Ça, Doctor Sleep, Simetierre... qu'est-ce qui rend Stephen King si dur à adapter ?

Simon Riaux | 9 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 9 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

On ne compte plus les adaptations de Stephen King, débarquant par dizaines, sur grand écran ou à la télévision. Mais qu’est-ce qui rend l’auteur d’horreur le plus populaire si difficile à adapter ?

Ces dernières années, le King a bénéficié non seulement d’une série d’adaptations très réussies, ou à tout le moins soignées (Ça, 1922, Jessie, Mr. Mercedes), mais on a également vu débarquer plusieurs créations indirectement sous son influence (The Jane Doe Identity, The Haunting of Hill House). Cette abondance et le lancement de plusieurs projets directement connectés à son œuvre peuvent donner le sentiment que Stephen King est un créateur dont les œuvres prospèrent au cinéma et sur petit écran.

Ce serait oublier combien on a dû subir de navets, énormes Z, ratages surréalistes et autres catastrophes. L’essentiel des adaptations de son œuvre tourne au cataclysme, à tel point que le récent Simetierre, plutôt mal reçu par le public, demeure indiscutablement dans la meilleure tranche d’adaptations. D'ailleurs, même certaines adaptations adorées peuvent être réévaluées, comme on se le disait au sujet de Ça : Il est revenu dans cette vidéo.

Mais pourquoi est-il si compliqué de transposer l’œuvre du maître à l’écran, lui dont les écrits sont si populaires ? Essayons de comprendre les ingrédients qui font la particularité de ses romans, et les rendent si complexes à aborder.

 

photoDonnez-nous la main, ça va bien se passer

 

L’HORREUR DU QUOTIDIEN

On trouve bien des créatures terribles chez King, mais plus encore que des monstres délirants, ce sont des objets emblématiques du quotidien, dont la symbolique, le sens se voit subverti par l'auteur. La voiture est souvent un véhicule de l’horreur, dans Christine bien sûr, mais également dans le trop peu connu Roadmaster, et dans plusieurs nouvelles.

Au gré de ses écrits, on croisera un appareil photographique maléfique (Le Molosse venu du Soleil), un jouet mortel (Le Singe), des petits soldats agressifs (Petits Soldats), une maison qui exerce une curieuse influence sur ses habitants (Ça vous pousse dessus), un matou revenu d'entre les morts dans Simetierre, et la liste continue, de romans en nouvelles.

 

photoQuand les items du quotidien s'animent...

 

L’idée d’investir un objet connu de tous, un symbole du quotidien, est évidemment stimulante. Le procédé en littérature a un effet ravageur. Car chaque lecteur a une représentation mentale à disposition dudit objet, qu’il va nuancer, peupler, en usant de sa propre imagination et du tremplin littéraire conçu par l’auteur. Le sentiment de partager ainsi une terreur, ou un motif imaginaire avec King est alors puissant. Mais quand il faut le mettre en image, c’est une autre mayonnaise.

Imaginiez-vous la voiture de Christine avec la même nuance de rouge ? Le modèle de presse de The Mangler est-il celui que vous aviez en tête ? Ce réinvestissement des objets à priori anodin, en raison de son absurdité et sa force arbitraire (pourquoi diable les camions de Maximum Overdrive s’animent-ils ?) est une source d’angoisse, mais son incarnation pose un vrai problème, car elle risque de diviser instantanément les spectateurs, là où le texte rassemblait les lecteurs.

 

Photo Keith Gordon (I)Une titine pas comme les autres

 

TÊTE DE MYTHE

Grippe-Sou, le clown culte de Ça, est connu dans le monde entier. L’Hôtel Overlook de Shining a fait claquer bien des dents. Les Tomnyknockers hantent encore pas mal de cauchemars, le bestiaire de La Tour sombre peuple à jamais notre imaginaire... Ces emblèmes sont célèbres bien sûr, leur image a infusé au cours des années dans la pop culture, mais elles sont beaucoup plus compliquées à appréhender qu’il n’y paraît.

La preuve ? Malgré un budget conséquent, un réalisateur passionné par le projet et un studio plutôt désireux de prendre soin du projet, le Ça d’Andrés Muschietti a décidé d’abandonner purement et simplement la mythologie du texte originel. Adieu la Tortue Cosmique, adieu la très riche cosmogonie présidant à cet univers dément.

 

PhotoCujo, plus qu'une histoire de chien enragé

 

Souvent constituées d’allers-retours entre mondes matériels, introspection, voire plan astral, ces mythologies sont d’autant plus piégeuses pour le metteur en scène qui s’y risque, qu’elles s’accompagnent de ruptures de ton spectaculaires. De même, l'éprouvant Cujo n'ose pas reprendre dans sa totalité l'intrigue du roman, d'une noirceur extrême, ni son discret, mais traumatisant pendant fantastique, pas plus que son allégorie des violences faites aux enfants. Mêler série B d'attaques animale et mise en abyme symboliste, voilà qui devrait paraître trop périlleux.

