Once Upon a Time in Hollywood à Cannes : critique boulevard de l'amour

Simon Riaux | 21 mai 2019 - MAJ : 21/05/2019 21:10
Simon Riaux | 21 mai 2019 - MAJ : 21/05/2019 21:10

Chaque Tarantino présenté à Cannes est un évènement portant en lui  l’écho de la tornade Pulp Fiction, consécration électrique d’un metteur en scène qui devait pirater subitement les cerveaux de toute une génération de cinéphiles. Est-t-il avec Once Upon a Time in... Hollywood en mesure de remporter sa seconde Palme d’Or ?

 

CINEMA PARADISO

Depuis son annonce, le projet du réalisateur étonne autant qu’il inquiète. Récit kaléidoscopique se déroulant au cours de l’année 1969 et abordant la rencontre funeste entre la troupe de Charles Manson d’un côté et de Sharon Tate et ses amis de l’autre. Trip méta ? Relecture historique ? Réflexion sur la mort du rêve Hollyoodien ? Once Upon a Time in... Hollywood est tout cela à la fois, et beaucoup plus encore.

 

Photo Brad PittBrad Pitt

 

Emerveillée, Sharon Tate achète un ticket de cinéma pour  regarder le film où elle partage l’affiche avec Dean Martin : Matt Helm règle son "Comte". A l’écran, l’actrice Margot Robbie scrute la performance de l’artiste qu’elle interprète, puisque sur l’écran de cinéma, c’est la véritable Sharon Tate qui apparaît. Au-delà de la révérence effectuée par Quentin Tarantino, ce clin d’oeil est une note d’intention indiquant au spectateur le respect avec lequel Quentin aborde un sujet délicat. C’est là que se niche une des plus belles idées du film.

De la première à la dernière image, l’illusion, la fiction, le simulacre, l’original, le vrai, le faux, le crédible et le fantasmatique se mêlent. Plutôt que l’effervescence à laquelle le cinéaste nous a habitués, nous sommes emportés dans la visite d’un cimetière dont plusieurs tombes paraissent factice.


OU EST CHARLIE ?

Once Upon a Time in... Hollywood est un sidérant mausolée, qui invite sincèrement son spectateur à se perdre dans son dédale brumeux, plutôt que de s’en improviser guide. Et les  premiers égarés ne sont autres que Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, respectivement acteur à la carrière chancelante et cascadeur désinvolte, qui semblent chacun rêver l’existence de l’autre, alors que leurs affects et leurs carrières ploient sous le poids des ratages et des frustrations.

 

Photo Leonardo DiCaprioLeonardo DiCaprio

 

Tous deux portent le flambeau déjà presque éteint d’un Hollywood d’excès, d’agapes et de démences, la capitale du Vice de Kenneth Anger, un labyrinthe dont eux-mêmes ont depuis bien longtemps perdus les clefs. Cartographes de fortune de cette bizarrerie Borgésienne, ils rappellent par endroit certains personnages de La Maison des Feuilles, convaincus d’être réels, ou persuadés de n’exister que dans l’esprit d’un narrateur tordu.

Mais de quoi parle donc Once Upon a Time in... Hollywood ? Du naufrage d’une sous-culture formidablement riche, celle du cinéma d’exploitation, d’un momentum organique du cinéma hollywoodien d’exploitation. Si Tarantino a toujours évoqué avec tendresse, voire passion, le cinéma bis, les classiques du genre et les outrances d’un cinéma longtemps privé de cinémathèque, jamais il n’a paru aussi ému en l’invitant à l’écran.

Plutôt que de se faire plaisir, le metteur en scène donne le sentiment de se consoler, d’inviter la fiction au secours du réel, de sommer l’imaginaire d’embrasser la vulgarité meurtrière de notre monde pour le racheter. Ce concept, qui servait de gag méta giga-bourrin à Inglourious Basterds, est ici porté au rang de profession de foi esthétique, et transforme l’oeuvre en chant mélancolique, qu’aucun des nombreux élans de drôlerie de QT ne peut entamer.

 

Photo Leonardo DiCaprioLeonardo DiCaprio

 

IL ETAIT UNE FOI

En cela, Once Upon a Time in... Hollywood prend le risque de laisser beaucoup des amateurs du réalisateur comme deux ronds de flan, tant le tempo et l’émotion diffuse qui exsude de l’ensemble évoque Boulevard de la mort. Film incompris et mal-aimé, il se plaisait déjà à hybrider réel et fantasmagorie pour proclamer la sainteté du 7e Art.

