Le mal-aimé : Apparences, beau (mais bête) thriller hitchcockien de Robert Zemeckis

Geoffrey Crété | 25 mai 2023 - MAJ : 26/05/2023 10:13
Geoffrey Crété | 25 mai 2023 - MAJ : 26/05/2023 10:13

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie. Cette semaine : Apparences de Robert Zemeckis.

 

Affiche

"Ouvertement cheap" (NY Times)

"Plus drôle qu'effrayant" (Roger Ebert)

"On a déjà subi ça ailleurs" (Les Inrocks)

"Zemeckis n'est pas Hitchcock" (Les Echos) 

"Hitchcock doit se retourner dans sa tombe" (Télérama)

"Un thriller tout confort qui ferait sans aucun doute glousser sir Alfred Hitchcock" (Libération)

 

 

LE RESUME EXPRESS

Claire est mariée au beau et riche docteur Norman Spencer, a une grande maison au bord d'un lac, mais s'ennuie, puisque depuis le départ de leur fille, elle n'a rien à faire à part pleurer et ranger. Elle commence donc à espionner son voisin, et se persuader qu'il a tué son épouse. Encore mieux : le fantôme de sa voisine tente d'entrer en contact avec elle. Mais quand Claire la croise, vivante, elle passe pour une folle.

Sauf que les phénomènes paranormaux continuent et l'amènent sur la piste d'une mystérieuse Madison Elizabeth Frank, disparue depuis quelques années. Magie, Claire se souvient peu à peu : Norman avait une liaison avec cette étudiante, et lorsqu'elle les a surpris, elle s'est enfuit et a eu un accident de voiture qui a un peu endommagé sa mémoire.

Norman avoue que Madison s'est suicidée chez eux, et qu'il l'a fait disparaître dans le lac avec sa voiture. Mais Claire a des doutes, et elle a raison : Norman l'attaque avec un calmant qui anesthésie le corps. Il tente de mettre en scène son faux suicide dans la baignoire après avoir confessé le meurtre de Madison, mais le fantôme le surprend et il chute.

Après une longue lutte contre ses orteils, Claire s'échappe en voiture. Norman l'attaque et le véhicule plonge dans le lac, pour atterrir là où Madison est morte. Le fantôme attrape le méchant Norman et Claire survit.

Quelques temps après, elle se recueille sur une tombe au cimetière : celle de Madison, et pas celle de son horrible mari.

 

photo, Michelle Pfeiffer, Harrison FordOn mon dieu, le plot twist de l'amnésie

  

LES COULISSES

Avant d'entrer dans la galaxie Marvel dans le rôle de Coulson, Clark Gregg a entamé une carrière de scénariste. Il a ainsi été engagé par DreamWorks pour réécrire le scénario de Sarah Kernochan, réalisatrice de documentaire récompensée deux fois aux Oscars, qui s'est inspirée de sa propre expérience avec le paranormal pour écrire l'histoire d'un couple de retraités.

En 1998, Steven Spielberg offre personnellement le projet à son camarade de longue date Robert Zemeckis, alors à la recherche d'un scénario de thriller. Une équipe de premier ordre qui permet de caster les acteurs envisagés dès le départ : Michelle Pfeiffer et Harrison Ford.

Apparences est tourné lors d'une pause programmée dans la production de Seul au monde, pour permettre à Tom Hanks de perdre du poids. Le compositeur Alan Silvestri se souvient : "Vers la fin de 1998, Bob m'a dit, 'Je vais avoir besoin que tu bloques l'année 2000 pour moi. On va faire deux films et on va avoir un planning de fou'." Ce sont d'ailleurs les deux premiers films d'ImageMovers, la boîte de production co-fondée par Zemeckis, et évidemment en deal avec Dreamworks.

