Le mal-aimé : Ghosts of Mars, le western galactique bourrin de John Carpenter

Mathieu Jaborska | 16 janvier 2022 - MAJ : 16/01/2022 11:00
Mathieu Jaborska | 16 janvier 2022 - MAJ : 16/01/2022 11:00

La rubrique des mal-aimés d'Ecran Large revient sur des film oubliés, mésestimés, rejetés par le public et/ou la critique à leur sortie. Avec un but : leur redonner un peu d'amour.

Impossible de passer à côté de Ghosts of Mars, le western martien dingo de John Carpenter, souvent considéré comme un de ses pires films. Vraiment ?
 

affiche

 

"C'est comme un film de zombies réalisé par un des morts-vivants" (The New-York Times)

"Ça ressemble la plupart du temps à un clip de hard rock grand-guignolesque (style Marilyn Manson). Assourdissant et routinier." (L'Humanité)

"Le casting est si terne qu'on ne sait jamais si les acteurs comprennent vraiment les blagues" (Entertainment Weekly)

"Glisse instantanément dans le domaine de l'oubliable" (Boston Globe)

 


Ghost of Mars - Bande-annonce VO par Ecranlarge

 

LE RÉSUMÉ EXPRESS

On est en 2176, et les commentateurs sociaux sévissant sur le web ont vu juste : un matriarcat domine désormais une partie des colonies humaines, à savoir Mars, planète habitée par quelque 640 000 pionniers. La cheffe de cette petite société interroge une policière, seule survivante de son équipe.

Celle-ci raconte que son convoi était chargé de ramener un voleur et présumé meurtrier répondant au doux nom de "Désolation" Williams, pour qu'il soit jugé. Mais lorsqu'ils ont débarqué dans la ville de Shining Canyon, où le brigand était détenu, ils sont tombés sur une ville-fantôme, décimée par un mal étrange.

 

Photo Joanna CassidyJoanna Cassidy, la Mac Gyver des médecins martiens

 

Ils se sont vite rendus compte que ce n'était pas Williams qui avait étripé ce petit monde, mais une bande de sauvages-zombies-possédés-fantômes-emos qui massacre à peu près tout ce qu'elle trouve. Une médecin ayant déjà eu affaire à ces sacrés bestiaux leur a révélé qu'ils étaient créés par l'introduction d'une sorte d'organisme volatile dans l'être humain, et qu'ils comptaient bien défendre leur territoire, à savoir la ville dont il est question ici, et pourquoi pas le reste de la planète.

Et ça fait bim-bam-boum, ça fait -pschhht!- et ça fait "vroum", bref, ça se bastonne en s'enfuyant, pour prendre place dans le train de retour. À la fin, seuls la policière et Williams ont survécu. Ce dernier l'attache et saute du train pour éviter tout procès. Finalement, la matriarche décide de cacher l'affaire au monde, alors qu'un nuage de virus-fantôme-sable bizarre se dirige vers la capitale martienne.. FIN.

 

Photo Ice CubeIce Cube va les refroidir

 

LES COULISSES

Outre son implication dans les débuts (et la fin) de la saga HalloweenJohn Carpenter n'aura participé activement qu'à une seule franchise en tant que réalisateur, celle qui a émergé de son New York 1997, avec le grand Kurt Russell en tête d'affiche. Au beau milieu des années 1990, l'acteur participe grandement à la motivation du maître pour un second opus, qui sort en France sous le titre Los Angeles 2013. Le pitch est le même, mais dans une ville différente. Malgré des qualités évidentes, le film est un gros bide, cumulant à peine 25,4 millions de dollars sur le sol américain, pour un budget de 50 millions.

Un revers de médaille regrettable, puisque les deux compères préparaient déjà un troisième film, intitulé Escape from Earth. Après les deux grosses villes des États-Unis, Snake Plissken aurait dû logiquement (en tout cas selon la logique du duo) quitter notre belle planète pour un moment, du moins le temps de se bastonner contre quelques brigands. Mais ce score décevant l'empêche de mener le projet à bien, puisque la Paramount ne se dit pas intéressée.

