PIFFF 2012 - Fin et Palmarès

Aude Boutillon | 30 novembre 2012
Aude Boutillon | 30 novembre 2012

Au terme de dix jours de projections, salles combles, spots publicitaires acclamés et savantes esquives de micro-trottoir post-séance (au moyen de prétextes quotidiennement renouvelés, une discipline musclée en soi), le PIFFF a élégamment tiré son rideau écarlate sur d'évidentes promesses de réédition. Le jury international, tout de réalisateurs français constitué (Julien Carbon, Laurent Courtiaud, Xavier Gens, Pascal Laugier et Nicolas Boukhrief) aura choisi de récompenser, au grand dam de notre Patrick national, l'espagnol The Body, en prenant soin de réserver au délicat The Cleaner une mention spéciale bien méritée au regard de la maîtrise d'un (très) jeune cinéaste. L'on aura de surcroit pu découvrir le stupéfiant Exit de Daniel Zimbler, illustration parfaite du court-métrage malin et pertinent, qui, au moyen d'une atmosphère tendue comme rarement et d'un postulat aussi simple qu'efficace, aura captivé l'audience dans un silence de mort. Joie, notre bien-aimé Citadel, boudé par un jury divisé quant aux valeurs véhiculées par le film, aura au moins ravi le cœur du public, en raflant le prix du meilleur long-métrage. De quoi nous consoler par anticipation de la déconfiture Silent Hill Revelation.

L'on aurait souhaité, en guise de clôture des festivités, une projection à la hauteur (n'en déplaise aux rabats-joie) de leur ouverture, portée par un OVNI foutraque, personnel en diable et parfaitement adapté à son lieu de projection. L'annonce de l'avant-première de Silent Hill Revelation 3D, accompagné de Michael J. Bassett et d'une horde de nurses défigurées, a donc pris les airs d'évènement mondain, et rempli son pari, en témoigne une salle pleine à craquer. A la traditionnelle remise des prix aura succédé une mise en scène théâtrale (en d'autres termes, le PIFFF a mis le paquet), dont tout le monde n'aura toutefois pas pu profiter, la faute à un stroboscope persistant et des nerfs fragiles. Quelques infirmières parkinsoniennes plus loin, le public, ragaillardi par une petite heure de cérémonie bon enfant, aura donc eu tout le loisir de découvrir Silent Hill Revelations 3D, sept ans après la première adaptation par Christophe Gans de la saga vidéoludique. Le résultat aura malheureusement été à la hauteur de nos attentes, tant le film de Michael J. Bassett pèche par un scénario emballé en vitesse, des dialogues d'une invraisemblable fausseté (et dont les pauvres Kit Harrington et Sean Bean seront les premières victimes), et une absence générale de cohérence, rédhibitoire à la retranscription d'un univers aussi complexe que peut l'être celui de la ville fantôme. Si les intentions de reproduire l'atmosphère de la saga est parfois indéniable (à l'image d'une scène d'asile en pure forme de fan-service), la réalisation est trop souvent à côté de la plaque pour porter ses fruits. Tout le malaise ambiant et l'ambiguïté malsaine caractéristiques de Silent Hill se trouveront alors sacrifiés au profit d'action déplacée, d'idées maladroitement reproduites à l'écran, et de procédés antinomiques à l'univers de la mythologie, à commencer par une 3D racoleuse et hors-sujet. 

Côté lauréats primés, force est de constater que nous n'avons pas exactement partagé le même enthousiasme que le jury à l'égard de The Body. Scénariste des Yeux de Julia, le catalan Oriol Paulo passe à la réalisation mais toujours dans le domaine du thriller horrifique avec El Cuerpo (aka The Body). Retrouvant par cette occasion la talentueuse Belén Rueda, devenue figure de proue du fantastique espagnol depuis L'Orphelinat, il signe ici un suspens au style éprouvé dont l'intrigue réside sur les tenants et aboutissants de la disparition du corps de Mayka Villaverde, riche banquière morte par infarctus, et dont le mystère va aller en s'épaississant au fur et à mesure que l'inspecteur Peña (excellent José Coronado) commencera à faire sortir les cadavres du placard, à moins que celui de la belle Mayka ne soit bel et bien revenu des morts. Plus que l'ombre de Hitchock ou de Clouzot, c'est bien celle du giallo italien des sixties qui plane sur l'œuvre. L'afficionado reconnaîtra bien vite les mécaniques perverses de films de Lucio Fulci (Le Venin de la Peur) ou de Umberto Lenzi (Si Douces, Si Perverses) où toute l'action est centrée sur le destin d'une femme et des personnalités troubles qui gravitent autour d'elle.  Si Oriol Paulo se montre à l'aise avec sa caméra, avec un sublime cinémascope à la clé, il abuse un peu trop du flash-back pour explorer toutes les versions sur les circonstances de la fin de Mayka, ses allers et venues finissant par diluer le récit et le résumant à un suite de révélations qui sont plutôt sans impact sur le récit. Le suspens retrouve de son mordant lorsque le fantastique pur est introduit avec ce soupçon sur la survie de la morte en une espèce de zombie vengeur, l'intrusion du surnaturel étant ici gérée avec intelligence. Mais un acte final complètement abracadabrantesque avec une succession de twists foireux, accumulant les fausses pistes comme autant de perles, viendra ruiner les quelques espérances que l'on avait dans le métrage. Ce qui était plaisant devient franchement lourd, les personnages restant quelque peu unidimensionnels, pas de volonté  de critique sociale dans la peinture que fait Oriol Paulo d'un certain milieu espagnol, et l'on finit par se désintéresser de ce que peut être devenu ce si joli cadavre. Conventionnel dans son style, El Cuerpo aurait mérité plus de tenue dans son scénario, mais comme il est des publics pour qui le brio est plus important que la vraisemblance, il pourra contenter certains. Mais il faudra attendre un peu pour ranger son jeune réalisateur dans les futurs personnalités du cinéma fantastique ibérique, qui d'ailleurs commence à marquer un peu le pas ces derniers temps.