 

Photo Robert Zemeckis, Seul au mondeZemeckis et Hanks, le duo si populaire

 

Zemeckis assume parfaitement la tonalité hitchcockienne d'Apparences, entre Fenêtre sur cour, héroïne blonde et musique dans la grande tradition de Bernard Herrmann. Mais en grand amateur passionné de technologie, il en profite pour travailler la mise en scène et en repousser les limites, avec quantité d'effets, directement sur le plateau (le sol transparent pour des plans vertigineux) ou en post-production. Michelle Pfeiffer admettra avoir été un peu rebutée par cette lourdeur technique (un peu comme Meryl Streep sur La Mort vous va si bien).

Le cinéaste expliquait à l'époque : "J'ai dit à Rob, le superviseur des effets visuels, d'essayer d'imaginer ce qu'Alfred Hitchcock aurait fait s'il avait vécu à l'ère numérique et avait eu accès à cette technologie. Qu'est-ce qu'il aurait pu faire ? On s'est amusés à expérimenter différentes choses, mais j'espère que 90% sont invisibles".

Le réalisateur de Retour vers le futur et Contact avait néanmoins autre chose en tête : "On ne peut pas faire ce que les maîtres comme Hitchcock pouvaient faire, parce que le public aujourd'hui aurait 20 minutes d'avance. C'est le plus grand des défis, parce que je pense que le plaisir d'un tel film vient du fait de ne pas savoir à quoi s'attendre."

 

Photo Seul au mondeEn attendant le retour de Bob Zemeckis qui tourne Apparences

 

LE BOX-OFFICE

Succès. Avec un budget d'une centaine de millions de dollars (dont une grosse partie certainement consacrée à Robert Zemeckis, Harrison Ford et Michelle Pfeiffer), Apparences récolte plus de 155 millions sur le territoire américain, et presque autant dans le reste du monde. Box-office à hauteur de 291 millions donc.

 

photo, Michelle PfeifferSe payer une salle de bain toute neuve avec un cachet tout beau

 

LE MEILLEUR

Apparences est un exercice de style, que Zemeckis assume parfaitement comme un thriller hitchcockien modernisé, sous forme d'hommage à la sauce technologique moderne. Mais c'est sans aucun doute la forme la plus noble de l'exercice de style. Avec une maîtrise fabuleuse, au fil de deux bonnes heures envoûtantes, le cinéaste distille l'angoisse plutôt que se reposer sur les jump scares (rares), et profite du terrain du film de genre pour laisser sa caméra s'envoler.

Plans au-delà du réel, jeux de miroirs et d'ombres, mouvements incroyables dans le même esprit que Panic Room de Fincher qui sortira quelques mois après : Apparences rappelle que Robert Zemeckis a toujours été un explorateur des effets spéciaux, qu'il utilise ici pour encadrer le suspense avec une efficacité remarquable (le contre-plongée sur les clés, filmée sous un sol transparent).

Le cinéaste prend un plaisir réjouissant à illustrer ce scénario abracadabrantesque pour le remplir et habiller ses faiblesses, avec un sens du rythme fabuleux, aussi bien dans les frissons que l'adrénaline. Il étire à l'extrême une scène de baignoire silencieuse, où l'héroïne est immobile, pour créer un suspense de pur cinéma, puis emballe un final spectaculaire, où Claire fuit la maison en voiture (découpage ultra-précis et musique tonitruante).

Apparences ne court pas désespérément vers la ligne d'arrivée pour l'efficacité typique : le film se pose délicatement et délicieusement pour envoûter le spectateur, et l'amener à adopter le point de vue de cette héroïne ordinaire.

De chaque plan, la magnifique Michelle Pfeiffer porte tout le film sur ses épaules avec un talent d'une évidence irrésistible. C'est également par elle que s'établit ce superbe tempo. La musique d'Alan Silvestri, évidemment inspirée de Bernard Herrman, et la photographie très belle de Don Burgess (Contact, Forrest Gump), contribuent aussi énormément à l'atmosphère.

