L'enquête: interview avec Denis Robert, le producteur Christophe Rossignon, et le scénariste Stéphane Cabel

Guillaume Meral | 13 février 2015
Guillaume Meral | 13 février 2015

Parmi les plus importantes et vertigineuses de ces dernières décennies, l'affaire Clearstream demeure singulièrement méconnue du grand public. On était donc particulièrement impatients de rencontrer l'homme à l'origine de cette investigation, le production Christophe Rossignon ainsi que le scénariste Stéphane Cabel.

Ecran Large : Avez-vous encore des séquelles de cette affaire aujourd’hui ?

Denis Robert : Ce que je peux vous dire, c’est que quand j’ai vu le film pour la première fois, j’ai été super ému. J’ai pleuré comme une madeleine, je n’arrivais pas à parler... On se prend dix ans de sa vie comme ça. Et même si j’ai pas vécu exactement tout ça, la maison ressemble à ma maison, le bureau ressemble à mon bureau... Et Gilles, me ressemble beaucoup, il a chopé mes mimiques, et ma manière d’interroger ; il est super fort, très très juste. Un film c’est du cristal vous savez : à un moment donné ça s’agglomère, et ça tient. On sait pas pourquoi ça tient. C’est très rare, et ce film là c’est ça. Les anglais arrivent à faire ce genre de polar mettant en scène des journalistes. Mais citez moi un film français qui ne soit pas caricatural. Il y a des films comme 1000 milliards de dollars de Verneuil, mais quand on les revoit ça a vieillit, on voit bien c’est que des caricatures.

Christophe Rossignon : Boisset a fait des très beaux films aussi. Le juge Fayard, dit le Shérif

DR : Oui mais là c’est… Je sais pas, vous l’avez vu non? Là ça tient, y a un équilibre entre tout ça qui fait que. Et le film dit beaucoup de choses sur la société française aussi. C’est assez rare, il y a Villepin, Sarkozy, (Imad) Laoud…On est dans une actualité assez chaude.

Justement, ce n’est pas un risque d’avoir sorti le film dans cette actualité politique, où tout le monde se tire dans les pattes à droite et à gauche ?

CR : Ca d’abord, on l’a pas anticipé (rires). Et puis est-ce que c’est en ce moment… Au début du film, on voit Denis dans son travail à Libe, comme il était journaliste là-bas, et on comprend qu’il a déjà mis son nez dans d’autres affaires. Celles qu’on a peut-être oublié, merde comment c’est…Carignon ! Denis l’a fouillé en long, en large et en travers. S’il était resté à Libé, il aurait eu du grain à moudre tout le temps. T’en avais déjà, tu t’es mis sur un autre truc, et t’en aurais toujours eu. Y ‘a pas de creux là-dedans quelque part. C’est d’ailleurs le motif de l’altercation avec ton rédacteur en chef qui te le dit… C’est tout le temps quoi.

DR : Ca c’est une scène que j’ai vraiment vécu. J’ai quitté Libération pour ça. C’était la goutte qui a fait déborder un vase qui était déjà un peu plein. J’ai écris un édito…

Stéphane Cabel: Le rédacteur en chef, c’était Jullier ?

DR : Non c’était Michel Labro, qui est aujourd’hui rédac chef du Nouvel Obs… Il me l’a demandé, et je n’arrivais pas à refaire l’édito. A la différence du film, je suis rentré chez moi après, j’ai acheté Libé samedi matin, et j’ai vu qu’ils avaient mis une pub à la place. Et le lundi, je suis arrivé j’ai quitté le journal.

 

Le thème de David contre Goliath, avec le quidam qui, par intégrité, part en croisade contre un système beaucoup mieux armé que lui est souvent bien exploité par les anglo-saxons, notamment le cinéma américain. Je pense par exemple à Révélations, à mon avis le prototype absolu. Est-ce que c’était une filiation qui s’est imposée d’elle-même dés la conception, ou est-ce les exigences de la narration qui vous ont poussé à aller la chercher ?

DR : Je pense qu’il y a un lien entre tous ces films. J’ai parlé très tôt à Vincent (Garenq, le réalisateur ndlr) de Michael Mann et d’Insider, le film avec Al Pacino et Russell Crowe. Mon premier livre s’appelait Révélations parce que j’avais vu le film de Michael Mann, et lui s’intéressait à un ingénieur du tabac. A l’époque j’avais des ingénieurs de la finance qui sont trois, et qu’on retrouve dans le film : Régis Hemple, Florian Bourges, Ernest Backes, et j’ai des relations avec eux qui sont du même ordre que ce que raconte le film avec Russell Crowe (pour mémoire, le film relate le combat mené par un ancien ingénieur d’une grosse multinationale du tabac, qui se confie suite à son licenciement à un journaliste réputé sur les pratiques peu scrupuleuses de ses ex-employeurs… Si vous ne l’avez pas vu, courez le voir, si vous l’avez déjà vu, courez le revoir : il s’agit ni plus ni moins d’un des plus grands films des 90’s, et l’un des tout meilleurs de son auteur. C’est dire).

