 à 12:24

@Poupoupidou

Si, c'est une erreur d'inattention, puisque c'est écrit "première nomination" pour Ali, juste au-dessus.

Poupoupidou
11/04/2022 à 12:11

À la recherche du bonheur sera un tournant pour Will Smith, nommé pour la première fois aux Oscars. Et Ali ? C'était pas avant ?

Kimfist
10/04/2022 à 22:29

On parle beaucoup des conséquences, mais pas des raisons !!!

Est-ce que Will Smith avait trop bu ? est-ce qu'il était stressé ? Est-ce qu'il s'était disputé avec sa femme avant ?

J'aimerais bien que ces sujets soient abordés par la presse, car j'ai lu des dizaines d'articles, et je n'en suis pas fier c'est vrai mais je n'ai pas trouvé ce sujet là de traiter.

Willy
10/04/2022 à 20:18

Cet homme est méprisable.

Smith gemini cloned
10/04/2022 à 16:04

la phrase culte:de will Smith "At your highest moment, be careful. That's when the devil comes for you"
finalment c'est Denzel washington qui aurait soufflé çà à Smith,
mais comme le dit Amaldovar, çà faisait tres "culte leader", et moi j'ajoute, çà fait culte scientologie

Satan LaBitt
10/04/2022 à 12:24

Sérieux, le gars a juste collé une claque à un autre gars qui a manqué de respect à sa femme.
Une claque. Il ne l'a pas tué, pas violé, non juste une claque. Moi je dis bravo. Et on voudrait l'enterrer ??

Pat Rick
10/04/2022 à 11:50

J'adorais mater Le Prince de Bel-Air mais sa carrière cinématographique à part quelques films ne m'a jamais impressionné.
Il n'a pas toujours bien choisi ses films.

Geoffrey Crété - Rédaction
10/04/2022 à 10:38

@Ethan

Si vous avez lu l'article, vous savez que c'est directement lié à une déclaration de Will Smith, sur ce film (la peur des studios d'avoir deux acteurs noirs au premier plan). Je sais que tous les 2 jours vous venez nous dire que nos articles vous gênent pour diverses raisons, mais franchement là, aucun rapport : c'est la réalité des choix de casting de ce film, et pas mon petit avis.

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