Une belle fin Rencontre avec Uberto Pasolini

Guillaume Meral | 20 avril 2015
Guillaume Meral | 20 avril 2015

Nous vous disions récemment tout le bien qu enous pension d'une Belle fin, d'Uberto Pasolini. L'occasion était trop belle de poser quelques questions à son réalisateur. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que nous avons découvert un metteur en scène loquace, prêt à parler dans le détail de son film, ainsi que de son impeccable comédien principal, Eddie Marsan.

 

Ecran Large : L’idée du film est assez atypique. Comment vous en est venue l’idée ?

Uberto Pasolini : J’ai eu la chance de tomber sur un article, en surfant sur Internet,  sur quelqu’un qui fait ce travail là pour la mairie de Westminster. Alors je suis allé la voir, nous avons fait connaissance, et j’ai passé 6-7 mois avec les personnes qui font ce travail là dans de très grandes mairies, et également très pauvres, dans le sud de Londres. On peut dire que le point de départ du film est vraiment une enquête sociale ; puis au fur et à mesure, quand j’ai vécu ces situations là, que j’ai suivi ces gens dans des visites de maisons, dans des funérailles, etc., c’est devenu quelque chose de bien plus proche et personnel. Au final, le film est un mélange de ça, à la fois quelque chose personnel, sur ce que ça veut dire d’être seul, la solitude, la mort ; et en même temps une enquête sociale dans des situations malheureusement très courantes dans le monde d’aujourd’hui, surtout au sein des grandes villes.

EL : Une chose m’a frappé, c’est que les films que vous avez aidé à porter à l’écran en tant que producteur sont assez différents de l’univers que vous avez développé en tant que réalisateur…

UP : Je ne sais pas si c’est tellement différent parce que… Premièrement je ne suis pas réalisateur, je suis producteur. J’ai réalisé par hasard deux films parce que les histoires, du fait de leurs richesses  sont devenues très proche de moi au fur et à mesure. M’étant identifié aux situations, j’ai voulu écrire les scénarios, et puis réalisé les scénarios que j’avais écrit. Mais effectivement, quand vous regardez un film comme Full Monty, c’est un film sur une réalité sociale très difficile, avec un peu de comédie. Mais ça reste pour moi un film très triste, sur une situation où, à ce moment là en particulier, il n’y avait pas de solution. Le chômage était épouvantable. Dans les années 60 en Angleterre, il y avait tout un pan de la société, qui avait travaillé dans l’acier, le charbon, les chantiers navals… C’était très, très dur.

En général, j’essaye d’utiliser le travail que je fais pour découvrir des mondes que je ne connais pas. Moi je viens d’une réalité très privilégiée, je n’ai jamais eu à penser au prochain retard de paiement, et je trouve ma vie, et  la société d’où je viens pas très intéressante. Je suis plus intéressé par des situations étranges : soit Full Monty, le petit film que j’ai tourné au Skri Lanka il y a 5-6 ans, et c’est un peu la même chose  avec Une belle fin, où je découvre  un monde qui était bien plus proche de moi, sans que je le sache. Parce que c’était à côté, j’habite Londres depuis longtemps, mais je n’avais pas eu connaissance de ce type de situations, à un niveau personnel où social.

EL : Je disais ça, parce que je trouve que vos films en tant que producteur s’enracinent plus facilement dans une certaine tradition du cinéma anglais. Tandis que sur celui-là, vous semblez développer une approche plus personnelle du sujet, sur une réalité poétique plus prononcée que vos films en tant que producteur.

UP : Peut-être… C’est difficile d’analyser, c’est plus à vous de le faire. Il y avait de la poésie dans le premier film que j’ai produit, Les amateurs,  tourné en Amérique, était adapté de  trois contes écrits par Italo Calvino écrit dans les années 50 et 60, transposés dans le chômage de l’Amérique des années 80. Peut-être il y a plus de poésie dans Une belle vie. En tous cas il s’agit du film le plus personnel sur lequel j’ai travaillé, vous avez absolument raison. Pourquoi ? Parce que pendant et  avant le tournage, j’ai mis beaucoup de moi-même. Le personnage principal tient beaucoup de moi dans l’écriture, la manière dont il bouge, dont il touche les choses…Si ce n’est que je suis très égoïste, et lui généreux.