L’exemple le plus frappant en la matière demeure peut-être Dreamcatcher, l'attrape-rêves, qui conjugue scènes d’horreur scatologiques et gores, morts atroces de personnages attachants, délire métaphysique, trip de pure SF. Mélange dingo explosif, l’immense Lawrence Kasdan, scénariste de L’Empire contre-attaque, s’y cassera les dents comme jamais pour nous offrir un spectaculaire Z de l’espace.

Pour passionnantes que soient les mythologies de King, leur dimension protéiforme, leur amour du contraste et leur dimension grand-guignol parfois assumé en font un véritable champ de mines pour qui entend les adapter.

 

Photo Damian LewisDreamcatcher, ou l'indigestion mythologique

 

CAUCHEMAR PLEIN CADRE

Les écrits de Stephen King ont révolutionné l’horreur américaine, en piétinant l’équation établie par H.P. Lovecraft. Le Maître de Providence fut le chef d’orchestre de cauchemars reposant essentiellement sur l’imaginaire du lecteur, les arcanes d’Arkham étant peuplées d’abominations indescriptibles, de créatures mythiques, Les Grands Anciens, dont la seule vision rend fou n’importe quel humain. Cette conception du fantastique se rapproche naturellement du concept du hors-champ.

 

photo Simetierre"Tu le sens mon hors-champs ?"

 

C’est ce que le spectateur ne voit pas qui le laisse imaginer, re-fabriquer un monde de terreurs toutes personnelles, qu’il peut s’approprier et investir. Un concept qui traverse tout le cinéma fantastique, de La Féline de Jacques Tourneur, jusqu’au Projet Blair Witch. C’est d’ailleurs un cliché que chacun aura entendu des centaines de fois au cours de moult discussions : « je préfère l’horreur psychologique », « ce qui me fait vraiment peur, c’est quand on ne voit pas ».

Mais Stephen King fait voler en éclat cette logique et prend son spectateur, habitué aux murmures inquiétants des ténèbres, totalement par surprise. À la manière du clown de Ça, les monstres surgissent plein cadre chez King, impossible de détourner le regard. Les corps en putréfaction du Fléau s’étalent sur des milliers de km de routes dévastées, Carrie est aspergée devant tout son lycée de sang de porc, ce n’est pas quelques malheureux quidams qui sont vampirisés dans Salem, mais toute une ville.

Les porteurs de violence, quand King use du pseudo de Bachman, attaquent toujours en plein jour, baignés de soleil. Et si Leland Gaunt semble vouloir œuvrer discrètement dans Bazaar, c’est pour mieux laisser la rage et les vices des habitants exploser en plein jour.

 

PhotoOn n'échappe pas aux cauchemars du King, même en éteignant la lumière

 

Quand les cauchemars envahissent le quotidien, et le font dans la lumière, tout cinéaste qui se respecte fait face à un double défi extrêmement complexe. Tout d’abord, ce dispositif peut parasiter la notion de hors-champ, technique classique de tout réalisateur qui se respecte. Mais elle contient un autre défi : une bébête au cœur de l’image, qui ne doit pas être dissimulée, mais saisir aussi bien les personnages que le spectateur, nécessite des effets spéciaux et une direction artistique solides, pour que le film ne s’écroule pas.

La première adaptation de Ça en a fait les frais. Dans Ça : Il Est Revenu, les héros vont affronter la forme finale et spectaculaire de Grippe-Sou… qui s’avère aussi laide que lente et peu menaçante. Et le climax du film provoque une gêne durable.

Ainsi, malgré sa popularité, la valeur de son nom, devenu une marque grand public immédiatement reconnaissable, adapter Stephen King demeure un exercice difficile. Andrés Muschietti ayant raté le coche avec Ça : Chapitre 2 (retrouvez notre critique), on espère que Mike Flanagan saura conserver toute sa créativité aux commandes de Doctor Sleep, attendu dans les prochaines semaines.

 

photoRendez-vous le 11 septembre...

Tout savoir sur Ça : Chapitre 2

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commentaires
Leipreachan
07/11/2019 à 10:22

J'en profite pour rappeler le film 'Détour Mortel' (Big Driver), qui pour moi est un des rares, il y en a d'autres, film à dérouler à la fois le drame de la nouvelle et et l'univers parallèle ( Doreen) de King.
Une réussite...

