Blasphemous : critique qui se grenouille le bénitier

Simon Riaux | 22 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 22 septembre 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Entamant sa pénitence dans les pas de glorieux aînés, Blasphemous nous propose d’ensanglanter une Espagne fantasmée au gré d’une excommunication musclée. Armez-vous de courage valeureux pêcheurs (et de votre lame la plus aiguisée), les blasphémateurs de Custodia n’attendent que votre pardon tranchant.

LES LITRES DE SANG DU CHRIST

Avec l’avènement de la production indépendante est venu l’avènement du Pixel Art. Et rarement un jeu aura autant saisi l’expression au pied de lettre. Des œuvres rétro à la manière d’un Hotline Miami ont joué avec intelligence – et une indéniable créativité – avec les sprites d’antan, plus souvent pour entretenir une certaine nostalgie ou ressusciter des motifs esthétiques. Plus rarement ces jeux ont essayé d’user du Pixel Art comme un vecteur de beauté. Et c’est ce que parvient à faire Blasphemous. En cela, le jeu s’éloigne considérablement du look de The Last Door, déjà concocté par Game Kitchen.

Alors que notre héros, le Pénitent, se réveille dans l’église de sa congrégation dévastée, dont il semble le seul survivant, il entreprend sa mission solitaire. Il devra traverser tout le royaume de Custodia, dont la population quasi intégralement composée de religieux répartis en divers ordres a été corrompue, transformée en autant de hordes putrescences et fanatiques. C’est avec Mea Culpa, son épée, qu’il devra sauver leurs âmes pécheresses.

 

photoDes cut-scene bien choupi

 

Ainsi démarre Blasphemous, au pied d’une grotesque parodie de Christ, devenu ici un cadavre gigantesque et tordu. Dès cette ouverture cryptique, la gamme de couleurs, les proportions et perspectives évoquent bien sûr les jeux des années 90, mais aussi l’esthétique grandiloquente des enluminures médiévales.

Difficile de résister à ce mélange inattendu, d’autant plus qu’il s’illustre par une plongée suffocante dans un trip tout droit sorti de l’Andalousie de l’Inquisition.

 

photoEn voilà un qui n'a pas volé sa bénédiction

 

Car c’est bien de cette iconographie perturbante et incroyablement riche qui sert de terreau au soft. Custodia a beau être fictif, il semble né de l’union entre les visions religieuses d’un Goya et les créatures distordues d’un Jérôme Bosch. Peur, châtiment et souffrance sont les mamelles pourrissantes du Royaume de Custodia, dont on se demande rapidement quelle est véritablement l’Histoire.

Entre célébration des stigmates, joie des plaies et déchaînement de lubricité contrainte, l’univers qui se déploie en appelle à tout ce que la culture européenne a magnifié, refoulé puis oublié au cours des cinq derniers siècles. Y errer tient du syndrome de Stendhal, assaisonné d’un bon gros litron de sang de vierge.

 

photoEncore un qui boit son rosé n'importe comment

photo Francisco de Goya

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photoOn est bien chez Goya et Bosch

 

COURONNE DE PINES

En effet PNJ, objets et bribes de mythologie peuvent laisser penser que le Royaume, empreint d’une féroce religiosité, s’est progressivement laissé corrompre. Et si c’était le contraire, et si l’horreur qui exsude de tous les croyants, la violence sadique qu’ils expriment avec ferveur était bien le principe actif de cette version dévoyée du catholicisme ibérique ? Une chose est sûre, cette réflexion théorique et plastique est le support idéal pour le gameplay de Blasphemous.

Sorte de juste milieu entre Dark Souls, Metroid et Castlevania, le jeu propose une expérience exigeante et punitive. Le moindre saut raté, esquive tardive ou bourrinage téméraire se soldera par la mort, une ponction sur les capacités magiques de notre avatar, et son retour au dernier point de sauvegarde. Et quand on sait combien les adversaires peuvent facilement avoir raison de vous, combien le décor contient de chausse-trappes, l’expérience aura souvent tout d’une pénitence.

 

photoL'art de la sieste

 

Blasphemous n’hésitant pas, des fois, à se montrer franchement injuste avec le joueur, la radicalité de la proposition pourrait s’avérer rébarbative. Sauf que c’est là où justement, la mise en scène et la symbolique viennent sauver la mise de l’entreprise. Car le sentiment de participer à un véritable chemin de croix, d’incarner totalement la notion de pénitence fait non seulement passer la pilule, mais offre à l’ensemble une expérience moralement extrêmement complexe à appréhender.

Un sentiment vertigineux, qui pousse le joueur, manette en main, à se questionner sur le rapport masochiste qu'il entretient lui-même avec le jeu vidéo comme art performatif. Quel plaisir tire-t-il de sa souffrance et de celle de son avatar ? Il appartiendra à chacun de répondre.

 

photoImagerie sainte ou dévoyée ?

 

Car si le gameplay de Blasphemous est parfois un peu trop impitoyable, réglé pour faire rager, il est aussi d’une précision réjouissante. Chaque mouvement du Pénitent impressionne, la dégaine des monstres angoisse, et on se surprend à aimer profondément le malaise qui grandit au fur et à mesure de notre quête. Cette dernière se déroulera sur une quinzaine d’heures, qui pourra facilement doubler si le cœur vous dit de retrouver les innombrables secrets du Royaume.

Et rarement un tel choix aura semblé une évidence, tant le plaisir d’arpenter la carte est fort. Récompensé par des dizaines et des dizaines d’artefacts, certains apportant leurs lots d’amélioration, plusieurs dizaines se contentant d’enrichir la mythologie, le joueur se perd progressivement, au fur et à mesure qu’il dévoile un monde où l’alliance entre direction d’artistique et gameplay semblent atteindre un niveau de fusion extatique rarement atteint. Repentez-vous, mais pas trop.

 

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Résumé

Plongée enivrante et suffocante dans un fantasme où l'inquisition espagnole s'accouple avec la grandiloquence du gothique ibérique, Blasphemous est un passionnant Castle-Metroid-like.

Autre avis Lino Cassinat
Si Blasphemous ne fait "que" proposer une (bonne) rencontre entre conventions de gameplay passées et présentes, sa somptueuse patte graphique et son univers profondément pervers lui garantissent une réussite artistique évidente et instantanée. Un cauchemar entre Caravage et Füssli qui chope à la gorge dès ses premiers tableaux, impossible à lâcher.
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commentaires
Dirty Harry
22/09/2019 à 18:05

Des années que je pense qu'on peut faire quelque chose de stylé avec les 17 siècles de catholicisme bien solide de nos ancêtres...content que ce jeu de plateforme utilise à merveille l'esthétique qui a nourri toute l'histoire de l'art et notre environnement avant que les matérialistes et autres parpaillots ne nous assèchent de cela.

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