Johnny Depp : les pires craquages de l'acteur caméléon

Simon Riaux | 9 mai 2012
Simon Riaux | 9 mai 2012

Johnny Depp fait partie de ces très rares comédiens à être véritablement bankable, dont la présence dans un rôle secondaire peut sortir un film de l'anonymat. Comédien caméléon adepte des rôles transformistes, des prestations physiques virevoltantes, l'acteur aura su jouer de son corps et de son regard pour donner vie à des galeries de personnages inoubliables. D'Edward aux mains d'argent en passant Ed Wood, Dead Man ou encore Pirate des Caraïbes, Depp se taille une place à part dans le septième art mondial, sorte de grand écart vivant entre les exigences arty du temps et les considérations commerciales auxquelles toute star doit se plier pour briller au firmament. Une audace et une boulimie qui aboutissent forcément ici et là à quelques errements, de plus en plus fréquents alors que l'artiste tente de consolider son statut de superstar mondiale.

À l'occasion de Dark Shadows, pour lequel Johnny pousse le cabotinage dans ses derniers retranchements, nous revenons donc sur les plus remarquables craquages d'un immense comédien, qui sont autant d'erreurs de parcours attachantes, sinon signifiantes, en cela qu'elles viennent humaniser un peu un des plus impressionnants performer de notre époque.

 

 

 

 

Intrusion, de Rand Ravich, 1999

Déjà passé devant la caméra de Kusturica, Burton, Craven et Jarmusch, Johnny Depp a tout d'un phénomène. Visage magnétique, corps animal, esprit félin et exigeant, l'artiste semble capable de rassembler dans une même salle de cinéma jouvencelles hystériques et vieux profs de facs aux prostates gonflées. Heureusement, Johnny ne saurait rester le gendre idéal du cinéma mondial, et se devait de convoler tôt ou tard en juste noce avec Miss Nanar. Ce sera chose faite grâce à Rand Ravich, qui lui offre ce rôle sous-dimensionné d'astronaute parasité par une entité extra-terrestre méchante, capable d'annihiler totalement son charisme tout en fécondant Charlize Theron. Cette dernière se démène d'ailleurs comme elle peut, et demeure l'unique raison de visionner aujourd'hui cette première véritable erreur de parcours.

 

 

 

 

La Neuvième Porte, de Roman Polanski, 1999

Ce que l'on aime avec Roman, c'est sa capacité à ne pas faire les choses à moitié. S'il tutoie les sommets du septième art avec Répulsion ou Rosemary's Baby, il n'hésite pas à se vautrer dans les tréfonds du n'importe quoi pour emballer son thriller millénariste pour bibliothécaires en mal d'aventure. Toutefois, il est loin d'être le seul coupable dans l'affaire, sabordée dans les grandes largeurs par Emmanuelle Seigner, qui vole aussi bien que joue notre Johnny à lunettes. Préfigurant sa sidérante interprétation de The Tourist, l'acteur regarde se dérouler le scénario avec une mine imperturbable qui en dit long sur la profondeur de son investissement. Un je-m'en-foutisme-admirable, pour un film qui osera le twist le plus improbable de tout le cinéma fantastique (ou presque).

 

 

 

Le Chocolat, de Lasse Hallstrom, 2000

On ne le dit pas assez, mais Lasse doit beaucoup à Ridley Scott et à sa Grande Année de 2007, qui a depuis raflé le prix de l'immondice carte postalière. Du coup, on en aurait presque oublié ce Chocolat à l'huile de palme, où Juliette Binoche tentait de subvertir un village français conservateur à l'aide de ses sucreries. Johnny avait alors bien compris son potentiel de séduction, et se fit un plaisir de jouer les redresseurs de glucose dans cette fable anachronique et absurde, où il interprète un bel hidalgo prénommé Roux (ça ne s'invente pas). Le pauvre n'a pas à forcer son talent, et laisse se dépatouiller le pauvre Alfred Molina d'un rôle de comte catholique obsédé par la vertu, offrant à la ménagère de moins de soixante kilos quelques regards langoureux bien sentis et une poignées de séquences supposées sensuelles.

 

 

 

Il était une fois au Mexique – Desperado 2, de Robert Rodriguez, 2003

Il est des rôles débiles qui confinent au sublime, et ça, Johnny l'a bien compris. Nul doute que l'artiste a dû exploser de rire à la lecture du script, où son personnage d'agent gouvernemental complètement cramé du bulbe se trimballe avec quantité de gadgets, de faux bras, et de flingues, se fait arracher les yeux, mutiler plusieurs fois, et continue bon an mal an à massacrer à tout va. Le résultat a de quoi causer de sévères crises d'épilepsie, même à un fan hardcore de cinéma bis, tant l'outrance et l'esprit bordélique de Robert Rodriguez ont pris le pas sur toute notion de mise en scène. Il en va de même pour le comédien, qui renonce à jouer pour se muer en un stéréotype fantasmatique ouvertement débile, mais intensément jouissif, que seul le personnage de Mickey Rourke, armé de son chihuahua, saura concurrencer.