 

photo, Kurt RussellSnake se crashe

 

Qu'à cela ne tienne, Big John adapte son scénario et transforme Snake en ce James "Désolation" Williams, rôle bien sûr taillé pour Russell. Mais la production refuse une fois de plus. L'acteur qui a fait les grandes heures de la carrière de Carpenter n'est plus assez bankable à leur goût. Ils imposent donc un comédien-musicien qui lui ne devrait pas se démoder de sitôt (oui, on rigole bien) : Ice Cube. Le rappeur ayant participé au culte du mythique groupe N.W.A se construit une filmographie allant de Boyz'n the Hood à Anaconda, et il compte bien se frotter à un monstre comme le réalisateur de The Thing.

Tout le casting a beaucoup changé. Jason Statham devait par exemple lui aussi prendre le rôle de Williams, mais une fois de plus, les studios ont décidé qu'il n'avait pas un avenir suffisamment important. Le changement le plus célèbre reste l'intégration de l'actrice principale, Natasha Henstridge, remplaçant au pied levé Courtney Love, blessée dans des circonstances qui nourrissent les tabloïds dont elle était souvent la coqueluche. L'actrice finalement embauchée est recommandée par Liam Waite, qui campait le petit rôle de Michael Descanso.

 

Photo Natasha HenstridgeImperator furieuse

 

Le tournage s'est déroulé dans une vraie mine de Gypse régulièrement badigeonnée de couleur orange, quasi exclusivement de nuit, d'où sa difficulté, et la dilapidation assez frénétique du budget. Henstridge, de son propre aveu, aurait fait un petit burn-out, mettant en pause la production pendant une semaine. Pour la comédienne, son état de fatigue était également dû à son agenda particulièrement serré à cet instant, puisqu'elle venait d'enchainer deux longs-métrages sans vraiment prendre de pause. Selon le cinéaste, les figurants jouant les monstres n'étaient pas non plus très sérieux, ce qui n'a pas trop dû aider.

Difficile de vraiment situer l'enthousiasme d'un Carpenter déjà bien moins impliqué que sur ses films précédents. S'il est évident qu'il a donné de sa personne, tant le produit fini semble compiler ses centres d'intérêt, certaines remarques présentes dans le commentaire audio ont de quoi laisser dubitatif. Le réalisateur reconnait régulièrement les faiblesses de son oeuvre, avouant même avoir bâclé les séquences de flashback, parce qu'il voulait voir un match de basket à la télévision !

Henstridge explique carrément qu'il débarquait sur le plateau en expliquant qu'il faisait le film le plus nul de sa carrière. On a vu plus motivant. Et quand elle lui demande pourquoi elle embrasse finalement Butler contre toute logique, Big John répond simplement : "Pourquoi pas ?"

 

photo, Jessica Henwick, Jessica Henwick, Natasha Henstridge, Jason StathamNotre réaction lors de la scène

 

LE BOX-OFFICE

La fin de carrière de Carpenter n'est pas avare en bides, mais il faut avouer que Ghosts of Mars fait fort. Doté d'un budget de 28 millions de dollars, il ramasse 8,7 petits millions de dollars sur le territoire américain et 5,3 microscopiques millions de dollars à l'international, dont en France où il fonctionne étonnamment un peu mieux que dans les autres pays, avec un total de 409 296 spectateurs. Reste qu'avec 14 millions de recettes en tout, soit pile la moitié de son budget hors promotion, c'est un échec cuisant, qui achève de plomber son avenir.

Entre un Los Angeles 2013 également gravement déficitaire et un Vampires qui rembourse à peine son budget, le nom Carpenter n'est plus gage de pépettes, et nul doute que l'arrêt de ses activités cinématographiques et de manière générale sa baisse d'intérêt pour le medium vient également de la réception de ses derniers travaux, qui se font en plus souvent éreinter par la critique. Il ne réalisera par la suite qu'un film avant de se consacrer à 100 % à sa musique : The Ward, pas non plus un gros succès.

 

photo, Amber HeardAmber Heard dans The Ward

 

LE MEILLEUR

Il y a tant à critiquer dans ce que beaucoup considèrent comme le pire film de la carrière de son auteur qu'on ne se penche jamais vraiment sur ses qualités, qui sont pourtant bien présentes. Bien sûr, impossible de ne pas évoquer le genre du film, pur western à la sauce science-fiction, qui en oublie presque de se dérouler dans le futur en plein milieu de l'action. Avec la terraformation décrite dans le scénario et le look très reconnaissable des décors, Carpenter se frotte au western de série B bourrin et divertissant, sans cependant oublier, avec Larry Sulkis, de s'approprier les thèmes au coeur du genre, parfaitement adaptés à ses lubies.

