De Mother! à Requiem for a Dream : Darren Aronofsky est-il vraiment si génial ?

La Rédaction | 7 mars 2023 - MAJ : 07/03/2023 11:41
La Rédaction | 7 mars 2023 - MAJ : 07/03/2023 11:41

Retour sur la carrière de Darren Aronofsky, réalisateur du fameux Requiem for a Dream et du controversé Mother !, pour la sortie de The Whale.

Pi, Requiem for a Dream, The Fountain, The Wrestler, Black Swan, Noé, Mother! : en sept films, Darren Aronofsky s'est forgé une belle réputation. En l'espace d'une décennie, il est devenu l'un des cinéastes les plus prestigieux et réputés de sa génération. Jonglant entre les genres, maniant les petits et moyens budgets et tirant le meilleur d'acteurs de premier plan, l'Américain est désormais considéré comme un nom incontournable.

Mais est-il pour autant intouchable ? La réception de Mother! avec Jennifer Lawrence et Javier Bardem avait prouvé que non, certains le trouvant grandiose et d'autres totalement grotesque. Avec la sortie de son huitième long-métrage porté par Brendan Fraser, The Whale (lui aussi ayant divisé la critique depuis son passage à la Mostra de Venise 2022), l'occasion est donc parfaite pour revenir sur la carrière de ce cinéaste de premier plan, pour s'interroger sur sa valeur, sur l'impact de ses films, en replongeant sur ses succès et ses échecs.

La rédaction écoute donc son cœur et partage ses avis.

 

The Whale : Photo Brendan FraserFaire son bilan

 

PI

Sortie : 1999 - Durée : 1h25

 

PhotoUn bien beau premier tour de magie

 

Pourquoi Pi est un premier film impressionnant : Difficile aujourd’hui d’imaginer qu’un film comme Pi puisse encore voir le jour. Premier long-métrage, en noir et blanc, largement expérimental, consacré au déraillement mental d’un mathématicien obsédé à l’idée de résoudre une équation qui sécurisera de futures actions sur le marché de la finance, ce récit n’a absolument rien de conventionnel et encore mois de commercial.

Du moins sur le papier. Car le résultat, une spirale incroyablement immersive, première plongée de Darren Aronofsky dans la psyché d’un personnage à la fois brillant et fêlé, s’est immédiatement imposé comme une surprise. Non seulement il s’agit d’une première œuvre inclassable et forte, mais en un sens d’un véritable morceau d’histoire cinématographique, puisqu’il s’agit probablement de la dernière pépite véritablement indépendante à avoir été mise à jour par le Festival de Sundance.

 

Pi : PhotoDéjà envie de se percer le crâne

 

Pourquoi Pi est un tout petit film : Il y a de ces premiers essais beaux et excitants, au scénario passionnant, voire innovant, et à la mise en scène au pire déjà mature au mieux déjà impressionnante. Puis il y a de ces premiers essais vilains et difformes, au scénario terriblement fastidieux, voire soporifique, et à la mise en scène dépourvue d'effervescence.

2:41, note personnelle : La mise en scène et le montage cut révèlent déjà les tics cinématographiques que l'on aurait préféré ne jamais connaître (l'horrible Requiem for a Dream).
7:45, note personnelle : Ce montage est vraiment insupportable.
9:32, note personnelle : Cette esthétique en noir et blanc est vilaine.
17:05, note personnelle : Aberrations mathématiques. Embêtant pour un génie des maths.
27:25, note personnelle : La photographie en noir et blanc est vraiment atrocement laide. Il n'y a plus aucun doute.
51:17, note personnelle ; Il tourne en rond et le scénario est toujours aussi ennuyant.
1:14:28, note personnelle : Quel ennui...
1:21:00, note personnelle : Définitivement classé Pi dans la catégorie : premier film raté.

