Little Witch Academia : l'animé magique qui enterre Harry Potter ?

Christophe Foltzer | 21 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 21 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Il est un fait indéniable : la saga Harry Potter a changé beaucoup de choses, qu'il s'agisse des romans de J.K. Rowling ou de leurs adaptations au cinéma. Phénomène de société, elle attire forcément les convoitises et tout le monde est tenté de copier la formule.

Tandis que la franchise perd de plus en plus son aura avec Les Animaux Fantastiques, voilà qu'il y a quelques années un animé sans prétention a débarqué et a redistribué les cartes : Little Witch Academia.

 

 

Ce n'est pourtant pas la première fois que le monde du manga et de l'animé capitalisait sur la magie à l'anglo-saxonne puisque, dès 2003, le mangaka Ken Akamatsu (créateur de Love Hina) avait publié son manga Mahou Sensei Negima ! (ou Negima, le maître magicien chez nous) décalque d'Harry Potter à la limite du plagiat dans ses débuts mais qui s'est vite transposé dans les obsessions de son auteur (en gros, le harem, les petites culottes et les relations masochistes, le tout saupoudré d'un humour délirant et bon enfant).

Le manga connaitra un fort succès puisqu'il sera décliné en plusieurs produits dérivés (animation, jeux vidéos, goodies...) et sera publié jusqu'en 2012 au terme de son 38e tome, avant qu'Akamatsu ne commence sa "suite", UQ Holder.

 

photo NegimaNegima, le maitre magicien

 

Mais ce succès ne reprenait les tropes de la magie à l'anglo-saxonne qu'en surface, son principe et son personnage emblématique. On pensait alors, qu'avec le temps, le Japon allait retrouver ses univers habituels. Et c'est là, qu'en 2013, un court-métrage issu d'un tout nouveau studio fait sensation. Little Witch Academia était né et il allait bientôt grandir d'un coup.

 

photo little witch academiaAllez, en route !

 

ALIGNEMENT DES PLANETES

Avant de plonger au coeur de la série, il convient dans un premier temps de la resituer dans son contexte parce que Little Witch Academia n'est pas une série animée comme une autre. Non, elle est née des suites d'un gros divorce, d'un coup de bol, d'un jeune créateur et... d'une aide du gouvernement japonais.

Derrière la série se cache le studio Trigger, l'un des studios d'animation japonais les plus côtés, ne serait-ce que parce qu'il s'agit de l'une des dernières sociétés à mettre un point d'honneur à créer des séries originales et non des adaptations de mangas, de jeux vidéo ou de light novels. Fondé en 2011, le studio Trigger est né suite au départ de deux créateurs icôniques du mythique studio Gainax, Hiroyuki Imaishi et Masahiko Ohstuka.

Qui aime l'animation japonaise a forcément déjà entendu parler de Gainax puisque c'est ce studio qui nous a offert les gros chefs-d'oeuvre que sont Nadia et le secret de l'eau bleueLes Ailes d'Honneamise et bien entendu Neon Genesis Evangelion. Ancien animateur-clé, Imaishi y réalise sa première série en 2007, l'hallucinant Gurren Lagann, monument d'outrance tout autant que véritable déclaration d'amour au genre "Mecha" et qui sauvera à lui seul le studio du marasme dans lequel il s'était enfermé depuis quelques années.

 

photo Gurren LagannGurren Lagann, ce gros chef-d'oeuvre outrancier

 

Fort de ce succès, Imaishi quitte pourtant Gainax en 2011 pour fonder sa propre structure, Trigger, avec pour ambition de laisser libre court à son imagination débordante, tout comme créer une nouvelle génération d'animateurs. La charte du studio est clair : les projets seront originaux, pop et constitueront une véritable étude du monde de la japanimation et de son rapport culturel avec le public.