Crise2nerf
11/09/2019 à 19:01

Perso pour avoir lu la quasi totalité de ses livres et nou elles et pour voir vu la quasi totalité des films tiré des romans, je peux dire que oui il y a des flops et qu'il y a de très bonne adaptation. Après je suis bon public, Carrie pour moi était pas mal, simetierre aussi. La tour sombre si il n'avait pas porté se titre aurait au fi am fait un bon film. Le shinning de kubric bof j'ai préféré le téléfilm en 2 parties.Apres c'est juste des films, qu'on aime ou pas. Mais avec le temps King c'est vraiment essoufflé. Certains de ses derniers romans sont quasi incompréhensible si tu n'as pas la culture US.
Bref dans tt les cas j'aime toujours découvrir une de ses adaptations.

Birdy
11/09/2019 à 09:54

@ Akitrash : Shining n'est pas gore, adapté par Kubrick au point de provoquer le courroux de King, qui renie le film, et pourtant, c'est un grand film, considéré comme un chef d'oeuvre de l'horreur...

Gripsou
11/09/2019 à 03:01

Le problème c'est pas tant la censure, ce ne sont pas les dents pointu, le sang et les tripes qui font un bon film d'horreur. On se moque beaucoup du telefilm, on le ringardise mais en attendant il est culte et nous a tous deja fait flipper, pourtant rien de gore. Non des effets sonores geniaux, un clown sans fioriture et imprévisible, un film finalement beaucoup plus psychologique. Non le problème c'est que tous les films d'horreur hollywoodiens sont formatés de la même façon. D'ailleurs les meilleurs film d'horreur au final ne sont ils pas fait par des réalisateur qui n'en ont jamais fait ?

Akitrash
10/09/2019 à 22:37

C'est pas King qui est difficile à adapter, c'est la censure à une certaine époque qui empêche de tout montrer pour toucher un large public et surtout les prods, scénaristes et réals qui bousculent les récits pour y apporter leur "touche"... Putain mais gardez votre vision, ou écrivez des scénarios originaux, et adaptez sans prendre de liberté... Putain!!!

Birdy
10/09/2019 à 21:46

@ Chris : Dome est génial, et le Fléau est quasi son meilleur. Ok pour la fin, je suis d'accord qu'elle est dans les deux cas moins forte que le reste, mais c'est pour le coup pas la faute de SK si la série Dome est une daube, et que le Fléau coute trop cher à adapter pour en faire une série digne du roman.

IlsFlottentTousEnBas
10/09/2019 à 17:39

Il y a quelques bonnes adaptations, qui ont su recréér à peu près l'univers glauque et inquiétant de certains romans, en suivant une trame assez similaire. Je trouve que le Simetierre (l'original), Carrie, Ça (l'original encore) et autres ont des scènes flippantes et bien réussies, telles qu'on les aurait imaginées en lisant. Pour Ça par exemple, la scene ou Beverly Marsh retourne dans son ancienne maison... ou les vues sur un étang croupissant avec le clown flottant au dessus de l'eau... sauf erreur, S King a eu une vue sur la réalisation de ces films.
Sans oublier les excellents mini films : l'homme qui finit recouvert de végétation, la chose qui tue les jeunes sur un radeau sur un lac... génial;)

sylvinception
10/09/2019 à 16:23

"La plupart des adaptations de King ne respectent absolument pas le matériel de base"

Mais quand c'est Kubrick tout le monde crie au génie, personne ne se plaint.
Comme dirait Mr Cyclopède : "Étonnant, non ??"

Chris
10/09/2019 à 14:25

Ses bons romans sont souvent bien adaptés (les évadés, la ligne verte, cujo, Brume, Christine, Carrie, etc..) mais il à énormément de romans très très moyens souvent dû à des fins qui sont un peu du grand n'importe quoi (Dome, le Fléau, les Tommyknockers, ça, etc..). Il faut dire Stephen King était surtout bon à ses débuts et avant qu'il ne commence avec toutes ses bondieuseries pour expliquer la fin de ses histoires. je préfère de loin Dean Koontz dans le même registre même si lui aussi est nettement moins bon maintenant.

Randall Flagg
10/09/2019 à 00:19

La plupart des adaptations de King ne respectent absolument pas le matériel de base, en exagerant a peine je suis sur qu'un nouveau film Christine pourrait se résumer comme cela :
Une voiture camaro rouge dotée d'une intelligence artificielle va péter un plomb et massacrer des gens.

J'attendais énormément de l'adaptation de la tour sombre, ça aurait pu être aussi grandiose que le seigneur des anneaux... on s'est retrouvé avec un navet pompeux doté d'une happy end, a croire que personne n'avait lu les livres avant de se lancer dans le projet.

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