Tant que l'heure est aux réceptions mitigées (et afin d'achever nos aventures festivalières sur une note plus réjouissante), il conviendra d'envoyer dans la foulée le coréen Horror Stories. Nous ne ferons pas l'affront de définir une énième fois le concept de l'anthologie horrifique, dont l'Asie nous abreuve sans relâche depuis quelques années (3 Extrêmes, 3 Histoires de l'Au-Delà, Doomsday Book). Eut-il été utile de le rappeler, l'imagerie spécifique au cinéma d'épouvante oriental, tout en démarche saccadée, lenteurs insoutenables et chevelure à la propreté toute relative, commence à se faire usée, aussi efficace puisse-t-elle demeurer. Dans cette optique, nous n'attendions pas d'Horror Stories une revisite révolutionnaire du genre, mais tout du moins une explorations intelligente de thèmes maintes fois recalqués, voire une dérision maligne propre à cette copie sans vergogne. Las, la combinaison de quatre courts supposément insoutenables d'effroi n'aura pas rempli son contrat, le fil rouge y compris faisant preuve d'un sacré manque d'intérêt. Le concept pouvait pourtant susciter la curiosité : un homme enlève et séquestre des jeunes filles, leur seul salut reposant dans leur capacité à lui raconter des histoires terrifiantes susceptibles de lui permettre de dormir, lui qui ne peut trouver le sommeil qu'une fois le "sang glacé". Les diverses historiettes piocheront ça et là leurs thématiques dans un socle classique au possible : vague home invasion, infectés, cannibalisme (à l'occasion d'une resucée éhontée de Nouvelle Cuisine de Fruit Chan, teintée de Barbe Bleue imberbe). Le seul vague espoir d'innovation reposait dans le second segment, huis-clos situé dans un avion, qui s'avèrera être le plus rébarbatif de l'ensemble. Seul le confus premier épisode, sorte de légende urbaine enfantine, proposera finalement une vision singulière, teintée de propos social, remarquablement mise en scène, mais malheureusement plombée par un dénouement brumeux. La terreur promise fleure au final le réchauffé, et n'aura pas dépassé le jump scare opportuniste.

Si notre détermination à camper aux Capucines pour l'ensemble de la nuit Clive Barker n'a jamais fait l'ombre d'un doute, nous ne pouvons qu'admettre, la mort dans l'âme, que l'endurance nous aura, elle, fait défaut, la faute à l'éprouvante nuit d'anniversaire festive qui l'avait précédée, et qui avait propulsé de plein fouet notre rédac chef préféré dans une nouvelle décennie (il n'est pas trop tard pour participer, des tapis souillés par les verres instables de rédacteurs peu farouches attendant votre générosité pour retrouver leur éclat d'antan). Il était toutefois impensable de manquer la projection en tous points privilégiée de Nightbreed - The Cabal Cut, refonte passionnée et minutieuse du long-métrage adapté des écrits de Clive Barker, dont la version initialement projetée au public en 1990 s'était vue amputer d'une partie conséquente de son matériau, du fait de la frilosité des studios Morgan Creek et Fox. C'était sans compter sur la détermination de Russel Cherrington à reconstruire un long-métrage fidèle à la vision de l'auteur de Cabal, et soucieux d'en retranscrire l'essence. La version allongée de Nightbreed, enrichie de sources VHS et de la version de travail du film, s'inscrit donc dans cette perspective, éradiquant les entorses à l'histoire originale et replaçant au centre du récit des éléments sacrifiés dans sa première mouture. Nightbreed - The Cabal Cut, véritable épopée mystique et romantique, suit le destin d'Aaron Boone, jeune homme assailli de songes relatifs à Midian, sorte de repaire de freaks surnaturels. Piégé par son psychopathe de thérapeute, le Docteur Decker (David Cronenberg, glaçant), et accusé de meurtres sauvages, Boone n'a d'autre choix que de fuir et de se mettre en quête de Midian, cité crépusculaire en attente de son sauveur, où il embrassera sa destinée monstrueuse. Parcouru d'un lyrisme saisissant (sublimé par l'injustement méconnu score de Danny Elfman, qui surpasse bon nombre de ses partitions burtonnesques), doté d'un bestiaire faisant enfin honneur à l'imaginaire de Clive Barker (avec une mention spéciale pour une femme porc-épic séduisante et toxique), Nightbreed - The Cabal Cut, bien plus qu'un thriller horrifique, se mue en une fresque guerrière et amoureuse, étrange déviation torturée de la Belle et la Bête, dont le dernier acte prend la forme d'une apothéose démesurée et chevaleresque. Les apports de la refonte ne seront pas toujours d'une parfaite évidence, certaines scènes accessoires s'apparentant davantage à du contenu bonus, plutôt qu'à un support constructif au récit. L'entreprise n'en reste pas moins extrêmement louable et touchante, et requiert d'ailleurs le soutien du plus grand nombre, afin que Nightbreed - The Cabal Cut trouve enfin son chemin vers un support DVD, restauration solide à l'appui (la pétition est accessible ici).

 

Merci à l'ensemble de l'équipe du PIFFF pour une organisation furieuse... et des nerfs d'acier en toutes circonstances.

 

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