Coup de bol, le studio nait dans un contexte des plus favorables puisqu'au début des années 2010, le Bureau des Affaires Culturelles japonais décide de lancer une grande campagne de revigorement de son secteur animation, qui commençait à sentir le vieux. A la clé, la création d'un projet annuel, d'abord appelé Project A, puis Anime Mirai et enfin Anime Tamago depuis 2016 qui permet, à l'aide de subventions, à divers studios de présenter des projets originaux sous la forme de courts-métrages. C'est dans ce contexte que naitra Little Witch Academia.

 

photoEvangelion, LA série culte de la fin des années 90

 

Il s'agit d'ailleurs du premier projet du studio Trigger, monté dans le seul but de lancer la société tout autant que de former les nouveaux animateurs embauchés. Et c'est là qu'entre en scène Yoh Yoshinari, le créateur de la série. Vétéran de Gainax où il a occupé des postes divers (animateur-clé, concept-artiste, directeur de l'animation et même réalisateur), il bénéficie déjà d'un solide CV puisqu'on le retrouve au générique d'Evangelion, FLCL et bien entendu Gurren Lagann).

Le court-métrage Little Witch Academia est donc présenté à l'édition 2013 d'Anime Mirai où il fait très forte impression. Il subjugue par son dynamisme, la qualité de sa charte graphique, l'excellence de son animation et son univers plus que prometteur. Mais, plus important que tout, il fait connaitre à l'industrie le nom du studio Trigger et son potentiel incroyable : attaché aux anciennes méthodes d'animation et doté d'un budget restreint, le studio a réussi un petit miracle qui va le lancer définitivement sur le marché.

 

photo KiznaiverKiznaiver, passionnant mais imparfait

 

S'il faudra attendre 2017 avant que Little Witch Academia ne devienne une série télé, Trigger embraye directement sur un ambitieux projet : Kill la Kill. Série déjantée (et géniale), elle est diffusée avec un grand succès entre 2013 et 2014 et installe toutes les obsessions du studio : séquences d'animation surréalistes, ton volontiers graveleux, rythme effréné au point d'en devenir épuisant, scènes d'action hallucinantes, audace artistique et omniprésence des croix (une marque de fabrique d'Imaishi, déjà présente dans Gurren Lagann, sans parler d'Evangelion évidemment).

En 2016, rebelote, Trigger prouve qu'il ne peut rien faire comme tout le monde avec le très bon, mais un peu bancal, Kiznaiver (des ados liés par un mystérieux pouvoir dans une ville laboratoire et qui leur permet de ressentir la souffrance des autres). Puis, ce fut le tour de Little Witch Academia...

 

photo Kill la KillLe phénoménal Kill la Kill

 

LA FORMULE MAGIQUE

Après cette longue contextualisation, il est enfin temps de parler de la série elle-même. Que nous raconte-t-elle ?

L'histoire d'Atsuko Kagari, surnommée Akko, qui rêve de devenir magicienne depuis qu'elle a vu, enfant, le spectacle de Shiny Chariot, son idole. Elle intègre alors l'école Luna Nova à un moment où la magie semble en perte de vitesse dans la société. Ne venant pas d'une famille maitrisant la magie, elle va devoir travailler plus que n'importe qui si elle veut avoir son diplôme. Mais elle peut compter sur ses deux amies et colocataires, la binoclarde Lotte, véritable puit de science magique, et l'étrange Sucy, spécialiste des potions et passionnée de champignons.

Mais il sera bien difficile de contrôler l'ambition dévorante d'Akko qui, dans son insouciance, enchaine les catastrophes, au grand dam de la direction de l'école, de ses camarades de classe (dont Diana Cavendish, l'élève-star) et d'Ursula, son professeur, qui entretiendrait un lien mystérieux avec Shiny Chariot.

 

photo little witch academiaLa jeune Akko découvre la magie et sa vie change

 

Si on la prend ainsi, rien ne semble différencier Little Witch Academia du tout-venant, et ses accointances avec l'univers d'Harry Potter semblent plus qu'évidentes. Pourtant, et c'est la grande force de l'histoire et de son maitre-d'oeuvre, Yoh Yoshinari, dès que l'on plonge plus avant dans cet univers, on constate qu'il nous réserve énormément de surprises.

