Bodies : critique d'une mini-série qui fait corps avec son temps sur Netflix

Adrien Roche | 19 octobre 2023
Adrien Roche | 19 octobre 2023

Quatre policiers découvrent le même corps, au même endroit, à quatre époques différentes. C’est pour son concept original que nous attendions avec impatience Bodies, la nouvelle mini-série criminelle de Netflix. Il devient rare de trouver une enquête policière prenante de bout en bout, tant le genre a été épluché sous toutes ses formes. Mais Paul Tomalin était visiblement décidé à changer cela. Le créateur de la série adapte donc sur le petit écran l’œuvre éponyme du regretté Si Spencer, éditée par DC Comics en 2014. Et le résultat vaut le coup d’œil.

Déboucler la boucle

De grosses séries Netflix ont récemment touché à leur fin, comme Sex Education et son final très réussi. D'autres programmes phares de la plateforme s'apprêtent à donner un point final à leur intrigue, comme l'inévitable Stranger Things (et c'est tant mieux, parce qu'à force d'étirer l'histoire on finit par proposer des purges comme Elite, qui va aussi enfin se terminer après 8 trop longues saisons).

Heureusement, Netflix propose aussi son lot de mini-séries originales : Le Jeu de la Dame, The Haunting of Hill House et plus récemment la très moyenne La Chute de la Maison Usher permettent de se lancer dans une série sans craindre d'avoir 14 saisons à regarder. C'est le cas de Bodies de Paul Tomalin, dont c'est la première création. La mini-série de huit épisodes frappe d'entrée, notamment grâce à son casting rassemblant de nombreux acteurs du moment, dont Jacob Fortune-Loyd (Le Jeu de la Dame), Shira Haas (Unorthodox) et Kyle Soller (Andor) qui nous livrent de jolies performances.

 

Bodies : photo"Regarde Simba, toute cette immensité baignée de lumière est notre royaume"

 

Les premières minutes de Bodies intriguent. Son histoire repose sur un paradoxe simple et l'éternelle question de la boucle temporelle, sujet vu et revu sur le grand et le petit écran. La série se démarque toutefois, et ce dès son épisode pilote. L'histoire ne se base pas sur une seule époque, mais jongle habilement entre elles. Cette épopée temporelle trouve sa clé dans chacune des périodes présentées.

Le statut d'enquête criminelle est rapidement dépassé pour laisser place à quelque chose de bien plus grand. Le cœur de l'œuvre est ailleurs, et celle-ci ne cache pas son ambition. La série nous emmène à travers les âges et les sous-intrigues sans (trop) nous prendre par la main, nous forçant à nous impliquer immédiatement et à le rester jusqu'au bout.

 

Bodies : photo, Jacob Fortune-LloydLe meilleur perso de la série

 

Les quatre fantasflics

La série doit en partie sa réussite à ses personnages ambigus. L'un est véreux, l'autre rebelle, l'autre beaucoup trop complaisante avec le comportement de ses supérieurs... Aucun n'est totalement noir ou blanc, et tous tendent vers le gris. Nos quatre enquêteurs s'inscrivent chacun parfaitement dans leur époque, ce dont Bodies joue habilement. La série se sert de toutes les innovations technologiques des 130 dernières années (et imagine celles qui vont arriver d'ici 2053). Elle nous expose aussi les changements d'habitudes et de mœurs, rendant chaque période étudiée crédible.

Elle nous montre certes l’évolution et le progrès de notre société, mais sous-entend qu’il y a encore beaucoup à faire. En 1890 et 1941, les protagonistes sont des hommes dans un monde d'hommes. En 2023, la policière est une femme dans un monde d'hommes. Et en 2053, l'agente est une femme dans un monde... de merde. Tous sont des parias de leur époque : un homosexuel, un juif en pleine Seconde Guerre mondiale, une femme de couleur, une handicapée.

