Trust, Simple Men, Unbelievable Truth : Hal Hartley, ce réalisateur génial entre Bertrand Blier et John Hugues

Geoffrey Crété | 28 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 28 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La ressortie de sa Long Island Trilogy est l'occasion de reparler de Hal Hartley.

Dans les années 90, c'était le nom sur toutes les lèvres : Hal Hartley. Révélé avec The Unbelievable Truth, très remarqué à Sundance en 1990, il est monté en puissance en l'espace de quelques années, avec Trust en 1991 puis Simple Men, présenté à Cannes en 1992. Depuis, il y a eu Amateur, Henry Fool, No Such Thing, Fay Grim ou Ned Rifle, mais ces trois premiers films, regroupés sous le nom de Long Island Trilogy, restent parmi ses plus aimés.

Les Films du Camélia ont eu la bonne idée de les ressortir en France. De quoi donner envie de reparler de ces trois comédies douces-amères et uniques.

 

 

THE UNBELIEVABLE TRUTH

Le film fondateur où erre pour la première fois la bouille insolente d'Adrienne Shelly et la belle gueule de Robert John Burke. Tourné en 11 jours pour 75 000 dollars en 1988, The Unbelievable Truth ouvre les portes de l'univers du cinéaste avec une clarté étonnante.

C'est l'histoire d'Audry, une adolescente rebelle, trop intelligente et consciente du monde pour son propre bien, et de Josh, qui sort de prison et retourne dans sa ville. Elle a peur de la fin du monde et veut devenir mannequin professionnel, lui est un mécanicien qui arrive habillé en prêtre. C'est une histoire d'amour improbable, étrange, où Hal Hartley affiche son goût pour la poésie adolescente, l'humour décalé, les dialogues qui fusent et les gueules de cinéma. Son Long Island natal se transforme en scène de théâtre faussement réaliste, toujours susceptible de glisser vers l'absurde, tandis que le gouffre générationnel fracture les communautés endormies pour créer une porte de sortie aux esprits les plus marginaux.

C'est l'entrechoc entre l'innocence et la violence, le teen movie et le drame, le feel good movie et la fable existentielle. Un peu comme si John Hughes et Bertrand Blier se rencontraient et s'apprivoisaient. 

Dans la même scène, en quelques dialogues, les personnages parlent guerre nucléaire inéluctable et obsolescence programmée des machines à laver. Il y a des monologues hors du temps, de la musique inattendue, des cartons type "Pendant ce temps" qui apparaissent à l'écran. Il y a un vent de liberté, mi-optimiste mi-inquiet, qui annonce la naissance d'un réalisateur pas comme les autres.

 

photo, Bill Sage, Adrienne ShellyUn couple mal assorti qui symbolise toute l'ambivalence de Hal Hartley

 

Il y a surtout Adrienne Shelly et Robert John Burke, deux futurs visages emblématiques du cinéma de Hal Hartley. C'était le premier film de l'actrice, et elle incarne à la perfection cette énergie des années 90, comme une cousine de Winona Ryder, qui explose au même moment. Elle porte toute la fraîcheur et la mélancolie de l'époque, et promène son attitude de bad girl avec une assurance folle.

Robert John Burke démarre lui aussi sa carrière, et impose l'homme selon Hal Hartley : une force tranquille, une allure de beau mâle qui cache un cœur de doux poète fragile. C'est une sorte de fantasme, encore plus frappant à la sortie des années 80, où les codes virils ont forgé une tout autre image des héros américains.

Il y a même Edie Falco, future madame Soprano géniale dans un second rôle, qui a l'une des scènes les plus absurdes du film - "So come on, what do you say ? I know what you need...". Elle tournera plusieurs fois chez Hartley elle aussi.

Cette ligne de tension est omniprésente à tous les niveaux dès The Unbelievable Truth. D'un côté, Hal Hartley force l'artificialité, avec des personnages statiques, précisément placés dans le cadre, et qui récitent des dialogues profonds d'une voix atone. De l'autre, son premier film transpire la vitalité, l'envie de s'affranchir des conventions et écrire son propre langage cinématographique. Ruptures de ton, longs silences qui laissent place à des ping-pongs verbaux... quelque chose se passe à l'écran. Une voix émerge, et Hal Hartley arrive dans le paysage à l'aube des années 90.

 

photo, Adrienne ShellyUne héroïne flamboyante à l'aube des années 90

 

TRUST

À la fin de The Unbelievable Truth, Hal Hartley faisait dire à sa muse "You have to trust me" à l'homme qu'elle aime, qui répondait "I don't trust anobody". Ce n'était pas un problème pour aimer, et c'est même la condition dans Trust qui fonctionne en miroir avec son premier film - et pas simplement parce qu'il y a de nouveau Adrienne Shelly.

Elle s'appelle maintenant Maria, et rejette toujours l'école. Dès le début, le découpage est net et précis, et les enjeux établis. Une dispute, une gifle, un regard, une crise cardiaque, un "He's dead". Et le titre. L'adolescente rose bonbon va errer jusqu'à croiser la route de Matthew, un réparateur spécialisé dans l'électronique, qui en a assez de réparer. La crise est totale et définitive, ils vont tous deux démissionner de leurs vies (par choix ou de force), et ces deux perdus vont se trouver.

Apparaît ici un autre visage marquant du monde de Hal Hartley : Martin Donovan. Loin du mécanicien introverti et paisible de L'Incroyable vérité, il brûle intérieurement.

