The Evil Within, enfant malheureux de Resident Evil et Silent Hill

Geoffrey Crété | 20 octobre 2014
Geoffrey Crété | 20 octobre 2014

La première demi-heure de The Evil Within a de quoi faire trembler – mais pas dans le sens espéré. Dans la peau d’un flic à la barbe virile, on débarque dans une vieille bâtisse décorée d’hémoglobine pour être capturé par un ninja virtuel à capuche, et se réveiller pendu, à la merci d'un Leatherface. Après avoir échappé à ses trois neurones, un couloir de pièges à la Tomb Raider II ou encore une piscine de sang inspiration The Descent, on assiste à la destruction spectaculaire de la ville, happée par une apocalypse entre Michael Bay et Dark City. En chemin, un albinos dérangé, la métamorphose du chauffeur en zombie et l'arrivée d'une autre réalité finissent de donner le ton : rien n’est trop pour The Evil Within, qui ne s’embarrasse d’aucune finesse ou suggestion pour exister.

 

Cette méthode, qui rappelle les pires heures de la saga Resident Evil, porte de toute évidence un nom : Shinji Mikami. Créateur de la série culte sponsorisée par Umbrella Corporation, l’artiste japonais tente de reprendre en main le genre qu’il s’est approprié il y a presque deux décennies, avec un démentiel taux de références à la minute. Car au-delà des gémissements et des excroissances des zombies qui rappellent The Last of Us, de premiers chapitres à l’ambiance très Alan Wake ou encore des bruits des potions et des masques d'ennemis empruntés à BioshockThe Evil Within pille Resident Evil et Silent Hill pour en tirer un jeu difforme, une aventure qui déborde de tous les côtés, pour le meilleur mais surtout le pire.


 

Resident Hill

Il suffira d’un plan pour comprendre que Mikami ne cache pas ses ambitions : la première apparition d’un zombie, penché au-dessus d’un cadavre, ressemble ainsi à s’y méprendre à celle du premier Resident Evil, au pied de la cheminée du manoir. A partir de là, le fan pourra compter sans mal les emprunts et autres clins d’œil, malheureusement tirés des derniers épisodes de la saga : les vases produits en série à briser pour trouver des munitions, les précieuses mallettes chromées dispersées sans raison, l’homme à la tronçonneuse qui harcèle le héros dans un village, la surenchère d’ennemis et d’embuscades, la démesure grotesque des boss, sans compter une tendance à sombrer dans la série Z côté intrigue – des expériences génétiques, une contamination des habitants, un antagoniste surpuissant au look improbable qui rappelle Wesker dernière génération.

 

 

Un cocktail pas bien digeste qui s’encombre en plus d’une lecture à tendance philosophique, pompée sur Silent Hill. A commencer par l’alternance des réalités, articulés autour de la zone centrale de l’hôpital, qui rappelle la construction de Silent Hill 4 : The Room. Chaque nouveau chapitre semble donc être un prétexte à un nouveau décor, comme un éventail de cauchemars plus ou moins mémorables, reliés par une vague histoire qui rappelle moins Inception que The Cell. De manière générale, l’évolution du héros, qui manque cruellement de charisme et d’humanité, peine à créer un sentiment d’angoisse introspective.

Parce qu’il copie le principe mais pas l'identité de Silent HillThe Evil Within se condamne à n’être qu’un vulgaire train fantôme, peuplé de monstres et péripéties en pagaille, alourdi par une structure en chapitres et des transitions souvent maladroites qui hachent l’aventure pour n’en faire qu’une anthologie de cauchemar à la carte. Il faudra en outre se farcir un certain nombre de séquences de boss scénarisées sans aucune imagination ni modernité, avec une embuscade déclenchée à l’approche d’une porte, qui se rouvrira une fois la horde d’ennemis éliminée. Une ficelle utilisée à outrance, qui rappelle les heures sombres des Resident Evil de ces dernières années. De quoi rêver d’un mode coop pour avaler la pilule Evil Within et en faire une odyssée moins morne.


 

Cette moyenne facture s’applique à tous les niveaux. L’infiltration, très proche de The Last of Us (bouteilles de verres, crapahutage avec ambiance sonore en sourdine, coup mortel avec une lame dans le crâne), offre la possibilité de sa cacher sous un lit ou dans un placard, mais souffre d’une IA désastreuse, où l’ennemi, enfermé dans une boucle grossière, reste insensible à certains bruits. De l’autre côté, l’approche action manque de clarté, en grande partie à cause d’un format scope difficile à assimiler, qui ne facilite pas les combats. Le scénario repose sur quelques rares scènes clés, où l’intrigue est déballée au fil de dialogues parfois surréalistes, pas aidée par une galerie de personnages basiques – le flic solitaire, barbu et alcoolique, sera ainsi aidé par un minet à lunettes, à tendance suicidaire ; de quoi se rappeler que The Evil Within a eu la noble finesse de présenter un redneck gay pour échapper aux clichés.

A ce titre, le fin du chapitre 6 constitue l’un des grands moments de The Evil Within : après avoir affronté un chien mutant de 5 mètres, qui a explosé le mur d’une église pour nous débusquer, la pauvre bête se retrouve coincée sans raison derrière une misérable grille à moitié cassée, que l’on devra traverser pour aller récupérer les lunettes de notre cher ami, tombées mais restées intactes sur le terrain de bataille. Dans ces conditions, difficile de prendre tout ceci au sérieux.

 

 

Encore et en gore

The Evil Within partage une autre chose avec son frère Resident Evil dans sa dernière période : la non peur qui y règne en maître. Au milieu d’un surenchère constante d’effets, de décors, de boss, d’ellipses, d’apparitions, de pièges et de scènes pensées come anthologiques, le jeu néglige le sentiment d’isolement total qui a fait la force d’un Silent Hill. Sans compter que toute la beauté macabre de ce dernier repose sur l'idée terrifiante que le personnage est le moteur du cauchemar, là où Sebastian Castellanos traverse une suite de tableaux chaotiques, à peine reliés par le scénario.