 

Bodies : photo, Kyle SollerC'est pas la grande forme

 

Mais Bodies est une série intelligente qui prend parfois ses spectateurs pour des imbéciles. Au bout de la 56e transition d'une époque à une autre avec un écran scindé, nos yeux saturent un peu. Et pour ne rien arranger, la série a tendance à nous rabâcher les mêmes choses : vous n'avez pas compris que ce personnage vient de faire une découverte qui va tout changer ? On vous met un flashback d'une scène vue dans l'épisode précédent (il y a maximum 50 minutes, donc) pour être sûr que vous ayez bien suivi.

Un procédé loin de gâcher le visionnage, qui contraste toutefois avec certaines transitions et plans à l'inventivité déroutante, comme la scène de la découverte du "Col", d'une beauté visuelle rare pour un programme Netflix. Bodies est un peu comme ses personnages : la série ne sait pas trop où elle va, mais y va quand même, parfois en trébuchant un peu, souvent en réussissant ce qu'elle entreprend. Chaque fin d'épisode (ou presque) est imprévisible et donne envie de dévorer le suivant.

 

Bodies : photo, Amaka Okafor"C'est pas moi c'est lui"

 

the things we do for love

Bodies compte essentiellement sur ses protagonistes pour toucher ses spectateurs. Au-delà de son intrigue très prenante, c'est avant tout grâce à ses policiers – et d'autres personnages dont on ne dévoilera rien – que l'œuvre de Paul Tomalin est aussi réussie. La mini-série fait de l'amour (familial, amical et amoureux) le cœur de son intrigue, cherchant à montrer ce qu'il peut apporter à une personne qui, sans, pourrait commettre les pires crimes imaginables.

Toutefois, si ça fonctionne bien la plupart du temps, c'est aussi un des gros points faibles de Bodies : en faisant de l'amour le centre de tout, la série dérape à de nombreuses reprises et plonge la tête la première dans la plus profonde des naïvetés. Certaines relations ne sont pas crédibles ou survolées, rendant parfois des sous-intrigues entières particulièrement inintéressantes. 

 

Bodies : photoToi, on te déteste 

 

L'œuvre gagne beaucoup plus en profondeur lorsqu'elle est moins bavarde. Les scènes surjouées avec Elias Mannix, en 2023, finissent par lasser. L'adolescent est proprement insupportable, mais son acteur n'y est pour rien : il a simplement beaucoup trop de dialogues pour quelqu'un qui, finalement, n'a pas grand-chose à dire. D'autres scènes, qui préfèrent la complicité des regards au poids des mots, sont bien plus efficaces.

Avec Bodies, Netflix compte sur une idée originale, des acteurs convaincants et, surtout, un montage permettant une maitrise étonnante d'un concept qui avait pourtant tout pour être un peu foireux. Et malgré ses discours un peu niais sur l'amour et la paix, force est de constater que la mini-série parvient à nous entraîner dans ses délires loufoques. Il lui manque un petit quelque chose pour être une réussite totale, une petite prise de risque qui n'aurait pas été de trop.

Bodies est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 19 octobre 2023

 

Bodies : affiche officielle

Résumé

Le concept original de Bodies suffit à justifier son visionnage. Cette enquête à cheval entre le thriller et la science-fiction nous tient en haleine jusque dans ses dernières minutes. Mais son manque de confiance en elle, couplé à quelques facilités scénaristiques, l‘empêche de s’inscrire au Panthéon des mini-séries Netflix.

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commentaires
Anderton
22/01/2024 à 13:58

Sérié finie hier soir pour ma part. je suis asse friand de ce genre d'intrigues (SF, voyage dans le temps, paradoxe temporel...) mais je reste un peu déçu par la fin; j'aurais préféré que le principe des univers parallèles soient intégrés à chaque changement et que chaque nouvelle ligne temporelle parallèle se déroule avec pourquoi pas quelques chocs ou événements communs à chaque ligne (avec des réminiscences d'événements que les personnages n'ont pas vraiment vécus, un peu comme des déja-vus).
DEBUT SPOILER
Le cas de Defoe m'a le plus sorti de la série: pourquoi son corps est réparti sur 4 époques différentes lors de son saut dans le temps depuis 2053 ? Et pourquoi son corps réapparaît vivant en 2053, 2 ou 3 jours après sa 1ère apparition (selon le principe de la symétrie que Defoe explique durant son cours magistral) alors que ce n'est pas le cas pour les 3 autres époques ?
Du coup, ça me donne envie de découvrir le graphic novel ou comics pour comparer les éventuels écarts et cliffhangers...
FIN SPOILER
Dans le même genre, la série Dark reste pour moi le meilleur référentiel pour ce type de sujet et que je conseille vivement !


