Compte-rendu de l'Étrange Festival 2005

Patrick Antona | 4 octobre 2005
Patrick Antona | 4 octobre 2005

Ayant bénéficié de la totalité des salles du Forum des Images, l'Étrange Festival nous a gratifié, et ce, plus qu'à l'accoutumée, d'une programmation des plus riches et des plus hétéroclites, allant de la projection d'avants premières de qualité (A bittersweet life, Cutie honey) à la diffusion d'une intégrale Karel Zeman (génial !) en passant par une rétrospective des films de fantômes japonais et la découverte du réalisateur allemand Christoph Schlingensief, le tout se concluant sur la vison-choc de Feed, le petit dernier de Brett « Le Cobaye » Leonard qui frappe là où on ne l'attendait pas. Une fois ingérée et digérée toute cette orgie d'images où se mélangent nippons frippons, teutons en délire, ricains adeptes de l'autodéfense, tueurs coréens stylés, courts-métrages sado-masochistes et performances live à base de clous plantés dans un écran, le tout auréolé de la présence éclairée de Udo Kier et Hideo Nakata, on peut dégager un panorama plus ou moins exhaustif de ce qui fait la particularité d'un Festival qui ne cesse de nous surprendre chaque année par sa capacité de renouvellement.

 

La programmation de cette année a fait la part belle à l'Empire du Soleil Levant. Déjà avec sa thématique « Fantômes japonais » (parrainé par Hideo Nakata, créateur de The Ring et Dark water) où l'on a pu découvrir dans de splendides copies les œuvres maîtresses de Nobuo Nakagawa, le spécialiste du genre, mais aussi de Tai Kato, moins connu chez nous mais qui en passe d'être redécouvert.

 


Le Fantôme de Yotsuya (1949) de Keisuke Kinoshita, présenté sous forme de diptyque, est à la base l'adaptation d'un classique de la littérature japonaise (Yotsuya Kaidan) qui sera porté de maintes fois à l'écran. Le film est le prototype du film de terreur en costumes, à base de samouraï assassin et hanté par la vision de sa victime revenue d'entre les morts. Une date pour le genre ! Autre adaptation de la même pièce, Horreur à Tokaido (1959) de Nobuo Nakagawa, déjà exploité en France sous le titre de Histoire de fantômes japonais, se révèle être un des chefs d'œuvre du réalisateur, magnifiée par un technicolor somptueux.
Et le festival de nous offrir une troisième variation avec Contes fantastiques de l'ère Edo (1961) de Tai Kato, dans lequel on a le plaisir de découvrir Tomisaburo Wakayama (c'est lui le Lone wolf de la série Baby cart) en samouraï veule et assassin. Un bon compromis entre chambara et film d'horreur.

 

Autre (re)découverte, le mythique Jigoku (L'Enfer en VF) de Nobuo Nakagawa, drame familial qui vire à l'apocalyptique dans sa seconde moitié avec sa représentation premier degré et haute en couleurs des tourments infernaux. Le film qui préfigure les débordements à venir des mangas des années 80 et 90 avec leurs visions cauchemardesques et viscérales.

 

On passe charitablement sur Koheji l'immortel (1982), drame classique à trois personnages à réserver aux adeptes du théâtre « Kabuki », et film de fin de carrière pour Nakagawa, et sur Liens de sang (1962) de Tai Kato, autre drame en costumes mais doté se séquences d'action plus « musclées ».

 

On s'arrête en revanche sur la présentation de deux épisodes de la série des Yôkai hyaku monogatari. Au carrefour du film de monstres et du film pour enfants (ce qui n'empêche pas un peu de gore !), concoctés par la compagnie Daiei, déjà à l'origine des Maijin (procurez-vous l'intégrale sortie en zone 1 !) et des Gamera, ces oeuvrettes pleines de charme nous présentent tout un bestiaire particulier de la mythologie japonaise, dont le plus étonnant reste le démon parapluie ! On attend avec impatience le remake que Takeshi Miike a fait en 2005.

 

Présenté par Nakata, le brûlot sadomasochiste Une femme à sacrifier a permis d'évoquer la personnalité particulière et tyrannique de son metteur en scène, Masaru Konuma, grand spécialiste du roman-porno, et dont Nakata fut l'assistant. Le film a quand même réussi à semer le trouble dans l'assistance, avec ses références plus qu'explicites à la scatologie et la pédophilie ! Et l'Étrange Festival de nous gratifier en avant-première de Cutie honey, adaptation live bondissante du manga de Go Nagaï et version ouvertement kitsch qui a remporté tous les suffrages.

 

Les autres pays d'Asie n'étaient pas en reste avec l'Inde et sa version « sauce curry » de L'Exorciste titré Bhoot (bientôt en DVD), faussement Bollywood car ne comprenant aucune chanson, et l'avant-première de A bittersweet life du coréen Kim Jee-Woon (The quiet family, Deux sœurs), à mi-chemin entre le polar romantique à la John Woo et l'ultra-violence décomplexée d'un Old boy, qui avait ouvert l'Étrange Festival de bien belle façon.

