Star Wars et la philosophie : qu'est-ce que la saga des étoiles raconte de nous ?

Christophe Foltzer | 11 janvier 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 11 janvier 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

On a beaucoup parlé et écrit sur Star Wars ces derniers mois. Peut-être un peu trop d'ailleurs. La faute à la sortie de L'Ascension de Skywalker le 18 décembre dernier, point final à un pan entier de cet univers et sujet de toutes les prises de bec depuis. L'occasion aussi de se prêter à un exercice quelque peu inattendu.

Mettons les choses au clair tout de suite, il ne sera pas question ici de donner notre avis sur la saga, sur ses qualités, ses défauts, ses succès ou ses ratés, nous avons déjà largement écrit sur ces sujets et on vous invite d'ailleurs à aller lire les différents dossiers que nous leur avons consacrés. Non, ici, nous allons opter pour une approche totalement différente qui mérite cependant une petite contextualisation en premier lieu.

Comme toute oeuvre de l'esprit humain, Star Wars contient un certain nombre de préceptes ou de messages, conscients et inconscients et, lorsque l'on crée un univers comme celui-ci, façonné sur la durée, il y a de grandes chances pour qu'il reflète les convictions profondes de ses différents bâtisseurs. Une philosophie de vie, pour résumer, qui a beaucoup à nous apprendre sur ses géniteurs comme sur nous-mêmes. Bien entendu, il ne s'agit pas de prendre ces préceptes pour des vérités établies, nous serions alors en plein dogme aveugle, à la limite du fanatisme, mais bien comme des éclairages distanciés prompts à enrichir notre réflexion personnelle et notre découverte de nous-mêmes.

 

photo, Daisy RidleyUne recherche constante

 

C'est d'ailleurs pour cela que la saga est aussi culte et importante, parce qu'au-delà de son histoire, elle parle à un niveau beaucoup plus profond chez ses fans. À un niveau philosophique, voire existentiel pour certains. En 2015, le philosophe Gilles Vervisch sortait Star Wars - La philo contre-attaque, qui s'intéressait aux deux premières trilogies sous l'angle philosophique et analytique, dans un style léger et volontiers humoristique par instants.

Une vulgarisation très efficace qui a trouvé une suite il y a quelques semaines avec Star Wars - Le retour de la philo, tous deux publiés aux éditions du Passeur. Deux ouvrages de grande qualité qui nous ont donné envie d'aborder la saga sous un angle philosophique, en abordant certains thèmes difficilement choisis parmi la profusion à disposition, tout en restant assez basiques face à des concepts que nous ne maitrisons pas forcément et pour que votre lecture reste confortable. Nous partons donc de ces deux livres pour construire notre propre réflexion, n'attendez donc pas du simple copié-collé.

 

photoAllez, c'est parti, on plonge !

 

LE BIEN, LE MAL, ET NOUS, AU MILIEU

Star Wars, c'est avant tout une histoire de lumière et d'obscurité, de deux pôles antagonistes, mais complémentaires, dans un équilibre précaire qu'il ne faut surtout pas déranger, sous peine de voir ce que l'on craint prendre le pas sur ce que l'on désire. C'est toute la problématique d'Anakin Skywalker, de La Menace fantôme au Le Retour du Jedi, de prendre parti, de s'accomplir dans toutes ses nuances de gris pour, plongé en plein coeur de ses ténèbres, retrouver la voie vers la Lumière.

Dark Vador est devenu très rapidement une des figures majeures du Mal dans la pop culture. Évidemment, maintenant, c'est un peu différent puisque sa quête n'est qu'une lente et nécessaire rédemption. Pourtant, par son apparence et ses actions, il figure le Mal, tout comme l'est également l'Empereur Palpatine jusque dans L'Ascension de Skywalker. Mais encore faut-il savoir de quoi on parle parce que, au fond, c'est quoi le Mal ?