 

photo, Martin Donovan, Adrienne ShellyUn autre couple purement Hal Hartley

 

Hal Hartley a plus d'argent que sur son premier film, mais pas beaucoup plus. Trust reste un pur film indépendant tourné en deux semaines, et mené par le vif désir du cinéaste de filmer à nouveau Adrienne Shelly. Il affine sa direction d'acteur et retranche sans cesse, disant "Fais-en moins, encore moins, je ne veux rien sur ton visage" au point de rendre un peu fous ses acteurs.

Encore plus que dans The Unbelievable Truth, il y a ici une lumière qui éclaire les ténèbres existentielles. Maria perd son père, sa mère l'en estime responsable, et Matthew vit sous le joug d'un père terrible et violent qui le rabaisse littéralement au sol à la moindre occasion. La fin n'est même pas vraiment heureuse. Mais de cette inconnue qui donne 5 dollars à Maria, à la rencontre entre ces deux âmes perdues et poussées en marge par leur famille, Hal Hartley ouvre une porte aux reclus, donne de l'espoir aux gens perdus, et les tire de leur arrière-plan pour en faire les héros de demain.

 

photo, Adrienne Shelly, Martin Donovan, Edie FalcoEdie Falco est de retour, en arrière-plan

 

SIMPLE MEN

Changement de perspective : les hommes prennent la place au tout premier plan. Il y a ainsi deux frères, Bill et Dennis, qui partent à la recherche de leur père légèrement instable, qui s'est échappé de l'hôpital. C'est le retour de Robert John Burke et Martin Donovan, et l'arrivée dans la galaxie Hartley de deux futurs visages incontournables : Bill Sage, et Elina Löwensöhn.

Il y a aussi l'un des premiers rôles de Holly Marie Combs, future sœur Halliwell de Charmed, au cinéma.

Moins statique, Simple Men ouvre de nouveaux horizons à tous les niveaux. Ce n'est plus un homme et une femme qui s'aiment, mais deux hommes, et deux femmes, et un autre homme, et beaucoup de problèmes à bien des endroits. Une nonne qui se bat avec un policier sur le bitume, une discussion profonde sur le sens et l'exploitation de la sexualité à partir de Madonna... Le cinéaste sort de sa formule, s'aventure, s'amuse

En témoigne son hommage décalé à Bande à part de Jean-Luc Godard. Ce n'est plus Anna KarinaSami Frey et Claude Brasseur dans un bar parisien sur du Madison, mais Elina Löwensöhn, Bill Sage et Martin Donovan sur Kool Thing de Sonic Youth, dans un diner paumé aux États-Unis.

 

 

Simple Men est présenté en compétition à Cannes en 1992, l'année où Sharon Stone renverse la croisette avec Basic Instinct et où Les Meilleures intentions de Bille August gagne la Palme d'or. Le film rencontrera un succès modeste en salles (environ 134 000 entrées), mais met pour de bon Hal Hartley sur les radars.

Entre temps, sur le tournage de Simple Men, il a reçu un fax de l'agent d'Isabelle Huppert, qui cherche à le contacter. Ils se rencontrent quelques mois après, elle a envie de tourner en anglais et s'amuser, et il lui écrit Amateur. Elle y joue une nonne nympho face à Martin Donovan et Elina Löwensöhn, et le résultat est étonnant et magique.

Il a réalisé Henry Fool, premier volet de sa future trilogie qui continuera avec Fay Grim (avec Parker Posey, un autre visage incontournable de son monde), puis Ned Rifle en 2014. Qu'il ait eu besoin de Kickstarter pour le concrétiser en dit long. En presque deux décennies, le paysage a changé. Hal Hartley est le premier à dire que sa place est fragile, et que sa carrière est un combat.

Sa Long Island Trilogy est donc empreinte d'une candeur révolue, celle d'une époque où le cinéma indépendant américain revenait en force, en beauté, et semblait inarrêtable comme ses héros. Raison de plus pour se replonger dans cette douce folie plus ou moins tuée depuis.

 

photo, L'Incroyable vérité, Simple men, Trust, Trust

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commentaires
Geoffrey Crété - Rédaction
29/09/2019 à 10:44

@Mathieu Germain

Je trouve cette vision de Blier bien simpliste, surtout "formellement assez pauvre".
Mais oui, il y a une différence et ce sont des cinémas différents, c'est pour ça que je parle de Hal Hartley comme d'un croisement entre Bertrand Blier et John Hugues pour ma part. La tendresse du teen movie.

Mathieu Germain
28/09/2019 à 19:28

Je remets ici un commentaire publié ailleurs concernant la comparaison Blier/Hartley :

"La froideur formelle apparente chez Hal renferme toujours de la tendresse, inversement, la froideur de Blier est nihiliste, sans espoir, et formellement assez pauvre."

Et pour les sous-titres en espagnol, je t'embrasse, Celestus

Faurefrc
28/09/2019 à 13:49

Intéressant l’article précédent sur Irishman avec un lien qui nous renvoie sur une page qui n’existe pas...
petit bug technique

Senor Celestus
28/09/2019 à 13:34

Coucou la rédac!

Pourriez-vous me dire s'il existe des éditions bluray des films de Hal Hartley contenant des sous titres en espagnol?

Gracias!

Senor Celestus
28/09/2019 à 13:33

Coucou la rédac!

Pourriez-vous me dire s'il existe des éditions bluray des films de Hal Hartley avec des sous-titres en espagnol?