Rome : pourquoi c'est une grande série

Zorg | 30 juin 2007
Zorg | 30 juin 2007

Inutile de tergiverser, Rome est un chef d'oeuvre, un de ces monuments de télévision qui écrase de sa puissance toute la production conventionnelle, un tour de force qui laisse pantois d'admiration, béat d'extase, et oblige à sortir le dictionnaire des superlatifs pour lui rendre l'hommage qu'il mérite. Fruit d'une association entre HBO et la BBC, cette superproduction au budget de 100 millions de dollars dirigée par le célèbre John Milius, nous entraîne dans les coulisses de la Rome antique, à l'un des moments clef de sa riche histoire : l'accession aux dernières marches du pouvoir par Gaius Julius Caesar, à l'issue de sa victorieuse Campagne des Gaules. 

Rome part donc du principe de raconter l'Histoire avec un grand H, tout en la conjuguant avec la petite en se focalisant simultanément sur les destinées des grandes figures politiques, sociales et militaires de l'époque, et sur celles, théoriquement anonymes, de deux légionnaires revenant au pays après huit ans de campagne. Titus Pollo (Ray Stevenson, Le Roi Arthur) est un simple légionnaire du rang, tandis que Lucius Vorenus (Kevin McKidd, Trainspotting) est un officier, mais tous deux sont rendus à la vie civile une fois leur service achevé. Leurs existences sont ainsi fort astucieusement mêlées aux destinées historiques des grandes figures de leur époque, faisant dès lors office de guide, de trait d'union entre le spectateur et l'intrigue, et de témoins en tant qu'homme de la rue qui voit l'Histoire en marche.

 

 

Tournée dans les studios romains de Cinecitta, la série bénéficie tout d'abord d'une reconstitution d'une envergure et d'une exactitude peu communes. Décors gigantesques (le forum romain occupe l'un des plus grands décors à ciel ouvert du monde) détaillés à l'extrême et s'inspirant des ruines romaines actuelles (dont celles de Pompéi), milliers de costumes faits à la main sur le lieu de production, dizaines d'armures et de cottes de mailles forgées en Italie, le souci du détail est constant et cela se voit. De la salle du Sénat aux ruelles insalubres, des maisons de l'aristocratie aux appartements des classes moyennes, rien n'y échappe et l'on perçoit immédiatement l'amplitude des recherches documentaires effectuées en amont.

 

Mais tout ce déballage esthétique n'est pour ainsi dire qu'anecdotique au vu de la richesse et de la profondeur de l'écriture. Les auteurs, avec à leur tête Bruno Heller qui scénarise à lui seul huit des douze épisodes de la première saison, retranscrivent avec maestria les multiples et incessantes luttes de pouvoir comme les considérations sociales les plus diverses. Aucun aspect de la vie romaine n'échappe ainsi à leur scalpel : politique intérieure, coutumes religieuses, rites sociaux, relations diplomatiques, habitudes culinaires, la liste est longue, très longue. Le tableau ainsi dépeint, d'une amplitude et d'une profondeur vertigineuses, donne vie à la Cité romaine dans toute sa richesse, toute sa complexité et aussi toute sa cruauté, que ce soit pour l'aristocratie romaine comme pour la plèbe.

 

 

Rendons cependant à César ce qui lui appartient : le centre de cette première saison. Celle-ci début donc à la fin de la Guerre des Gaules, où César, général victorieux, menace directement la stabilité de la République avec ses ambitions politiques, pour s'achever quelques années plut tard avec l'assassinat de César Imperator dans et par le Sénat romain et son intemporel « tu quoque fili ! ». Ce dernier est à ce titre le plus illustre des nombreux personnages historiques que l'on a appris à connaître dans les livres d'histoire, les manuels de latin ou encore les albums d'Astérix. Il est interprété avec brio par Ciarán Hinds, comédien irlandais, notamment aperçu dans le Munich de Spielberg. Nez aquilin, profil grave, regard d'acier il partage une troublante ressemblance avec l'icône César telle qu'elle est ancrée dans l'imaginaire collectif. Il emmène un casting intégralement britannique, essentiellement issu de la scène théâtrale, qui offre lui aussi un mimétisme saisissant avec certains personnages historiques, au premier rang desquels figure le fidèle bras droit de César, Marc-Antoine, par l'interprétation fiévreuse de James Purefoy.

 


S'il fallait par contre trouver un seul défaut à Rome, ce serait certainement sa gestion de la chronologie historique et l'accent qu'elle met ou non sur certains événements. Télévision oblige, des raccourcis narratifs s'imposent dans la chronologie, mais la pertinence des choix faits par les auteurs laisse parfois sceptique. Si l'on jubile à la traversée capitale et en même temps anodine du Rubicon qui clôt le premier épisode, ou à la reconstitution fastueuse du Triomphe de César, on ressort un peu frustré du peu d'importance donné par exemple à la Bataille de Pharsale, où César défit l'armée de Pompée dans un affrontement capital, ou à la rapidité avec laquelle sont expédiés le séjour égyptien du monarque et sa relation avec Cléopâtre. L'impression de voir passer le train de l'histoire à grande vitesse sans prendre le temps de respirer un coup prend ainsi parfois le pas sur le plaisir de voir les multiples volets historiques se déployer d'eux-mêmes, et l'on se dit à la fin de la saison qu'une année supplémentaire pour traiter la même période n'aurait certainement pas été superflue. 

Pour finir, signalons que malgré un succès critique retentissant, l'audience ne fut pas totalement au rendez-vous sur l'antenne d'HBO en septembre dernier, avec à peine 4 millions de téléspectateurs pour l'épisode inaugural. Ce demi-succès (ou demi-échec) failli d'ailleurs coûter sa tête à la seconde saison. Le budget requis, pharaonique, et les délais de production, très allongés, ont contraint HBO et la BBC à retarder sa mise en chantier jusqu'au mois d'avril dernier, soit près de deux ans après la réalisation de la première saison, dont le tournage avait débuté en mars 2004.

Ces maigres critiques, auxquelles nous pourrions adjoindre avec malice que, quitte à pousser le réalisme à fond, les comédiens auraient au moins pu se donner la peine de jouer en latin, sont toutefois bien dérisoires en regard de l'excellence de la série. De part ses qualités intrinsèques, Rome renvoie dos à dos nombre de longs-métrages et le reste de la production télévisuelle internationale. Mais au-delà de la simple reconstitution naturaliste des instants fondateurs de nos civilisations modernes, ce show hors normes se paye le luxe de faire entrer en résonance passé et présent avec une réflexion acérée sur le pouvoir et les moyens de le conserver (ce qui est infiniment plus difficile que de l'acquérir, c'est bien connu) et qui trouve toute sa pertinence dans ce début de XXIe siècle, deux mille ans après les faits qui nous sont racontés.

 

Rome, deux épisodes à partir de 21h le jeudi soir sur Canal+

 

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commentaires
Andarioch
29/06/2019 à 14:31

Rome est peut être l’ancêtre des grandes série de ces dernières années, qui vont loin dans l'image et profondément dans l'histoire.
LA série culte, malheureusement arrêtée suite à l'incendie des décors.
Bouhou!