Ripley : critique qui trompe bien son monde sur Netflix

Geoffrey Fouillet | 4 avril 2024
Geoffrey Fouillet | 4 avril 2024

Tom Ripley, ce nom vous dit peut-être quelque chose. Déjà incarné au cinéma par Alain Delon et Matt Damon, le célèbre faussaire issu des romans à succès de Patricia Highsmith est de retour sous les traits d’Andrew Scott. Si le comédien a conquis le grand public grâce au petit écran (le prêtre de Fleabag, c’est lui), il y revient donc ici avec Ripley, la mini-série Netflix créée par Steven Zaillian, scénariste de La Liste de Schindler, aussi connu auprès des sériephiles pour The Night Of. Une réunion de talents qui avait tout pour plaire et on n’est pas déçu !

UN LIFTING DE QUALITÉ

Conscient d’arriver après deux adaptations très personnelles de l’œuvre d’origine, dont Le Talentueux Mr Ripley réalisé par Anthony Minghella, Zaillian se réapproprie l’histoire de cette cavale meurtrière en Italie en la parant d’un style rétro du plus bel effet. Pour y parvenir, il a choisi de tourner Ripley intégralement en noir et blanc, bénéficiant de l’expertise du chef opérateur Robert Elswit en la matière (la palette monochrome de Good Night, and Good Luck est de son fait).

"J’ai senti que cette intrigue – celle qu’elle [Patricia Highsmith] racontait, celle que j’avais envie d’explorer – était assez sinistre et sombre. Je ne pouvais m’imaginer l’inscrire dans un décor italien magnifique avec ses ciels bleus éclatants, ses tenues colorées et toutes ces choses-là", expliquait Zaillian dans une interview pour IndieWire. Si le recours au noir et blanc apparaît souvent comme une béquille esthétique et un peu systématique quand il s’agit de sonder les tréfonds de l’âme humaine, le procédé est ici exploité à juste titre.

 

Ripley : photo, Andrew Scott"Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus vicelard ?"

 

Tom Ripley est l’incarnation même du manipulateur né, ambivalent en toutes circonstances. Voir les contours de son visage, tout autant que sa silhouette, baignés dans un clair-obscur permanent a donc tout de l’évidence. Chaque rue, chaque couloir, chaque vestibule semble ainsi agencé pour maintenir le personnage dans cet équilibre précaire entre ombre et lumière, et ce vacillement de l’un à l’autre traduit logiquement son instabilité psychologique, Tom évoluant de la frustration au désir, de l’inquiétude à l’effronterie, en un clin d’œil.

En un sens, Ripley rappelle moins les Casanovas de l’âge d’or du cinéma italien que le spectre de M le Maudit, emblématique de l’expressionnisme allemand et de ses figures les plus tourmentées. Pour autant, il n’y a pas l’ombre d’un doute, c’est à l’Italie, à son architecture, à sa peinture, que la mini-série voue un attachement sans faille. Quand Tom contemple le célèbre tableau de Caravage, David avec la tête de Goliath, et le redécouvre dans l'enceinte d'une église, sous un autre éclairage, on le voit vivre ni plus ni moins une épiphanie.

 

Ripley : photo, Andrew ScottCe n'est pas l'envie qui nous manque de le pousser par-dessus le balcon

 

Art et religion deviennent de fait les deux horizons du personnage, à la fois cerné par les divinités sculptées sur la façade des monuments, qui le jugent symboliquement pour ses méfaits, et inspiré par le style caravagesque, se rêvant à son tour en artiste incompris donc génial. Il ne se contente alors pas d’usurper l’identité de sa victime, Dickie Greenleaf (Johnny Flynn), mais s’en sert comme d’un passeport (littéralement) pour atteindre l’excellence et parachever son œuvre, quitte à semer quelques cadavres derrière lui (oui, il faut ce qu’il faut).

 

Ripley : photo, Andrew ScottSon credo : vous piéger dans sa toile

 

PLUS C’EST LONG, PLUS C’EST BON

Au gré de ses huit épisodes, la mini-série déroule et déploie ce que les deux adaptations précédentes avaient dû synthétiser en deux heures. Si l’on retrouve évidemment les moments charnières du récit originel, ils sont traités ici avec une ampleur accrue (la scène du bateau à moteur, qui donne lieu à un combat homérique long de plusieurs minutes, en est l’exemple le plus spectaculaire). En disposant d’une durée suffisamment conséquente, Zaillian crée un effet de surenchère souvent jubilatoire, faisant de chaque épiphénomène un évènement en soi.

Le cinquième épisode, véritable morceau de bravoure à lui seul, s’amuse justement à étirer l’action pour matérialiser le dur labeur de Tom, alors occupé à dissimuler les preuves accablantes d’un énième coup de sang (oui, c’est un euphémisme). On le voit ainsi aller et venir plusieurs fois à travers les mêmes décors, rectifiant peu à peu ce qu’il a malencontreusement négligé, et cette impression de redondance ajoute à l’absurdité de la situation, encore décuplée par la présence d’un chat (la vraie star de l’épisode), témoin silencieux, mais vigilant des déboires du personnage.

 

Ripley : photo, Dakota Fanning, Johnny Flynn, Andrew ScottÀ table, le crime est servi !

