Le mal-aimé : avant Marvel et The Suicide Squad, le Super-héros dérangé de James Gunn

Geoffrey Crété | 1 août 2021 - MAJ : 25/07/2022 17:26
Geoffrey Crété | 1 août 2021 - MAJ : 25/07/2022 17:26

Parce que le cinéma est un univers impitoyable soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec la rubrique des mal-aimés. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.    

Pour la sortie de The Suicide Squad, grande réussite hilarante et radicale, retour sur un autre film de super-héros de James Gunn, réalisé avant Marvel : Super.

 

Affiche

"Le spectacle est vite lassant et repoussant" (New Yorker)

"Super est aussi immature que ses équivalents à gros budgets" (Vulture)

"Difficile de savoir si Gunn critique ou célèbre la violence" (Washington Post)

"Attendre que Super soit enfin drôle est une expérience aussi longue que le film lui-même" (Variety) 

  

 

LE RÉSUMÉ EXPRESS

Frank est un gentil looser, miraculeusement marié à la belle Sarah. Qui va évidemment le quitter pour Jacques, gangster et propriétaire d'un club de strip-tease. Mais Dieu s'en mêle et vient réveiller Frank : il doit devenir un super-héros.

Avec l'aide de Libby, employée dans un magasin de comics, il devient The Crimson Bolt. Armé d'une clé anglaise, il tabasse les méchants dealers, les méchants pédophiles, les méchants qui doublent dans la file d'attente du cinéma. Il tente de "sauver" Sarah, retombée dans la drogue, mais la garde rapprochée de Jacques le calme.

Libby devient son associée, nom de code Boltie. Super enthousiaste et un brin sociopathe, elle veut aider Frank à libérer Sarah. Elle est violemment tuée, et Frank finit par tuer plein de monde.

Sarah le quitte définitivement pour fonder une belle famille ailleurs, et ses enfants envoient régulièrement des dessins à "oncle Frank". Parmi les images : le visage de Libby, qu'il regarde en pleurant, son lapin dans les bras.

FIN 

 

Photo Rainn WilsonSHUT UP, CRIME

   

LES COULISSES de super

Le scénario de Super traînait dans les tiroirs de James Gunn depuis 2002, avec l'idée de caster John C. Reilly. Entre temps, il a réalisé le délicieux film d'horreur Horribilis en 2006, qui n'a malheureusement pas rencontré le succès qu'il mérite (15 millions de budget, un peu plus de 12 de recettes). Mais Super ne l'a jamais quitté. Même pendant qu'il préparait ce qui aurait dû être son premier blockbuster, bien avant Les Gardiens de la galaxie (un projet dont il s'est finalement retiré, en expliquant que l'expérience avait été affreuse).

Interrogé en 2011 par Birth Movies Death, il expliquait : "Je ne pouvais pas laisser partir cette histoire. D'autres choses arrivaient ou j'entendais parler de projets similaires, ça me déprimait et je me résignais, mais ça restait dans un coin de ma tête. En 2009, mon ex-femme Jenna Fischer m'a appelé et m'a dit, 'Ça en est où Super ? C'est celui que je préfère dans tes scénarios'. J'ai répondu, 'Mon manager ne veut pas que je le fasse, je n'ai plus de financement, je ne vois personne pour jouer Frank, c'est un film ésotérique, un film très bizarre, et je ne sais pas comment le faire'. Elle m'a répondu, 'T'as pensé à Rainn pour le rôle ?'".

Rainn, c'est Rainn Wilson, partenaire de Jenna Fischer dans la série The Office, où il interprète l'étrange Dwight Schrute. Immédiatement conquis par le scénario, il accepte. Il racontait à DIY Mag : "Je suis tombé amoureux du scénario. Jenna a permis à tout ça de se faire. Elle aurait dû être créditée comme productrice exécutive, sans elle, ça ne serait pas arrivé."

