Les Rivières pourpres : critique qui voit un peu rouge

Simon Riaux | 18 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 18 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

C'est un petit événement au sein de la production télévisuelle française. France 2 adapte en série un des plus grands succès de librairie puis sur grand écran du thriller : Les Rivières Pourpres, avec pour scénariste l'auteur Jean-Christophe Grangé.

 

 

On ne peut pas dire que la fiction française ait su s’approprier avec beaucoup de réussite la mode du serial killer qui ensanglantait les écrans à la fin des années 90.

Dans ce domaine, le roman Les Rivières Pourpres, ainsi que son adaptation éponyme, réalisée par Mathieu Kassovitz, faisaient un peu figure d’exceptions. Enquête empreinte de mystères et de violence, elle plongeait avec délice dans les arcanes d’un sous-genre ultra-balisé, avec une indiscutable réussite.

Puis vinrent Les Rivières pourpres 2 : Les Anges de l'apocalypse , réalisé par Olivier Dahan, cette suite pas franchement indispensable reprenait les ingrédients du film original, les installait dans une centrifugeuse de mauvais goût, les saupoudrait d’un chouia de yamakazi, pour aboutir à une formule chimiquement pure de nanar. Alors que France Télévisions réalise ce qui fut il y a dix ans un projet de TF1, en adaptant Les Rivières pourpres en série, la question se pose donc de savoir dans quelle direction le show va s’engager : polar ténébreux, thriller énervé ou gros Z furibard ?

 

photo, Erika SainteToujours se méfier des sectes religieuses bizarres

 

PRENDRE L’EAU DE TOUTES PARTS

Après deux paires d’épisodes, chaque enquête s’articulant autour de deux chapitres sur les huit que proposera au total cette saison initiale, difficile de savoir à quoi on a affaire. La première déception, elle est de taille, est de constater que la présence de l’écrivain Jean-Christophe Grangé est tout, sauf synonyme de maîtrise narrative.

On a le sentiment d’assister à une collection de tous les clichés polardeux de la fiction française. Tout d’abord, la figure du vieil ours mal léché, écorché vif mais humain, profond mais intouchable, le désormais célèbre Pierre Niémans, tourne totalement à vide. Bien sûr, Olivier Marchal sait y faire dès qu’il s’agit de bougonnerie, mais en un sens, son choix est si évident, si caricatural, qu’il annule une grande partie du charisme et des qualités d’interprétation du comédien.

 

photo, Erika SainteErika Sainte et Olivier Marchal

 

Quant à sa collègue et protégée, malgré l’indéniable magnétisme d’Erika Sainte, le personnage est un tel condensé clichetonneux que son écriture provoque souvent un rire gêné. De son passé « énigmatique », à ses origines sociales, jusqu’à la relation avec son mentor, tout sonne faux et évoque une mauvaise parodie d’un SAS janséniste.

Enfin, proposer plusieurs enquêtes semblait une piste alléchante, offrant à Grangé l’occasion de narrer 4 « petits » longs-métrages, et de décliner autant de fois des univers singuliers. Malheureusement, l’uniformité de ses récits leur procure une dimension narcoleptique inattendue. Secte, abbaye, milieu de la chasse à cours… Les ressorts introductifs sont invraisemblablement systématiques, et déroulés selon un rythme toujours identique, terriblement prévisible.

Enfin, les groupes sociaux que traversent nos enquêteurs donnent parfois l’impression qu’une troupe de figurants a été costumé à la va-vite, mais que les codes, secrets murmurés et autres terribles conspirations y sont rigoureusement identiques. Dès lors, difficile de passionner pour notre duo d’enquêteurs et leur lourdingue soupe à la grimace.

 

photo, Olivier Marchal Au moins, on sait qu'on n'est pas là pour se fendre la poire

 

AU MILIEU COULE UNE RIVIÈRE

Pourtant, tout n’est pas à jeter dans Les Rivières pourpres. Si à mi-saison, la construction des épisodes provoque souvent l’ennui, force est de constater que Jean-Christophe Grangé a su se ménager quelques beaux twists et qu’à défaut d’être originaux, ces derniers sont souvent bien amenés, ou à tout le moins exécuté avec un véritable sens de l’impact.