 

"Vous ne lisez pas un roman en deux heures (…) cela prend huit, dix, douze heures, et j’ai senti que le rythme et la beauté propres à la narration du livre m’incitaient à adopter cette forme", confiait Zaillian lors d’une avant-première de la mini-série organisée à New York. Et il ne s'y est pas trompé, dans la mesure où il a bel et bien retranscrit le caractère solitaire de Tom, sa nonchalance à toute épreuve, même lorsque l’étau se resserre dangereusement autour de lui. Andrew Scott est, à ce titre, parfait avec sa voix traînante, sa gestuelle calculée. Sa performance rappelle à bien des égards celle de Casey Affleck dans L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford.

Cette tendance à dilater la temporalité du récit occasionne malgré tout un léger déséquilibre dans la caractérisation des personnages (celui de Marge, interprétée par Dakota Fanning, est mis de côté pendant plusieurs épisodes) ou en termes de pure efficacité narrative. Mais on préfèrera volontiers y voir là les symptômes d’un projet qui pèche avant tout par excès d’audace, et c’est tout à son honneur.  

Ripley est disponible sur Netflix en intégralité depuis le 4 avril 2024 en France

 

Ripley : Affiche française

Résumé

Ripley ne fait pas seulement illusion, mais restitue avec une précision d’orfèvre la nature diabolique de son protagoniste. Un nouvel écrin pour un nouveau visage, celui d’Andrew Scott, formidablement dérangeant.

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Lecteurs

(4.5)

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commentaires
Sanchez
11/04/2024 à 09:28

Cette série est en fait un film de 8h. Et c’est du caviar. La photo , la mise en scène , l’acting les costumes et les décors , tout pète la classe. Je déplore juste des longueurs en milieu de saison (épisode 5 ou c’est la 2ème fois qu’on nous montre en long en large comment se débarrasse le d’un cadavre… il fallait aller plus vite). Mais c’est une des meilleurs choses que vous verrez sur netflix.

Sanchez
11/04/2024 à 09:23

@jenna
Il envoie régulièrement des courriers aux parents donc ils sont tenus au courant. La petite amie est délaissé depuis des mois et elle s’intéresse à l’enquête puisqu’elle se rend à Rome en personne. L’intraitable commissaire se fait prendre dans l’imbroglio créé par les mensonges de Tom. Tom commet bcp d’erreurs mais certaines lui servent au final a s’en sortir. J’adore la scène où ravini est chez Dickie à côté de Naples et où il pousse la vraie photo de Richard sur le bureau ne sachant pas que c’est la clef de l’affaire. Pourquoi Ravini demanderait à la petite amie à quoi ressemble Tom puisqu’il l’a vu déjà plusieurs fois en chair et en os ?

Jenna083
05/04/2024 à 21:34

Ce film est vraiment nul, il n'y a pas de cohérence dans l'histoire, d'abord la fiancée totalement détachée de l'enquête complètement désabusée, aucune photo n'est donnée au commissaire de police qui d'ailleurs ne cherche pas à contacter la famille, tout est dans l'indifférence totale. Même les parents ne se déplacent pas pour parler à leur fils dont ils n'ont plus de nouvelles, et ne s'inquiètent ne n'avoir aucun signe de vie. Il faudrait un meilleur scenario à la Hercule Poirot ou au détective M. BLANC (Daniel Graig) pour avoir une histoire qui tienne la route. Film vraiment sans intérêt. Cette histoire est trop bâclée.

Alien
05/04/2024 à 07:20

Ya que moi ou l'affiche de la série rappelle furieusement Alien ??
- la police d'écriture de Ripley qui fait penser à la façon dont secrit Aliens (le 2)
- Ripley, le nom de l'héroïne S Weaver
- le noir et blanc pour l'ambiance sombre/spatiale du 1 et 2
- Andrew Scott comme le real du 1er Ridley Scott

... marrant

Franken
04/04/2024 à 23:18

Décidément, après sa collaboration avec Richard Price sur the Night Of, Zaillian semble prendre plaisir au format mini-série.
Comme quoi, laisser à un excellent scénariste l’occasion de raconter une bonne histoire, ça ne semble pas une si mauvaise idée…

J’espère que Zaillian ne s’arrêtera pas là.
Une petite revanche sur le Robert Penn Warren, ça se tenterait presque, non ?

George Abitbol
04/04/2024 à 18:57

@Arturo

La critique fait référence aux deux adaptations ciné du premier roman.

Il est vrai que les deux romans suivants (Ripley et les ombres et Ripley s’amuse) ont été adaptés à diverses reprises mais ces films sont quelque peu tombés dans l’oubli à l’exception du Wim Wenders…

Arturo
04/04/2024 à 15:49

Barry Pepper, Mr Ripley et les ombres, John Malkovich dans Ripley s’amuse et Dennis Hopper dans l’ami américain…. Mais après je suis pas critique sur un site spécialisé cinéma donc qu’est ce que j’en sais moi… hein ? ….hum

saiyuk
04/04/2024 à 15:15

Si Scott Andrews est aussi bon que dans Sherlock...

ttopaloff
04/04/2024 à 14:36

Andrew Scott, c'est la valeur sure.

Cher Ripley
04/04/2024 à 14:28

Hâte de découvrir cette nouvelle variation d'un personnage aussi trouble qu'a pu l'être Dexter Morgan dans sa série éponyme

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