Beyond : Two Souls - l'arnaque de cette fin d'année ?

Christophe Foltzer | 24 octobre 2013 - MAJ : 14/11/2018 12:41
Christophe Foltzer | 24 octobre 2013 - MAJ : 14/11/2018 12:41

« Steven Spielberg et George Lucas sont des gens un petit peu dépassés ». C'est en ces termes que David Cage nous présentait Beyond : Two souls, il y a quelques semaines. Nous avons depuis pu tester ce jeu qui aura récemment cristallisé plusieurs débats intrinsèquement liés aux évolutions récentes du medium vidéo-ludique. Si ces derniers font encore rage sur la toile, que le soft soit voué aux gémonies ou encensé, que l'on remette en question sa nature même de jeu vidéo ou que l'on loue sa volonté d'abolir les frontières entre des arts différents et à priori difficilement conciliables, la seule véritable question demeure celle de ses qualités propres et de sa capacité à atteindre les objectifs établis par son créateur.

 

On ne s'attardera pas ici sur la personnalité de David Cage, au centre de nombreux débats, par conséquents biaisés et soumis à des diktats purement subjectifs. Il paraît en revanche nécessaire de s'attarder sur les ambitions affichées de l'expérience. Elles se trouvent dans la continuité du challenge proposé par Fahrenheit et Heavy Rain, les précédentes productions de la société Quantic Dream, à savoir un rapprochement symbiotique entre cinéma et jeux vidéo, qui irait de paire avec la maturation de ce dernier.

 

En effet, David Cage appelle depuis plusieurs années à une évolution du secteur qui selon lui se ferait attendre, les gamers n'ayant pas l'opportunité de s'essayer à des œuvres véritablement complexes, riches d'émotions ou de psychologie. Ce constat comme cet appel à la sortie d'une adolescence supposée du média ont de quoi laisser sceptiques. Que dire des Final Fantasy, Metal Gear, Silent Hill, Red Dead Redemption, Bioshock, Ico, Shadow of the colossus, Okami ou plus récemment Limbo, The last of us, GTA V ou encore Walking Dead (et d'innombrables autres), qui s'efforcent depuis plus d'une décennie d'offrir au joueur des expériences riches, subtiles et complexes ? On ne sait trop si David Cage les ignore ou feint de ne pas reconnaître les qualités de ses prédécesseurs, ce qui amoindrit considérablement sa démarche.

 

Beyond : Two souls atteint-il des sommets d'écriture et d'immersion rendant instantanément caduques les productions citées plus haut ? Hélas non, c'est même tout le contraire.

 

 

 

UNE FEMME ET SON OMBRE

 

L'aventure qui nous est proposée est celle de Jodie, que nous incarnerons de son enfance jusqu'à l'âge adulte, soit durant une quinzaine d'années. Jodie possède un don, celui d'être relié en permanence et depuis son plus jeune âge à une entité invisible, baptisée Aiden. Ce dernier, tout immatériel qu'il soit, est capable d'interagir avec notre monde, de déplacer ou détruire les objets qui l'entoure, d'agresser ou de posséder les êtres humains autour de Jodie, dont il ne peut s'éloigner à l'envi, puisque qu'un lien étrange semble les attacher l'un à l'autre.

 

Indépendant mais toujours prêt à secourir sa compagne d'infortune, Aiden lui confère par la même des capacités qui ne manqueront pas d'attirer curiosité et convoitise, notamment celles de la C.I.A. Premier point d'importance, le récit est morcelé et ne suit pas de logique chronologique, le joueur ne contrôlera jamais totalement l'héroïne ou son pendant fantomatique, basculant de l'un à l'autre quand le récit l'exige. Le gameplay ne vise pas à nous faire incarner l'un ou l'autre (quoique un semblant de liberté supplémentaire définisse le contrôle d'Aiden), mais à réagir aux sollicitations qui apparaissent à l'écran. Le scénario se déroule ainsi tel un film, s'interrompant ponctuellement lorsqu'il est nécessaire d'accompagner une action à l'aide de la manette.

 

 

 

Le type d'interaction permises au joueur sera de trois natures distinctes. Le simple à coup sur le joystick, lorsque Jodie doit regarder dans une direction précise ou s'emparer d'un objet particulier, les déplacement simili-TPS, lorsque nous avons le contrôle du personnage (généralement pour aller du point A au point B, soit presque toujours une ligne droite !), ou que nous sommes sommés d'incarner l'enivrant ectoplasme (libre de ses mouvements, mais dans une zone très restreinte, aux interactions limitées et arbitraires).

 

Ce système n'évoluera jamais au cours du jeu. Il interdit hélas toute identification. Comment se sentir aux côtés des personnages, comment se plonger dans le récit, quand on n'a jamais le sentiment d'y évoluer véritablement ? Au bout de quelques minutes, on ne tient plus en main un pad, mais une télécommande, qui permet d'accélérer, ralentir ou stopper le rythme de la narration.

