Vigilante : vengeance et justiciers, retour sur un genre imprimé dans l'ADN des USA

La Rédaction | 11 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 11 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Vigilante débarque en France en vidéo. Ce récit d’une vengeance menée par Olivia Wilde est l’occasion rêvée de revenir sur un des sous-genres les plus intéressants du cinéma américain.

Flic, voyou ou citoyen ordinaire le vigilante est cet individu qui prend les armes afin d’obtenir justice, pour lui-même et éventuellement pour sa communauté. Figure présente dans le cinéma traditionnel, d’auteur, grand public ou d’exploitation, elle prend constamment le pouls de la société qu’elle dépeint. Ce cinéma de la vengeance a été abondamment incarné par quantité de productions italiennes, françaises (Le Vieux fusil, plein de trucs régressifs avec Alain Delon), mais c’est bien du cinéma américain qu’il tire sa sève.

Alors, pourquoi le vigilante est-il inscrit dans l’ADN américaine, et quelles pourraient en être les prochaines mutations ?

 

 

L’ENNEMI, C’EST L’ÉTAT

Avant de se cristalliser en un sous-genre urbain gorgé de libertarisme, le vigilante trouve ses racines dans la mythologie américaine première : le western. Les légendes de la Conquête puis de la maîtrise de l’Ouest Sauvage prennent place dans un vaste territoire, le plus souvent hostile, que les institutions ne dominent pas encore intégralement, quand elles n’en sont pas tout simplement absentes. Ainsi, le héros américain séminal est toujours un homme obligé de rendre la justice lui-même.

Et s’il peut être shérif, il constitue généralement le seul représentant de l’ordre, aucune illusion pour le spectateur, c’est bien toujours un individu, un personnage, qui se dresse contre le Mal, contre l’injustice ou la violence des hommes. Au fur et à mesure des transformations du western, voire de sa décadence, le justicier va se faire vengeur. Un film, plus que tous les autres, symbolise ce passage de flambeau et l’altération du cowboy solitaire vers le genre qui nous intéresse.

 

 

Clint Eastwood traverse une petite ville sur le point de se transformer en enfer

 

Il s’agit de L'Homme des hautes plaines, où la revanche est si terrible, le discours si noir que l’anti-héros joué par Clint Eastwood menace parfois de faire sombrer la bourgade de Hell dans le fantastique. Ce n’est sans doute pas un hasard si le film, qu’Eastwood met lui-même en scène, symbolise cette transmutation. Il va devenir l’emblème du vigilante movie avec L'Inspecteur Harry. Certes le personnage est encore un représentant de la loi, mais cette dernière tend à le rejeter et à se boucher le nez devant ces agissements.

 

Ce bon vieil Harry

 

Le vrai, l’authentique vengeur, celui qui agit par soif de justice va devoir s’extraire des institutions. Car au cœur des États-Unis, encore lacéré par le souvenir de la Guerre de Sécession, le droit de posséder une arme (et donc d’en faire éventuellement usage), c’est la garantie du droit à l’insurrection, la capacité du citoyen à résister face à un pouvoir fédéral éventuellement irresponsable, voire délétère.

 

Photo 2 Death WishCharles Bronson

 

Et ce sera bien souvent, pour ne pas dire toujours, le point de départ du vigilante movie. L’institution judiciaire est incapable de protéger tout un chacun, ne reste plus aux victimes qu’à faire justice elles-mêmes. Un concept qui apparaît chimiquement pur dans Un justicier dans la ville, classique de Michael Winner, qui restera le rôle emblématique de Charles Bronson. Avec le recul, plus encore que cette licence qui va rapidement virer à la série B droitarde tendance massacre rigolard, c’est un diamant noir de William Lustig qui encapsule totalement le vigilante movie.

 

 

Il s’agit de Vigilante - Justice sans sommation !, qui réussit en 1981 à nous offrir la synthèse de ce mouvement. Un électricien innocent voit sa famille pulvérisée par les actes violents d’un gang, refusant d’abord de se lier à la milice citoyenne qui veut le recruter, il finira par massacrer les meurtriers et le juge qui n’a pas pu les faire condamner, avant de disparaître dans le lointain, enfin reconnecté avec l’héritage symbolique du cowboy.

