Brian De Palma : 5 films oubliés et mal-aimés du grand maître

La Rédaction | 11 avril 2021 - MAJ : 12/04/2021 11:10
La Rédaction | 11 avril 2021 - MAJ : 12/04/2021 11:10

Brian De Palma, ce n'est pas que Carrie, Mission : Impossible, Les Incorruptibles et Scarface. Retour sur quelques autres films parfois oubliés du cinéaste.

Pour beaucoup, le nom de Brian De Palma rime immédiatement avec Carrie au bal du diable, Body Double, Blow Out et Pulsions. Pour une large partie du grand public, c'est surtout le réalisateur de Scarface, Les incorruptibles, et Mission : Impossible. Pour certains, c'est aussi celui des fours Le Bûcher des vanités et Mission to Mars. Et bien sûr, pour d'autres, c'est Phantom of the Paradise et rien d'autre.

En cinquante ans de carrière, le réalisateur a aligné les films cultes, parfois dès leur sortie, souvent grâce au temps. De plus en plus discret dans les salles de cinéma (Domino – La Guerre silencieuse est sorti directement en vidéo en 2019), même s'il prépare théoriquement un film inspiré par Harvey Weinstein et un thriller, Brian De Palma reste un cinéaste de premier ordre. Et la rédaction a voulu revenir sur quelques films parfois oubliés du maître.

P.S : on aurait pu inclure Mission to Mars oui, mais il a déjà eu droit à un dossier spécial.

 

photo, Brian De PalmaSur le plateau du tristounet Domino – La Guerre silencieuse

 

Sœurs de sang

Le concept ? Un thriller psychologique hitchcockien jouant sur l'ambiguïté de la gémellité.

Pourquoi est-il oublié ? En 1972, Brian de Palma a déjà plus d’une dizaine d’années de cinéma au compteur, et il est à l’aube de la déferlante de chefs-d’oeuvre à laquelle on le résumera bien plus tardPhantom of the Paradise sort en 1974, Obsession et Carrie au bal du diable en 1976. Et Soeurs de sang n'est généralement pas cité aux côtés de ces premiers faits d'armes notables. Un oubli curieux, d'autant que cet essai s'était attiré les faveurs de la critique, certes pas unanime, mais globalement convaincue.

De même, ses résultats au box-office sont très honnêtes, sans crever le plafond. Avec un budget estimé à 500 000 dollars, il en récolte environ un million selon Variety et IMdBpro. Un score qui le classe évidemment très loin des cartons de cette année, comme L'Aventure du Poséidon et ses 84 millions de dollars pour un budget... 10 fois plus élevé. Mais là n'est pas le but. Soeurs de sang est une petite série B, qui se rembourse largement.

 

Photo Margot KidderUn de Palma déjà très épris de la dualité

 

Et c'est peut-être ce qui l'a desservi. Ni consacré par la critique ni porté aux nues par le public, il est une réussite modeste, que beaucoup ont réduit à l'ordre de l'anecdote. Sorti à une époque où De Palma n'était pas encore vénéré, et alors qu'il se relevait d'une première mauvaise expérience avec les studios hollywoodiens (sur Get to Know Your Rabbit), le film s'est largement fait éclipser par Phantom of the Paradise.

Injustement balayé dans le sens de la première partie très obscure de sa carrière, il persiste à échapper à la liste de ses oeuvres les plus célèbres, dans l'ombre de sa relecture de Faust. Et pourtant, il constitue un bien meilleur coup d'envoi pour son âge d'or.

 

photoL'art du déguisement

 

Pourquoi doit-il être aimé ? En effet, c'est une œuvre qui condense déjà tous ses thèmes de prédilection et ses ambitions stylistiques, au point de ressembler aujourd’hui au patient zéro de son cinéma. Dès les premières minutes, elle verse dans la satire frontale, en parodiant une émission de télévision voyeuriste, qu'elle laisse se substituer à sa propre perspective. Le ton, radical, est donné. Bien avant Blow Out, Pulsions ou Passion, le cinéaste articule toute sa mise en scène autour de la perversité de ses personnages... et du point de vue cinématographique.

Plus concrètement, il fait défiler ses marottes esthétiques, dont notamment un usage du split screen absolument incroyable, confrontant dans le même espace-temps le camouflage d'un crime et les actions de son témoin, tout en préparant un twist final cryptique.