Car traiter de la conquête de l'ouest (la colonisation de Mars) par le biais de la science-fiction permet au duo de scénaristes de mettre en évidence les dérives des appropriations humaines sans pour autant se référer à l'histoire des peuples amérindiens. En d'autres termes, ils peuvent faire de leurs protagonistes des héros sans faire des natifs américains des ennemis, et placent leurs spectateurs directement dans la logique du colonisateur persuadé que ce qu'il ne connait pas est désert et forcément vide de toute vie sensible.

 

photoLaissez tomber, le Hellfest 2020 est annulé

 

Ce n'est pas pour rien que le patelin dans lequel tout se passe est décrit comme une "ville-champignon". Les colonies humaines ont tendance à s'étendre sur toute surface disponible, telle une moisissure. De plus, les maquillages des démons en question font écho à la représentation que l'occident se fait du sauvage, comme une sorte de cliché culturel, véhiculé justement par les séries B américaines : la boucle est bouclée.

Plus intéressant encore, la façon dont le cinéaste décrit directement et sans la moindre once de pudeur une société matriarcale. Loin d'être anodine et peut-être même assez virulente envers le Hollywood de l'époque (les hommes auraient le contrôle de la Terre, les femmes se contenteraient de Mars ?), elle met en valeur une avidité humaine qui supplante les problématiques de genre, et les stéréotypes bassinés dans tous les sens.

 

Photo Natasha HenstridgeLa nouvelle shérif en ville

 

La société matriarcale de Ghosts of Mars, si elle remet à sa place de façon amusante l'ego masculin de temps à autre, n'est finalement pas si différente de la société patriarcale actuelle, si ce n'est que le rapport de domination habituel est totalement inversé jusqu'à ses moindres détails. Voilà qui ne change pas grand-chose : l'être humain n'a réussi qu'à transformer ses pulsions de domination et en aucun cas à les réprimer, d'où ce penchant toujours avéré pour l'appropriation de tout ce qu'il considère non habité.

Le tout tient dans une sorte de super-compilation de sa filmographie, revisitant la quasi-totalité de ses grands succès, sous un angle féminin (Desolation Williams n'est finalement pas si important). Une expérimentation louable et mine de rien presque inédite, portée par une Natasha Henstridge très attachante, une véritable action-hero comme on les aime.

 

Photo Clea DuVallClea DuVall, badass et aussi badass

 

LE PIRE

Sur le papier, ça fonctionne, donc. Mais malheureusement, tout ceci ne se développe que dans le premier acte, avant de se dégonfler dans une sorte de défouloir bis acceptable s'il avait couté 5 millions de dollars... en 1990. On se demande vraiment où sont passés ces 28 millions de dollars.

En effet, le décor, quasiment unique, transforme le western bourrin voulu à l'origine en sous-Mad Max cheap. Les CGI sont aussi rares que hideux, et les maquillages, s'ils ont un vrai sens vis-à-vis du scénario, ne sont pas particulièrement originaux. On pourrait accuser la distribution secondaire amusante, complètement gâchée par des dialogues ineptes et des situations improbables. La grande Pam Grier, réhabilitée avec respect par Quentin Tarantino dans Jackie Brown quatre ans plus tôt, se fait décapiter après 20 minutes de film (alors que son nom trône fièrement sur l'affiche). Jason Statham, tout juste sorti de Snatch, passe son temps à ouvrir des portes et à harceler avec lourdeur l'héroïne placide, pour finalement obtenir son consentement (hein ?). Et Ice Cube fait Ice Cube.

 

Photo Jason Statham Ice CubeLa bromance des seconds rôles bizarres

 

En fait, à partir du moment où l'équipe tombe sur les monstres, tout se fait la malle, au profit d'un divertissement qui se veut aussi honnête que les péripéties de New York 1997, mais qui finit par ennuyer profondément, tant la mise en scène feignante évite soigneusement la moindre trace d'audace. Le résultat, c'est 30 minutes de gens qui courent en criant, le tout arrosé d'une bonne grosse dose de thrash métal (le groupe Anthrax, entre autres, a participé à la bande originale), histoire de forcer un peu l'aspect bourrin de la chose.