Déjà, parce qu'il tente un mariage audacieux et pourtant évident sur le papier : la série mixe en effet la magie anglo-saxonne avec le principe, très japonais, de la magical girl. Genre phare au Japon depuis le début des années 70 suite à la diffusion de Sally, la petite sorcière par la Toei, la magical girl n'a cessé depuis d'investir les écrans pour des fortunes diverses même si elle compte quelques grands noms à son actif : Creamy, merveilleuse Creamy ; Emi Magique ; Fancy Lala.

Mais aussi Sailor Moon (qui en pervertissait le concept pour le rapprocher de celui du Sentai) et plus récemment Puella Magi Madoka Magica, qui a surpris tout le monde en 2011 par son approche beaucoup plus sérieuse et adulte en dépit de son univers faussement enfantin.

 

photo Emi magiqueEmi Magique, l'une des plus célèbres Magical Girls

 

Little Witch Academia ne reprend cependant pas tous les codes du genre puisqu'il utilise principalement les tropes inhérents aux Magical Girls lors de moments bien spécifiques : les scènes de sort, découpées et réalisées comme des scènes de transformation d'une Magical Girl. Ce qui nous vaut une mise en scène dynamique et exubérante qui renforce encore l'impact dramatique de l'action.

L'autre grande qualité du show, c'est qu'il pervertit dès le départ le discours que l'on attendait pour nous entrainer sur un terrain beaucoup plus subversif. En prenant pour cadre une école de magie, Little Witch Academia remet en question notre rapport à la réalité, notre besoin de croire en quelque chose, le scepticisme grandissant, la prédominance des sciences et de la technologie comme autant de facteurs inhibants de l'esprit humain et du coeur des hommes.

Les héroïnes, sous couvert d'aventures magiques, sont en réalité confrontées à des problématiques on ne peut plus terre-à-terre, auxquelles chaque aventure et sort fait écho. On pense évidemment à cette recherche des dragons qui se termine par le remboursement d'une dette et la divulgation d'un contrat d'emprunt frauduleux auprès d'une créature enchanteresse qui passe ses journées à spéculer sur Internet.

 

photo little witch academiaUne héroïne trèèès imparfaite

 

D'UN COUP DE BAGUETTE

Dans le même mouvement, la série appose un traitement bien particulier à ses personnages puisque, de l'aveu-même d'Yoshinari (et c'est ce qui différencie principalement l'oeuvre d'Harry Potter) :

"L'idée était de bousculer en permanence les personnages, pour qu'elles aient à la fois des difficultés et du répondant. [...] Dans Harry Potter, les héros y sont toujours presque parfaits et ils arrivent toujours à tout. Je trouvais ces personnages un peu fades, il leur manquait quelque chose." (Coyote Mag n°73).

Et c'est vrai que le résultat surprend énormément tant les personnages vont à l'encontre de leur fonction supposée, explosent tous les clichés. La magicienne un peu goth et taciturne renferme ainsi toute une palette d'émotions diverses et contradictoires qui peuvent lui faire du mal, la rivale est en fait une bonne camarade qui souffre de son statut de surdouée parce que cela la coupe des autres.

Akko, par sa naïveté et son ambition démesurées, devient un vrai danger public pourvoyeur de grandes catastrophes qui pourrait anéantir Luna Nova si elle ne se force pas à évoluer et à contrôler son égo affamé.

 

photo little witch academiaUne rivalité qui n'empêche jamais l'amitié

 

Bref, sous ses allures de gentille série pour adolescentes et petites filles, Little Witch Academia est en réalité une petite bombe qui va à contre-courant de la tendance actuelle, qui bouscule son spectateur et le pousse à réfléchir sur son propre statut de fan (on repense à cet excellent épisode pastichant la popularité des romans Twilight où le succès est vécu comme une malédiction presque autonome qui dévore son auteur), tout autant qu'il cache une grande quête initiatique qui fait écho au narcissisme grandissant des jeunes générations.