21/11/2023 à 07:56

La série m'a agréablement divertie, mais rien n'est cohérent dans cette fiction.

Où commence cette histoire en fin de compte ?

Pourquoi Syed se suicide dans le 1er épisode et ne réapparait pas dans les suivants?

Comment Elias Mannix peut être à la fois son père et son arrière arrière petit fils???
En 1889, sous la couverture de Julian Harker, Il explique clairement qu'il doit avoir un fils procréé par lui même et son épouse Polly pour assurer sa descendance, et sa naissance une quinzaine d'année avant 2024 (l'ado blond de 15 ans en 2024)?

Pourquoi ramener le scientifique Defoe en 1889, époque où il ne pourrait réaliser ses travaux?

Iris Apfel
21/11/2023 à 07:54

J'ai beaucoup aimé mais rien n'est cohérent dans cette fiction.

Où commence cette histoire en fin de compte ?

Pourquoi Syed se suicide dans le 1er épisode et ne réapparait pas dans les suivants?

Comment Elias Mannix peut être à la fois son père et son arrière arrière petit fils???
En 1889, sous la couverture de Julian Harker, Il explique clairement qu'il doit avoir un fils procréé par lui même et son épouse Polly pour assurer sa descendance, et sa naissance une quinzaine d'année avant 2024 (l'ado blond de 15 ans en 2024)?

Pourquoi ramener le scientifique Defoe en 1889, époque où il ne pourrait réaliser ses travaux?

steve
27/10/2023 à 20:00

Sympa le montage à la "24 heures chrono" chevauchant les époques et série à voir !
D'accord avec la critique, un excès de naiveté qui m'a un peu gâché la fin (parfois, cela ressemble à du Lelouch genre l'amour est au coeur de tout toussa toussa)
Sinon, ces persos me resteront en tête après le visionnage (surtout celui de 1940) et c'est bien l'essentiel.

Rizo
23/10/2023 à 11:31

J'ai bien aimé la série, mais j'ai un gros problème avec et c'est au final le dénouement de l'intrigue en elle même.
J'ai du mal à concevoir que la boucle "spoiler" qui induit Elias n'est pas de commencement.
Elias existe parce que Elias existe. Et cela me dérange, car si tout à un commencement et une fin, cela est tout simplement impossible.

Le fait aussi qu'un corps envoyé dans le passé, envoi forcément un corps dans le futur, cela pose des paradoxes qui ne sont pas posés dans l'intrigue et cette particularité existe uniquement pour justifié la réaparition de Defoe. J'ai trouvé cela maladroit.

La fin et son cliff est expéditif aussi, surtout sans saison 2, un petit discours de fin pour apporter le début d'une explication aurait été appréciable. "spoil"

Sinon, tout bon pour moi :)

Bella
22/10/2023 à 03:45

Question : dans le 1er période, en 1940, on voit une jeune fille portant l'étoile jaune. Je ne crois pas que l'Angleterre ait appliqué cette mesure. Une chimère dans les yeux de l'inspecteur? À moins que l'explication se trouve dans les autres épisodes. Merci.

Tricopull
20/10/2023 à 13:16

On retrouve toutes les ficelles et travers des séries netflix.
Celà aurait pu être pas mal, notamment le fait de suivre 4 enquêteurs, mais n'étant pourtant pas spécialement futé, j'ai pu anticiper pas mal de scènes.
Bref, on s'enlise dans un jeu de dédales un peu artificiel pour pas grand chose au final.

anom
19/10/2023 à 21:07

@metuxla
C'est bien lui, il est annoncé dans le casting de la fiche de la série

Metuxla
19/10/2023 à 20:37

C'est bien Stephen Graham sur l'affiche? Car vous en faites pas mention dans l'article.

steve
19/10/2023 à 20:13

Dans ma liste, hop!

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