 

REQUIEM FOR A DREAM

Sortie : 2001 - Durée : 1h42

 

Requiem for a Dream : PhotoUn film pour les lier dans les ténèbres

 

Pourquoi Requiem for a Dream est un premier gros choc : S’il utilise la drogue comme toile de fond, Aronofsky ne condamne jamais directement les substances addictives. Il critique une société qui n’a de cesse de nous bercer d’illusions et fantasmes inaccessibles. Un pessimisme perpétuel pour les quatre héros qui sortent de leur prison existentielle en employant les outils qu’ils ont sous la main. Un éternel recommencement illustré par le montage d’Aronofsky qui s’accélère, sous forme de boucle infernale (la télévision vendue par Jared Leto, puis rachetée par sa mère puis revendue par son fils, ou encore la même séquence mécanique de leur prise de drogue quotidienne).

Le film est donc un choc, et verse allègrement dans l’excès, car il n’a de cesse de les dénoncer. Le sort que réserve le réalisateur à ses malheureuses victimes est extrême, la drogue fait office de gravité : leurs addictions les attirent impitoyablement vers le fond pour chuter de leur piédestal, avec un atterrissage fatal.

Que l’on soit d’accord ou non avec le propos du réalisateur, ce dernier sait parfaitement illustrer son propos à travers son rythme en crescendo nerveux qui prend de la vitesse, et où les tristes sires sont rattrapés par leurs erreurs jusqu'à une fin inévitable. La mise en scène est à l’image de ce cirque tragique : jamais dans la nuance, extrême dans le fond et donc dans la forme. Là est la force du film qui flirte avec l’outrancier. Les personnages ne pourraient inspirer que mépris, mais finalement, on se laisse porter par cette étude des mœurs et du comportement que nous livre, sans faire dans la dentelle, le cinéaste. Requiem for a Dream est un grand film.

 

Requiem for a Dream : photo, Jared LetoL'état de désespoir après le film

 

Pourquoi Requiem for a Dream est déjà un amas prétentieux : Requiem for a Dream n’est pas dénué d’idées ingénieuses et de séquences impressionnantes pour un deuxième film. Malheureusement, elles se comptent sur le bout des doigts et sont avant tout mal exploitées. Si Requiem for a Dream était un court-métrage, il serait sûrement l’un des plus remarquables de ces dernières années.

Cependant, en utilisant l’ensemble de ses atouts à l’excès sur plus de 90 minutes de métrage, il en perd toute leur vertu. Le thème musical d’une folle puissance devient lourdingue. Le montage épileptique devient tape-à-l’œil et terriblement redondant, pas aidé par un scénario des plus convenus. D’ailleurs, en cherchant à tout prix à choquer son audience, Darren Aronofsky rend son œuvre terriblement ridicule et son propos grossier.

Certains prétexteront que la surexploitation des idées de mise en scène dans l’ensemble du film correspond parfaitement à la sensation d’overdose et rentre ainsi en totale adéquation avec le thème principal de Requiem for a Dream : l’addiction. On penchera plutôt vers une autre raison : un manque cruel de maîtrise artistique saupoudré d’une pointe de prétention (déjà !).

 

THE FOUNTAIN

Sortie : 2006 - Durée : 1h36

 

The Fountain : photoDécouvrir le merveilleux

 

Pourquoi The Fountain est son premier grand film : The Fountain est de ces grands films monstrueux aux ambitions folles, qui repoussent les limites de l'expérience cinéma pour essayer de façonner quelque chose de supérieur. Le pari était risqué, et Aronofsky s'y est lancé avec une croyance et une férocité fantastiques. Que le budget ait été divisé par deux après le départ de Brad Pitt et Cate Blanchett, que le film ait été un échec cuisant en salles (à peine 16 millions pour un budget de 35) et qu'il ait profondément divisé le public et la critique, ne fait que renforcer l'acte de foi derrière ce projet extraordinaire.

