Mary Shelley : une plongée passionnante dans les origines de Frankenstein

Simon Riaux | 8 août 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 8 août 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C’est ce 8 août que sort Mary Shelley, film retraçant la jeunesse de la romancière qui devait donner naissance à la science-fiction et à un des plus grands mythes de la culture populaire. Nous avons rencontré sa réalisatrice.

En 1818, Mary Shelley, jeune épouse du poète libertin Percy Shelley, sensiblement plus âgé qu’elle, se livre à un concours improvisé. Son mari, Lord Byron, John William Polidiri et elle-même se lancèrent le défi d’écrire chacun une histoire macabre. Un concours qui l’amènera à rédiger Frankenstein.

C’est cette histoire que raconte le film qui nous intéresse, mais surtout les mois qui précèdent cette création, et façonnent celle qui s’apprête à révolutionner les lettres occidentales. Par conséquent, plutôt que de traiter le métrage par le seul angle de la critique, possiblement réducteur, nous avons choisi d’en parler directement avec sa réalisatrice.

 

photo Elle Fanning est Mary Shelley

 

En effet, si Mary Shelley n’est pas exempt de défauts, et souffre par endroit d’un rythme inégal, de dialogues sur-explicatifs et d’une timidité formelle regrettable, il n’en demeure pas moins très intéressant. Quelques années après le piteux Docteur Frankenstein, l’occasion de revisiter les origines de cette œuvre matricielle et des circonstances qui ont présidé à sa naissance nous a forcément titillé.

Nous sommes donc allés en parler avec Haifaa Al-Mansour, première femme réalisatrice d’Arabie Saoudite, qui entretient forcément un rapport bien particulier avec l’autrice. Morceaux choisis d'une discussion aussi enjouée que ludique.

« Nous devons mieux la célébrer, nous, les femmes, c’est un de ces personnages qui accompagnent notre affirmation, et nous a offert un héritage, un récit sur lequel s’appuyer en tant que femmes. »

 

photo, Bel Powley Bel Powley, la soeur de Mary, qui va perdre son innocence de cruelle manière

 

En effet, le mythe de Frankenstein a été considérablement altéré par ses adaptations cinématographiques, qui en ont déplacé progressivement la thématique centrale (l’hubris masculin et son irresponsabilité), vers des thématiques plus traditionnelles et une description du monstre bien éloignée du texte originel.

« Tout le monde y voit un récit plutôt masculin, alors qu’il s’agit d’une œuvre féminine, qui traite de sa relation avec son mari, de la présence de la mort autour d’elle, après le décès de sa mère, de plusieurs de ses enfants… Elle a eu une vie très riche, qui nous a obligé à choisir ce que nous voulions représenter dans le film, c’est le texte qui nous a servi de colonne vertébrale, nous avons suivi les thèmes de Frankenstein qui font directement écho à ce qu’elle a vécu. »

Récit d’émancipation, chronique de l’aboutissement d’un destin, Mary Shelley est aussi un rappel historique intéressant sur les rôles échus aux femmes au XIXe siècle.

 

photo Couple explosif, couple explosé

 

« Ce n’est pas une question de jalousie, de qui couche avec qui, de qui trompe et pourquoi. C’est l’odyssée de deux jeunes femmes qui traversent une société, un monde, plus vaste que tout ce qu’elles avaient connu jusqu’alors. Et c’est une société d’hommes. Elles vont vivre des choses stimulantes, mais aussi traverser des épreuves terribles. À mes yeux, le film traite autant de l’accomplissement de Mary Shelley que du parcours de ces deux sœurs. »

Prenant le parti d’expliquer comment la médiocrité d’un époux volage, menteur et désargenté, un monde machiste, et une aristocratie artistique consanguine ont révolté une jeune femme brillante, Haifaa Al-Mansour a dû marcher sur des œufs pour représenter le personnage de Percy Shelley. En effet, il eut été facile de caractériser cet artiste raté en figure exclusivement négative, à l’heure où l’expression « masculinité toxique » fait florès.

« C’est un personnage très compliqué, qui risquait d’être rejeté instantanément par le public, c’est pourquoi le casting était fondamental. Nous avons auditionné beaucoup de jeunes comédiens, et j’ai facilement arrêté mon choix sur Douglas Booth.