 

 

 

HISTOIRE ET DÉBOIRES

 

Parlons-en de la narration. Elle aurait pu permettre d'intensifier l'expérience, de nous procurer les émotions qu'un gameplay rigide et rachitique nous interdisent de ressentir. Las, David Cage a beau clamer sa volonté de dépasser cinéma et jeux vidéo, il a visiblement passé un peu trop de temps devant Hollywood Night et Rebel Assaut. Pour commencer le morcellement du scénario devient très rapidement un écueil psychologique et émotionnel. La multiplicité des séquences et des mésaventures de notre plaintive héroïne empêche de s'imprégner des ambiances propres à chaque chapitre, en amoindrit l'impact et en accentue le ridicule, sans que cet éclatement des enjeux semble répondre à autre chose qu'une volonté de suivre benoitement certaines modes hollywoodiennes.

 

On découvre ainsi successivement les péripéties d'un récit digne d'une mauvaise parodie de Martine... Jodie chez les clodos, Jodie chaman, Jodie espionne, Jodie Rambo, Jodie accoucheuse de cas sociaux... Ajoutez à cela un mauvais goût embarrassant et vous obtiendrez un scénario qui semble tout droit sorti de l'esprit d'un Michel Leeb sous speed.

 

 

 

David Cage souhait éviter le « pan-pan-boum-boum », mais Beyond : Two souls rappelle souvent les plus stupides séquences de Call of duty. Et le joueur de devoir massacrer des dizaines de flics innocents, comploter contre de vilains émirs concupiscents, attaquer de sadiques chinois, avant de massacrer une petite ville d'Afrique aux côtés d'un impayable enfant soldat. Cette dernière séquence mériterait un article à elle seule, tant elle se complait dans une suite d'invraisemblances ludiques, thématiques et scénaristiques, pour ceux qui voudraient la découvrir, armés de beaucoup d'alcool et de produits stupéfiants, sachez qu'elle ferait passer à elle seule l'intégralité de Resident Evil 5 pour un clip de Médecins sans frontières.

 

On se désole donc de voir le soft épouser les pires travers d'une concurrence que ses créateurs n'ont pas hésité à brocarder avec une arrogance malvenue. Manette en main, ces séquences laissent indifférents, puisqu'il s'avère impossible d'être sanctionné de quelque façon que ce soit. Si un die and retry bête et méchant ne s'imposait effectivement pas, l'impossibilité de perdre, ou de voir l'histoire altérée par nos actes, l'intensité et la tension s'évanouissent en même temps que la crédibilité de l'ensemble.

 

Autre problème évident : l'inutilité des choix multiples. Comme Heavy Rain avant lui, Beyond entendait proposer au joueur une aventure que sa propre pratique modèle au fur et à mesure de l'expérience. L'effort précédent de Quantic Dream souffrait d'un script simpliste et inabouti, mais d'une évolution narrative qui demandait de véritables choix au joueur et le mettait face aux conséquences de ses actes, lui assurant une profonde immersion. Ce ne sera pas le cas ici, pusique l'éclatement chronologique de l'histoire permet de toujours réaliser combien nos décisions ont peu ou pas d'influence sur le récit en cours. Pire encore, les choix déterminants n'interviendront que dans les dernières heures (les dernières minutes pour les plus importants), achevant de donner à l'ensemble un goût amer.

 

 

 

DÉCEPTION EN CHAÎNE

 

Autre pilule difficile à avaler : les invraisemblances continuelles du scénario, qui n'hésite pas à nous prendre pour de doux abrutis, ou à se contredire d'un chapitre à l'autre. Ainsi, le surpuissant Aiden se verra parfois incapable de manipuler les hommes qui menacent directement Jodie, quand nous l'avons utilisé pour faire un massacre quelques secondes plus tôt. On n'accepte mal qu'une créature capable de lancer une voiture sur un hélicoptère soit soudainement réduite à difficilement secouer un gobelet en plastique. Il est triste également que la relation entre Jodie et son « ami » n'évolue pas. Pire, le scénario se permet de trahir régulièrement les bases de leurs échanges « amour/haine » en transformant quand cela l'arrange Aiden en vulgaire factotum. Ajoutez à cela une série de twist finaux aussi prévisibles que ridicules, et quelques transformations psychologiques aussi invraisemblables que pathétiques, et vous obtiendrez l'un des récits les plus débilitants qu'il nous ait été donné de voir depuis longtemps.