Le jeu de miroir entre réalité et fiction est d'autant plus troublant que le film parle d'une quête aveugle, d'un désir de survie, d'une obsession maladive, d'une envie farouche de braver les éléments, et d'un amour pur et absolu pour une femme incarnée par Rachel Weisz, alors épouse du cinéaste. C'est tout le paradoxe de The Fountain : un film à la fois immense et simple dans ses intentions, qui côtoie des sommets en termes de puissance cinématographique tout en étant nappé dans une délicatesse saisissante.

Noyé dans ses dimensions pharaoniques et une trop grande assurance, le film est fragile. Il y a de nombreuses raisons de ne pas l'accepter, de le rejeter, de la rationaliser. Mais il y a aussi l'évidence d'une œuvre hors-norme, pour le meilleur et pour le pire : une odyssée folle et gargantuesque, comme un gigantesque trip au-delà du réel qui, même s'il a été brisé en cours de production, demeure d'une force et d'une luminosité sensationnelles.

 

The Fountain : Photo Hugh Jackman, Rachel WeiszUn duo en masterclass

 

Pourquoi The Fountain est un acte manqué : Avec la sortie de Requiem for a Dream, Darren Aronofsky confirme qu'il est un jeune réalisateur à suivre de très près et doté d'énormes ambitions. Une vision du cinéma qui sera au coeur de The Fountain, qu'il mettra pourtant six ans à monter. Versant allègrement dans le symbolisme, la philosophie, l'ésotérisme et le spirituel, Aronofsky ambitionne de nous raconter avec ce projet sa vision du monde, de l'homme, de l'amour, à travers l'expérience transcendantale d'un couple. 

Un projet peut-être un peu trop énorme pour un réalisateur aussi jeune qui, cependant, l'a accouché dans la douleur. À l'origine, le film devait mettre en scène Brad Pitt et Cate Blanchett. Le comédien étant parti sur Troie, le réalisateur perd une grande partie de son budget et met plusieurs années à redresser la barre. D'où un film limité par ses moyens, prenant quelques raccourcis et ne suivant pas la vision originale de son réalisateur qui a, en parallèle, sorti le roman graphique correspondant à ce qu'il voulait faire. 

En résulte un film bancal sur le fond, parfait sur la forme cependant, un peu trop obscur et hermétique pour le public qui ne lui réservera qu'un accueil froid en salles. Depuis, The Fountain a atteint le statut d'oeuvre culte pour une bonne partie de ses fans, mais reste toujours très en deçà de ce que l'on nous avait promis.

 

THE WRESTLER

Sortie : 2009 - Durée : 1h45

 

The Wrestler : photo, Mickey RourkeQuand tu prends un uppercut

 

Pourquoi The Wrestler est un sacré coup de poing : Comme avec Requiem for a Dream, Darren Aronofsky se pose comme le destructeur d’un american dream illusoire. Excepté qu’ici il ne filme pas la chute, mais la rédemption. Cru, cash, sans concession, le cinéaste filme le spectacle et ses coulisses : un Mickey Rourke dans la lumière, sous les projecteurs, là où il se sent vivant le jour pour basculer dans son quotidien pathétique la nuit, avec les dommages corporels que sa passion entraîne. Toutefois, son bonheur est à portée de main.

D'un côté, il y a une strip-teaseuse, magistralement interprétée par Marisa Tomei, dont l'affection sincère rend plausible un futur meilleur. De l'autre, il y a sa fille, touchante Evan Rachel Wood, avec qui il rêve de se réconcilier pour enfin vivre une existence d'homme honnête. La caméra d’Aronofsky suit ainsi le catcheur dans tous ses déplacements, veut coller au plus proche de sa réalité. Une compassion, une empathie qui ne frôlent jamais avec le pathos, tant sa mise en scène est d’une efficace discrétion pour ce colosse aux pieds d’argile. Elle est à l’image de son anti-héros : simple, imparfaite, mais authentique.