 

photo, Douglas BoothEntre Mary et Byron, Percy Shelley, petit libertin et artiste raté, sent son destin lui échapper

 

Il y a chez lui quelque chose de juvénile, une innocence, un charme… Quand il les greffe à ce personnage, il lui donne une humanité nécessaire. Parce que je ne voulais pas en faire un méchant, Percy n’est pas en noir et blanc. Il est plus complexe. La vie est plus complexe. La morale est plus complexe. »

Face à lui, le choix de Elle Fanning s’est rapidement imposé.

« Nous voulions quelqu’un qui pourrait surprendre le public, en rendant compte de combien Mary Shelley était jeune, mais qui serait capable d’insuffler de la maturité au personnage. Elle Fanning a fêté ses 18 ans quelques jours après la fin du tournage, ce qui était le timing parfait, en regard de l’âge de Shelley. »

Moment fort du métrage, la confrontation entre l’artiste en devenir et un des grands esprits de l’époque, Lord Byron, est l’occasion d’un portrait peu flatteur du génial poète, en satyre misogyne et lubrique. Une proposition forte

« Byron était également très sexiste, comme en témoignent les propos qu’il tenait sur les femmes, parfois empreints d’une grande bêtise. Nous avons besoin de ré-examiner le personnage, justement parce que c’est un immense poète. Mais ça, c’est une conception, un regard féminin sur l’icône. Il n’est pas l’artiste, ou le salopard, il est les deux.

 

photo, Elle Fanning De l'importance de sortir du cadre

 

Il avait un beaucoup plus grand rôle à l’origine, et j’ai décidé de le modifier de manière à ce que sa présence soit plus concentrée dans le récit. Cela me permettait également de laisser plus d’espace à Percy, mais surtout à Polidori et son texte Le Vampire. Parce qu’on ressort parfois le fameux "mais peut-être que c’est VRAIMENT Percy qui a écrit Frankenstein" et que cela permet de voir que la propriété intellectuelle à l’époque englobe mais dépasse la question du féminisme. »

Autre force de ce Mary Shelley, causer féminisme sans sombrer dans un militantisme hors sol, mais aussi l’inscrire dans un schéma plus global à savoir la lutte des classes. Ainsi, le film n’oublie jamais que les affrontements qu’il représente ont également des origines sociales.

« C’est une problématique qui est mêlée à la lutte des classes. On commente encore Byron, ses textes fabuleux, et c’est très bien, mais qui lit les poèmes de Percy ? Qui se rappelle du Vampire ? Hors, pour moi, ce sont des textes qui ont façonné la culture moderne, ce qui allait devenir la pop culture. »

Ce Mary Shelley n’est sans doute pas parfait, loin s’en faut, mais il a l’immense mérite de rappeler les racines  trop souvent oubliées d’une œuvre gigantesque, et de remettre son autrice au premier plan.

Le film de Haifaa Al-Mansour, avec Elle FanningDouglas BoothTom SturridgeBel PowleyStephen Dillane ou encore Maisie Williams, est visible en salles depuis le mercredi 8 août 2018.

 

Affiche française

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commentaires
nico
09/08/2018 à 08:40

C'est vrai que ces illustrations sont tout aussi magnifiques que le roman!

dams50
08/08/2018 à 23:02

Parlant du roman, la version illustrée par Bernie Wrightson rend particulièrement hommage au texte.

Mechanic
08/08/2018 à 19:20

De toute façon dès que ça parle féminisme, y'a toujours un gus pour venir dire un truc de petit malin, accuser à l'aveugle, sortir des théories vaseuses, ou brandir son zgeg meurtri. Sans doute pour se donner des airs de rebelle ou de bon mâle

:p

STEVE
08/08/2018 à 19:18

De toute façon dès que ça parle féminisme Simon Riaux kiffe sa race.

Sans doute pour se donner bonne image/conscience :p

Nico
08/08/2018 à 17:04

Impatient de découvrir ce film. Ce roman a été un véritable choc la première fois que je l'ai lu et il est vrai que le fantastique talent de Mary Shelley a vraiment été abîmé par une multitude d'adaptations cinématographiques plus ou moins hasardeuses. Le meilleur rendu de la créature est à mes yeux est dans la série Penny Dreadful interprété par le fantastique acteur Rory Kinnear qui a su rendre justice à la complexité de ce personnage fondateur de la littérature de science fiction moderne. Enfin un film qui s'intéresse véritablement cette femme incroyable. En passant merci d'utiliser le mot"autrice" et non pas auteure, ça fait plaisir de voir quelqu'un qui connait la langue française.