C’est à un voyage similaire mais beaucoup plus ample que nous sommes conviés aujourd’hui et dont la conclusion tirera bien des larmes au spectateur sensible au serment de Tarantino. Dans les dernières minutes de son film, grand et petit écran se marient, exploitation et art et essai se saluent, alors que la caméra s’élèvent, comme si héros de série B mythiques et légendes bien réelles acceptaient de fusionner, pour nous ouvrir un refuge symbolique, un haut-lieu d’imagination et de frénésie débridées. Un temple dont Quentin Tarantino nous promet qu’il ne s’écroulera pas, pourvu que nous ne fermions pas les yeux.

résumé : Pour la première fois, Quentin Tarantino émeut en profondeur à la faveur d'une rêverie mélancolique inattendue. Labyrinthe cinéphile, rêve Borgésien, et profession de foi dans le salut par la fiction, son nouveau film est une splendeur détrempée de larmes. 8/10

 

Photo Brad Pitt, Leonardo DiCaprio

Tout savoir sur Once Upon a Time... in Hollywood

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commentaires
FD
28/05/2019 à 16:22

Pourquoi tout ce mystère sur manson et tate.. ? ça circule partout que QT a surement , à l'instar d'inglorious Basterds, revisité l'histoire à sa manière et probablement tué Manson pour sauver Tate...Et même si c'est bien le cas, on s'en fout, ça nous empêchera pas d'aller voir le film... ppfff...

Pseudo
22/05/2019 à 23:18

Comme d'hab avec QT, il faut se faire son propre avis.

Gacho
22/05/2019 à 17:01

Cela sent le gros film surcoté...

Simon Riaux
22/05/2019 à 15:01

@Actar

Impossible de vous répondre plus précisément sans spoiler le film.

Actar
22/05/2019 à 14:48

Et sinon Charles Manson / Sharon Tate/ Polanski ils sont passés ou ?C'est sur ce thème casse gueule moi que j'attends Tarantino sur ce film

Geoffrey Crété - Rédaction
22/05/2019 à 13:43

@cepheide

Ecrire pendant Cannes, la tête dedans, ne permet pas de peser véritablement les sensations, les analyses. C'est pour ça que ces critiques ont une forme différente (note sur 10, et publiées comme des news et pas des critiques officielles). Donc on reviendra plus longuement et avec un peu de recul pour expliquer et affiner.

Des 10 sur 10 : Tree of Life, Mad Max : Fury Road, Le Parrain, Rencontres du troisième type, Shining, Barry Lyndon, Casino, Stalker, E.T, The Rover... On en a, oui :)

cepheide
22/05/2019 à 13:26

si 8/10, pourquoi 2 points en moins ? votre critique ne fait pas état de déception les justifiants. Petite question HS, vous avez déjà mis des 10 ? (pour moi un 10/10 c est retour vers le futur, matrix, akira...)

Dae-Soo
22/05/2019 à 11:49

Magnifique critique, et je vous remercie du fond du cœur d'avoir respecté la demande de Tarantino de ne rien dévoiler... J'ai pris beaucoup de plaisir à la lire, et les personnes comme @Dunadan feraient bien d'ouvrir leurs esprits à l'émotion et le qu'en dira-t-on. Les critiques sont ce qu'elles sont, et celle-ci est très complète et faite avec le cœur. Que vous trouviez ça déprimant renvoie justement à la nostalgie et mélancolie auxquelles Tarantino souhaite visiblement nous faire succomber dans les dernières minutes.
Mais du coup vous n'avez pas répondu à la question que vous-même avez posé: mérite-t-il une seconde Palme d'Or?

Copeau
22/05/2019 à 10:01

@Dunadan.
Pas du tout d'accord. Il est bon quand même de voir des critiques qui fassent l'effort de mettre un peu de vocabulaire, des références culturelles pas nécessairement grand public, etc. Bref d'être un peu tiré vers le haut....Comment s'ouvrir autrement ?
Par ex, avec cet article, je me suis interrogé sur le poète Borges (cité à plusieurs reprises dans l'article). Je viens de lire quelques poèmes incroyables ...sans cet article, je n'aurais pas eu cette chance ! Donc merci.

Dunadan
22/05/2019 à 08:27

C'est quoi cette critique? A force de gaver le lecteur de mots et de phrases tout droit sorties d'un texte de Proust, prenez donc votre temps pour donner a ce même lecteur l'envie de se confronter avec le film dans une salle obscure...c'est la déprime complète votre texte...

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