Parallèlement, le vigilante movie ne cesse de se transformer et de se mélanger, notamment au film d’horreur, offrant ici et là des Dernière maison sur la gauche ou des I spit on your grave. Parfois, ce sont des auteurs aussi brillants qu’Abel Ferrara qui s’emparent de ses codes, avec L'Ange de la vengeance. Mais il s‘agit plus de pas de côtés, de conjugaisons (parfois vertigineuses et brillantes) que de métamorphoses durables.

 

PhotoL'Ange de la Vengeance d'Abel Ferrara

 

VERS UN SUPER VIGILANTE

Le cinéma américain triomphe, l’URSS est tombée, les médias grand public évoquent sans douter de rien la « fin de l’histoire » le soft power venu des États-Unis semble irrésistible. Et par conséquent, ses figures se développent et croissent, jusqu’à l’embonpoint, jusqu’à l’explosion. Le Vigilante, cet homme en miettes, cette victime de l’Etat qui l’a trahi, obligé de répandre la violence et la Mort pour l’honneur des siens et pour la Justice, ce héraut du droit du talion, peut-il devenir un super-héros ?

À partir de 1989, la question va se poser. Et ce, dès le Batman de Tim Burton. Bien sûr, le cinéaste n’a pas inventé le trauma de Bruce Wayne consécutif au meurtre de ses parents, Bob Kane et Bill Finger y ont pensé bien avant lui et fait un élément constitutif de la mythologie du Chevalier de Gotham. Mais en faisant du Joker l’assassin des parents de Dark Knight, Burton donne une dynamique franchement différente au personnage et fait de la vengeance une de ses motivations, et de Batman une sublimation du Vigilante.

La même dynamique est à l’œuvre dans Darkman de Sam Raimi. Le futur réalisateur de Spider-Man rêve de créer son propre super-héros. Et ce dernier, incarné par Liam Neeson, a pour première motivation la vengeance. Il ne connaîtra pas le même succès, mais le Punisher de Mark Goldblatt avec Dolph Lundgren participe de cette super-héroïsation du vengeur.

 

Un Darkman avec quelques problèmes de peau

 

La tendance se poursuivra, alors que le cinéma américain intègre l’actualité terroriste au genre (Dommage collatéral) pour culminer avec l’adaptation de V pour vendetta. On ne reviendra pas sur les profondes infidélités envers l’œuvre d’Alan Moore, pour se concentrer sur le film. Il s’agit peut-être du métrage qui sacralise le plus le vengeur, la quête mortifère du citoyen abandonné.

Consécration totale, mais aussi chant du cygne, car depuis 1999 et le massacre de Columbine, une transformation travaille le corps social américain et s’apprête à questionner son rapport à la représentation de la violence. Une transformation qui a d'ailleurs récemment imprégné l'imagerie de la série The Punisher sur Netflix, qui fait clairement l'amalgame entre son héros et les tueurs de masse.

 

photoVigilante, super-héros, saveur de l'humanité ?

 

VERS UN VIGILANTE POST-NRA ?

Moins de 15 ans séparent cette vague héroïque de vengeurs du film Vigilante, et pourtant, ils n’ont plus grand-chose en commun. Le gouffre qui les distingue paraît presque insondable. On pourrait arguer que c’est le sexe féminin de l’héroïne à laquelle Olivia Wilde prête ses traits qui est la clef, mais ce serait une réflexion infiniment superficielle, et inexacte.

 

Quand Gerard Butler se prend pour le fils de McGyver et Hannibal Lecter

 

Le genre a déjà accueilli des héroïnes féminines, et encore tout récemment Jennifer Garner. Cette dernière était à l’affiche de Peppermint, récit de vengeance qui s’imaginait badass et hardcore, mais fut ignoré par le public et boudé par la critique. À vif, sorti 10 ans plus tôt, a correctement enjaillé le box-office, mais n’a pas laissé la moindre trace dans les mémoires, pas plus qu’il n’a bénéficié à la carrière de Jodie Foster.