 

photo, Adam DriverCogito ergo seum

 

Saga manichéenne, Star Wars nous en dévoile rapidement l'origine : le Mal provient des Seigneurs Sith, ces chevaliers du côté Obscur. Pourtant, ce serait bien trop facile de se contenter de ça, quand on voit tous les efforts qui sont déployés pour attirer Anakin, Luke, Ben Solo ou encore Rey du mauvais côté de la Force. On en viendrait donc à penser qu'on ne peut corrompre un être de Lumière s'il n'est que lumière. Aussi, dans ces conditions, cela voudrait dire que chacun des héros possède également une part d'ombre en lui, dès le départ. En clair, chacun est composé d'ombre et de lumière, de Mal et de Bien, si tant est que ces deux concepts veuillent dire quelque chose une fois affranchis de la morale.

Et l'inverse est tout aussi vrai puisque Palpatine ne s'est pas fait tout seul, il a été guidé et entrainé par un Seigneur Sith également, qui lui a montré la voie du côté Obscur. Cette puissance maléfique primordiale n'aurait donc pas baigné dès sa naissance dans une soupe de Mal comme un poisson dans l'eau, il a fallu la former, la tailler, l'affiner pour la rendre efficace. Palpatine ne serait donc que le dépositaire d'une tradition encore plus ancienne. Ce qui nous ramène au même point : d'où ça vient, le Mal ?

 

PhotoLa source du Mal ?

 

C'est probablement une question piège qui mérite que l'on s'y attarde de manière un peu détournée. Le Mal et le Bien ne sont que questions de subjectivités : ce qui est bien pour l'un peut être mal pour l'autre, c'est tout le problème des religions et des idéologies. Cela signifierait donc que le Mal et le Bien n'ont, à proprement parler, pas d'existence réelle pour et par eux-mêmes. Tout ne serait que question de point de vue. Et une affaire de simplification également. Avant tout même. Car simplifier, c'est identifier et séparer, ce qui est très pratique pour justifier ses actions.

De ce fait, ces deux concepts n'existeraient pas en tant que tels, mais par les conséquences de certaines actions, bonnes ou mauvaises. On ne nait pas bon ou mauvais, on le devient, et toujours selon un référentiel très précis. Une transformation intérieure lente et complexe, soumise aux événements extérieurs comme nous le prouve le parcours d'Anakin Skywalker, glissant sûrement vers le côté Obscur par les nombreux drames et sacrifices qui alimentent ses manques affectifs et ses idées noires. Tous les potentiels sont là dès le départ, ancrés en chacun de nous, et notre orientation future n'est que la conséquence de ce que nous en faisons dans notre contact avec la Réalité. L'impact qu'elle a sur nous, les traces qu'elle laisse aussi et les blessures qu'elle crée.

 

photoUn mal pour un bien ?

 

La question de l'origine du Mal pourrait aussi remettre en cause l'existence du divin. Pourquoi Dieu aurait-il permis la création du Mal s'il n'est qu'amour ? Dans quel but ? Quel est l'objectif ? Le philosophe Epicure posait déjà la question dans l'Antiquité :

"[La force supérieure ou la divinité] a-t-elle la volonté d'empêcher le mal, mais non le pouvoir ? Alors elle est impuissante. En a-t-elle le pouvoir, mais non la volonté ? Alors elle est malveillante. En a-t-elle à la fois le pouvoir et la volonté ? D'où vient alors qu'il y a du mal ?"

Une question à laquelle tentera de répondre le philosophe David Hume, des siècles plus tard, dans ses Dialogues sur la religion naturelle :

"La vraie conclusion, c'est que la source originelle de toutes choses est entièrement indifférente à tous ces principes, et ne préfère pas le bien au mal."

Ainsi pourrait-on conclure cette partie en supposant qu'au fond, le Bien comme le Mal n'existent pas en eux-mêmes et ne trouvent leur sens que dans les actions des Hommes. Ainsi donc, on ferait le Mal, mais on ne serait jamais vraiment le Mal. Ce qui vaut aussi pour le Bien, évidemment. Malgré son manichéisme affiché, la saga Star Wars tendrait à nous le prouver, via les parcours de Dark Vador et Kylo Ren.