Aronofsky force le respect, sa réalisation sait toujours s’adapter à l’objet qu’il filme. Black Swan impressionnera par ses effets visuels clinquants, un ton tragique illustré par une mise en scène digne d’une tragédie grecque avec une musique grandiloquente pour appuyer le destin tragique de son cygne maudit. The Wrestler reste dans le minimaliste, sa caméra se met à la hauteur de son sujet, respire la vérité de ce bas monde, Aronofsky, comme souvent, tape dans le vrai.

 

photo, Mickey RourkeQuand tu commences à être fatigué du bon vieux Aronofsky

 

Pourquoi The Wrestler est un gros mouais : On peut reprocher beaucoup de choses à Darren Aronofsky (à très juste titre), en revanche on ne peut pas nier son talent de directeur d’acteur. D’Ellen Burstyn dans Requiem for a Dream à Jennifer Lawrence dans Mother! en passant par le puissant retour de Brendan Fraser dans le tout frais The Whale, le cinéaste sait tirer le meilleur de ses comédiens. Et dans The Wrestler, Mickey Rourke ne fait pas exception (tout autant que la sublime Marisa Tomei).

Tristement, c’est tout ce qu’on retiendra de The Wrestler. Pour une fois, Darren Aronofksy nous offre une réalisation faiblarde. Seule la scène finale est à la hauteur de son talent de metteur en scène. Trop tard pour rattraper un ensemble assez fade, sans ampleur visuelle et cruellement banale. Une observation pas surprenante et à l’image de son scénario de rédemption des plus conventionnels, déjà vu mille fois au cinéma, en mieux et en plus émouvant.

Le constat est d'autant plus chagrinant quand on sait que Darren Aronofsky a réussi à choper un Lion d'Or pour un long-métrage aussi quelconque, au profit de Démineurs. Alors qu'il a été totalement oublié (ou presque) du palmarès vénitien en 2010 avec une oeuvre autrement plus profonde et stylisé : Black Swan.

 

BLACK SWAN

Sortie : 2011 - Durée : 1h43

 

Black Swan : photoLa grâce

 

Pourquoi Black Swan est une vraie maestria : Si l'on connait l'oeuvre de Darren Aronofsky, il y a plusieurs références qui viennent en tête et qui s'alignent de manière logique : Brian De Palma, donc Alfred Hitchcock, mais aussi la japanimation. Ce n'est un secret pour personne, Aronofsky vénère le film Perfect Blue de Satoshi Kon et y a déjà fait référence dans Requiem for a Dream (la scène de la baignoire) avant de vouloir l'adapter en live pendant plusieurs années, en vain.

On ne s'étonnera donc pas de voir dans Black Swan un remake déguisé à la croisée des chemins, aboutissement logique du questionnement d'Aronofsky sur le sens profond de l'humain et son rapport à lui-même et à sa part d'ombre. Bien qu'il soit résolument ancré dans le réalisme, le film se permet quelques accointances avec le fantastique et l'étrange, un peu à la manière d'un David Lynch light, tout en parvenant à garder son identité. 

Descente dans la folie, dans la quête d'identité pervertie par ses propres névroses, le film nous propose en outre des compositions exceptionnelles de Natalie Portman, Mila Kunis et même Vincent Cassel. Thématiquement proche de son précédent film The Wrestler, auquel il semble répondre par moments, Black Swan est une merveille de cinéma, tant sur le fond que sur la forme, un joyau noir épuisant et exigeant. À bien des égards, Black Swan semble même être le film de la maturité pour Aronofsky ainsi que son entrée dans le système. Mais comme il est très contradictoire, la suite ne lui a pas forcément donné raison.

 

Black Swan : photo, Natalie PortmanPerdre la tête

 

Pourquoi Black Swan est un acte manqué : Fidèle à son habitude et dans la continuité de son œuvre, Aronofsky continue de peindre la désillusion des rêves. Nina est une jeune artiste passionnée par la danse, sa seule et unique raison de vivre, qui l'entraîne dans la folie. Jusqu’ici, rien de bien passionnant, l’art et la folie ayant souvent fait les joies du cinéma. Sauf qu’Aronofsky réalise un film sur les miroirs. Nina va se fondre dans le rôle, créant ainsi un parallèle explicite entre sa vie personnelle et Le Lac des Cygnes.