Déjà, De Palma cite allégrement Alfred Hitchcock, notamment La CordePsychoseLe crime était presque parfait et bien sûr Fenêtre sur cour, auquel il emprunte une séquence entière. Déjà, sans même peut-être le savoir, il se laisse aller à des saillies visuelles meurtrières qui pourraient presque relever du giallo (la première partie du film et son crime riche en gros plans) alors que le genre est à son apogée en Italie.

 

photo, Jennifer SaltEt vive les stores

 

Aussi formaliste que sans concession, Soeurs de sang ne recule devant aucun procédé de mise en scène, comme pour définitivement imposer ce style tapageur dans l'industrie, et dompter par la force les studios qui lui livreront ses plus grands classiques. En est témoin la dernière demi-heure, lente descente aux enfers psychologique explorant le terrifiant panorama d'oppressions sociales commises par les hommes sur les femmes. Celle-ci s'appuie sur des mouvements subjectifs qui ont rarement été aussi pertinents. Le metteur en scène en fait encore une fois des éléments constitutifs de son style inimitable.

Définitif et passionnant, très politique, même aujourd'hui (la relation de la presse aux violences policières, les brutalités psychologiques et médicales dont sont victimes les femmes), Soeurs de sang peut d'ailleurs se vanter d'un lourd héritage, allant de la série B crado (Basket Case, titré en français... Frère de sang) au chef-d'oeuvre psychanalytique (Faux-semblants). Il ne manque plus que vous.

 

Photo William Finley (I)La femme, dont l'identité est objet d'expérience

 

Obsession

Le concept ? Sueurs froides en Italie, où un homme d'affaires américain rencontre le sosie de sa femme, morte dans un kidnapping qui a mal tourné seize ans plus tôt.

Pourquoi est-il oublié ? Obsession est sorti entre Phantom of the Paradise et Carrie, soit deux poids lourds de De Palma, qui ont vite fait de l'écraser dans la décennie des années 70. Pourtant, l'opéra glam-baroque a été un (petit) échec en salles, avant de devenir culte par la suite, là où Obsession a été un succès surprise à sa sortie, avant de peu à peu être oublié. Même le distributeur Columbia n'y croyait pas, et l'avait repoussé pendant des mois avant de le sortir sans aucune conviction.

 

photo, Geneviève BujoldMiroir miroir, dis-moi qui je suis

 

Comme Body Double et Pulsions, Obsession est l'un des hommages les plus évidents et vibrants de De Palma à Hitchcock. L'idée et l'envie sont venues du cinéaste et de Paul Schrader, scénariste qui sortait tout juste de Taxi Driver. La collaboration n'a pas été douce, puisque De Palma a coupé toute une partie de l'histoire, qui à la fin devait suivre les personnages 10 ans après.

Mais Obsession est surtout l'hommage le plus mélancolique, noir et dérangeant de De Palma au maître du suspense. Car cette histoire d'amour est une histoire d'inceste où un homme hanté par le souvenir de sa femme disparue et rongé par la culpabilité tombe amoureux de sa propre fille, qu'il pensait morte également. Le mariage et la nuit de noces ont beau avoir été montés pour ressembler à un rêve, plutôt qu'une réalité, le malaise est omniprésent. Une atmosphère funeste qui rend Obsession beaucoup plus brutal que Body Double et Pulsions, et le rapproche du Blow Out et sa fin noire. Mais comme il n'a ni John Travolta, ni la mécanique purement efficace du thriller, ce film a certainement été un peu éclipsé.

 

photo, Cliff Robertson, Geneviève Bujold"Tu me rappelles quelqu'un"

 

Pourquoi doit-il être aimé ? Parce que c'est l'un des films les plus forts et intimes de Brian De Palma. Lui qui d'ordinaire se plaît voire se cache dans le film de genre, entre thriller et horreur, se confronte ici à la terrible réalité des émotions. La seule vraie limite vient de l'acteur Cliff Robertson, qui semble continuellement résister à la portée tragique du récit. Le réalisateur est le premier à regretter ce choix de casting, surtout face à Geneviève Bujold qui se jette à corps perdu dans ses rôles.

