The Batman : et si Matt Reeves était le prochain grand réalisateur hollywoodien ?

Antoine Desrues | 14 octobre 2022 - MAJ : 17/10/2022 18:07
Antoine Desrues | 14 octobre 2022 - MAJ : 17/10/2022 18:07

Cloverfield, La Planète des singes, The Batman... Matt Reeves se façonne un pedigree solide. Au point de devenir la nouvelle coqueluche d'Hollywood ?

À Hollywood, il y a des projets qu'il faut être suffisamment courageux ou fou pour accepter. Mettre en scène un nouveau Batman appartient à cette catégorie, tant le Chevalier Noir déchaîne les passions auprès de ses fans, méfiants face au moindre parti-pris qui dévierait des comics originels.

Pour autant, on a bien vu ce qu'une réussite dans le domaine peut provoquer. Face au succès de sa trilogie Dark Knight, Christopher Nolan a eu les coudées franches pour des expérimentations de blockbusters démentes (Inception, Interstellar), qui l'imposent désormais en auteur intouchable. Cela étant dit, le cinéaste a sans doute reflété mieux que personne un changement de paradigme.

 

 

Alors que ses homologues comme Quentin Tarantino ou David Fincher ont atteint le même prestige sans s'atteler à l'adaptation d'un univers connu, Nolan a symbolisé un passage obligé : pour espérer une liberté artistique dans le giron hollywoodien, il faut passer par la case du blockbuster franchisé.

Si d'aucuns s'y sont plus ou moins cassé les dents (désolé Chloé Zhao...), on fait malgré tout face, ces dernières années, à l'émergence d'auteurs fascinants, à commencer par Denis Villeneuve (Blade Runner 2049, Dune). Or, du succès surprise de Cloverfield à la réussite des deux derniers volets du reboot de La Planète des singes, Matt Reeves est parvenu à se façonner une filmographie à la fois éclectique et cohérente, qui l'impose au fil des ans comme un nom important de l'industrie actuelle. Et si, en acceptant The Batman, il s'apprêtait à devenir le prochain auteur incontournable de blockbusters hollywoodiens ?

 

The Batman : photo, Matt Reeves"Écoutez Ecran Large, ils tiennent un truc là"

 

Reeves gauche, Reeves droite

Pour comprendre ce qui fait la spécificité du cinéma de Matt Reeves, il est important de revenir sur sa jeunesse et son rapport au cinéma. Comme beaucoup d'enfants ayant grandi à la fin des années 70 et au début des années 80, il se passionne pour le septième art en réalisant lui-même de petits films en 8mm avec la caméra de son père. Dès ses quinze ans, cette approche lui permet de participer à un festival de films amateurs à Los Angeles, durant lequel il rencontre l'un de ses futurs amis : J.J. Abrams.

Alors que les deux adolescents tombent en pâmoison devant la carrière de Steven Spielberg, ce dernier s'intéresse justement à ce festival amateur qu'il découvre dans le journal local. Ayant lui-même réalisé un nombre conséquent de films dans son jardin, il propose à Reeves et Abrams de transférer sur VHS ses courts (et longs) métrages d'enfance, retrouvés depuis peu dans le garage poussiéreux de sa maison familiale en Arizona.

 

La Planète des singes : L'affrontement : photo, Jason ClarkeQuand tes potes l'ont mauvaise parce que tu as bossé avec Spielberg à 16 ans

 

Pour Matt Reeves, au-delà de la magie de ce petit job d'été, il réalise qu'il a une vocation en découvrant les premières œuvres de son idole, comme il l'explique en interview pour So Film : "C’était très beau de voir un aussi grand cinéaste signer des films plutôt… brouillons. On s’est dit que nos films n’étaient pas si différents de ça et c’était très encourageant".

Des années plus tard, c'est à l'USC (l'Université de Californie du Sud) qu'il rencontre un autre réalisateur qui va beaucoup compter dans sa vie : James Gray. Aux côtés du futur auteur de Two Lovers, Matt Reeves plonge dans l'histoire du cinéma, des classiques de Scorsese et Coppola au néo-réalisme italien.

 

The Batman : photo, Robert PattinsonVous reprendrez bien un peu d'expressionnisme allemand avec votre Batman ?

 

Et c'est peut-être tout ce parcours qui définit la place particulière du cinéaste dans le giron hollywoodien actuel. Si Abrams est aujourd'hui le réalisateur geek par excellence, dévouant l'énergie de sa mise en scène à la réécriture de grandes franchises (Star Trek, Star Wars), Gray est à l'inverse l'un des derniers auteurs prestigieux auxquels on confie des budgets confortables.

Entre ces deux pôles, Reeves a peut-être trouvé l'équilibre parfait, qui se ressent autant dans son amour d'un cinéma américain populaire que dans ses autres inspirations. À l'heure où le blockbuster s'empêtre de plus en plus dans un vase-clos référentiel qui prive les productions de spécificités, il prouve qu'on peut encore faire un grand film de super-héros sans en oublier l'impact de certains classiques du septième art.