 

photoLe Bien contre le Mal, vraiment ?

 

LA RÉPUBLIQUE, L'EMPIRE ET LA SERVITUDE VOLONTAIRE

La prélogie nous parle d'un temps terrible pour la galaxie : le basculement de la République vers la dictature sous les applaudissements du Sénat, face à une Padmé mortifiée. Un Empire qui, à peine constitué, s'échinera à effacer le passé qui l'a précédé en éliminant l'ordre Jedi. Comme pour faire oublier qu'il existait, avant, une alternative au règne proposé. Les parallèles avec les grandes dictatures de notre monde sont plus qu'évidents et elles reviennent en tête très rapidement, ce qui confère automatiquement une certaine "épaisseur" à l'Empire de Palpatine.

Pourtant, alors que l'Empire semble s'être imposé par la force (et non par la Force), on oublie un détail essentiel : il n'est arrivé au pouvoir que parce qu'on le lui a accordé de notre plein gré, convaincus de sa légitimité à un moment donné. C'est un exemple qui en rappelle beaucoup d'autres et notamment l'accession au pouvoir de Jules César lorsque, en 46 av. J.-C., le Sénat lui accorde les pleins pouvoirs en le nommant dictateur pour 10 ans. Dans la Rome Antique, la notion de dictateur n'est pas aussi péjorative qu'aujourd'hui, c'était une fonction exceptionnelle, utilisée en temps de crise pour réunir un peuple (et qui, à l'origine, ne pouvait excéder 6 mois, donc, déjà, ça partait mal). Mais deux ans plus tard, il devient dictateur à vie. Il n'a rien imposé, il n'a pas fait de coup d'État, les pouvoirs sont venus dans ses mains par les voies officielles et politiques. Comment l'expliquer ?

 

Attaque des clonesUn conseil des sages dont les jours sont comptés

 

Il y a évidemment toutes les machinations en coulisses de Palpatine (pour en revenir à Star Wars) afin d'obtenir le pouvoir, ce qui prouverait que le système républicain et démocratique en vigueur alors n'est pas des plus performants puisque, par ses propres outils, il se laisse détruire de l'intérieur. Un stratagème que l'on retrouve aussi dans le personnage du Comte Dooku, homme de paille de Palpatine, grand méchant désigné par la République qui fera éclater la Guerre des Clones, alors même qu'il ne fait qu'obéir au plan établi par le Chancelier pour gravir les échelons sans éveiller les soupçons. Évidemment, nous pensons à Machiavel et à son ouvrage capital, Le Prince.

Palpatine se pose en sauveur inespéré d'une République prise en étau, suffocante sous la pression de la menace et qui n'a d'autre choix que de lui donner du pouvoir pour qu'il la sauve, alors même que, en plein jour, il rechigne à la tâche. Un discours de façade qui masque parfaitement ses réelles intentions, comme le dit si bien le philosophe italien dans son ouvrage :

"À un prince, donc, il n'est pas nécessaire d'avoir en fait toutes les susdites qualités, mais il est bien nécessaire de paraitre les avoir."

 

Photo Ian McDiarmidUn petit malin qui sait faire bonne figure

 

Pourtant, cela ne règle pas la question puisque, comme nous l'avons vu, une telle prise de pouvoir est impossible sans l'accord tacite des organes politiques et, plus largement, de la population entière. Pourquoi, alors que l'Empire met à sac tous les acquis républicains, détruit l'ordre Jedi et étend son emprise néfaste sur la galaxie, personne ne se bat contre lui, ne se rebelle et, pire encore, n’adhère à ses idées ? C'est peut-être là que vient le concept de "servitude volontaire".