C'est aussi le film d'une certaine perfection, avec de grands talents réunis, au-delà de Brian de Palma et Paul Schrader. Bernard Herrmann, compositeur culte de Hitchcock, avait travaillé avec De Palma sur Sœurs de sang quelques années avant, mais la musique d'Obsession est fantastique. C'est une grande valse incroyable, qui passe du romantisme pur au quasi-film d'horreur. Le musicien lui-même considérait que c'était l'une de ses meilleures œuvres. C'était également la première collaboration entre De Palma et le directeur de la photo Vilmos Zsigmond (Délivrance, Rencontres du troisième type), qu'il retrouvera plus tard sur Blow Out, Le Bûcher des vanités, et Le Dahlia noir.

Le point culminant d'Obsession est certainement la grande scène de l'aéroport qui conjugue toutes les forces de De Palma pour créer un vertige absolu. Montage parallèle entre Courtland qui arrive pour tuer Sandra, et Sandra qui sort de l'avion ; crescendo renforcé par la musique sensationnelle ; ralenti pour dilater à l'extrême le temps ; néons qui scintillent au-dessus des personnages qui courent l'un vers l'autre ; et travelling circulaire. Tout est là, dans un feu d'artifice d'émotion, avant le "The End".

 

photo, Geneviève BujoldCette bascule folle vers la vérité

 

Outrages

Le concept ? Un jeune vétéran de la guerre du Viêt-nam se remémore son intégration à un escadron et surtout une mission de guerre traumatisante où son sergent avait kidnappé une adolescente pour la violer.

Pourquoi est-il oublié ? Inévitablement, Outrages est passé à la trappe parce qu'il est arrivé des années après nombre de chefs d'oeuvre sur la guerre du Viêt-nam. En effet, le long-métrage de Brian De Palma est sorti en 1989 aux États-Unis soit dix ans après Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, neuf ans après Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino, trois ans après Platoon d'Oliver Stone ou même deux ans après Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (qui lui aussi avait déjà un train de retard).

Rien d'étonnant donc à ce que le long-métrage de De Palma n'ait pas eu le même impact. Le public avait probablement envie de passer à autre chose de plus doux ou joyeux, et certainement pas de replonger dans l'horreur de cette guerre particulièrement violente psychologiquement, et en plus inspirée d'une histoire vraie.

Et en effet, le film a été un gros flop au box-office avec seulement 18,6 millions de dollars récoltés au box-office domestique (pour un budget de 22,5 millions) quand les films cités précédemment avaient engrangé entre 46,3 millions et 138,5 millions de dollars uniquement sur le sol américain, réussissant à amortir largement leur budget de production. Même chose en France, le long-métrage de De Palma a totalisé à peine plus de 346 000 entrées, quand les autres cités avaient cumulé entre 1,9 million d'entrées et plus de 4,5 millions pour la Palme d'or de Coppola.

 

Photo John Leguizamo, Sean Penn, John C. Reilly, Don HarveyUn casting impressionnant

 

Bref, le public en avait assez de la guerre du Viêt-nam, en tout cas d'une manière aussi crue et éreintante physiquement et mentalement. De plus, De Palma changeait de registre après ses thrillers à suspense ou films de mafieux, ce qui a pu décontenancer les spectateurs moins friands de le voir s'atteler au film de guerre. Pourtant, tous les signaux étaient au vert à l'époque de sa sortie vu les louanges de la critique. Le film affiche une jolie moyenne de 75/100 sur Metacritic, et certains critiques l'ont même décrit à sa sortie comme étant le meilleur film du cinéaste à l'image de Michael Wilmington dans Los Angeles Times :

"Outrages est le 19e film de De Palma et facilement son meilleur. Ses détracteurs considéraient ses thrillers hitchcockiens comme manipulateurs et sadiques, mais ici il ne gère pas des slashers stylisés ou des décors sanglants. Il n'a pas besoin de s'étendre pour choquer. Il déterre une horreur plus profonde : l'enfer qui se cache sous la peau de chaque homme, et qui attend d'éclater."

On peut donc supposer tristement que le film est arrivé au mauvais moment, à une période où la guerre du Viêt-nam n'était plus un sujet aussi porteur au cinéma, en tout cas pas de manière aussi sérieuse et frontale.