 

The Batman : photo"You're talking to me ?"

 

Kaiju, singes et chauve-souris

Si Reeves cite d'ailleurs Taxi Driver comme l'un de ses films de chevet, son rapport au film noir et aux chefs-d’œuvre paranoïaques du Nouvel Hollywood se traduit dans The Batman. À vrai dire, on le ressent depuis le début de sa carrière, en particulier sur le scénario du génial The Yards de James Gray, film de gangsters introspectif sur lequel il finit par devenir producteur exécutif. Pour autant, ce doux lien fonctionne surtout si l'on choisit d'omettre qu'avant ce diamant noir, il co-écrit le scénario de Piège à grande vitesse (oui oui, avec Steven Seagal), avant de réaliser en 1996 la comédie romantique Le Porteur de cercueil avec David Schwimmer et Gwyneth Paltrow, rapidement tombée dans l'oubli.

En réalité, la fin des années 90 représente le mieux le positionnement de Reeves. Alors qu'il s'implique dans la post-production de The Yards, il retrouve son comparse J.J. Abrams pour la série Felicity, dont il finit par réaliser le pilote. Faisant des va-et-vient réguliers entre New York et Los Angeles, il fructifie ses amitiés, et les deux cinémas qui les sous-tendent.

 

The Yards : Photo Mark WahlbergThe Yards, l'un des chefs-d'oeuvre de James Gray

 

En 2008, ce postulat porte ses fruits avec le succès surprise de Cloverfield. Derrière le high concept typique de la méthode de production Abrams, le film ne cesse de désarçonner. On parle de kaiju eiga et de found footage, mais le long-métrage dévie de ses modèles les plus évidents, de Godzilla au Projet Blair Witch. L'élément film-catastrophe spectaculaire est bien là, mais ce qui intéresse Reeves, c'est le point de vue ultra-focalisé du film via la caméra employée comme personnage à part entière. Nous voilà plongés au milieu du chaos, dans la pureté de ce regard en quête de survie.

C'est peut-être aussi ce qui amorce le brio d'une mise en scène toujours maîtrisée. Pour Reeves, l'important est de toujours faire sentir que l'objectif est régi par les lois physiques du monde fictionnel. Alors que les blockbusters contemporains s'amusent plus que jamais à mettre en scène des mouvements de caméra impossibles et virevoltants, sa réalisation s'oblige à être dépendante de la gravité, et chevillée à ses personnages. En plus de dépeindre la Gotham City la plus vivante de toutes les adaptations cinématographiques de Batman (surtout au vu des jeux de lumière souvent naturalistes de Greig Fraser), l'artiste en puise un découpage toujours viscéral, en accord avec les dilemmes de ses héros torturés.

 

Cloverfield : photoPlan culte : exemple

 

En cela, impossible de ne pas s'attarder sur La Planète des singes : L'affrontement et Suprématie et leur note d'intention passionnante : effacer la prouesse d'un cinéma technologique. La performance capture et le rendu de ces singes en images de synthèse est foncièrement bluffant de photo-réalisme, mais Reeves ne l'accentue jamais par un plan qui mettrait l'accent dessus, quitte à nous sortir de notre suspension d'incrédulité.

Au contraire, en ouvrant et concluant L'Affrontement par un très gros plan sur les yeux de César (Andy Serkis), le cinéaste affirme son approche ouvertement psychologique de ses personnages. Il cherche l'humanité dans le singe, et filme donc ces animaux avec les mêmes types de cadres que les autres protagonistes du long-métrage.

 

La Planète des singes : Suprématie : PhotoUn singe en hiver

 

Il y a mine de rien un ancrage fascinant de cette réalité diégétique, couplée aux difficultés d'un tournage où la performance capture a régulièrement été réalisée dans des décors naturels. Matt Reeves y puise certaines de ses plus belles idées, comme cette façon d'accrocher la caméra à un objet mouvant (un tank dans L'Affrontement, la carrosserie de la Batmobile dans The Batman). L'oeil du spectateur se retrouve agrippé à un premier plan statique, où l'on ressent presque la lourdeur de la gravité, tandis que l'arrière-plan défile autour du véhicule.

On peut voir dans cette exigence la beauté du cinéma de Matt Reeves : derrière une croyance inébranlable dans le pouvoir des images, le cinéaste affiche une discrétion toute à son honneur. Moins artiste qu'artisan sincère à la Robert Zemeckis, sa mise en scène sert toujours les besoins des récits qu'il aborde. On ne parle pas ici de l'effacement et du renoncement qui semblent régir une bonne partie des faiseurs de blockbusters contemporains, mais de l'humilité d'un auteur généreux, plus inquiété par la cohérence de ses mondes filmiques que par une gloire traduite par deux-trois effets de style en toc.

 

The Batman : photo, Matt ReevesQuestion de regard

 

Un peu plus près des étoiles ?