Il en va de même pour la photographie et la mise en scène. Certes les couleurs délavées que la série semble brandir comme un gage de sérieux peuvent agacer, dans leur volonté de surligner au stabilo la noirceur et la dimension mature du récit, mais elles demeurent très soignées. On se surprend ainsi régulièrement à noter un plan de grue élégant, un plan parfaitement composé. Dès que la série veut casser la routine du champ/contre-champ trembloté, elle fait mouche et parvient à nourrir plaisamment la rétine du spectateur.

 

photo, Olivier MarchalGrosse ambiance à la cantoche

 

Et si on s’agace souvent du jeu comme de l’écriture de nos héros, les personnages secondaires sont souvent très réussis. La galerie de gueules alignée par France 2 fait plaisir à voir et assure souvent l’essentiel du plaisir de chaque épisode, lui offrant du caractère et un supplément de vie. On pense bien sûr à Lubna Azabal, Ken Duken, Nora von Walstatten ou encore le formidable François Levantal.

Ces quelques éléments laissent à penser que Les Rivières pourpres pourrait réussir ultérieurement son pari, à savoir proposer une série aussi violente que sombre. Mais pour y parvenir, peut-être le show devra-t-il s’affranchir de la figure tutélaire de Granger, dont l’art semble se diluer dans le format sériel, et l’intensité se dilater au cœur de récits qu’il maîtrise mais ne parvient pas à transcender.

Les Rivières Pourpres diffusé sur France 2, chaque lundi soir à 20h50 depuis le 26 novembre 2018.

 

afficheUn rouge profond

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commentaires
miami81
19/12/2018 à 11:49

Comme Funk, plutôt d'accord avec la critique mais dans l'ensemble c'est une série que j'ai beaucoup aimée. Sacré pari de mettre en prime time une série française aussi sombre avec des petites touches partant dans l'occulte voire le fantastique.
Mention particulière aussi à la réalisation et à la photographie vraiment magnifiques.
Petit coup de mou sur les derniers épisodes, on sent qu'ils se sont surtout appliqués sur la première partie de la série.

Pulsion73
18/12/2018 à 15:14

J'adore François Levantal, il excelle dans le drame comme dans la comédie. Je le préfère dans la comédie, et je pense à l'instant à la Petite Histoire de France au Château de la Croutiniere. ^^, et j'oubliais dans la dernière saison de Kaamelott. Un sacré charisme et un jeu carré, efficace, taillé a la serpe, fait pour débiter des répliques en or qui font mouche....attendez, l'or et les mouches c'est pas terrible comme association. Enfin bon, vous avez pigé l'esprit. Y en a pas beaucoup des acteurs comme lui. Le 1er film Les Rivières, dans mes lointains souvenirs m'a laissé une assez bonne impression. Une enquête sombre, malsaine, révélant de lourds secrets. Bien filmé. Il y a cette scène où Vincent Cassel poursuit dans un stade enneigé je crois un suspect très sportif qui finit par le distancer assez facilement. Scène filmée simplement et qui reste dans la tête. Est-ce que l'on peut dire également que le film Le Nom de la Rose avait su déjà proposer au cinéma ce genre d'enquête captivante à l'ambiance particulière et dérangeante ? Des similitudes au moins à ce niveau-la.

thierry A
18/12/2018 à 14:38

Alors on arrive, sans prévenir ou presque, sur la zone d'un meurtre horrible.
La police locale collabore à contre cœur.
On dort sur le lieu même, car on veut pas payer l'Hotel.
La première nuit, on cours après un, ou une, encapuchonné qu'on laisse filer car on ne fait pas de sport et qu'on fume trop. Etc..
Oui, au bout de trois épisodes, on comprends vite comment ça se passe.

Moi, j'ai surtout apprécié "La croisade des enfants".
La réal est plus travaillé, le lieu bien exploité et on en apprend plus sur les héros.
Une histoire complète, en somme.

Sur les autres épisodes, ça manque de climax.
(Niemans aurait du subir une chasse à l'homme dans l'épisode des cavaliers, par exemple.)
Et la fille, qui aurait du assurer la partie physique de l'action ne cours pas plus de trois mètres.
Espérons que la S2 sera plus inspirée.

lambdazero
18/12/2018 à 13:57

On en arrive presque à regretter que le Rivières Pourpres 3 de Florent Emilio Siri (avec des druides, génial) n'ait jamais vu le jour après la sortie du désolant 2ème volet.

Funk
18/12/2018 à 13:57

Et bien je partage plutôt vos analyses, pour autant j'ai apprécié cette série et en demande plus.
Je dois être bon public pour les polars ...