Malheureusement, faute de gore ou de scènes d'action efficaces, tout dégringole jusqu'à un final ahurissant de prévisibilité, et pas spectaculaire pour un sou. Forcément, c'est cette impression qui restera à la critique, et aux spectateurs, qui cesseront désormais de suivre aveuglément Carpenter.

 

photoQuelques jolis plans toutefois

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commentaires
andarioch1
17/01/2022 à 12:08

@Faurefrc

je rajouterais aux qualités de Carpenter déjà citées la sècheresse de son montage (tout est là pour quelque chose, il n'y a pas de gras) et surtout sa représentation graphique des ténèbres, des ombres, de la nuit. Pour moi il y a clairement un noir Carpenter (comme il y a un bleu azur), qui est un peu sa signature. Immédiatement identifiable

BruceWayne
17/01/2022 à 00:35

Un vrai plaisir coupable

Pat Rick
16/01/2022 à 20:36

Pas un grand Carpenter mais cela demeure de la série B efficace et c'est toujours mieux que le décevant The Ward.


16/01/2022 à 13:30

a titre personnel j'aime beaucoup ce film vu la fin j'etait decu que y'ai pas de suite

Copeau
24/05/2021 à 17:43

Allez pour fêter la sortie du mauvais Army of The dead, un peu big up pour cet article et ce film ! Finalement on se dit que Ghost of mars n'est pas si nul hein ?

Princécranoir
12/08/2020 à 14:42

Comme bien des commentateurs précédents, j'ai une réelle tendresse pour ce "Ghosts of Mars" qui est, mine de rien (jeu de mot), peut-être le plus westernien de tous ses films. J'ignorais que le script initial était prévu pour un troisième "Escape", ce qui fait sens en effet. On regrettera toujours de ne pas avoir eu l'impeccable Kurt à la place du rapper "indémodable".

Pat Rick
30/07/2020 à 19:58

C'est sur que Carpenter a fait bien mieux mais c'est tout de même une série B efficace et divertissante avec quelques bons passages.

Dae-Soo
30/07/2020 à 11:27

J'ai toujours adoré ce film, je n'étais pas bien vieux quand je l'ai maté, et il m'avait impressionné. Je n'ai évidemment pas votre regard de professionnel, mais j'en garde un excellent souvenir.. Je pense que je suis moins regardant quand je regarde un p'tit film de série B, et c'est justement là que c'est intéressant : apparemment ce n'en est pas un.
Je l'ai juste regardé sans à-priori je pense. Je suis tombé dessus il y a quelques mois à la télé et ça m'a vraiment fait plaisir !
Merci de l'inclure dans les mal-aimés et de remettre les choses à leurs places.

darkpopsoundz
30/07/2020 à 09:22

"You gotta be fuckin' kidding me..."

Je me joins à la légion des vétérans mad moviesiens (découvert en 1986 et tronche de cuir en couv' pour le 2ème Massacre à la Tronçonneuse) et Carpenterophiles (après un visionnage jouissif et cauchemardesque de The Thing en VHS vers la même époque, avec sa jaquette française absolument magnifique)!

Pas grand-chose à rajouter sur les commentaires de mes petits camarades. Si ce n'est: Carpenter n'a fait AUCUN mauvais film. Des films mineurs (Village of the Damned), ridicules (Escape from LA), ratés (ce Ghosts of Mars) mais JAMAIS mauvais. :D
Un peu comme Argento, Dante, Romero, Raimi. Ou Terry Gilliam. Ou Tarantino. Ou David Fincher. Ou à notre époque Ari Aster, Mike Flanaghan ou Edgar Wright. Ou Bruno Mattei. :P
(J'exagère un peu exprès, hein.)

All hail to the Masters! :-)

alulu
29/07/2020 à 22:15

Mon avis, mon œuvre :)

Mémorable et sans ordre définie : Vampires, The thing, Fog, Prince des ténèbres, Los Angeles 2013, Les aventures de Jack Burton..., Le Village des damnés.

Je sais que c'est bien mais j'accroche pas tant que ça finalement: Halloween, la nuit des masques, Christine. Starman.

Limite trop Lynch pour moi ou limite nanar mais ça passe en fonction de mon humeur : L'Antre de la folie, Invasion Los Angeles.

Comme tout le monde dit que c'est bien alors je fais style : Assaut, New York 1997.

"Pas Sur" aime sûrement ces deux films : Les Aventures d'un homme invisible, The Ward.

Si Coffe avait été critique cinéma : Ghosts of Mars.

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