 

 

La rétrospective dédiée à Udo Kier (au demeurant très chaleureux et d'une disponibilité confondante) a permis d'apprécier diverses œuvres où l'allemand fou s'est illustré, les points d'orgue étant la diffusion du dernier de Lars Von Trier Manderlay (nous y reviendrons plus posément pour sa sortie) et le point regrettable la non diffusion du délirant Du sang pour Dracula pour une sombre histoire de droits. Elle a aussi été le vecteur de la découverte d'un réalisateur allemand très particulier, Christoph Schlingensief. Ce dernier, avec sa bouille d'éternel adolescent, se révèle être un iconoclaste de première qui passe à la moulinette nombre de thèmes comme Hitler, les néo-nazis, le tiers-mondisme et la télé réalité dans des films plus ou moins bien ficelés. De Freakstars 3000 aux 120 journées de Bottrop, en passant par Terror 2000, c'est toute une galerie de complets dégénérés et de situations grotesques que le bouillonnant allemand nous jette au visage, en usant certes d'une « kolossale » finesse, mais avec bonne humeur. À consommer quand même avec une certaine modération.

 

 

Pour continuer dans le grotesque, la nuit autodéfense, parrainée par le site secondscouteaux.com a permis aux festivaliers de retourner avec délectation dans ce plaisir coupable des films de vengeance des années 80. Des trois films proposés, seul Le Droit de tuer possède encore une certaine qualité (toutes proportions gardées) par rapport à Class 84 et Le Justicier de New York (ah ! Charles Bronson défouraillant les rues à coup de mitrailleuse !) qui ont fait leur temps (NDR/ Y a des grands défenseurs de ces films à la rédac à commencer par Francis Moury et Laurent Pécha qui ont de ce pas pris un bon vieux magnum pour faire changer d'avis ce cher Patrick). Le tout étant agrémenté de mini portraits vidéo des grands seconds couteaux que nous aimons tous, de Charles Napier à l'ineffable Richard Lynch, concoctés avec humour par les hôtes de la soirée.

 

 

Mais c'est surtout la découverte des chefs d'œuvre de Karel Zeman sur grand écran qui a ravi votre serviteur. En diffusant l'intégrale de ses longs-métrages, du rarissime Trésor de l'île aux oiseaux aux dessins animés Sinbad, sans oublier L'Arche de Servadac, et une grande partie de ses courts-métrages d'animation, c'est tout un pan de ce cinéma merveilleux des anciens pays de l'Est qui nous est révélé, alliant fantaisie, poésie, technicité et humour, bien loin des produits formatés et envahis d'effets spéciaux numériques qui pullulent de nos jours. Et de constater qu'il y a une évidente filiation entre l'animateur tchèque et la vison d'un cinéaste comme Terry Gilliam, au-delà de la simple adaptation du Baron Munchausen (Baron de Crac pour Zeman).

 

 

La thématique « esclavage », entamée en 2004, a permis de découvrir l'efficace série B L'Enfer des Mandigos, film de pure exploitation avec les toujours bons Yaphet Kotto et Warren Oates, et l'étonnant faux docu-réalité Les Négriers, tous les deux représentant de genres particuliers, aujourd'hui complètements disparus.

 

 

Autre grand moment, la rétrospective consacrée aux courts-métrages expérimentaux de Shuji Terayama, titrée Labyrinthes imaginaires, a permis de se plonger dans l'univers avant-gardiste du cinéaste graphiste japonais. Les deux grands moments furent la diffusion de son court L'Empereur Tomato Ketchup, avec ses surimpressions d'images mixant révoltes d'enfants et viols d'adultes, film interdit à l'époque de sa sortie, et celle du coloré et sexuel Meigu-tan se terminant sur une performance live où le public est invité à planter des clous sur l'écran !

 

 

Mais l'Étrange Festival n'aurait pas lieu d'être s'il n'était pas le révélateur de nouveaux talents ou de films complètement fous qui ravissent chaque fois son auditoire. Première avant-première d'un film datant pourtant de 2003, Nothing de Vincenzo Natali démontre que son auteur est toujours à l'aise pour décrire des univers clos et fantasmatiques, à l'instar de Cube qui l'avait révélé en 1998. Décrivant le destin de deux laissés pour compte se retrouvant confinés dans un monde alternatif complètement vide (d'où le titre), non seulement Natali fait mieux que Cube ou Cypher grâce à un humour très british, un sens du design stylisé et une interprétation hors pair de ses deux comédiens principaux mais livre aussi une fable que son côté minimaliste n'empêche en rien de raisonner de manière universelle. À voir et ce, jusqu'à la dernière image de son générique final, on vous aura prévenu…;

 

 

Dernier film diffusé et preview de choc, Feed de Brett Leonard (qui était là pour présenter son film) a été une cerise sur le gâteau complètement inattendue. Comment pouvait-on décemment espérer que le réalisateur du maintenant daté Cobaye ou du biseux Programmé pour tuer nous livre une œuvre-choc et pamphlétaire ? Thriller simple et linéaire où un cyber-flic traque un feeder, à savoir un homme qui force des femmes obèses à grossir jusqu'à la mort, le tout diffusé via webcam sur Internet, Feed possède un côté subversif complètement assumé et un final complètement barré qui ravira les amateurs de sensations extrêmes. L'accueil public a été très tranché, entre ceux qui ont immédiatement été conquis par la violence et le style outré du film (Vincent Julé et ses « Oh my God » désormais mythiques à la rédac) et ceux qui ont failli vomir devant les scènes où la graisse est complaisamment (mais jamais gratuitement) étalée ! Une œuvre dont la diffusion dans nos contrées (encore non programmée à cette date et sûrement en direct-to-DVD) sera un des évènements à suivre de très près.

 


Gageons qu'à l'avenir les programmateurs de l'Étrange Festival sauront garder cet équilibre entre nouveautés, découvertes de talents encore enfouis (et plus particulièrement asiatiques) et un côté « festif » qui en fait un des rares évènements culturels parisiens vraiment singuliers et attractifs.

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