Un concept établi par le philosophe Etienne de la Boétie dans son ouvrage Discours sur la servitude volontaire, en 1576 (pour son édition en français), et qui part du principe que, contrairement aux apparences, quand beaucoup pensent que la servitude est forcée, elle est en réalité très volontaire :

"Que vous pourrait-il faire, si vous n'étiez receleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traitres à vous-mêmes ?"

 

PhotoUne ambiance de fin de règne

 

Pour expliquer un tel événement, il part du principe de la Malencontre : un accident tragique, une malchance inaugurale dont les effets ne cessent de s'amplifier au point que s'abolit la mémoire de l'avant, au point que l'amour de la servitude s'est substitué au désir de la liberté. L'éclatement d'une guerre, la disparition d'un ordre séculaire et sacré, ancré dans les rouages républicains, par exemple. Une vague d'attaques ou d'attentats qui perturbent profondément nos sociétés et attisent nos peurs, pour ne parler que du plus évident dans nos sociétés actuelles.

Dans ce contexte, il y a toujours l'apparition d'un homme nouveau, Palpatine en l'occurrence, qui ne se présente pas sous la forme humaine, mais plus sous le prisme d'une idée, d'un concept, d'une utopie, parce que l'humain est faillible et donc pas digne de confiance dans ces moments obscurs. Une idée, elle, est parfaite, car totalement déconnectée du principe de réalité. Un bon moyen de contrecarrer la loi de la nature qui refuse le principe de servitude volontaire :

"Ce qu'il y a de clair et d'évident pour tous, et que personne ne saurait nier, c'est que la nature, premier agent de Dieu, nous a tous créés et coulés, en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt frères."

 

Photo Ian McDiarmidParce que c'est son projet

 

Impossible donc de devenir l'homme providentiel si l'on est l'égal de celui que l'on souhaite diriger. On en revient alors à la nature humaine et à son oubli facile de la liberté à partir du moment où l'habitude d'une existence hiérarchisée des uns par rapport aux autres est ancrée dans les consciences.

"La première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude."

Or, si Palpatine démantèle tous les acquis de la République et détruit les référents philosophes, garants des idées et des concepts, donc de la liberté, il ne suffit que de peu de temps pour que les habitants de la galaxie prennent le pas et, par la force de l'habitude, oublient comment ils vivaient avant, au point d'adhérer "naturellement" à leur nouveau mode de vie sans même y réfléchir. Ce serait donc bien le peuple qui délaisserait la liberté et non le tyran qui en prend possession, ce que la Prélogie nous montre parfaitement.

"La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c'est qu'ils naissent serfs et qu'ils sont élevés dans la servitude."

 

Photo Ian McDiarmidEt ouais, mon gars, et tout ça, c'est grâce à vous tous

 

Au nouvel Empereur, ensuite, de garder le pouvoir en donnant le change à ses sujets, en établissant un équilibre subtil entre répression et liberté, en accentuant le culte de la personnalité au point, comme dans certains pays, que le dirigeant soit assimilé au Père incontestable et incontesté, quel que soit notre âge ou notre situation.

D'où la nécessité de tuer tous les Jedi, même les enfants, car ils sont les symboles vivants qu'il ne s'agit que d'un culte de pacotille et leur existence le mettrait en danger. Fermer les vannes, réduire le champ des possibles, mettre tout le monde dans une trame tout en proposant suffisamment de divertissements et de latitudes de manoeuvres pour que la situation ne devienne pas invivable, couplé à l'excitation des désirs frustrés et individualistes de ceux qui ne tomberaient pas dans le panneau, voilà comment on garde un pouvoir dictatorial durable.