Mais sinon le film m’a donné la possibilité de réfléchir à ce que c’est de vivre dans une famille ou seul, ouvert, et au contact avec les gens, ou sans contact du tout. Sur ce que signifiait  être égoïste et généreux…Pour moi ça a été un voyage très personnel. Et deux trois ans après avoir tourné le film, je pense encore à lui, ça me touche encore beaucoup. C’est tout à fait normal de verser une larme pour quelque chose que j’ai tourné il y a2 ans. C’est très personnel, mais ce n’était pas un exercice, je ne me suis pas embarqué dans ce voyage en essayant de dire quelque chose de moi, de personnel non. C’est le film qui m’a parlé à moi-même, ce n’est pas moi qui ait essayé de communiquer quelque chose à  travers le film. En général, quand je fais un film, je le fais pour moi, et j’espère que quelqu’un va être intéressé pour le voir, et partager des situations.

EL : Quelque part, est –ce qu’on peut voir le film comme quelqu’un qui part à la découverte du monde, alors que jusque là il semblait quand même assez replié sur lui-même ?

UP: Non. Pourquoi ? Parce que l’univers de notre personnage principal n’est pas resserré sur lui-même, il est ouvert vers les gens d’une façon différente. C’est-à-dire qu’il est tellement généreux qu’il ne pense pas à sa propre vie, à la gérer d’une façon différente. Il ne pense pas qu’il lui manque quelque chose, parce que sa vie est pleine de celle des autres, sauf que les autres sont morts. Mais ils sont là dans sa vie, ils sont très présent.

Donc pendant l’histoire, il s’ouvre d’une façon différente avec les autres, mais c’est une façon différente d’envisager ce contact, pas une chose nouvelle. Parce  qu’il était déjà ouvert, intéressé, généreux avec la vie des autres. Mais bien sur, il y a des choses  qui en même temps se réveillent, s’ouvrent, des goûts qu’il n’avait jamais ressenti – par exemple, on comprend que c’est quelqu’un qui voit la mer pour la première fois de  j’espère que c’était clair. Donc là oui, il s’ouvre à des expériences différentes, mais ce n’est pas parce qu’il sentait un manque dans sa situation, il ne se sentait pas solitaire ou triste. C’est très important pour moi qu’on ne voie pas sa vie comme quelque chose de triste, comme une vie avec une valeur moins forte de celle qu’il va avoir après. C’est une Still life (titre original du film, NDLR) , c’est-à-dire quand même une vie, avec de la valeur parce que généreuse…

Bien sur, j’imagine que la plupart du public aimerait le penser, peut-être vis-à-vis de la fille à la fin….Et il s’ouvre oui, il arrive à avoir des sensations qu’il n’avait pas eu avant, c’est sur. Mais ça ne veut pas dire que la vie qu’il avait  avant était moins valable.

EL : Sa générosité est aussi pour vous le moyen de formuler une critique sociale.

UP : Oui. C’est facile aussi de raconter une histoire pareille sans faire un film qui se révèle très politique. C’est-à-dire qu’il y a une vision politique très claire. Depuis 4-5 ans en Angleterre un gouvernement, nous avons un gouvernement qui essaye de couper dans tout ce qu’il y a de social. Le Welfare est devenu un mauvais proscrit..  Les gens qui reçoivent du welfare payment sont des gens qui seraient paresseux, qui ne mériteraient pas ce qu’ils reçoivent, qui devraient aller chercher du travail là ou il n’y en a pas…  Alors la situation politique est …devenue  très grave. Même le Labor party, ne défend que les hard-working people, comme si les autres n’existaient pas et n’essayaient pas de travailler…

Mais le monde n’est pas comme ça. Le problème, c’est qu’en coupant l’argent dévolu aux autorités locales, le gouvernement central fait pâtir  tous les services sociaux de son action. Et effectivement, pendant notre tournage, la femme qui s’occupait de la mairie de Westminster a du également s’occuper de deux mairies voisines parce qu’ils avaient virés les gens qui faisaient le même travail qu’elles. Ce n’est pas une invention de cinéma, c’est la réalité.