Aronofsky réussit une fois de plus à nous plonger dans les névroses de son héroïne grâce à la virtuosité de sa mise en scène qui nous fait entrer dans l’intimité de Nina, le spectateur plongeant tête baissée dans sa folie et pour l’épouser jusqu’à l’effroi. Sauf que là est le piège. Les ficelles sont bien trop grosses, et sans la caméra du réalisateur, le film serait nettement moins fort.

Natalie Portman est parfaite et Mila Kunis est délicieuse en perverse ambiguë. L’image est belle, jouant sur les tons pour parfaitement retranscrire le message que veut nous adresser Aronofsky à chaque scène. Le film est magistralement exécuté, illustre efficacement la déchéance de la danseuse. Sauf que tout cela sonne parfois comme une absurdité et finalement, le suspense y est absent (tout comme la tension), la perdition de la jeune fille étant tellement appuyée que le sort en est déjà jeté. Reste un très beau film, à l’image extrêmement léchée, porté par des acteurs qui trouvent là leurs meilleurs rôles, mais qui restera bien trop nihiliste pour pouvoir acquérir l’adhésion entière du spectateur.

 

NOÉ

Sortie : 2014 - Durée : 2h18

 

Russell Crowe : Photo NoéQuand tu veux les guider tous

 

Pourquoi Noé est un énorme spectacle inattendu : Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Budget pharaonique, date de sortie hasardeuse, promotion timide… Il n’en fallait pas plus pour que le blockbuster de Darren Aronofsky soit perçu comme un échec en puissance. Reçu plus que fraîchement par la presse et consciencieusement ignoré par le public, Noé s’est transformé en naufrage.

Et pourtant, le film est passionnant par bien des aspects. Tout d’abord, parce qu'en pleine renaissance du cinéma bigot, il propose une relecture très agressive de l’Ancien Testament, où Dieu devient une figure ambivalente. Noé y est de son côté peint en fanatique religieux assoiffé de mort et de massacres, tandis que le créationnisme est gentiment battu en brèche le temps d’une magnifique séquence. Ajoutons à cela que le film ose quantité de délires visuels rarissimes dans l’univers des blockbusters contemporains, que Russell Crowe y est magnétique comme jamais, et on tient l'un des films à grand spectacle les plus stimulants et atypiques de ces dernières décennies.

 

Noé : photo, Douglas Booth, Emma WatsonQuand tu rates le bateau

 

Pourquoi Noé est un complet naufrage : Ce n'est pas anodin si Noé est le plus gros budget de Darren Aronofsky avec 125 millions – bien plus que les 70 prévus à l'origine pour The Fountain lorsque Brad Pitt et Cate Blanchett y étaient attachés. Là, au milieu de grosses tartines numériques à peine équilibrées par des performances d'acteur faiblardes (chose à peu près exceptionnelle dans sa filmographie), le cinéaste perd son cœur. Quelque chose se dilue dans les dimensions hollywoodiennes du film.

Il y explore des thématiques qui lui sont chères, y déploie une mise en scène ample, y rejoue certaines de ses obsessions. Il retrouve la Jennifer Connelly de Requiem for a Dream, filme un Russell Crowe dans l'une de ses performances les moins plates de ces dernières années. Mais Noé semble constamment rester à côté de quelque chose : beaucoup moins profond et grandiose que ne devait l'être la note d'intention, bancal lorsqu'il s'engouffre dans le grand spectacle, maladroit quand il s'attaque de front à la Bible, le film est une étrange curiosité. Une énième preuve que Darren Aronofsky n'est jamais plus à l'aise que dans une économie réduite, et dans un cadre plus intime.

 

MOTHER !

Sortie : 2017 - Durée : 2h02

 

Photo Jennifer LawrenceLes pleurs incontrôlés devant un grand film ou...