 

Photo Michael J. Fox, John Leguizamo, John C. Reilly, Sean PennUne horreur trop brutale pour les spectateurs

 

Pourquoi doit-il être aimé ? Parce que Quentin Tarantino a dit que c'était "le plus grand film sur la guerre du Viêt-nam" ? Parce que Steven Spielberg y a "pensé pendant une semaine" ? Parce qu'Ennio Morricone est à la bande originale et que c'est encore une fois sublime ? Techniquement, ça devrait suffire à vous convaincre, mais Outrages mérite mieux que ça, car indiscutablement, c'est un excellent film.

D'abord dès son ouverture suffocante dans un bus de San Francisco et sa plongée bruyante dans la jungle vietnamienne, le récit prend aux tripes. Et la tension mise en place dès les premières minutes au coeur de la guerre ne redescendra tout simplement jamais, le film refusant de donner aux spectateurs ce que ses personnages ne peuvent pas avoir et notamment son héros Eriksson incarné par un excellent Michael J. Fox. Devant l'ennemi et leur propre démon, les hommes menés par Sean Penn (déjà terrifiant) ne pourront pas avoir un moment de répit et seront obligés de se confronter à l'horreur permanente de cette guerre (les morts, ce kidnapping, ce viol insoutenable) quitte à la créer eux-mêmes (inconsciemment ou pas, volontairement ou non).

 

Photo Sean Penn, Don Harvey, Michael J. FoxUne confrontation inoubliable

 

Et c'est ce qui fait la force d’Outrages, sa capacité à recentrer cette guerre autour de quelques-uns de ses acteurs dans un huis clos à ciel ouvert où les personnages sont enfermés dans cette jungle étouffante interminable. En réduisant l'échelle du conflit à un petit groupe de soldats et leurs relations à la guerre, à leur ennemi, à leurs camarades ou à leur éthique, Brian de Palma ouvre les portes de l'enfer humaine. Outrages, en plus de raconter la violence de la guerre, dépeint la manière dont elle crée des monstres et comment l'Amérique a finalement tenté (et souvent réussi) de les protéger ou de les justifier.

Et c'est justement cette quête de justice qui anime probablement le plus De Palma (d'où son Redacted vingt ans plus tard et dont on parle plus bas), en faisant l'un de ses films les plus personnels selon le cinéaste lui-même. Lors de son passage à la Cinémathèque française en juin 2018, il avait ainsi choisi de diffuser ce film avant sa masterclass. Une preuve, s'il en est, de son attachement pour ce film et notamment son sujet : la guerre ne crée que des victimes (ou des monstres) d'où le titre original beaucoup plus parlant Casualties of War soit "Victimes de guerre".

 

=, Thuy Thu Le, Michael J. FoxMichael J. Fox dans un de ses meilleurs rôles 

 

L'esprit de Caïn

Le concept ? Carter est un pédopsychiatre troublé, qui entreprend d’étudier sa propre fille comme s’il s’agissait du produit d’une expérience menée par ses soins. Ah, et le bon Dr Carter souffre de personnalités multiples le poussant fréquemment à assassiner des mères de famille pour enlever leur progéniture. 

Pourquoi est-il oublié ? Non seulement Brian de Palma divise les cinéphiles, mais L’Esprit de Caïn est peut-être l’œuvre qui clive le plus les amateurs de son cinéma. Cette proposition haute en couleur n’aura donc pu bénéficier du soutien des fans, beaucoup trop nombreux à être décontenancés par ce récit qui marquait le retour du réalisateur au genre du thriller, et à un travail très frontal du suspense. Il ne s’était plus aventuré sur ces rivages depuis 1984 et Body Double, ce qui ne manquera pas d’apparaître aux yeux de ses détracteurs comme un symptôme de régression créative. 

 

photo, L'Esprit de Caïn"Viens voir le Docteur"

 

Le long-métrage souffre également d’être sorti en 1992, à une époque où les énormes clichés que charrie le scénario sur les maladies mentales et notamment la schizophrénie apparaissent comme de grosses ficelles, des facilités, d’autant plus embarrassantes que la première heure du film s’empêtre dans des allers-retours fumeux entre rêves et réalité. En matière de thriller, les goûts du public sont en pleine évolution. Ce n’est pas un hasard si trois ans plus tard, Seven deviendra un classique instantané, lui qui aborde le Mal via une grammaire totalement renouvelée, là où L’Esprit de Caïn semble terriblement daté. 