Plus proche de nous, c’est Death Wish, reboot d’Un justicier dans la ville, qui a été écorché vif par les spectateurs et les critiques. Malgré une tentative de second degré, en dépit d’un ton trop ouvertement stupide pour être pris au sérieux, le métrage a été extrêmement mal reçu, pris comme un doigt d’honneur à la fois envers le mouvement Black Lives Matter, et une mécompréhension totale du mouvement de fond qui traverse une partie de la société américaine.

 

Un premier rôle amer et terrible pour Hailee Steinfeld

 

Alors que plusieurs centaines de tueries de masse ensanglantent chaque année les États-Unis, l’image d’un blanc trimballant une arme de gros calibre pour flinguer à tout va prend un sens bien différent et fait de plus en plus violemment écho à une actualité dont l’horreur paraît grandir exponentiellement.

Une frange du cinéma hollywoodien a senti cette bascule et logiquement, le Vigilante Movie a entamé une nouvelle mue, très progressive. On pourrait en situer la naissance avec Death Sentence, de James Wan. Kevin Bacon y joue un père en quête de vengeance, mais qui tuera le plus souvent involontairement, et s’en trouvera tout de même visuellement « maudit ». En revoyant le film aujourd’hui, difficile de ne pas frissonner devant la transformation physique du personnage qui, s’il tente de sauver son âme, ressemble de plus en plus clairement à un skinhead.

 

photo, Olivia Wilde Olivia Wilde dans Vigilante

 

C’est peut-être un remake d’un classique de la vengeance qui annonce la révolution à venir : le True Grit des Frères Coen est un western d’une amertume, d’un désenchantement et d’une tristesse peu communs, même pour qui connaît leur œuvre. Comme au lendemain de la mort de Kennedy puis du meurtre de Sharon Tate, la violence n’est plus franchement un jeu, et quiconque s’empare d’une arme verra son bras tranché.

Désormais, il n’y a plus guère que les super-héros pour massacrer dans le cool, détruire des villes entières et se faire à peine gronder par l’ONU. La vengeance a changé de sens, changé de terrain.

 

photo, Olivia WildeOlivia Wilde et beaucoup de cheveux dans Vigilante

 

C’est ce dont témoigne implacablement Vigilante. Sur le papier, tous les ingrédients sont réunis. Olivia Wilde prête ses traits à une femme, longtemps battue par un mari dont elle doit se venger, tandis qu’elle s’organise afin de protéger d’autres femmes de compagnons abusifs. Ici aussi, les institutions ont échoué, ici aussi, c’est l’individu, la citoyenne qui incarne un ultime rempart. Ici aussi, on se reconnectera, le temps d’un troisième acte enneigé, avec les grands espaces de la mythologie américaine.

Mais on ne pourra plus désormais jouir de voir un personnage se muer en un bras armé de justice. Le gros B qui tâche Que justice soit faite (2009) souffrait d’une schizophrénie totale, incapable de déterminer si son Gerard Butler vengeur était positif ou négatif, comme pour mieux témoigner de la déconnexion du genre avec notre époque.

Vigilante, lui, parvient à convoquer toute son histoire, pour en proposer une forme nouvelle.

Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

 

visuel DVD

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commentaires
Hocine
14/09/2019 à 10:12

Le western constitue sans doute la source du vigilante movie.
Dans Death Wish (1974) de Michael Winner, le personnage joué par Charles Bronson aura une révélation lors d’un déplacement professionnel en Arizona où il assistera à un spectacle de western en plein air. De plus, son client lui offrira en guise de cadeau, une arme à feu. Dans une autre séquence du film, Charles Bronson déclare à son gendre que les pionniers américains avaient appris à se défendre eux-mêmes plutôt que de s’en remettre aux autorités officielles. Toutes ces séquences annonçaient la métamorphose de cet architecte, ancien objecteur de conscience, en justicier ou vigilante.
Charles Bronson, sous les traits de Harmonica, incarnait déjà un homme en quête de vengeance dans Il Était une Fois dans l’Ouest.