 

Photo Ian McDiarmidEt vous n'avez strictement rien à dire puisque vous étiez d'accord avec ça

 

LA RÉPÉTITION DE L'HISTOIRE, LE PASSE ET LA FIN DU CYCLE

Pourtant, la dictature est vouée à disparaitre comme nous le prouve la chute de l'Empire dans Le Retour du Jedi. Pas vraiment, en fait, puisque, 30 ans plus tard, dans Le Réveil de la Force, il est de retour sous la forme du First Order avec, on le sait maintenant, toujours Palpatine en coulisses. Comment est-ce possible ? Surtout après tout le mal qu'il a fait ? Les habitants de la Galaxie auraient-ils la mémoire si courte ? Ce serait oublier une notion capitale : l'Histoire a tendance à se répéter. Comme le dit si bien le philosophe allemand Hegel dans La Raison dans l'histoire :

"L'expérience et l'histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n'ont jamais agi suivant les maximes qu'on aurait pu en tirer. [...] Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière, que c'est seulement en fonction de cette situation unique qu'il doit se décider."

 

photoL'impermanence, le vrai ennemi de l'Empire

 

Ce processus de répétition est parfaitement retranscrit dès Le Réveil de la Force avec le personnage de Kylo Ren. Petit-fils de Dark Vador, il le vénère (comme le prouve l'exposition du célèbre casque sur un piédestal). Il veut lui ressembler, veut devenir lui, ce qui en fait une cible de choix pour Palpatine. Comme Vador, Ren porte un masque, juste parce que ça fait cool, alors qu'il était nécessaire à la survie d'Anakin. Comme le dit si bien Gilles Vervisch, c'est un "gamin avec un masque", un petit con qui joue aux durs. Qui, par son apparence, veut rappeler la grandeur de Vador tout en paraissant ridicule à ceux qui le connaissaient personnellement. Ce qui fait écho à Karl Marx dans son ouvrage Le Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte :

"[L'Histoire se répète], la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce."

 

Photo , Adam DriverUne crise d'adolescence qui se passe mal

 

On ne saurait faire plus vrai pour Kylo Ren qui passera deux films à s'énerver parce qu'il n'est pas à la hauteur de son modèle, comme un enfant gâté, avant de finalement dépasser le problème dans L'Ascension de Skywalker. Cependant, pour que l'Histoire se répète, elle doit d'abord mettre en place deux éléments capitaux pour rendre l'opération possible : l'oubli du passé et, plus contradictoire, sa glorification au même moment.

Oubli du passé, que l'on pourrait rapprocher du chapitre précédent sur la dictature, pour que justement, la mémoire qui y est rattachée s'estompe, que les générations actuelles n'en aient plus d'expérience directe et que sa transmission s'en trouve réduite. C'est ce qui se produit actuellement avec les rescapés de la Seconde Guerre mondiale ou des camps de concentration, de moins en moins nombreux pour partager leur histoire, ce qui conduit les jeunes générations à l'oublier et à être tentées de la reproduire parce qu'ils ne sont plus en lien direct avec elle.

Glorification ensuite parce que, quoi qu'il arrive, on se souvient du passé, même lointain. Surtout lorsqu'il nous concerne. Mais ce passé laisse aussi des vestiges, des ruines, et il faut bien en faire quelque chose. Qu'il s'agisse de l'Etoile de la Mort dans L'Ascension de Skywalker ou de la ferme légendaire de Tatouine qui n'a pas bougé avec les années, les preuves d'un passé sont bien là, quoi qu'on y fasse. On pourrait les détruire, mais ils servent autant de symboles que de rappels d'une histoire que l'on n'a pas vécue. Une histoire qui, précisément, appartient maintenant au domaine de la légende.

 

Le retour du JediDes légendes étincelantes

 

La postlogie est encore un parfait exemple puisque l'ordre Jedi n'est qu'une légende pour nos nouveaux héros. Et une légende, on peut lui faire dire ce qu'on veut en fonction de nos besoins. Les grandes figures héroïques n'ont d'utilité que dans leur fonction morale et légendaire, dans le message dont on les investit. Des vecteurs d'identification pour donner un sens à nos envies et à nos actions que l'on peut modifier à loisir en fonction des événements. La glorification réunit, fédère, donne un but et des valeurs communes tout autant qu'elle oriente.