 

Photo Liv Tyler, Rainn WilsonSHUT UP LOVE

 

Avec lui, la machine est relancée, et James Gunn redémarre. "Dès que Rainn a dit oui, on ne s'est pas arrêtés. On n'arrêtait pas d'essayer de faire ce film. On l'a fait pour presque rien et on était prêt, franchement, à le faire avec encore moins. On ne pensait clairement pas avoir ces acteurs au final".

Rainn Wilson pense à Elliot Page, à qui il a donné la réplique dans Juno. Mais James Gunn n'y croit pas, comme il racontait à Cinemablend : "J'avais dit à Rainn, 'Ne lui envoie pas. On va attendre des mois, il dira jamais oui, et si c'est oui, son équipe va avoir peur vu le scénario, ça va être compliqué. Laisonns-tomber'. Mais Rainn m'a dit que ça valait le coup. Donc on a envoyé le scénario, et Elliot a répondu aussitôt. On s'est vus tous les trois, j'avais un peu peur. Mais l'une des choses qu'Elliot m'a dit, c'est 'Ce que j'aime vraiment dans le scénario, c'est que tous les scénarios que je reçois, on me propose des rôles de jeunes filles pleines d'esprit et matures. Là c'est le contraire. C'est une gamine de 12 ans dans le corps d'une femme de 23 ans'".

Le réalisateur pensait assembler un tout petit film, et se retrouve avec Elliot Page, puis Liv Tyler et Kevin Bacon. Interrogé à propos de ce casting, James Gunn disait à Birth Movies Death : "Je connaissais Rainn depuis un moment et son travail, en dehors de The Office. J'étais assez sûr qu'il allait être capable de faire ce dont j'avais besoin. Mais Elliot n'a pas passé d'audition. On n'a pas eu le temps de répéter. Je n'étais pas exactement sûr avant le premier jour de tournage. Et le premier jour, Elliot devait sortir de la voiture en soutien-gorge, rire de ce mec qui a les jambes broyées. Et il faisait 14 degrés dehors. Il a vraiment foncé tête baissée dans le film".

 

Photo Ellen PageSHUT UP LIFE

 

Avec un budget minime de 2,5 millions de dollars (Kick-Ass en a coûté une trentaine et Horribilis, une quinzaine), James Gunn tourne Super entre décembre 2009 et janvier 2010, avec toute l'équipe payée au tarif munimum syndical.

Ce n'est ni la première ni la dernière expérience du cinéaste dans l'univers des super-héros : il a signé le scénario de The Specials en 2000, et sera bien évidemment engagé par Marvel pour réaliser Les Gardiens de la galaxie en 2014, Les Gardiens de la galaxie Vol. 2 en 2017, et Les Gardiens de la galaxie Vol. 3 bientôt. Avec entre temps, la pause The Suicide Squad chez Warner/DC.

La grande question derrière Super reste pour beaucoup sa ressemblance Kick-Ass. Adapté du comic de Mark Millar, le film de Matthew Vaughn, sorti un an plus tôt, a engrangé plus de 96 millions, devenant un phénomène et donnant lieu à une suite en 2013. Ami avec Millar, James Gunn a appris que Kick-Ass était lancé pendant la production. Accusé de copier le succès, il sera défendu par Millar lui-même dans les médias. Gunn résumera parfaitement la situation : "D'un côté, ça fait chier c'est certain, mais de l'autre, qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Y'a 4000 films de braquage. On peut bien avoir cinq films de super-héros-sans-vrais-pouvoirs. Ce qui m'a attristé, c'est les gens qui ont prétendu que Kick-Ass était le premier film de super-héros sans pouvoirs, alors que c'est évidemment ce classique avec John Ritter, Captain Avenger."