L’Homme des Hautes Plaines (1972) de Clint Eastwood est un exemple de choix pour illustrer les histoires de vengeance dans le cinéma américain et particulièrement, dans le cinéma d’Eastwood. Cependant, on peut également citer un autre western avec Clint Eastwood, qui oppose d’un côté, les lynchages sans procès et de l’autre, les exécutions publiques décidées par les institutions judiciaires de l’Etat fédéral. Il s’agit de Hang’em High (1968) de Ted Post. En français, le titre est Pendez-les Haut et Court, le premier film américain dans lequel Clint Eastwood tient la vedette. Ce film contient déjà une grande partie des éléments du cinéma de Clint Eastwood: la violence, la justice, la vengeance, la mort, l’individu face aux institutions de l’Etat.
Même si dans Pendez-les Haut et Court cette thématique n’est pas très développée, il y a aussi l’homme revenant de la mort.
Ted Post a aussi réalisé Magnum Force (1973), la suite directe de L’Inspecteur Harry (1971).
Magnum Force devait au départ s’intitulait Vigilante.
Clint Eastwood va explorer le thème de la vengeance dans plusieurs autres films: Josey Wales Hors-la-loi (1976), Pale Rider (1985), La Relève (1990), Impitoyable (1992), Les Pleins Pouvoirs (1996), Gran Torino (2008) et American Sniper (2014).
Sans oublier Sudden Impact (1983), dans lequel l’inspecteur Harry sera confronté à une femme, victime avec sa sœur d’un viol collectif, qui se muera 10 ans plus tard en une justicière.

Simon Riaux
13/09/2019 à 13:08

@Bubblegum

On en avait dit beaucoup de bien (je crois que c'était un de mes tous premiers textes pour EL).

Mais bon, dans un dossier sur les vigilante américains... C'est un peu briton quoi.

Bubblegum
13/09/2019 à 13:05

"Harry Brown" putain les gars !!!
Michael Caine qui flingue des racailles de cité !!!
Le tout dans un super scope !
Ju-bi-la-toi-re

The Moon
13/09/2019 à 02:12

Faster avec the rock est un bon vigilante movie.
Le scenario tiens la route et les personnages sont sympa.
BO de Clint Mansel.
Gang of New York également mais bon vous ne pouviez pas citer tout les films...

Dutch Schaefer
12/09/2019 à 18:32

Etrange, j'ai toujours kiffé ce genre de flm depuis Bronson et son Paul Kersey!
Ca m'excite le mec qui exécute sa vengeance en solo!
(je dois être facho finalement.... MDR)

PS: vous avez oublié un mur porteur de ces films "vigilante" (et pas des moindres...) THE EXTERMINATOR (Le Droit de Tuer) avec le brillant Robert Ginty et L'IMMENSE Steve James!!!!!!

Pat
12/09/2019 à 12:37

Un genre que j'aime bien et il est surtout bon quand c'est une série B.

Akitrash
12/09/2019 à 10:57

la vague I Spit... et La dernière maison... c'est plus du Rape & Revenge que du vigilante movie... Par contre on oublie souvent de citer Rolling Thunder, avec William Devane et Tommy Lee Jones, véritable classique du genre, et A vif qui a clairement inspiré ce Vigilante!

franck drebbin
11/09/2019 à 20:41

Sang froid avec Liam Nesson dernièrement. C'est un remake, peut être pour ça qu'il n'est pas dans votre liste.

Simon Riaux
11/09/2019 à 17:01

@Adam

Dans les comics, indiscutablement, dans le film, il me semble qu'il y a quand même une grosse emphase mise sur sa vengeance.

Adam
11/09/2019 à 16:59

Par contre je suis un peu dubitatif sur l'idée de citer V comme vigilante vu que c'est surtout un personnage contestataire ayant plus comme antagoniste l'état totalitaire que les gangsters du coin

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