Ainsi, pour que l'Histoire ne s'encombre pas de son propre passé, il faudrait que ce dernier accède au statut de légende et que le reste disparaisse. C'est plus ou moins la volonté de Kylo Ren dans Les Derniers Jedi lorsqu'il dit qu'il faut laisser le passé mourir. On aurait vite fait d'attribuer cette volonté au seul camp du côté Obscur et on se tromperait puisque Luke dit exactement la même chose lorsque, toujours dans le même film, il souhaite la fin absolue des Jedi, seul lien véritable avec l'Histoire de la galaxie et du côté lumineux. Une volonté de faire table rase donc, mais dans quel but ?

Pour Kylo, c'est simple : pour installer durablement le First Order, écraser la Résistance et dominer la Galaxie. Pour Luke, c'est déjà plus complexe puisque, si son action ne revendique pas la légitimité du First Order, son point de vue d'ermite lui fait probablement penser que la Galaxie mérite de repartir sur de nouvelles bases, d'avoir une autre chance, vierge de toute influence passée. Or, on l'a vu, les choses ne se passent jamais ainsi, on vient de quelque part et l'on tend vers quelque chose, on ne peut donc totalement s'affranchir du courant qui nous traverse. Ne serait-ce que parce que nous vivons selon un cycle temporel nous-mêmes.

 

Photo Mark HamillTout doit disparaitre

 

D'autant que, aussi radical soit l'une et l'autre des solutions, il n'est pas dit qu'elles fonctionnent puisque le passé (ou le ressenti de son propre passé) fait fi de tout matérialisme. Il ne suffit pas d'une action pour le faire disparaitre. Il reste ancré en nous. Encore plus quand on pense que s'il n'y a pas plus de passé, on s'extrait du temps et, du coup, nous n'avons plus de futur, donc cela signifie la disparition de tout espoir. Espoir de pérennité pour le First Order, tout comme espoir de voir la Prophétie se réaliser pour les Jedi. Bref, on ne serait pas plus avancés.

Mais parce que justement nous ressentons ce passé à chaque instant, et parce que peut-être il nous est impossible d'appréhender réellement le présent, nous avons un rapport contradictoire et conflictuel avec lui. Nous sommes l'addition de nos joies et de nos peines, de nos bonheurs et de nos souffrances, et nous nous y référons à la moindre occasion. Ce qui nous amène sur le terrain de la nostalgie. Seulement, les bons souvenirs s'effacent beaucoup plus vite que les mauvais, comme le disait si bien le philosophe Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation :

"Nous remarquons douloureusement l'absence des jouissances et des joies, et nous les regrettons aussitôt ; au contraire, la disparition de la douleur, quand même elle ne nous quitte qu'après longtemps, n'est pas immédiatement sentie."

 

Star WarsUn passé qui refuse de s'effacer

 

Ainsi, il nous serait plus facile d'oublier les bons moments que les mauvais et, pour pallier cette douleur lancinante et longue, on se réfugierait dans le souvenir de ces instants précieux pour supporter notre condition. Dans le même temps, ce concept nous explique aussi que le passé est un processus long et que son effacement est très lent. En gros, il faut laisser le temps au temps, ce que ni Kylo Ren ni Luke ne semblent disposés à faire.

De ce fait, dans la précipitation, et parce que nous n'avons pas suffisamment de recul sur les événements et leurs raisons, parce que nous souhaitons nous affranchir d'un passé problématique (et relatif à chacun en fonction de son parcours), on opterait pour la solution de la terre brûlée. L'abattage du château de cartes, la volonté de tout recommencer à zéro. Mais comment faire quand on n'a pas tiré les leçons de ce passé et qu'on n'en a qu'une vision glorifiée et modifiée par nos subjectivités ? Si l'on élargit la réflexion sur un plan psychanalytique, on en arrive sur le terrain de la reproduction : lorsqu'un traumatisme est vécu et non résolu, il se transforme en névrose et, de ce fait, conditionne une reproduction de cettedite névrose jusqu'à ce qu'elle soit comprise et intégrée. Jusqu'à ce que l'on en soit libérés en quelque sorte. Mais tout cela demande du temps, beaucoup de temps, ce qu'une vision à court terme nous interdit. Bref, d'ici à ce que l'on arrive à ce moment, nous serions donc condamnés à répéter l'Histoire.