 

Photo ApparencesMichelle Pfeiffer est le moteur fantastique du film

 

LE PIRE

Un hommage reste un hommage, et au-delà de comparer frontalement Robert Zemeckis à Alfred Hitchcock, Apparences reste la mise en image prestigieuse d'un scénario passable, voire médiocre. A force d'empiler les stéréotypes du genre et vouloir se jouer des attentes, le film, persuadé d'être plus malin, s'y laisse piéger. 

 

photo, Michelle Pfeiffer, Harrison FordRegarde cette belle bougie et oublie le scénario stp

 

La caméra est moins là pour raconter que pour embellir et saisir la valeur de quelques scènes clés. L'aspect décevant de l'intrigue, qui s'engouffre volontairement dans une impasse dans la première partie du film, peut désarçonner. Et le twist se révèlera si grotesque qu'il reste finalement l'un des éléments les moins mémorables, malgré un Harrison Ford dans l'un de ses rares rôles de bad guy. Même chose pour la ficelle de la mémoire abîmée de Claire, qui arrange bien l'intrigue, d'une manière parfaitement artificielle.

Malgré ses indéniables qualités formelles et la sobriété de Michelle Pfeiffer, qui maintient le cap de l'intrigue, Apparences porte donc le poids de ses ficelles grossières, qu'il faudra reléguer au second plan pour pouvoir mieux apprécier la valeur de l'entreprise au rayon thriller et tendres frissons.

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commentaires
Pat Rick
26/05/2023 à 19:32

Vu il y a longtemps, souvenir d'un film au suspense faible.

Clarence Sterlingue
26/05/2023 à 15:55

Je sais même pas combien de fois j'ai vu ce film et c'est toujours avec plaisir. Je crois que c'est le dernier Zemeckis que j'ai vraiment aimé. Alors oui ça se vautre un peu niveau scénar', mais c'est tellement bien filmé (honnêtement pour l'époque où il est sorti c'est quand même assez fou) et Michelle Pfeiffer fait fonctionner le tout malgré tous les défauts du film.

Fox
26/05/2023 à 13:25

@Geoffrey Crété
"mais oui le scénario est vraiment plus faible pour moi"

En même temps, pour un film "hitchcockien", n'est-ce pas plutôt logique finalement.
J'ai toujours trouvé - et ce n'est que mon humble avis - qu'Hitchcock n'avait jamais brillé par ses scénar', mais qu'il savait sublimer cette simplicité par une mise en scène et un montage minutieux, une caractérisation de ses personnages au top, et des twists en veux-tu en voilà.

Zemeckis is on my list
26/05/2023 à 13:18

Un de mes films préférés réédité en blu ray aux US

Geoffrey Crété - Rédaction
26/05/2023 à 10:14

@Morcar

J'ai encore revu le film y'a quelques semaines, probablement pour la 78ème fois. Je le trouve toujours aussi excellent côté mise en scène et interprétation, mais oui le scénario est vraiment plus faible pour moi. Ca n'enlève rien à la réussite globale cela dit

Morcar
26/05/2023 à 10:08

Je vous trouve bien dur avec le scénario de ce film. Je l'ai vu au cinéma à l'époque, et revue plusieurs fois depuis car j'avais acheté le DVD (un double DVD avec "Infidèle" d'Adrian Lyne) et j'avais été justement agréablement surpris par cette idée de retournement total du scénario. Je ne l'ai pas revu depuis un bon moment, c'est vrai (mais il figure dans ma liste de films que je fais découvrir à mes ados), mais je ne pense pas qu'il souffrira des années passées.

KastorSuper
21/04/2020 à 11:23

J’adore ce film !!

alulu
20/04/2020 à 19:06

Jamais pu le finir et pourtant il y a Michelle Pfeiffer dedans.

Jayjay
20/04/2020 à 15:08

Ford pas très à l'aise dans ce rôle mais ça reste un divertissement très honnête.

ComprendsPas
20/04/2020 à 13:01

Vu au ciné à sa sortie. Techniquement parfait mais je me souviens avoir trouvé l'intrigue assez grotesque. Cela dit, il faudrait que je le revois....

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