Knives and Skin : pourquoi c'est un joyau noir qui réunit tout ce qu'on aime au cinéma

Geoffrey Crété | 15 novembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 15 novembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Knives and Skin de Jennifer Reeder, en salles le 20 novembre, est un gros coup de cœur.

Des airs de David Lynch côté Twin Peaks, et de Gregg Araki côté The Doom Generation et Nowhere : Knives and Skin est le coup de coeur de cette fin d'année. Sorti de nulle part, le film de Jennifer Reeder est à la croisée des genres, entre le thriller, le teen movie, le polar, voire le fantastique.

Et parce que cet OVNI incarne avec force, poésie et férocité un cinéma vivant et vibrant, on revient en détail sur sa valeur.

 

 

FILM DE CINÉPHILIE

Une jeune fille qui disparaît, une mère qui sombre dans la demi-folie, une communauté chamboulée, des révélations sur ce que cachent les vertes pelouses et couloirs de l'école... Impossible de ne pas penser à Twin Peaks. Même Carolyn Harper rime avec Laura Palmer. Et toutes deux rencontrent leur destin à proximité de l'eau, dans un nuage de sexualité et de brutalité confus, comme un ultime éveil des sens.

Le film de Jennifer Reeder évoque inévitablement le cinéma de David Lynch, et bien au-delà de cette enquête autour d'un mystère féminin. Dans les décors, les costumes, les maquillages ou la direction d'acteur, la réalisatrice a un appétit pour les effets appuyés, les couleurs saturées, et le trouble des extrêmes. Elle se joue du bon goût et de l'artificialité, créant un malaise qui tient en équilibre entre le rire et la peur.

 

Photo Twin PeaksUn visage à damner une ville

 

Le personnage interprété par Kate Arrington en est la meilleure illustration, avec son allure de poupée désaxée, qui semble tout droit sortie d'une publicité des années 50. Jennifer Reeder joue de ce cliché, pour donner un visage aux mensonges de cet american dream tordu. Et bien qu'ancré dans la modernité, son monde semble toujours désuet et attaché à quelque chose d'old school, comme une bulle hors du temps.

La cinéaste puise aussi bien du côté d'un Paul Thomas Anderson dans une scène musicale d'une douceur extrême, qui rappelle le playback magnifique de Magnolia, que d'un Gregg Araki ou d'un Todd Solondz. Rarement les troubles de la sexualité auront été si bien filmés et racontés, dans un mélange de brutale clarté et de tendre pudeur.

 

photo, Raven WhitleyLe spectre de Laura Palmer

 

HYBRIDE DES GENRES

Quand Knives and Skin commence, c'est dans une ambiance de film d'horreur rétro, où le rose et le violet viennent attaquer le visage de cette mère aux portes de la folie, armée comme pour venir trucider sa progéniture. Puis, le film va dans le thriller aux frontières du polar, avec cette disparition, et cette enquête qui soulève bien des questions sur Carolyn Harper et ses proches.

Une énigme qui déverrouille la communauté, et ouvre une brèche teen movie autour des amies de la disparue. Qui aimer, comment aimer, comment toucher et être touchée, pourquoi et par qui : c'est là tout le champ des possibilités angoissantes de l'adolescence, où errent les filles secouées par l'absence de leur amie.

Mais il n'y a pas que ça. Un parfum de fantastique, de drame et parfois même de comédie balaye cette ville. Qu'un corps se traîne dans les herbes sauvages, qu'un ventre se révèle ou qu'un horizon lointain se place en sortie de secours, et Knives and Skin montre ses multiples visages, tour à tour beaux, étranges, et effrayants.

 

photo, Marika EngelhardtUne maman aussi investie qu'inquiétante

 

THÉÂTRE TEEN-APOCALYPSE

Knives and Skin résonne avec une autre œuvre magnifique et puissante qui a marqué bien des esprits cette année : la série HBO Euphoria. Les deux partagent ce même goût pour les belles gueules inconnues, les peaux qui brillent de strass, les larmes qui coulent sur les maquillages aberrants. Les héroïnes de la série pourraient croiser celles du film, et nager dans le même océan de pop mélancolique, où tout ce qui brille n'est qu'un leurre pour camoufler les peurs et les drames - sans la drogue ici.

Derrière elle, il y a le décor habituel où le conte américain est toujours fissuré : la petite ville faussement tranquille, qui semble aussi ordinaire que seule au monde. Cet endroit a été vu et filmé mille fois, mais Jennifer Reeder parvient à le réinventer, le faire sien, dans une sorte de fantasme désuet entre béton et forêts, modernité et désuétude.

 

photoDes personnages forts, complexes

 

FÉMINISME POP

Une adolescente qui revend ses sous-vêtements à des hommes mûrs, un professeur aussi charmant qu'inquiétant qui s'approche un peu trop d'une élève, deux filles qui se retrouvent dans les toilettes pour échanger des objets transformés par leur plus folle intimité... Knives and Skin regorge de scènes et d'images troublantes, qui questionnent la sexualité, les codes, la morale, incitant le spectateur à toujours prendre un instant pour se demander s'il est confronté à la beauté, l'horreur, ou quelque chose de plus étrange entre les deux.

Le regard de Jennifer Reeder refuse tout manichéisme, toute diabolisation. Ce ne sont pas les hommes vs les femmes, les enfants vs les adultes, mais une cartographie orageuse d'une société où les lignes ont été déplacées ou effacées. La disparition de Carolyn Harper est une énigme, mais une énigme totale, pour tous, qui révèle aussi bien la violence des rapports entre les uns et les autres, que l'opacité de chaque individu.

Et la réalisatrice a aussi déniché des actrices sensationnelles pour donner vie et corps à cet univers. Grace Smith, Ireon Roach, et Kayla Carter sont remarquables, et impriment une très forte personnalité à l'écran, chacune à sa manière.

 

photoUne scène aussi étrange que perturbante

 

FILM FOU

Au fond, il y a surtout l'impression d'avoir plongé dans un rêve à demi éveillé, et traversé un arc-en-ciel pop et noir de couleurs et émotions. Jennifer Reeder compose une mélodie tour à tour angoissante, absurde, émouvante et excitante, d'une liberté folle. La musique originale composée par Nick Zinner (guitariste des Yeah Yeah Yeahs) est d'ailleurs très belle, et le film met en scène des reprises étonnantes de chansons de New Order, The Go-Go's ou Cyndi Lauper, baignant le récit dans une atmosphère délicate, servie par la belle photo de Christopher Rejano.

Peu importe si Knives and Skin peut sembler aller trop loin, ouvrir trop de pistes, aborder trop de thématiques, et avoir trop de ruptures de rythme ou parenthèses décalées : c'est un film qui respire le cinéma, qui déborde d'idées et d'envies, et invite à pénétrer dans un monde qui ne ressemble à aucun autre. C'est donc un film risqué, pas comme les autres.

 

photoUne des scènes les plus fortes et douces

 

Knives and Skin sort le 20 novembre, et mérite de trouver une petite place aux yeux du public curieux, avide de nouvelles propositions, de nouveaux visages, et de formes libres et assumées.

Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

 

Affiche française

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commentaires
Guéguette
15/11/2019 à 14:23

Yumi Yumi

Numberz
15/11/2019 à 13:52

Je l'ai mis en favori il y a longtemps dans l'optique de le voir un jour. Content que ce soit un bon film.

Roukesh
15/11/2019 à 13:27

La direction à l'air dingue juste avec vos quelques images. Je n'avais même pas entendu parler de ce film, à tenter. Merci la rédac' pour le tuyau.