 

Pourquoi Mother! est peut-être un film somme : Un électrochoc qui frôle l'absolu, et frappe à tous les niveaux. Dans la forme, c'est fantastique : caméra virevoltante, design sonore fabuleux, gestion de l'espace ingénieuse, effets de montage astucieux. Jennifer Lawrence y livre l'une de ses performances les plus puissantes et montre une facette inédite, tandis que Michelle Pfeiffer illumine l'écran en quelques regards et mots. Le crescendo du cauchemar est spectaculaire, et lorsque s'ouvrent les portes du chaos, l'hallucination est totale.

Dans le fond, c'est miraculeux. Mother ! pourra déranger, froisser, exaspérer par sa radicalité frontale. Mais le film offre de nombreux champs de réflexion et grilles de lecture, susceptibles de retourner l'esprit et passionner les plus attentifs. Parmi elles : une œuvre superbe sur la création, où Jennifer Lawrence incarne l'inspiration dans une maison qui symbolise un espace mental où l'artiste (Javier Bardem) se réfugie afin d'écrire.

L'accouchement de l'œuvre, accaparée et déchirée par le public, est douloureux, chaotique, incontrôlable. Darren Aronofsky parle ouvertement d'une œuvre sur mère nature, d'une relecture de la Bible, mais difficile de ne pas y voir clairement une réflexion intense et fiévreuse sur sa propre condition d'artiste.

Notre critique de Mother!

 

Mother ! : Photo , Jennifer Lawrence... l'agacement meurtrier devant l'énorme prétention

 

Pourquoi Mother! est un OVNI inclassable : Depuis ses débuts, Darren Aronofksy ne cesse de vouloir perturber, déranger voire choquer ses spectateurs de par les thématiques et la radicalité de ses oeuvres. Avec Mother!, il atteint un apogée dans l'art de la déstabilisation, livrant certainement son oeuvre la plus troublante. Cependant, il atteint dans le même temps l'apogée du ridicule de son jusqu'au-boutisme. Le mot excès serait d'ailleurs bien faible pour décrire à quel point sa dernière fiction n'a pas de limite. Cette cascade de surenchère scénaristique offre de multiples sous-textes et ouvre à d'innombrables interprétations religieuses, philosophiques, environnementales... toutes d'une futilité affligeante, d'un conformisme désarmant et d'une balourdise confondante.

Et pourtant, de la puissance intrinsèque de sa mise en scène à la performance transcendée de Jennifer Lawrence, de la beauté esthétique du grain créé par le 16mm à l'image à l'efficacité du montage (et mixage) sonore... il est impossible de nier les nombreux atouts de Mother!. Le(s) propos sont peut-être ridicule ou prétentieux, mais l'expérience cinématographique est d'une singularité saisissante et inoubliable.

Mother! n'est donc ni une bouse grandiloquente ni un chef-d'oeuvre insaisissable, c'est surtout une oeuvre unique. Il serait profondément anti-cinéma de ne pas inciter le public à voir ce genre d'oeuvre, et ce, malgré ses défauts évidents. C'est dire à quel point Darren Aronofsky frappe fort.

Tout savoir sur Mother!

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commentaires
Grey
10/03/2023 à 09:28

Dommage de critiquer à ce point le scénario de Requiem For a Dream sans parle du fait que c’est adapté et inspiré d’un livre !

Olivier637
08/03/2023 à 19:51

Sérieux faut être complètement aveugle pour considérer que the fountain, Pi, requiem for a dream, black swan et the wrestler ne sont pas des chefs d’oeuvre ou au moins de très bons films.

C’est tellement intéressant ce qu’il propose à chaque fois

Butthead
08/03/2023 à 07:07

Heu shut up Beavis heu ha ha...