 

 

Charlie et la Chocolaterie, de Tim Burton, 2005

Trop de costume tue le costume. La collaboration entre Tim Burton et Depp avait jusqu'à présent était synonyme d'inventions, de trouvailles, et le plus souvent d'une poésie à la fois exigeante et instantanément bouleversante, de ces collaborations qui font la valeur du septième art. Sauf qu'ici, l'interprétation de Depp, visiblement enivré par ses costumes, décors, et une direction artistique qui n'entend rien d'autre que le mettre en valeur, se limite à une attitude, une caricature, une note d'intention sous LSD. Résultat, l'ambiguité et la subtilité de Roald Dahl disparaissent tout à fait, au profit d'une farce hyperactive et creuse.

 

 

 

Pirates des Caraïbes, jusqu'au bout du monde, de Gore Verbinsky, 2007

Pirate des Caraïbes, la Fontaine de jouvence, de Rob Marshall, 2011

Les deux premiers volets de la franchise des Caraïbes étaient d'honnêtes blockbusters assaisonnés par la performance hilarante et inspirée d'un Johnny Depp en roue libre, bien décidé à dynamiter les classiques de l'aventure familiale. Hélas, à partir du troisième épisode, l'attention semble se porter uniquement son personnage, qui n'est plus sommé de transformer de l'intérieur le dispositif, et se mue en un clown en pilote automatique, aux mimiques artificielles et forcées. En témoigne les fameuses séquences où son personnage se démultiplie à l'infini, au demeurant plutôt réussies, qui témoignent de la vampirisation de la saga par Jack Sparrow, démiurge priapique. Le phénomène s'amplifie avec un quatrième épisode où le flibustier n'est plus que l'ombre de lui-même, comme asséché par des tonnes de maquillages, d'accessoires et d'artefacts, condamné à reproduire inlassablement les mêmes mimiques.

 

 

 

Alice au Pays des Merveilles, de Tim Burton, 2010

Quand deux artistes particulièrement créatifs commencent à se caricaturer, et le font de concert, ils finissent immanquablement par se trahir mutuellement. C'est ce qui arriva quand Johnny transforma le légendaire Chapelier Fou en un ersatz fluo de Jack Sparrow, tandis que Burton sabordait ce qu'il restait de son jeu en superposant à ses pupilles une paires d'yeux en CGI du plus mauvais effet. Envolée, l'étincelle de folie du comédien, numérisée, la folie de son regard, informatisé, le chaos vital qui faisait sa force, l'avatar à la peau diaphane et aux cheveux citrouille imaginé par Burton n'est plus qu'une coquille vide. Le choc est d'autant plus grand qu'à bien des égards, et le rôle et l'histoire semblaient des matériaux de premier choix pour les deux artistes, des portes d'entrée privilégiées vers leurs univers respectifs.

 

 

 

 

The Tourist, de Florian Henckel von Donnersmarck, 2010

Sans doute lassé des interprétations over the top, des accents bizarres, et des chorégraphies exigeantes, Johnny Depp comme Steven Seagal et Léa Seydoux avant lui, a voulu tenter un coup de poker extrêmement risqué. Le non-jeu total est une attitude que nous connaissons encore très mal. Pour d'obscures raisons, certains individus parviennent à déclamer un texte sans la plus petite trace d'émotion, voire en signifiant leur profonde incompréhension de ce dernier, tout en recevant les louanges de la critique institutionnelle. Ce type d'évènement, que Bruce Willis se plaît aussi à appeler “éclipses momentanées de l'acteur“ font parfois illusion de nombreuses années, et peuvent permettre à un comédien moyennement talentueux de passer pour véritablement génial. Mais malgré des efforts démesurés, Johnny Depp ne parvient pas à se fondre dans le club très fermé des non-jouants de compétition, en dépit d'un œil remarquablement torve, d'une mine admirablement bouffie, et d'une barbe plus proche du nylon croate que de toute forme de pilosité humaine.

 

 

 

Rhum Express, de Bruce Robinson, 2011

Si dans Las Vegas Parano, Depp était impressionnant, de mimétisme avec Hunter S. Thompson, ou tout simplement de crédibilité en anarcho-toxico-artistico-sociopathe, il semble avoir pris ici le concept du projet beaucoup plus à la légère, et s'en être tenu pour incarner un de ses auteurs fétiches au titre du film librement inspiré de sa vie et de ses écrits. Car en effet, à voir l'ambiance délétère, mais étrangement suave qui se dégage de l'ensemble, on en viendrait presque à se dire que le rhum a effectivement dû couler à flot sur le plateau, ce qui expliquerait le réalisme avec lequel Depp titube tout au long de cette interminable beuverie. Une hypothèse qui expliquerait également que l'acteur ait pu se contrôler plus de sept minutes en présence d'Amber Heard, une fois encore magistrale et littéralement incendiaire, dont le moindre regard, le plus infime sourire, sont autant d'ondes de choc pour le mâle en mal d'agapes. 

 

 

 

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