De son côté, Brian de Palma ne fera rien pour sortir le métrage de l’oubli dans lequel il plonge rapidement. Lui qui craignait de revenir au suspense durant la pré-production du seul film produit en collaboration avec Gale Anne Hurd, sa compagne d’alors, il s’arrachera tout à fait les cheveux lors du montage. Préférant bouleverser la structure narrative initiale au dernier moment, il chamboula la chronologie. Un choix qu’il devait amèrement regretter, jusqu’à ce que le cinéaste Peet Gelderblom ne propose de lui-même un remontage de la version cinéma, basé sur le scénario original. 

 

photo, John LithgowUne séance qui va mal se passer

 

Pourquoi doit-il être aimé ? En 2016, le réalisateur découvre cette nouvelle lecture “originelle”, et parviendra à la faire inclure dans l’édition Blu-ray éditée par Shout Factory. Ce “director’s cut” indirect, mais validé par l’auteur rend la narration plus cohérente, plus fluide, moins déstabilisante pour qui n’est pas préalablement un adorateur De Palmien, mais ce cas d’école ne modifie qu’à la marge les faiblesses et les lignes de force de L’Esprit de Caïn

Formaliste bien connu pour avoir considéré le corpus d’Hitchcock (auquel s’ajoutent ici avec éclat Le Voyeur de Michael Powell et des citations directes de Nicolas Roeg) comme un des beaux-arts, De Palma n’a peut-être jamais poussé ses principes esthétiques aussi loin. L’artiste n’a jamais dissimulé sa signature, son empreinte, mais il la revendique désormais pleinement. Il va jusqu’à faire du grotesque, du grand-guignol, un motif plastique à part entière, une source de sidération première. Tant et si bien que c’est précisément par là où beaucoup pensent que le film pêche qu’il en devient remarquable. 

 

photo, John LithgowEt toujours, des jeux vertigineux sur la focale au sein d'un même plan

 

Autre motif d’agacement, qui réjouit pourtant les accros à son style : le metteur en scène rameute ici absolument toutes les identités remarquables qu’il affectionne. Il pousse l’auto-citation au rang d’art, à tel point qu’on a parfois l’impression de voir s’entrechoquer des séquences coupées de Sœurs de sang, greffées brutalement à une excroissance de Blow Out, qui gargouillerait dans l’inconscient de Pulsions. Cette richesse et ce goût du trop-plein, s'ils sont mal reçus à la sortie du film, vont néanmoins inspirer les successeurs du réalisateurSplit, par exemple, n'est jamais qu'un pas de côté de M. Night Shyamalan sur le même point de départ, et a des airs de remake non-assumé.

À la manière d'Obsession, L’Esprit de Caïn se veut une sorte de manifeste pour son créateur, à la différence que son objet n’est plus une réflexion cinéphilique sur la forme des chefs-d’œuvre qui l’ont constitué, mais plutôt une affirmation roublarde de son style propre. La meilleure illustration en est peut-être la performance hallucinée de John Lithgow, ludique et mutante, à la manière d’un lutin sortant de sa boîte, et qui nous rappelle sans cesse avec quelle légèreté et générosité il convient d’accueillir le film. 

 

photo, John LithgowL'effet spécial du film, c'est lui

 

Redacted 

Le concept ? Un remake dessiné d'Outrages, qui se déroule durant la guerre en Irak du début du 21e siècle. Inspiré de faits réels, le film se concentre sur un groupe de soldats américains. Ces derniers gardent un point de contrôle dans la ville de Samarra en Irak. 

Pourquoi est-il oublié ? Malgré son sujet très délicat, Redacted a plutôt été bien accueilli en festival notamment à la Mostra de Venise 2007. Grâce à son Lion d'argent pour Brian De Palma, le long-métrage aurait très bien pu, par la suite, trouver son public en salle. Malheureusement, cela n'a pas été le cas et le film ne récoltera au total que 771 922 dollars aux États-Unis pour 5 millions de dollars de budget.