 

Photo Rainn WilsonSHUT UP PLAGIAT

  

LE super flop

Super a beau n'avoir coûté que 2,5 millions de dollars, c'est un flop : moins de 500 000 dollars de recettes. Plus que le film, c'est sa distribution qui est en cause : il n'a eu droit à une sortie en salles que dans quelques pays, comme la Russie, le Royaume-Uni ou l'Italie, en 2011. Aux Etats-Unis, il a été diffusé sur quelques dizaines d'écrans, au mieux. En France, c'était direct en DVD.

Interrogé sur cet échec, Rainn Wilson dira : "C'est une comédie. C'est aussi un film d'action, c'est aussi un drame, c'est aussi un film super barré. C'est tout ça en même temps, et les gens n'y sont pas habités. Ils sont habitués à, 'Oh, Avengers, y'a de l'humour, mais c'est un film d'action'. Les gens savent du coup exactement dans quel monde ils sont. Mais là, il y a différents univers, c'est perturbant. On ne sait pas si dans la scène suivante, quelqu'un va pleurer, ou si ce sera absurde, ou si ce sera une séquence en animation ou de l'action". 

 

Photo Rainn WilsonBudget marketing du film

 

pourquoi super est super

Super est une forme d'hallucination cinématographique : un film d'une violence extrême dans le fond comme dans la forme, doté d'un humour et d'un discours féroces, politiquement très incorrect, et porté par des acteurs de premier plan (Elliot Page, Liv Tyler et Kevin Bacon, autour du moins connu Rainn Wilson).

De dieu qui touche de son gros doigt lumineux la cervelle du héros (après qu'une armée de tentacules immondes ait ouvert sa boîte cranienne : James Gunn sort bien des écuries Troma) à la mort brutale d'un personnage central, en passant par le Holy Avenger et les emprunts aux comics style Scott Pilgrim, James Gunn emballe un spectacle visuellement débridé, d'une liberté de ton et de forme sensationnelle. Il a en plus un sens évident du dialogue (Frank qui touche à la voiture de Jacques, Libby qui se moque du prénom de Frank), servi à merveille par des acteurs fantastiques, Rainn Wilson et Elliot Page en tête.

Mais ce cirque n'est pas gratuit : derrière son costume de clown farceur, Super est d'une intelligence certaine. Prétendre qu'il défend la violence est une grossière erreur puisque le film passe son temps à montrer ses super-héros comme des êtres profondément déséquilibrés, malades et infréquentables, isolés et déconnectés de la réalité (Frank avec ses hallucinations divines, Libby avec ses rêves d'adolescente qui a trop lu de comics, qui viole son partenaire pour assurer un étrange rôle fantasmé et rit comme une psychopathe lorsqu'elle tue des gens).


Photo Rainn Wilson
Magie du film détricotée en salles  

 

Ce n'est pas un hasard si la magnifique Liv Tyler relève du fantasme pour le héros. Frank a beau sauver la fille de ses rêves (Sarah), il a perdu celle de la réalité (Libby), et termine seul avec un lapin, en pleurs face à ses fantasmes transposés sur papier, dans la pauvre et pathétique bande-dessinée de son existence en deux dimensions. Cette lutte entre la réalité brute et ce qui relève de la rêverie plus ou moins pathologique est au coeur de l'histoire.

Après la mort de Libby, d'une violence inouïe, le film bascule ainsi avec des "Ka-pow" et "Bam" à l'écran, tandis que Frank tue tous les méchants, propulsé par les motifs du genre (ralentis, musique triomphante). Il sauve la fille des griffes des monstres, mais celle-ci reste inaccessible. Elle le quittera, ira vivre dans sa propre réalité (une réalité belle et douce, avec un beau mari et plein d'enfants), et laissera Frank pleurer sur la sienne, détruite.

Le portrait de ce looser est d'une tendresse extrême. Il pourrait avoir fantasmé Libby et Sarah comme il a fantasmé la main du grand créateur et ses tentacules, ou il pourrait avoir vécu ces aventures incroyables et folles : il n'en reste pas moins, à la fin, le même looser esseulé.