 

Point sur lequel Beyond se devait de ne pas tromper le joueur : la technique. Là aussi, la déception est de mise. La modélisation du visage de Jodie impressionne, incarnée par Ellen Page, elle jouit d'une palette d'expressions extrêmement peu variées mais particulièrement convaincantes, approchant encore un peu plus du photoréalisme recherché par Quantic Dreams. Les autres personnages sont hélas beaucoup moins expressifs et beaucoup plus rigides. Willem Dafoe (qui ne bénéficie que d'une présence de quelques minutes) joue avec la conviction d'un poisson mort, les seconds rôles oscillent entre non-jeu et partitions tristement caricaturales. Les décors sont eux aussi d'une flagrante inégalité.

 

On passe ainsi d'extérieurs lumineux, aux textures fines, au niveau de détails parfois saisissant, à des intérieurs génériques, d'une grande pauvreté architecturale et stylistique. Plus généralement, le jeu sombre dans les méandres de l'uncanny valley, principe selon lequel plus la proximité avec la réalité d'un produit l'imitant est grande, plus ses défauts sont visibles, voire monstrueux. C'est le cas ici, puisque jamais les déplacements ou mouvements des personnages, pourtant objectivement réussis, ne paraissent naturels.

 

 

  

Révolution technologique, avancée thématique, esthétique et psychologique... Beyond : Two souls s'annonçait fièrement comme une date dans l'histoire vidéo-ludique. En lieu et place de cela, le joueur aura l'effroi de découvrir que les dizaines d'euros investis dans cette exclusivité PS3 se seront évanouis en une petite dizaine d'heures, au profit d'un récit ampoulé, alambiqué, d'une stupidité et d'une incohérence confondantes, qui ne s'inquiète jamais de son implication, et ne parvient même pas à lui décrocher la mâchoire techniquement. On serait bien tenté de rappeler à David Cage que comme Oscar Wilde l'écrivait, « C'est plus la vie qui imite l'art, que l'art qui imite la vie », mais ses récentes déclarations sur les possibilités offertes par la prochaine génération de consoles et l'orientation de Quantic Dream laissent craindre qu'il n'y entende pas grand chose.

 

 

 

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commentaires
Adeline
20/09/2020 à 12:03

On se demande si le journaliste juge le jeu, ou s'il juge plutôt David Cage et sa personnalité.

Les jeux qu'il évoque sont évidemment des chefs-d'oeuvre mais ça n'empêche pas Beyond de l'être aussi, émotionnellement parlant c'est quand même une expérience qu'on ne vois pas tous les jours et dans tous les jeux.

C'est mon premier Quantic Dream en ce qui me concerne et je suis resté scotché sur l'ambiance, l'univers et les thèmes abordés, il n'y a rien d'originale dans ses thèmes maintes fois évoqué mais je trouve l'approche et la manière de les appréhender plutôt novateur.

CazuMaru
06/08/2018 à 23:57

Les critiques énoncées par l'auteur sont légitime mais l'analyse est complètement en dehors de la réalité.
Il est fort possible que vous ne vous soyez, pour votre test, simplement aidé d'avis extérieur sans avoir même posé les mains sur la manette.
Je finirai en vous disant qu'un jeu se note selon ses qualités et ses défauts mais se juge par les émotions qu'il a su nous faire ressentir. Et pour le coup Beyond Two Souls à réussi son pari

Simon Riaux
19/06/2018 à 16:04

Oh oui.

Et c'est probablement un des jeux les plus navrants de tous les temps.

Slancio
19/06/2018 à 15:25

La personne qui a écrit cette critique a t-elle vraiment fait le jeu ?

Darombre
21/05/2018 à 04:34

Enfaite tout est dis dans le commentaire précédent ... Ok on est en 2018 et c'est que maintenant que j'ai finis le jeu mais je viens de me rendre compte que je viens de finir le jeu 2 fois en 2j et ça ne m'était pas arrivé depuis the last of us bref tout ça pour dire que ce jeu c'est vraiment quelque chose. Personnellement je l'ai adoré et je comprends pas pourquoi ce journaliste le bash comme ça ... Après il vient nous balancé des références vue et revue comme GTA final fantaisie etc... Perso j'ai pas joué à grand chose de tout ces jeux la mis à part les GTA et métal Gear solid mais quand je vois qu'il les compare à eux j'en reviens pas ! Qu'on se mette d'accord j'adore la série des métal Gear et GTA c'est pas la le problème mais en un jeux David Cage à réussi à me donner beaucoup plus de sensations que dans métal Gear solid pp pourtant je dois bien avoir une 60taine d'heures dessus voir plus. Bref jpense que le journaliste c'est encore une fois un rageux qui n'accepte pas les nouveau concept de jeux et qui préfèrent resté sur ses grands titre habituelle. Mais bon ya toujours des opposants à chaque nouveautés ;)

JetjoO
11/05/2018 à 02:52

On a pas du jouer au même jeu visiblement.
Critique relativement bien écrite mais dans laquelle je ne reconnais vraiment pas le jeu de Cage.
Comme quoi les goûts et les couleurs...