SC : On pensait à tous les films que vous avez cités, on pensait aussi un petit peu à Boisset dont on a déjà parlé, aussi à tous les films italiens, L’affaire Mattei, Cadavres exquis… Des films engagés, qui bien souvent traitaient de faits réels qu’ils nous reracontaient… Donc oui, bien sur que ces films là qu’on a aimé, qu’on admire sont des références, et qu’on les avait comme des phares lorsqu’on avançait.

Justement, ces films ont pour particularité de souvent autopsier les individus à l’aune de leur combat impossible. Est-ce que ça a été quelque chose de difficile à concilier avec le nombre de protagonistes à présenter, ou les ramifications complexes de l’affaire qu’il fallait prendre le temps prendre le temps de poser au spectateur ?

SC : Ce n’était pas évident à cause de cette apparente complexité. Après, à force d’étudier l’affaire, de lire et relire la presse de l’époque et tout ça… L’affaire est compliquée, mais peut-être pas tant que ça. Est-ce qu’on ne nous l’a pas rendu compliqué ? Là est là question, est- ce que ça participerait pas de quelque chose, de manière inconsciente hein, je ne prétends pas qu’il y a un complot, où l’on dirait « vous en occupez pas les gars, c’est compliqué ». Non, ce n’est pas si compliqué que ça, c’est ce que le film je l’espère montre. Il se passe quelque chose au minimum de non-transparent autour de Clearstream, et ce qui arrive ensuite effectivement complique l’affaire, quand la politique s’en empare etc.

Ce qu’on a essayé de faire, c’est de remettre les choses à leurs places, et de donner au public une vision la plus claire possible de ce qui s’est passé, en disant « puis même les gars, si c’est compliqué, vous pouvez comprendre ». Faut pas écouter le gens qui disent que c’est trop compliqué pour le public, donc pour les citoyens. Moi j’ai connu Denis Robert comme citoyen, comme lecteur de ses livres, parce que j’étais intéressé et je voulais comprendre. Quand j’y suis parvenu, j’ai réalisé que ce n’était pas si obscur que ça.

CR : Est-ce que t’as l’impression Denis que c’est les médias qui ont complexifié un peu les choses, qui ont pas fait leur boulot en le rendant difficile d’accès parce qu’ils ont été cherché quelque chose de plus croustillant, qui était l’affaire politique, avec les mensonges de Lahoud ?

DR : Quand j’ai commencé à enquêter là-dessus- je suis pas du tout journaliste financier à la base, et je parle assez mal l’anglais, j’ai toujours besoin d’un dictionnaire- je me suis rendu compte assez vite que dans ces milieux-là, le milieu de la finance, avec le concours des journalistes financiers, on utilisait à foison des termes anglais ou on rendait complexes des choses qui effectivement ne l’étaient pas. Et je n’ai jamais eu peur de passer pour une bille en posant des questions sur des points que je ne comprenais pas. Et c’est comme ça que j’ai petit-à-petit réussi à comprendre des choses qui… Personne savait ce qu’était une chambre de compensation par exemple, et c’est par la naïveté de mes questions, et grâce à des types comme Backes qui m’oint initié, que j’ai réussi à rendre intelligible des trucs que personne n’avait jamais compris.

Ces histoires de comptes non-publiés par exemple, aujourd’hui c’est rentré dans le langage courant, ou la compensation bancaire, cette dématérialisation des flux financiers etc., c’est tout un tat de choses que j’ai mis en place petit à petit et qui m’ont permis d’être écrivain, en tous cas journaliste. Prendre le temps des choses c’est faire cette pédagogie là, prendre le temps d’expliquer. Ces gens là, cette engeance là, que ce soit les traders où les journalistes financiers, ont tout intérêt à dire : « Ouhlala c’est compliqué » à utiliser des jargons etc. Parce qu’ils veulent rester entre eux, parce qu’il y a des secrets à conserver… C’est quand même dingue que dans les assemblées générales de Clearstream, il y ait toujours des journalistes financiers ; qui reçoivent d’ailleurs à la fin des petits sacs avec des stylos Mont Blancs par exemple…Il y a 20 ou 30 journalistes financiers qui recevaient ça comme cadeau. Après, allez critiquer ceux qui vous les offrent.

Il  y avait un système qui a été mis en place. Et c’est très intéressant. J’en parle dans Révélations, il y avait la liste des cadeaux que faisait Clearstream que j’ai récupéré de Backes. Vous aviez par exemple, la journaliste d’un truc anglais appelé Business Week ou des machins comme ça, qu’ensuite Clearstream embauchait pour faire des conférences, écrire des rapports… Et ils étaient payés 10000- 20000 euros. Comment voulez-vous après que ces gens là… Y avait un mélange des genres, des journalistes français aussi. Une des journalistes qui a écrit là-dessus, je ne vais pas la citer par charité, mais elle travaillait à l’association française des banques, elle a été employée par Clearstream pour faire des rapports, et ensuite c’est une nana qui a écrit sur moi.