EL : J’imagine que le choix de l’acteur principal a été crucial. Pourquoi avoir choisit Eddie Marsan pour le rôle ?

UP : J’avais travaillé avec Eddie il y a 10 ans sur un petit film il y a dix ans, ou il jouait le valet de Napoléon sur l’île Sainte Hélène (The Emperor new clothes), et il avait trois petites scènes, dans lesquelles il avait réussi à construire un personnage complet, formidable, et très humain. Quand j’ai écrit le scénario, j’ai pensé à lui car il avait cette capacité de communiquer beaucoup en en faisant apparemment très peu. Et comme le film avait besoin de cette grammaire, avec des volumes très bas, j’avais besoin de quelqu’un qui pouvait communiquer beaucoup en faisant un volume très bas. Je lui ai donc donné le scénario, il l’a aimé, il m’a dit oui  tout de suite, et voilà.

EL : Comment vous-avez approché visuellement la réalisation du film. Vous adoptez un rythme assez lent, vous prenez le temps d’observer les choses, parfois de les mettre en perspective.

UP : On a beaucoup travaillé sur ça avec le directeur de la photographie, la chef décoratrice et Eddie pour avoir cette grammaire simple. Comme vous avez vu, la caméra ne bouge presque jamais au début du film, le cadre est symétrique, les couleurs sont désaturées... Au fur et à mesure que sa vie change, que John May quitte son bureau et commence à aller ailleurs, la caméra commence à bouger un peu, les couleurs commencent à se saturer un peu plu , y a un peu plus de musique… Et il y a une évolution dans la grammaire comme il y a une évolution dans l’expérience de vie de John May.

EL : Peut-on voir le personnage comme quelqu’un qui lie le monde des vivants à celui des morts, qui prend conscience de sa propre mortalité lorsque son voisin meurt dans l’indifférence générale ?

UP : Peut-être. Moi je ne vois pas cette angoisse, parce qu’il ne pense ni à sa vie ni à sa mort. Je crois que ce qu’il voit, dans le fait que son voisin est mort, c’est qu’ il s’agissait de quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Il était son voisin, mais il ne le connaissait pas, et ça constitue la raison immédiate de son intérêt. Et puis bien sur il trouve immédiatement cet album de photos, avec les photos d’une jeune fille,  qui se termine lorsqu’elle a atteint  peut-être 12 ans, 13 ans… Et là il y a pages vides, sans photos. Et il est pris par ça. Comme c’est son dernier cas, il va mettre toute son énergie dans la solution de ce cas là. Ca devient un peu une colère, d’une façon.

EL : Sans vouloir révéler la fin, le plan final tranche un peu avec ce qui a précédé. A quel moment vous avez décidé de …

UP : Quand j’ai lu l’article (dont est tiré le film)

EL : Dés le début donc

UP : Oui. Avant d’écrire le scénario, je savais déjà où le film devait terminer et comment il devait se terminer, avec le cadre exactement comme vous l’avez vu.  Et c’est la chose intéressante pour moi, de voir si j’allais réussir à changer la grammaire du film dans le dernier plan et voir si les gens récusaient ce passage du naturalisme au surréalisme. La majorité des gens aiment bien la chose, mais c’était un risque, effectivement, il y a un changement de grammaire.

EL : En même temps, vous ne filmez votre film de façon seulement réaliste, c’est comme si vous essayiez d’instaurer un élément de décalage, pour préparer le spectateur à ce plan final de manière inconsciente. Il ne s’agit pas de naturalisme à strictement parler.

UP : Oui,  mais en même temps il n’y a pas de volonté de dire que qu’il ne s’agit pas du monde d’aujourd’hui. Pour moi c’est un portrait de la vie de Londres, de situations absolument réelles. Il y a des gens qui me demandent si ce boulot là existe vraiment. Bien sur que ça existe, ça existe ici dans cette ville. C’est dommage que ce travail soit nécessaire, mais pour moi c’est très important que les gens ne pensent pas « Ah c’est un film, c’est une poésie, c’est  une fable… ».  Non c’est de la réalité, cette histoire est réelle, les situations sont réelles. Même si le personnage est fictif. C’est peut-être un conte, mais un conte du réel.

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