Autant dire que oui, Redacted a bien été un échec qui s'explique en grande partie sur sa critique des agissements de l'armée américaine en Irak. Le film a d'ailleurs été mal accueilli par la presse américaine, qui l'a considéré comme un pamphlet anti-américain, alors que la critique française l'a défendu tambour battant (Les Cahiers du cinéma l'avait classé premier de leur Top 10 2008).

Son sujet brûlant semble être la principale cause de son oubli, mais on peut supposer que la radicalité de son utilisation des caméras numériques et de l'absence du style caractéristique de De Palma ont également eu raison du long-métrage..

 

photoLe traumatisme de la guerre

 

Pourquoi doit-il être aimé ? Parce qu'il est un objet cinématographique unique en son genre. Alors qu'Outrages utilisait encore les outils de la fiction au cinéma, avec un récit clair et des acteurs très connus, Redacted rompt avec tout ce qui a été filmé de la guerre, pour mettre en exergue les nouveaux enjeux liés à la circulation des images.

Tourné exclusivement en numérique, le long-métrage mêle images d'internet, de journaux télévisés, mais également de la petite caméra DV du soldat Angel Salazar (Izzy Diaz) qui réalise un film sur son expérience. Brian De Palma utilise à merveille la singularité des nouveaux médias pour rendre compte de la circulation infinie de toutes les images, même les plus cruelles.

Le film traîne d'ailleurs un fait divers tragique puisqu'un Allemand a tué à Francfort deux soldats américains, suite au visionnage sur YouTube d'une vidéo de deux soldats violant une femme irakienne. Ces extraits n'étaient autres que la séquence du viol de Redacted. Véritable point culminant théorique et narratif du long-métrage, cette séquence pose la question centrale sur notre place de spectateur. 

 

photoZero Dark Thirty avant l'heure

 

Pour être honnête, le long-métrage ne brille pas par son casting qui éclipse quelque peu les grandes qualités du film. En même temps, les membres du casting, globalement inconnus, apparaissent comme des éléments cohérents de la démonstration du cinéaste. Ce refus de la starification permet, d'une certaine manière, au cinéaste de creuser encore davantage la dureté de la guerre en Irak et participe à nous faire douter de la véracité de ce que l'on regarde.

Finalement, Redacted est un film difficile à appréhender, mais qui porte en lui une idée riche de sens, selon laquelle, l'Amérique n'a jamais tiré les leçons de son histoire. À la différence de la France selon De Palma : 

"Les Français ont appris les leçons de leur guerre d'Indochine. Nous autres américains n'en avons finalement pas été capable avec notre guerre du Viêt-nam. Courageusement, vous n'avez pas marché dans les pas de George Bush. Et pour cela, on s'est livré dans mon pays au French Bashing. Toutes les personnes qui étaient soupçonnées d'être contre la guerre étaient considérées comme anti-patriotiques. On disait alors que ces personnes étaient comme la vieille Europe, usée et fatiguée."

Tout savoir sur Brian De Palma

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Hocine
16/04/2021 à 13:04

Brian De Palma fait partie de ces réalisateurs qui ne peuvent quasiment plus travailler à Hollywood, alors qu'ils faisaient partie du système: je pense notamment à Oliver Stone, John McTiernan voire Francis Ford Coppola.

Au sujet de Brian De Palma, je pense que son dernier chef d'œuvre est L'Impasse avec Al Pacino, qu'on peut presque voir comme une suite thématique de Scarface.
Certes, il fera ensuite Mission Impossible, Snake Eyes et Mission to Mars.
Mais je pense qu'après L'Impasse, De Palma ne retrouvera plus vraiment cette maestria.

Des 5 films présentés par Ecran Large, j'ai une préférence pour Outrages. De loin.
Après la projection du film à la Cinémathèque française, Brian De Palma était très ému en évoquant la musique d'Ennio Morricone, qui me fait un peu penser au thème d'Il Était une Fois en Amérique. Sans doute à cause de la flûte de pan.
C'est un film difficile mais très bon avec Michael J. Fox et Sean Penn, qui y sont excellents.
Leur duel me fait penser à celui entre Charlie Sheen et Tom Berenger dans Platoon d'Oliver Stone.

