Le Bureau des légendes saison 5 : critique d'une mise à mort en bonne et due forme

Marion Barlet | 9 mai 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Marion Barlet | 9 mai 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La saison 5 du Bureau des légendes vient de se terminer dans un final imprévisible. Série préférée des Français - à raison ? - et produit phare de Canal+, la création d'Eric Rochant vient de signer la fin d'une ère après sa cinquième saison. L'espionnage tricolore pavé d'action et de psychologie a pris une teinte réflexive sur ses propres rouages, au risque de se perdre... au risque seulement.

ATTENTION SPOILERS

QUE DE LA (BELLE) GUEULE

Grande série = grands noms. Arrivée dans le paysage français en 2015, la série misait sur la présence de Mathieu Kassovitz et son sex appeal. Tout en virilité sans poil, pas cliché et amateur de boxe, l'acteur n'a pas manqué d'attirer spectateurs et spectatrices avides de son jeu. Il s'est imposé comme le produit d'appel jusqu'à devenir le visage légendaire de l'espionnage français.

Dans cette cinquième saison, il accapare l'intrigue, comme d'habitude, mais de façon moins agaçante que dans la précédente saison, malgré un retour à la vie improbable. Homme à femmes et séducteur confirmé, Malotru est le point névralgique de la chute enclenchée. Annoncée depuis la saison 4, son caractère séducteur menace le Bureau, envoûté par ce traître, enfin maltraité dans le scénario et rendu plus complexe.

 

photo, Mathieu AmalricMathieu Amalric en JJA

 

Pour le faire descendre de son piédestal, JJA, interprété par Mathieu Amalric. Plutôt antagoniste et donc monocorde dans la précédente saison, le personnage gagne en volume et révèle le talent de son acteur. Incroyablement bien écrit, JJA amène la paranoïa dans l'oeuvre, l'infuse dans les esprits de ses collègues et surtout le nôtre. Nécessaire au récit, il est intelligement évincé des derniers épisodes, dans une réalisation qui évite la lourdeur et les redites.

Louis Garrel subit le même traitement et s'inscrit dans la même logique. Le beau gosse est venu titiller notre corde sensible, objet de curiosité, mais sa partition reste mineure. L'acteur joue les têtes brûlées et déplace la mécanique actoriale du Bureau, dont les comédiens sont tout en intériorité et quasi-froideur.

 

photo, Louis GarrelQuand quelqu'un siffle dans la rue et que t'es sûr d'être visé

 

L'ADN LÉGENDAIRE

Ce sont eux les véritables intérêts de la série. Sur le modèle de Dix pour cent (série France 2), le BDL mise sur ses acteur moins connus mais au talent remarquable. Outre Sara Giraudeau qui a fait son bonhomme de chemin depuis cinq ans (Petit Paysan, Les Envoûtés), et que la série a fait exploser, le casting est truffé d'acteurs atypiquesZineb Triki (Nadia), Florence Loiret Caille (Marie-Jeanne), Jonathan Zaccaï (Raymond), Jules Sagot (Sylvain), Stefan Crepon (Pacemaker), Irina Muluile (la Mule) et tant d'autres.

DGSE oblige, leur interprétation est limitée à des attitudes professionnelles. Humains malgré tout, ils doivent composer entre la distance, la retenue et l'équilibre d'une personnalité au second plan. On assiste donc au miracle audiovisuel de saisir leurs émotions dans un jeu précis mais non froid, expressif et minimaliste. Sylvain Ellenstein et Pacemaker nous poussent au plaisir de la geekerie, à laquelle on ne comprend rien mais dont on admire la puissance.

 

photo, Florence Loiret-CailleFlorence Loiret Caille

 

Florence Loiret Caille tire encore avec brio son épingle du jeu, sortie des bureaux pour le terrain. Mystérieuse, complexe voire complexée, et toute intérieure, Marie-Jeanne est le personnage emblématique du Bureau, celle qui en résume l'ADN. Son ascension finale réchauffe le coeur, nonobstant le grand nettoyage qu'elle implique.

Au service de la France, les membres de la DGSE ont des passe-droits professionnels mais n'en restent pas moins vulnérables. L'intrigue de Jonas (Artus) exprime le paradoxe de la double vie : malgré sa toute puissance contre l'ennemi terroriste, il n'en est pas moins vulnérable dans la sphère privée, et même, objet de convoitise malhonnête.