Alors certes, il est peut-être un peu tôt pour porter aux nues la filmographie encore réduite de Matt Reeves, d'autant qu'elle n'est pas exsangue d’œuvres discutables. Laisse-moi entrer n'est pas en soi mauvais, mais il n'apporte pas grand-chose à Morse, le brillant film de vampires dont il est le remake. Néanmoins, difficile de masquer notre enthousiasme face à un réalisateur franchement exemplaire, surtout quand on constate son évolution au fil des ans.

En plus d'être un producteur parcimonieux (notamment sur la série Tales From the Loop), Reeves cherche de plus en plus un contrôle total sur les films qu'il réalise. Dès La Planète des singes : Suprématie, il est revenu à son amour de la narration en s'imposant comme co-scénariste. Il est bon de rappeler que tous les cinéastes américains sont loin de mettre les mains dans le cambouis à ce stade du processus créatif.

 

Laisse-moi entrer : photo, Chloë Grace MoretzLaisse-moi entrer, déjà mis en lumière par Greig Fraser

 

Mais comme Nolan en son temps, Matt Reeves s'est vraiment réapproprié Batman dès l'écriture, ce qui explique d'ailleurs sa vision si particulière du personnage, plus grunge et désabusé que jamais. Quoi qu'on en pense, le cinéaste s'assume comme un artiste profondément mélodramatique et nihiliste. Alors que son Chevalier Noir fait face à la désillusion globale de la population envers le système et ses institutions, La Planète des singes mettait déjà en scène l'impossibilité d'une réconciliation entre deux camps, et deux idéologies opposées qui pourraient pourtant cohabiter.

La survie d'une humanité au bord du gouffre, voilà ce qui semble définir l’œuvre de Matt Reeves. Et autant dire que cette noirceur, qui transparaît dans les rues de Gotham comme une tache d'encre, se révèle on ne peut plus incarnée. Qu'il revienne sur The Batman 2 ou sur un autre projet avec la belle famille de cinéma qu'il a composée au fil des ans (on pense à Andy Serkis, Greig Fraser ou encore Michael Giacchino), on a hâte de voir ce qu'il nous réserve pour la suite...

Tout savoir sur Matt Reeves

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commentaires
Titi
17/10/2022 à 13:22

Mouhaha le réalisateur du Seven de chez wish déclaré prochain grand réalisateur ? La take la plus éclaté au sol messieurs d'écran large, un peu de sérieux quand même !

Castor
15/10/2022 à 16:47

Non. Comme pour J.J Abrams, ses films sont bien réalisés mais c'est tout...

Jean-Michel Totalenergie
15/10/2022 à 13:56

Tellement timoré dans son approche ce Batman. Il édulcore systématiquement tout ce qu'il voudrait de subversif dans ce qu'il montre... ça me fait doucement rire quand je lis certaines critiques dithyrambiques bien à côté de la plaque à mon sens... c'est joli esthétiquement, mais ce n'est qu'une bulle se savon...

Flo
15/10/2022 à 12:51

@Bilbo Un vrai adulte n'écrirait sûrement pas comme toi, caricaturalement.

RobinDesBois
14/10/2022 à 22:54

Matt Reeves a 56 ans et aucun grand film à son actif. Bon j'ai pas vu Let Me In donc je peux juger toute sa filmo mais pour être le prochain grand réal il faudrait déjà qu'il le soit déjà.


08/03/2022 à 01:12

Meilleure analyse sur la trilogie ZACK SNYDER >> https://www.youtube.com/watch?v=IX7noM966FI

Birdy en noir
06/03/2022 à 13:25

D'ailleurs projetez vous un peu... quel acteur autre que Pattinson verriez vous pour un nouveau Joker ? Il a la folie et la gueule de l'emploi. Je trouve fascinant qu'il joue Batman en dégageant pourtant les failles de son pire ennemi.

Birdy en noir
06/03/2022 à 13:18

J'ajoute que le film somme de ces deux trajectoires est le chef d'oeuvre de Scorsese : Taxi Driver. Un Joker qui porterait le costume de batman...

Birdy en noir
06/03/2022 à 13:17

@ Kyle : Merci. Autre élément sublime de ce film, complètement à contrecourant de la mode superhéroique : sa musique. Pas de super thème qui embarque, on oscille entre la noirceur et, en dessous, une mélodie qui tente de prendre le dessus, d'imposer l'espoir aux abimes.

Thématiquement, on est dans le miroir offert par Joker : Un homme bon craque dans une société perdue qui fait de lui un malade mental tentant de reprendre le contrôle en s'abandonnant à ses pulsions.
Batman : un homme déjà brisé, au bord du précipice, donne un sens noble à ses actes en cherchant à sauver une société qui a échoué à protéger les plus faibles.

Comment ne pas trouver cette symétrie passionnante à disséquer ?

Kyle Reese
06/03/2022 à 11:02

@ Birdy en noir

C’est beau et c’est tellement ça ! ;)

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