Pour devenir la magicienne qu'elle espère être plus tard, Akko doit se dépouiller de son besoin dévorant de reconnaissance, de son ambition maladive et de son idôlatrie de Shiny Chariot pour prendre en compte un monde qui peut très bien vivre sans elle et où elle doit avant tout trouver sa place en harmonie avec les autres. Une philosophie clairement à méditer.

 

photo little witch academiaImaginez ce que ça peut donner en mouvement...

 

Enfin, rien de tout cela ne serait important et efficace si la facture technique de la série n'était pas au diapason. Là encore, c'est un vrai miracle puisque, de sa charte graphique à son animation punchy, Little Witch Academia est un vrai régal pour les yeux. La série, clairement limitée par son budget, nous offre, dans un tour de force plutôt rare actuellement, des environnements riches et variés, un character-design puissant qui utilise les rondeurs de ses traits à la perfection pour communiquer la moindre émotion de ses personnages et des mouvements de caméra surréalistes et vertigineux qui montrent bien à quel point le studio Trigger maitrise son sujet.

Bref, quel que soit le bout par lequel on la prend, Little Witch Academia s'impose comme un gros classique de l'animation moderne.

 

photo little witch academiaDes instants magiques de toute beauté

 

On le voit, Little Witch Academia est bien plus qu'une resucée d'Harry Potter à la sauce japonaise ou une énième série de Magical Girl corporate. Elle représente bien l'état d'esprit du studio Trigger qui utilise ses postulats délirants et outranciers pour nous proposer une véritable réflexion sur notre époque et notre rôle dans l'Histoire.

Couplons à cela l'excellence technique de l'ensemble, qui recourt le moins possible à la 3D pour nous livrer des séquences artisanales ahurissantes et l'on comprendra que Little Witch Academia est une série à découvrir absolument.

Little Witch Academia est disponible en intégralité sur Netflix

 

photo little witch academia

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commentaires
Codex
27/07/2019 à 00:04

Ce site Hyb ? travail rechercher laisse moi rire : ""@ son manga Mahou Sensei Negima ! (ou Negima, le maître magicien chez nous) décalque d'Harry Potter à la limite du plagiat dans ses débuts mais qui s'est vite transposé dans les obsessions de son auteur (en gros, le harem, les petites culottes et les relations masochistes, le tout saupoudré d'un humour délirant et bon enfant).""

Pour donner mon point de vue quand on a pas lu le manga en entier on ce tait quoi résumer ça de négima c'est un peu résumé game of throne a la nudité, c'est un point d'accroche qui fait rentrer dans l'histoire, mais le scénario dérrière ça est beaucoup plus complexe et interessant.

Dom
28/04/2019 à 00:31

la série de livre d'Harry potter qui est elle-même une resucée, comme vous dites, du Cycle de Terremer d' Ursula K. Le Guin (1977)

Hyb
23/04/2019 à 20:14

Moi ce que j'aime sur ce site, c'est que c'est rarement un petit article qui sort, on voit le travail de recherche, d'écriture. Merci à vous pour ces moments de lecture !

Et en plus ça donne envie de regarder !

Stratogott
22/04/2019 à 12:09

"Dans Harry Potter, les héros y sont toujours presque parfaits et ils arrivent toujours à tout."
Il n'a dû voir que les films alors.

Big Yoshi
21/04/2019 à 17:14

En regardant la série avec mes filles je me suis surtout braqué sur l'héroïne au comportement plus qu'irresponsable et au doublage français poussif qui l'a rendent insupportable. Mais les thèmes abordés sont en effet intéressants. Et l'esthétique de l'oeuvre est très agréable pour les yeux.