 

photoLes vrais héros

 

ABUS DE PATRIOTISME

Après la victoire de la Coupe du Monde de football, Le Bureau des Légendes. La fierté d'être français et la passion qu'elle implique sont un plaisir (coupable) sur lequel la série joue. Avant les deux derniers épisodes, tout va comme sur des roulettes. Les missions sont des succès, chaque entreprise atteint son but et l'on est bercé par les non-bouleversements. Technique pour nous endormir avant l'apothéose ou chauvinisme gratuit ?

Le retournement de Malotru en faveur de la France reste problématique. Il est difficile d'adhérer à son retour dans le camp DGSE et aux arguments qui l'ont fait flancher. L'explication est d'ailleurs adressée au spectateur, grâce au parallélisme avec le passé de JJA. Traitre à ses heures, il a finalement été réintégré dans la Boîte, et son cheminement est plaqué sur celui de Malotru. Patriote certes, ce dernier est davantage égoïste, centré sur lui-même et calculateur de ses propres intérêts (les femmes, son péché mignon). 

Si l'on se réjouit que Malotru revienne dans les tranchées françaises, on ne l'admet qu'à moitié. La rationalité aurait voulu qu'il pactise avec les Russes contre ses oppresseurs, et l'argument filial (sa fille lui manque) semble bien faible pour expliquer sa psychologie. Le personnage aurait gagné en densité dans un choix non complaisant envers le spectateur. Mais bien sûr, le final rebat les cartes de cette histoire trop lisse.

 

photo- Ils sont si doués que ça les Français ? - Ils en sont persuadés en tout cas.

 

ET ARRIVA AUDIARD...

On l'attendait comme le Messie dans cette cinquième saison. Jacques Audiard a réalisé les épisodes 9 et 10 et bouclé l'ère de la série Malotru, et peut-être de la série tout court. Le réalisateur d'Un prophète et de Dheepan (Palme d'or 2015) s'est occupé de faire un sort aux BDL, dont il est co-scénariste de la saison 2, et dont on nous promettait monts et merveilles. Un pareil nom ne pouvait se permettre de ne pas proposer une image retentissante, et l'on a été servi.

Alors qu'il y a toujours eu du suivi dans les mises en scène, les deux derniers épisodes marquent une rupture de style. Très orienté onirisme, Jacques Audiard synthétise ce qu'est Malotru et utilise des plans longs et évanescents. La scène de banquet aura marqué les esprits, avec un chien qui traverse la tablée et un symbolisme radical.

Très tendue, son approche cristallise une tension qui manquait dans les épisodes précédents. On est happé par la lenteur et la catastrophe imminente, sans savoir qui soupçonner, ni pouvoir rien anticiper. Le style cinéma d'auteur, revendiqué, apporte une véritable texture à Malotru, et refuse de prendre le spectateur par la main pour enfin le déboussoler. Certes démonstratif, ce geste était nécessaire pour conclure en beauté.

 

photo, Jacques Audiard, Eric RochantJacques Audiard et Eric Rochant

 

LA FIN DE CETTE LÉGENDE ?

Le roi est mort... vive la reine ! D'un point de vue scénaristique, une suite est envisageable pour Le Bureau des Légendes. Marie-Jeanne est ressortie en tête de cette fin contrastée et l'on ne dirait pas non à voir son actrice tenir la série. D'autant que le manitou Malotru n'est toujours pas mort !

Eric Rochant s'est désengagé de l'aventure et ne reprendra pas son poste de showrunner, si bien qu'une ère se termine après cinq saisons. On espérait que cette nouvelle signerait l'arrêt de mort du héros, mais c'est Nadia El Mansour qui a finalement trinquée pour lui - un peu facile et déceptif. Le créateur a assuré que nul n'était indispensable et que la série avait de l'avenir... La série pourrait rempiler, mais sous quelle forme ?

Mathieu Kassovitz pourrait/devrait reprendre son rôle, car "on ne construit que sur des ruines", comme formulé dans le dernier épisode. Loin d'être mort, Le Bureau des Légendes est prêt à se réinventer et a toutes les cartes en main pour tirer sur la corde. On ne dira pas non à la saison 6 parce qu'on adore, mais on regrette un peu que la cinquième n'ait pas eu l'audace d'un vrai décès.

La saison 5 du Bureau des Légendes est disponible en intégralité sur MyCanal. Les saisons 1 à 4 sont également disponibles sur MyCanal.

 

Affiche

Résumé

Moins spectaculaire et tape-à-l'oeil, la cinquième saison du Bureau des Légendes a tenu le pari de réfléchir son identité. Dans une grandiloquence contenue et une mise en scène pointilleuse, elle raconte l'épuisement d'un système et la vulnérabilité de ses personnages. Sorte d'auto-destruction, la fin est explosive et bienvenue.