Ensuite, toujours parmi les 5 films présentés ici, Obsession est celui qui m'est le plus familier.
Pour moi, c'est plutôt un bon film. Je crois que la collaboration entre De Palma et Cliff Robertson ne s'est pas si bien passée. De Palma pense même que c'était une erreur de casting. Il me semble même que Vilmos Szigmond n'appréciait pas le fond de teint de l'acteur, semblable au papier peint d'un mur et qui lui donnait du fil à retordre pour composer sa photographie.

Quant à Sœurs de Sang et L'Esprit de Caïn, je les ai vus une fois mais ne m'ont pas laissé de grands souvenirs. Sœurs de Sang avait un côté film expérimental.

Redacted, je l'avais vu en salle et l'avais plutôt bien apprécié. Je me souviens surtout de son côté documentaire.

Quand je pense à la filmographie de Brian De Palma, les films qui me viennent vite à l'esprit sont Scarface, L'Impasse, Les Incorruptibles, Carrie, Body Double, Blow Out, Pulsions, Furie, Phantom of The Paradise, Outrages et Snake Eyes.

Mission Impossible, même s'il bénéficie du savoir-faire de De Palma, est d'abord un film contrôlé par Tom Cruise.

Brian De Palma, bien que sa meilleure période soit derrière lui, reste l'un des réalisateurs américains les plus marquants des 50 dernières années. Son œuvre parle pour lui.
Malheureusement, il semble n'avoir jamais été pris au sérieux aux Etats-Unis.
Il n'a pas eu la chance d'un Steven Spielberg ou d'un Clint Eastwood, qui ont été oscarisés au début des années 90 et qui ont vu leurs films respectifs réévalués par la critique.

Les exemples de William Friedkin, Francis Ford Coppola, Michael Cimino et Oliver Stone ont montré que même arrivé au sommet d'Hollywood, un réalisateur peut être déchu.

Pat Rick
12/04/2021 à 12:02

Redacted est décevant, c'est un sous Outrages.
Sœur de sang est son premier véritable thriller et il est très bien, Obsession (inspiré des Giallos) est l'un de ses plus beaux films.

caribou
12/04/2021 à 08:56

Comment peut on oublier un chef d'oeuvre comme " Outrages" ???

sylvinception
12/04/2021 à 03:02

Le Dahlia Noir n'est qu'une pale imitation de L.A. Confidential.

noors
11/04/2021 à 23:26

J esperais voir Le Dahlia Noir dans la liste :p

Gugusse 0
11/04/2021 à 18:42

Grand fan de Brian, je suis d'accord avec vous. J'avais adoré outrages mais n'ai jamais eu le courage de le revoir car c'est un film très éprouvant . Le viol et l'assassinat m'avait marqué. J'étais un peu jeune à l'époque. Les derniers films sont quand même abyssale de nullité. Triste comme Argento d'ailleurs.

Blop
11/04/2021 à 16:05

Que c'est triste de voir quel film il sort maintenant. Comment apres une telle carrière peut-on en arriver la. J'ai vu domino et je me dit c'est pas possible que ce soit le gars derrière les incorruptibles, mission impossible, scarface, phantom of the paradise et surtout l'impasse . Ça me rend vraiment triste pour lui et Coppola.

Abibak
11/04/2021 à 13:25

Dommage que michael j fox n'ai pas eu la carrière qu'il mérite.....

Mokuren
11/04/2021 à 12:44

Merci pour ce dossier riche et intéressant. J'ai vu il y a longtemps Sœurs de Sang, Outrages et Obsession, mais je les avait effectivement un peu oubliés. Ça m'a donné envie de les revoir et de me replonger dans l'univers de De Palma.
Un petit détail sur L'Esprit de Caïn, que je n'ai pas vu, le type est atteint de trouble de la personnalité multiple ou de schizophrénie? Ce sont deux maladies bien distinctes. C'est marrant que vous ayez fait la confusion, parce que j'ai l'impression que les gens ont tendance à confondre ces deux maladies en grande partie à cause des films américains de cette époque.

Copeau
11/04/2021 à 12:41

Outrages est pour moi le meilleur film de guerre et peut être même le meilleur film de Brian De Palma... et puis quand même , un film avec une telle musique et un Michael J.Fox en pleine forme c’est pas courant ! Une pépite

Plus