Luis_Gaspardo
07/03/2023 à 21:24

"Requiem for a dream" est une de ces séances de cinéma que je n'oublierai jamais.
J'étais en pleine visite d'appartements et allais de déception en déception. J'avais trois heures à tuer entre deux visites et je me suis dit "tiens! si j'allais au cinéma me changer les idées" OUPS...
J'ai pris ce film en pleine tronche, il m'a écrasé sur mon fauteuil et sous le poids de mes propres addictions auxquelles l'empathie directe avec les personnages me renvoyait.
J'en suis sorti en larmes, à la fois rincé, désespéré mais conscient d'avoir vécu une expérience de cinéma unique.
J'ai pour ce film à la fois un dégoût profond et une admiration inconditionnelle pour sa mise en scène implacable d'efficacité, pour sa bande originale (qui me procure les mêmes frissons mnémoniques que celle de "L'exorciste") et pour la force des interprétations de son quatuor d'acteurs (Ellen Burstyn en tête)
Qu'on aime ou qu'on le déteste, ce film est un chef d’œuvre à mes yeux, parce que rarement le cinéma m'a bousculé à ce point. Et je peux montrer les dents quand on en parle avec dédain en employant des adjectifs aussi tranchants que "prétentieux", "grossier" ou "ridicule". Je renvoie l'auteur de cette contre-critique à la définition de cinéma pleine de bon sens et d'humilité du grand Yorgos Lanthimos qui dit de quelqu'un qui n'a pas aimé un de ces films qu'il "s'attendait simplement à autre chose".

444
07/03/2023 à 17:20

Dire que j'ai pu faire un selfie avec lui à St Barth après avoir contrôlé son passeport :) Oui, je sais, tout le monde s'en fout !

Cidjay
07/03/2023 à 12:11

Mother est un chef d'oeuvre, une de ces oeuvres qui vous reste en tête et ne laisse pas indifférent. The Fountain et Black Swan aussi, même si un peu moins bon à mon goût.
The Wrestler et Requiem for a dream sont bien plus terre à terre, ce sont de bons films, mais ne laisse pas sa place à une vraie réflexion (interprétation) après visionnage.
Noé, était soporifique... désolé, j'ai pas accroché du tout.

Birdy
06/11/2018 à 11:16

@ Geoffrey : oui, sous cet angle de discussion, on est d'accord; Mais pour de tels films/cinéastes, une critique au sens "on juge les qualités et défauts du film et on met une note" ne rendra jamais justice à l'oeuvre. Après, évidemment en parler il faut.

TheMoon
05/11/2018 à 14:03

D'accord avec K2000 et Corleone,

Aprés avoir vu Pi et Requiem for a dream, on a attendu longtemp le troisieme long métrage de Darren Arronofsky.

Et le choc fût total à la vision de The Fountain (du moins en salle). 2h aprés la projection j'étais encore sous le choc d'avoir vu un film aussi différent et magique.

Son meilleur film, tout les autres qui ont suivi ne m'ont pas autant marqué (peut être le plan final de The Westler mais ont est loin de ce que j'ai pu ressentir avec The FOuntain...)

Geoffrey Crété - Rédaction
05/11/2018 à 11:00

@Birdy

Sauf si on considère la critique non pas comme un simple indicateur de film à voir/éviter ou bien/pas bien, mais comme des avis mis en perspective, des tentatives d'appréhender un objet artistique, proposer des clés d'analyse, et plus généralement réfléchir le cinéma et le film en question.
De ce point de vue, un cinéaste qui partage comme Aronofsky, et un film qui divise passionnément comme Mother : c'est plus qu'intéressant d'en discuter, rencontrer des opinions différentes, et mettre en perspective son propre ressenti avec ceux des autres.

Alan Smithee
05/11/2018 à 09:49

C'est pas le pire réal du monde mais c'est le problème c'est qu'il a un style très pompier, il en fait des tonnes et il se repose trop sur des symboles ce qui a pour conséquence d'exclure les spectateurs qui ne les connaissent pas (the fountain et mother! souffrent énormément de ça).

Son meilleur film pour moi c'est The Wrestler car c'est le plus naturaliste donc celui où il en fait le moins possibles.

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