Le dernier coup de marteau : Rencontre avec la réalisatrice Alix Delaporte et Clotilde Hesme

Christophe Foltzer | 14 mars 2015
Christophe Foltzer | 14 mars 2015

Comme vous pouvez le lire dans notre critique, nous avons été totalement conquis par le nouveau film d'Alix Delaporte, Le Dernier Coup de Marteau, une oeuvre d'une grande intelligence et d'une énorme sensibilité qui prouve, une fois de plus, que quelque chose se passe défintivement chez les jeunes réalisateurs français. Nous avons rencontré la réalisatrice et la comédienne Clotilde Hesme lors du dernier Festival de Saint-Jean-De-Luz pour qu'elles nous en disent un peu plus sur cet excellent film.

 

Même si le film n'a pas coûté très cher, on imagine qu'avec un sujet pareil, le montage financier n'a pas été très facile. Avez-vous rencontré des difficultés pour le faire ?

Alix Delaporte : En fait, ce n'était pas si difficile, mais c'est le processus d'écriture qui a été très long puisqu'il a duré deux ans et demi. On a demandé l'avance sur recette au CNC, qu'on n'a pas eu du premier coup et puis Canal +, qui était déjà sur mon précédent film, est arrivé, puis France 2  s'est engagé. On peut dire que pour ce type de sujet, on a eu la chance d'avoir un financement assez rapide.

 

Quand on parle du film, on pense évidemment au jeune Romain Paul dont c'est le premier rôle au cinéma. Comment s'est passé le travail avec cet adolescent qui n'avait jamais joué la comédie ?

AD : Je ne l'ai pas abordé comme un acteur mais comme un enfant, comme si c'était mon enfant à qui je disais des choses du genre "enfile tes chaussures... Fais ci... Fais ça..." On n'a jamais vraiment abordé la psychologie de l'histoire avec lui, mais je lui ai expliqué tous les niveaux de lecture qui lui échappaient. Au bout du compte, c'est un peu pareil avec les acteurs. Je ne dis pas à Clotilde comment être. Il y a des décors, des costumes, des dialogues, une histoire, il n'y a plus qu'à être en confiance. Sur mes autres films, j'avais plus tendance à parler de la psychologie des personnages, mais plus ça va, moins j'en parle.

Clotilde Hesme : Ce qui est beau, c'est de filmer des personnes, et Alix sait vraiment bien le faire. L'important, ce n'est pas d'être dans la performance, bien sûr il y a du travail, des répétitions, mais il s'agit d'être dans l'instant et ce môme a un truc magique, qu'ont les plus grands acteurs. Il est au présent. Il est réactif à ce qu'on lui envoie et n'essaye pas du tout de faire le malin, de "jouer"... Les enfants acteurs, ça peut être terrible, parfois de sont de petits singes savants, lui, il ne fait pas l'acteur. C'est une vraie personne et c'est pour ça aussi que le film est si bouleversant et que l'identification du spectateur est aussi forte. Moi, sur le tournage, je ne me sentais pas actrice mais dans la situation d'une mère qui donne les armes à son fils pour qu'il puisse vivre sans elle.


 

 

On remarque effectivement dans le film une vraie recherche d'authenticité du point de vue des émotions, sans pour autant les étaler. Comment avez-vous abordé ces choses que l'on ne doit pas dire mais qu'il faut comprendre ?

AD : J'ai l'impression que j'explore encore les mécanismes de l'émotion, parce que c'est captivant. Par exemple, dans le film, il y a un moment qui me touche comme une spectatrice, celui où la petite espagnole danse, ça me prend totalement. En fait, c'est une course de fond, nourrir chaque personnage sans projeter ses propres envies de scènes à l'avance. Je ne peux pas m'accorder cette scène à l'écriture si je n'ai pas tapissé chaque personnage progressivement avec un fond, une ambiguïté, un passé... Dès que c'est forcé, ça ne fonctionne pas, ça ne marchera pas parce que ce n'est pas le personnage. Il y a une recherche de la vérité, de la justesse, mais ça ne veut pas dire adopter une approche naturaliste.

CH : Oui, tout cela a été construit, il ne s'agit pas juste de filmer la vie telle qu'elle apparait.

AD : On nourrit chaque personnage en y revenant sans cesse, ne serait-ce qu'à l'écriture. Mais il faut encore chercher au moment du tournage, parce que des fois ça ne marche pas sur le plateau malgré les heures qu'on a passé dessus avant. Il faut chercher une forme de grâce. Et parfois, on recommence encore une fois ce processus au montage, pour trouver ce moment.

CH : On est très perfectionnistes et exigeants, mais il ne faut pas non plus que tout ce labeur se voit.

AD : Et puis c'est aussi une question de respect pour les comédiens. Le minimum c'est de ne pas leur donner des dialogues censés combler des manques dans la dramaturgie.

CH : C'est un vrai travail de dégraissage, il faut aller à l'os.

 

Alix, avant de faire de faire des films, vous étiez journaliste et documentariste. Qu'est-ce que cela a apporté à votre métier de réalisatrice ?

AD : Il y a une scène du film où j'ai l'impression de m'être retrouvée des années en arrière, quand j'étais journaliste : la première fois que Clotilde dit qu'ils vont déménager. Elle entrait pour la première fois dans le décor, on s'est dit qu'on devait tourner la scène à l'épaule. C'était la meilleure façon d'être dans ce moment-là. Après, on ne s'est pas fixés de règles. La plus grosse difficulté était de trouver la place et le type de caméra qu'on allait utiliser, pour avoir le moment le plus juste. Mon passé de journaliste ne me sert pas mais m'a permis justement de m'éloigner et de me donner le goût de la fabrication. Ca ne me donne pas envie de faire du documentaire dans le film, mais au contraire de le construire, de le fabriquer.

 

Pour conclure, quel regard portez-vous sur le cinéma français actuel ?

CH : Il y a clairement un nouveau souffle, beaucoup de jeunes réalisateurs font des propositions audacieuses, énergiques, il y a toute une bande qui arrive. Il y a de l'espoir.

AD : D'un point de vue extérieur, quand on fait voyager les films en Europe, on réalise qu'on a une chance incroyable. Si on veut faire un film en France,  on peut y arriver. On peut faire un film sur une prostituée de 60 ans qui marche, qui fait venir des gens. On a une offre très diversifiée, alors qu'en Espagne ou en Italie, il n'y a rien.

CH : J'ai le sentiment qu'on se débarrasse de la psychologie dans les films français et c'est pas mal, on retrouve un cinéma physique, engagé dans le sens du corps et ça me plait bien.

 

Nous remercions évidemment Alix Delaporte et Clotilde Hesme pour leur disponibilité, ainsi que l'équipe du Festival International du Film de Saint-Jean-De-Luz pour nous avoir permis de réaliser cette interview.

 


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