 


L’exploration n’épargne pas son héros, décapité, découpé, empalé, piétiné ou simplement réduit en purée au moindre faux pas, mais le simple choc de ces die and retry ne suscite qu’une émotion bien banale. Lancé à une vitesse impressionnante dès ses premiers instants, The Evil Within ne se laisse aucun temps pour mûrir. L’aventure regorge de belles idées, mais rien n’a le temps d’imprimer la rétine assez longtemps. La faute à une hystérie qui se propage dès qu’on entre dans une phase spéciale, et donc plus intéressante, la machine ne trouve pas son équilibre. En outre, la tendance qu’a le jeu à se penser comme un film, avec ses nombreuses empreints et ses cinématiques bancales, ne l’aide pas à se trouver une identité propre.

Malgré tout, la montée en puissance, de plus en plus saisissante dans la deuxième moitié, rectifie quelque peu le tir avec plusieurs chapitres très efficaces et une ambiance particulièrement prenante. Mais là encore, l'équilibre est trop fragile : le début du chapitre final, qui se déroule dans un décor assez fabuleux, se résume bien vite à une lutte hystérique et répétitive.

 

Bien sûr, tout ceci procure un plaisir certain, hérité de l’adrénaline pure et dure. Avec une quinzaine de chapitres et encore plus d'heures au compteur, l'aventure est très consistante, et déploie une énergie considérable pour satisfaire l'amateur de sensations fortes. Ca et là, The Evil Within laisse même entrevoir une belle imagination, comme lorsque le héros traverse une cimetière de têtes de poupées géantes, ou quand une chute dans un puit vertigineux se termine sur le sol d’une pièce, après que le haut et le bas aient disparus. Mais pour chacune de ces images marquantes, il y a une embuscade ordinaire, un dialogue insipide, une ficelle lourdingue, et la certitude que tout ceci a été pensé comme une machine grossière. The Evil Within n’a donc rien d’une catastrophe : sa plus grande tragédie est de ne rien apporter au genre, hormis le simple confort d’un voyage en territoire relativement connu. Car malgré ses efforts et sa volonté de concevoir un best of du genre, il lui manque une chose impossible à usurper : une âme.

 

 

 

Tout savoir sur The Evil Within

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commentaires
dZastrX
01/02/2015 à 17:42

Je n'ai joué que 3 chapitres et je partage complètement le sentiment que vous mettez très bien en exergue dans votre analyse, quant à la surenchère grotesque de ce titre...

En fait, pour ma part, bien que grand fan de littérature d'épouvante et de films d'horreurs - même Z - mon intérêt a pourtant décroché dès le premier chapitre... Les tous premiers dialogues, avant même que le jeu à proprement dit ne commence, dans la voiture de police, sont déjà très éloquents ...Quant au manque de consistance des personnages et de ce qu'ils peuvent bien avoir à se dire.

Une fois arrivé, à la porte de l’hôpital, lorsque l'autre flic dit que "ça sent le sang" et ne dégaine son flingue qu'à ce moment là, alors qu'ils devraient tous l'avoir déjà dégainé en arrivant dans la cours de l’hôpital vu le spectacle anormal qui s'y déroule, on se dit qu'en plus de la consistance, il va falloir aussi se passer du réalisme... Et enfin, comme si ça ne suffisait pas, on comprends assez rapidement aussi qu'il faudra se passer de maniabilité, en passant d'une lourdeur de commande à une caméra mal placée, dans un environnement tellement lugubre, que même avec la luminosité au max et des éclairages indirects à proximité on voit à peine certaines portes...!

Malgré tout ça, j'ai continué, parce que oui, bon, je suis fan d'horreur, alors Evil Within, c'était comme un devoir d'y jouer... La rupture entre ce jeu et moi s'est produite à peine un peu plus loin, à un moment où l'on échappe au LeatherFace via un ascenseur :
On se retrouve alors quelques étages plus haut, et là, passé une énième cinématique, comme j'en ai un peu marre de me faire courser par le costaud de service et sa tronçonneuse, j'ai immédiatement le réflexe de vouloir coincer la porte du dit ascenseur ! Normal, non ? Genre avec un objet qui traîne dans le couloir: Chaise roulante, etc...
Sauf que ça sert à rien : On ne peut pas.
Je n'en dis pas plus pour ceux qui veulent l'essayer, ce jeu, mais clairement, j'ai compris à ce moment-là que ce jeu, en plus de n'être ni consistant, ni réaliste, ni agréable à jouer ne récompenserait à aucun moment mon imagination et se contenterait de m'infliger l'absence de finesse de celui qui l'a imaginé.

J'ai encore fait 2 chapitres, juste pour voir. Au mérite de "The Evil Within", j'accorderais quand-même un certain savoir-faire en matière d'effets spéciaux ( persistances lumineuses dans le couloir d’hôpital, ... ) et en matière de visuels horrifiques ( zombies étreints de barbelés ) ; pour autant, concernant les textures ou la modélisation en général, c'est très inégal - comme souvent avec Bethesda. Conclusion : Esthétiquement, ça oscille beaucoup entre le vilainement médiocre et le joliment inspiré.
Sauf que voilà, même en ne gardant que le meilleur, ça ne fait pas un jeu !!!

...Uninstalling...

Cyprine2014
21/10/2014 à 15:46

C'est autre chose que les tests de presse spécialisée.

Genre il y a des phrases avec des mots, et même des arguments, ça fait du bien. Continuez comme ça !