Little Nightmares : une petite pépite effrayante et macabre, entre Miyazaki et Ring

Geoffrey Crété | 29 mai 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 29 mai 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C'est l'histoire d'une petite fille avec un imperméable jaune fluo, qui se réveille dans un lieu étrange. Entre elle et la sortie de ce paquebot des enfers : des créatures plus ou moins humaines et monstrueuses, et un cauchemar sombre et malsain. Bienvenue dans Little Nightmares, belle petite surprise testée sur Playstation 4.

IL ÉTAIT UNE FOIS

Si Little Nightmares rappelle Limbo et Inside, ce n'est pas certainement pas un hasard : c'est l'une de ces petites mais mémorables surprises qui parviennent à exister et parfois briller sur le marché. Comme les deux joyaux du studio danois Playdead, le jeu vidéo des Suédois Tarsier Studios propose une odyssée macabre, délicieux mélange de fausse naïveté et vraie angoisse, sous forme d'un conte de fées tordu aux frontières du réel.

Comme eux, il offre un cauchemar d'une simplicité presque abstraite : un petit personnage, caractérisé non pas par un visage ou un nom mais par son imperméable jaune fluo, se réveille dans un lieu étrange. En remontant peu à peu vers la lumière à bord de ce qui se révèlera être un bateau, il croisera des créatures étranges, et notamment un équipage terrifiant et vorace, auquel il faudra échapper grâce à sa rapidité et sa malice.

 

 

LE VAISSEAU DE L'ANGOISSE

Little Nightmares brille par sa pureté diabolique. Épuré, avec une construction simple et un gameplay sobre, il est néanmoins d'une richesse visuelle et thématique envoûtante. Avec une enfant qui affronte des monstres gloutons au rythme de décors et scènes archétypales, le jeu a des allures évidentes et assumées de conte. Le programme est donc classique, avec des motifs inhérents au genre quand il faudra échapper à un ogre dans une cuisine, marcher sur la point des pieds dans une chambre, ou grimper sur les livres d'une bibliothèque.

 

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Découpé en cinq chapitres, Little Nightmares ne perd pas une seconde pour embarquer : le gameplay est d'une simplicité confondante, avec la possibilité de courir, se baisser, allumer son briquet ou encore tirer et lancer certains petits objets. L'aspect plate-forme est lui aussi limpide, avec une utilisation confortable des ficelles du genre. Ce qui n'empêche en rien d'y prendre un plaisir fou : chaque tableau est d'une efficacité redoutable, malgré des énigmes et une mécanique simplettes. Chercher une clé, se faufiler sous les tables, évoluer en silence ou encore fuir à toute vitesse pour ne pas être attrapé par une main affreuse : Little Nightmares a beau ne rien réinventer, il manie les motifs du genre avec un plaisir délicieux.

 

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LA SOIF DU MAL

Si l'aventure est aussi hypnotisante et fascinante malgré sa courte durée, c'est parce qu'elle plonge dans un univers et une atmosphère fantastiques. La direction artistique est magnifique, usant de la profondeur de champ et des dimensions pour créer un beau vertige. La caméra qui accompagne le ciré jaune offre ainsi des images saisissantes, dézoomant parfois pour offrir un aperçu inquiétant de ce monde obscur. Il suffira d'un panorama extérieur, avec un plan qui s'élargit dans une lumière aveuglante, pour trembler face à l'énigme de ce cauchemar. La superbe partition musicale de Tobias Lilja contribue à ce climat macabre, qui donnera quelques sueurs froides à l'occasion de plusieurs séquences mémorables.

 

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Little Nightmares s'amuse aussi à tordre les motifs pour glisser vers un malaise certain. Ainsi, le petit personnage sera régulièrement pris par une faim brutale et violente, qu'il devra satisfaire d'urgence. Un innocent aliment offert par un étrange personnage laissera place à un morceau de viande, et très vite la faim prendra une tournure inquiétante, puis profondément troublante. Le premier titre du jeu était Hunger, et cette question est au coeur de l'histoire, qui travaille par touches discrètes une fascinante ambiguïté.

La distribution des rôles au sein de ce cauchemar offrira ainsi quelques surprises, avec un talent certain des créateurs pour dessiner des personnages forts avec trois fois rien. De la petite fille surnommée Six, dont le visage restera un mystère, aux petites créatures à tête de champignon, en passant par un boss final sorti d'un film d'horreur japonais qui révèlera une fragilité déconcertante, Little Nightmares est un objet délicat rempli de nuances et de fines émotions.

 

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LE TOMBEAU SANS LUCIOLES

Little Nightmares pourra frustrer par son refus de livrer toutes les clés de son univers, mais c'est aussi ce parti pris qui confère à l'expérience un parfum si étrange, qui hante l'esprit bien après la conclusion. Une rangée de bébés diaboliques, des masques de chair portés par les gloutons, une file de zombies obèses, un oeil orwellien qui glace celui qui ose lui apparaître, des sangsues terrifiantes ou encore des corps distordus : le jeu offre une multitude d'éléments proprement cauchemardesques.

Impossible de ne pas être fasciné par ce cirque grotesque, qui rappelle tour à tour Massacre à la tronçonneuse, Ring et le cinéma de Hayao Miyazaki. En quelques niveaux et malgré une durée de vie trop courte, Little Nightmares balaye les genres et captive, jonglant avec une efficacité certaine entre la poésie et le lugubre, l'innocence et la monstruosité. Il passionne et excite l'imaginaire, prenant par surprise celui qui pensait être sur les rails tranquilles d'un confortable voyage horrifique.

 

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Dans sa dernière ligne droite, Little Nightmares prend une dimension passionnante, en plus d'offrir de superbes frissons avec une gestion redoutable du hors champ et de l'effet d'attente. La fin aura sans nul doute laissé quelques personnes sur leur faim. Mais plus qu'une pirouette stylistique pour contrebalancer les moyens limités du studio, c'est pourtant une superbe volonté de créer un univers grand, de dépasser le cadre de l'aventure pour étaler de belles ambitions en matière de mythologie. A ce titre, le dernier plan, somptueux, fait souffler un vent de terreur sur l'univers, qui glace le sang.

Moins percutant que Limbo, qui avait marqué les esprits avec une direction artistique magnifique et un gameplay plus inventif, moins fou qu'Inside, qui allait plus loin dans la présentation d'un univers fou et profondément étrange, Little Nightmares n'en demeure pas moins une réussite. Parce qu'il témoigne d'un vrai talent de conteur, d'une imagination débordante et d'un refus de rabaisser les ambitions pour contenter le plus grand nombre. Parce que l'aventure est à la fois envoûtante, effrayante et terriblement touchante. Parce que malgré sa durée de vie trop courte, qui risque de fruster, il y a un petit cauchemar diablement efficace, qui offre de nombreuses images mémorables. Parce qu'il y a désormais l'envie incontrôlable de suivre de près Tarsier Studios. Little peut-être, mais définitivement recommandé.

 

Affiche

 

Résumé

Little Nightmares porte parfaitement son titre : l'expérience est certes petite, mais particulièrement envoûtante et effrayante, grâce à un univers foisonnant et des séquences rondement menées. De quoi offrir une odyssée aux frontières du réel délicieusement dérangeante, et quelques fabuleuses pistes de décollage pour l'imagination.

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commentaires
Captain navet
07/07/2022 à 16:05

Jiame

Morsay
30/05/2017 à 18:24

Faut avouer que dans le genre "Inside" est un chef d'oeuvre !

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