Super questionne évidemment la violence, et surtout le rapport d'une certaine culture à cette brutalité fantasmée et lissée. Qu'il le fasse avec une énergie et un humour noir (Frank qui fracasse le crâne des méchants avec une clé à molette, pour leur dire "Ne vends pas de drogue !", "N'agresse pas des enfants !", Ne vole pas !") rend la chose encore plus folle et malicieuse. Qu'il n'ait pas peur d'aller au bout de son discours (Libby se prend une seule balle et meurt, une partie du visage arrachée), fait de Super un film pas comme les autres. Encore plus avec le recl d'une décennie de super-héros et super-succès Marvel.

 

photo, Elliot PageLe mur de la réalité dans 3, 2, 1

 

Le seul problème dans l'histoire de Super est certainement sa sortie post-Kick-Ass. Réduit au silence en partie à cause de ce sale hasard, le film de l'incorrigible James Gunn est trop méconnu vu ses ambitions et ses qualités. Il aurait pu et dû trouver un public plus grand.

En dehors de cet aspect business, Super mérite son titre, à tous les niveaux.

NDLR : Super a été tourné avant la transition d'Elliot Page, mais on a décidé de le genrer au masculin, par simple respect, et tant pis si ça dérange quelqu'un

 

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commentaires
Ecran large pourfendeur de la justice
26/07/2022 à 15:03

Ecran large pourfendeur de la justice... je me suis arrêté la

Galawar
26/07/2022 à 09:31

Excellent, ce film. Je ne l'ai vu que l'année dernière sur Outbuster mais j'ai vraiment kiffé. Plus encore que Kick-Ass d'ailleurs, puisqu'il faut comparer.

Galawar
26/07/2022 à 09:30

Excellent, ce film. Je ne l'ai vu que l'année de

Pat Rick
03/08/2021 à 10:21

Un film pas déplaisant à voir une fois, sans être génial c'est tout de même une curiosité à découvrir.

Porter
02/08/2021 à 20:32

Dans mon top 3 de film sh.
J'ose dire le mot , c'est un chef d'oeuvre même. Le meilleur film de gunn à mes yeux, bon j'ai pas vue suicid squad 2.
Ce film m'a fais passer par tout un tas d'émotions contraire. Toute la sequence final avec la mort de vous savez qui, avec la musique et tout bordel quel claque

Yes
02/08/2021 à 17:12

C'est très simple, à partir du moment où il a publiquement changé de genre tu dis "il/lui" en toutes circonstances même si c'est au passé

Comme ça vous évitez les nœuds au cerveau pour rien

Momo
02/08/2021 à 15:57

Poncherello Débat est peut etre un peu fort mais "discussion"

Comme a cité la personne au dessus de moi dans les commentaires , cela m'aurait intéressé d'avoir l'avis du rédacteur au lieu de simplement supprimé la partie. J'ai peut etre dis que c'était malhonnête mais si la raison du rédacteurs se tient, c'est tout ce qui compte

@Brady : La question était intéressante de savoir si dans une oeuvre antérieur à son changement si il faut citer ce qu'il est actuellement ou non. Car du coup il faudrait répercuter cela a tout les films ou des acteurs ont changé de nom, ou d'avis.

Brady
02/08/2021 à 12:43

Je n'ai pas vu ce film et visiblement d'autres personnes se sont posés la question : "Super" remonte à 2009-2010, soit dix ans avant qu'Elliot Page n'annonce publiquement qu'il est transgenre, hors à l'époque, Elliot était encore Ellen et donc pourquoi citer des interviews faites Avant ce coming-out trans et son changement de prénom en actualisant son prénom ? Cela n'a pas de sens...

J. Poncherello
02/08/2021 à 12:39

@Momo
Il n'y a pas de débat...
Ellen n'a jamais existée, Elliot porte un soutien-gorge et était enceinte dans Juno.

Momo
02/08/2021 à 12:12

Bon le débat à "disparu"

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