 

Bien sûr, nous n'avons fait qu'effleurer ces deux excellents ouvrages et toutes les richesses qu'ils contiennent. Si ce dossier vous a intéressé et que vous souhaitez y réfléchir plus, nous ne pouvons que vous recommander chaudement Star Wars - La Philo Contre-Attaque et Star Wars - Le retour de la Philo de Gilles Vervisch, aux éditions du Passeur, dans toutes les bonnes librairies.

 

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Tout savoir sur Star Wars : L'Ascension de Skywalker

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commentaires
C
09/05/2023 à 18:37

Excellent. Merci EL.

Seigneur et Maître
10/04/2020 à 23:28

Bonjour, quelle q'un peut me dire pourquoi un humain critique un autre humain, vu que vous vous ressemblé tous sur terre de ce côté là ?
A vous de jouer !
Hahahahaha ????

Geoffrey Crété - Rédaction
13/01/2020 à 12:06

@Daï

Star Wars étant sorti il y a quelques semaines, il est encore dans l'actu, et a sa place dans notre partie actu.

Ce qui ne nous empêche pas de parler d'autres films. La semaine dernière, Underwater, Les Enfants du temps, Freaks, Nina Wu, The Grudge, Titans saison 2, The Color Out of Space, L'Adieu ont tous été mis en avant par exemple.

Daï
13/01/2020 à 11:55

On peut arrêter avec star wars ?
D'autres films valent beaucoup plus de mise en avant. Que ces histoires sans queues ni têtes..

Seigneur et Maître
12/01/2020 à 20:00

Bonjour. en réponse de nana, qui a remarqué mes fautes d'orthographes, mais ça du vrai français. C'est tout que vous avez remarqué, mais rien de constructif ce qui concerne les écrits philosophique de star wars.
Votre état de vie est bien triste et limité.
Et pour comprendre ce concept, il faut pratiqué la philosophie de sa vie et celle de la nature. Et ça c'est très dure à comprendre. Plus facile de critiquer que de chercher pourquoi je critique les autres. Bien cordialement.

Nana 83
12/01/2020 à 16:18

En réponse à Seigneur et Maitre qui se dit philosophe.. prendre des cours d'orthographe avant d'écrire ! Bien à vous.

Nyl
12/01/2020 à 10:19

Intéressant. Mais qui ne rend pas la postlogie plus intéressante.

Pour cette dernière, j'ai l'impression qu'on force à trouver des choses à dire, alors qu'il n'y a pas de réflexions à faire ( Hormis Kylo mais bon...)

corleone
12/01/2020 à 08:21

De la philosophie dans Star Wars ?? Oui mais ça c'était avant.

Kikoolol
12/01/2020 à 06:48

Faut arrêter la philo de comptoir, Christophe.

Seigneur et Maître
12/01/2020 à 01:22

Bonjour à celui qui a écrit ce texte. J'ai énormément apressier cette philosophie qui est la réalité des choses, étant moi même philosophe et agnostique, je l'ai parfaitement compris, qui hélas beaucoup de fans ne sont pas philosophes, et passe leurs vie à tout critiqué, même entre eux, mais pas ce critiqué soit-même, plutôt que se basé que sur des fait !
Par contre le mot dieu, ne devait pas être figuré dans vos textes, mais plutôt la force de vie. Car de nombreuses personnes n'a pas la même vision du mot de dieu, et peu trompé sont monde.
Merci quand même de pouvoir avoir épluché cela pour les moins intelligent hélas. Une bonne leçon pour beaucoup.
Bien cordialement.

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