Le thème de la mort du journalisme semble parcourir le film. Il y a la scène ou vous êtes interrogés par les juges, ou on vous accuse de déni de journalisme, la fin où vous dites que c’est une victoire du monde d’aujourd’hui. Est-ce qu’avec le recul, surtout après votre blanchiment, vous pensez toujours que le journalisme meurt  ?

DR : Non, ce n’est pas tout fait ça l’idée. C’est l’idée que l’intelligence de mes adversaires, en l’occurrence Clearstream, est d’avoir réalisé un tour de force, c’est de me faire passer pour un ennemi de la liberté de la presse. C’était complètement dingue, ils ont mis en place… Il y a eu une série d’articles, des rumeurs, ils ont utilisé des micros erreurs qu’il y avait dans le livre pour fabriquer tout ça.

Et en ce sens, dans des moments d’exaspération, j’ai pu faire comprendre au monde de la presse qu’il ne faisait absolument pas son travail. Et je m’en suis beaucoup pris aussi à ce qu’on appelle le journalisme d’investigation. Je m’en suis rendu compte, mais parmi les ennemis que j’ai eu, qui ont écrit des papiers dégueulasses sur moi, il y avaient ces journalistes d’investigations qui en fait ne privilégiaient pas l’informat

ion. En fait c’est un milieu assez clanique, ou on se jalouse beaucoup, et ces gens là défendent leur notoriété, ou leur titre avant de diffuser des informations ou de les publier. Donc je les ai eus contre moi, et il y a eu des papiers assez dégueulasses sur moi écris par ces gens là. Après, il y a eu toute la campagne orchestrée par Clearstream, parce que leur avocat était spécialiste de la diffamation en France, et avait tout un réseau de journalistes amis.

C’est comme ça qu’un jour j’écoute la radio et je tombe sur Alexandre Adler, qui fait un éditorial sur moi sur France Culture, « un petit journaliste, qui confond » je sais pas quoi ; j’ai eu droit au protocole des sages de Sion par Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo, j’ai eu droit à Elizabeth Lévy, à un édito de BHL dans le point … Tout est arrivé en même temps, je me suis fait salir comme ça, et à l’arrivée il y a toujours ce fameux adage « y a pas de fumée sans feu ». Donc c’était très difficile chaque fois, j’avais pris l’habitude de tout le temps contrer, et j’étais blessé à chaque fois qu’ils disaient un truc comme ça.

Jusqu’au jour ou vous fatiguez, parce que vous prenez des coups quand même, vous venez d’être condamné en diffamation de manière inique- la condamnation n’aurait jamais du avoir lieu , c’est pour ça qu’à un moment donné j’ai dis j’arrête, ça sert à rien de se battre, je fais un pas de côté et je me tais. Et là Clearstream était un peu désarmé. Je me souviens des déclarations, j’ai vraiment eu raison de faire ça. Donc pendant 3 ans, je me suis concentré sur le combat judiciaire, la Cour de Cassation avec mon avocat, on a monté un dossier épais comme ça, avec des preuves de tout ce qu’on avançait.

Les magistrats, qui étaient 22, ont mis deux ans à l’instruire. La cour de Cassation c’est quand même une engeance assez solide, ils se sont réunis en séance pleinière, c’est comme ça que ça se fait. Il devait y en avoir 3 ou 4 su les 22 qui connaissaient le dossier sur le bout des doigts. Ensuite ils ont voté, et je crois qu’il y avait 27 ou 28 points diffamatoires, et j’ai gagné à chaque fois. C’est comme un match de rugby où je gagnais 60 à 0 contre une multinationale ! J’ai réussi à gagner aussi parce que j’avais les moyens financiers de mener ce combat grâce au comité de soutien, et aux milliers de personne, qui m’ont soutenu. Et c’est grâce à eux aussi que le combat a été gagné.

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commentaires
Dirty Harry
13/02/2015 à 16:33

Moi il y a un truc qui m'énerve au delà de tout dans le cinéma français qui se dit "courageux" c'est que lorsqu'on a un gouvernement de droite, les films se mettent contre la droite, et lorsqu'on a un gouvernement de gauche (pas plus idéal niveau fraude : cahuzac etc...) on a des films qui critiquent ce que faisait la droite ! Je ne nie pas les affaires qui tiennent l'UMP (ainsi que Karachi, le financement du parti par Kadhafi il y aurait toute sorte de casseroles à filmer c'est évident) mais il y a une espèce de conformisme et de consensus mou qui va toujours dans le même sens, une sorte de syndrome Yves Boisset/Kassovitz, souvenez vous le film "le promeneur du champ de mars" un film mittérandolatre alors qu'il y aurait à dire sur le bonhomme (Vichy, 64 militants FLN guillotinés, ministre des Colonies....), je veux dire quelqu'un connait le sens du mot "équilibre" dans ce pays ???