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commentaires
Montréalaise
10/10/2022 à 03:10

La série, diffusée sur TV5, s’est terminée ce soir et a été suivie religieusement par un grand nombre de francophones d’ici. De la très très grande télé!

alain
19/01/2021 à 18:18

combien d'épisodes? dans le coffret, annoncé 10 et 9 à visionner§

Bonnisseur de la Bath
02/01/2021 à 01:58

J'avais entendu parler de cette série mais je n'avais jamais franchi le pas. C'est désormais chose faite car je me suis enfilé les 5 saisons d'une traite.

Quel bonheur, je la place sur le podium de ce que la TV a fait de mieux dans le monde, aux côtés bien sûr de Game of thrones et Breaking Bad et très, très loin devant tout le reste.

La série réalise l'exploit de passionner avec de la géopolitique, des interrogations sur ce que devient notre monde et les priorités que donne nos gouvernements (nucléaire, intelligence artificielle, maîtrise de l'info, terrorisme...). Les acteurs sont tous au diapason, et au fur et à mesure la réalisation et les décors hissent leurs moyens au niveau de leurs ambitions.

Je ne comprends pas vraiment les critiques sur la saison 5, elle est cohérente avec la ligne directrice. A savoir conter l'épopée rocambolesque de Malotru en l'agrémentant des histoires annexes des persos secondaires qui dépeignent le quotidien de la DGSE dans un souci de réalisme poussé. Les arcs narratifs de JJA (vengeance accomplie + retraite), Ellenstein / Pacemaker / Mille sabords (missions accomplies), sont refermés, il n'y a aucune raison de les faire revenir dans les 2 derniers épisodes. La fin est satisfaisante, elle referme le chapître Malotru, et assure à la fois une cohérence narrative et un rebondissement final qui marque.

Géo
24/12/2020 à 10:56

Passion selon St Mathieu no52 Können Tränen meiner Wangen

Cheryl
12/10/2020 à 06:31

Quelle est la signification de l'adresse où Nadia El Mansour est tuée? Merci

Franz
13/07/2020 à 22:53

@samydelille ce n'est pas un opéra que Nadia écoute, mais un aria de la passion selon Matthieu de Bach, qui raconte le supplice et la mort du Christ. L aria en question dit en substance que si les larmes versées ne suffisent pas, alors il faut prendre le cœur. Le plus beau c'est que Nadia ne doit pas saisir les paroles et se trompe en disant que c'est de l'opéra. C'est fantastique au niveau de la symbolique et merveilleux de voir que c'est Bach, toujours lui, qui vient au moment crucial.

samydelille
03/07/2020 à 22:20

bsr

qui peut me dire quelle est la musique qu'ecoute Nadia el mansour avant de mourir , un opera mais de qui ?

Coco
02/06/2020 à 18:27

Le réalisme semble résulter d’un travail de documentations qui décille. Certes les ellipses peuvent frustrer par rapport au comment ou au devenir de personnages.
Mais portée par des actrices et acteurs remarquables dans leur jeu( même si inégalement) .Cette série est une réussite et honore notre paysage cinématographique.

Zev
18/05/2020 à 13:58

On espère que le Renseignement français ne ressemble pas à ce sympathique petit monde. Il est vrai que le penchant vers la psychologie de divan a envahi les séries américaines et israéliennes, les reines du genre. Please, pas de 6e saison !

Babar75
15/05/2020 à 02:16

Démarrée sur un tempo mezzo, cette 5e saison est montée d'un cran dans les épisodes 7 et 8 (épisode égyptien, exfiltration et retournement russes) avant de se terminer en apothéose avec les deux très beaux derniers épisodes de Jacques Audiard, remarquablement réalisés, et la tragédie finale. Celle-ci m'a beaucoup fait penser à la fin du Parrain n°3 où le Parrain finit par payer sa vie criminelle avec la mort de sa fille qui l'anéantit. Le plan final où Al Pacino, prostré tombe de sa chaise pour mourir annonce celui de Kassovitz replié sur lui-même, écrasé de douleur. C'est vrai que ce pourrait être la fin de la série, mais l'arrivée de Marie-Jeanne à la direction, et l'équipe des légendes qui l'entourent laissent un matériel à travailler. Mais ça ne va pas être facile pour les successeurs de Rochant et Audiard. Merci messieurs.

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