La Stratégie Ender : pourquoi c'est toujours l'une des pires adaptations du cinéma

Axelle Vacher | 23 avril 2023 - MAJ : 09/05/2023 19:49
Axelle Vacher | 23 avril 2023 - MAJ : 09/05/2023 19:49

Il y a déjà eu des adaptations manquées à Hollywood, et celle du roman d'Orson Scott Card, La Stratégie Ender, lequel a été porté à l'écran par Gavin Hood, en est un parfait exemple. Mais pourquoi, exactement ?

Qu'il s'agisse du Hobbit de Peter Jackson, du Eragon de Stefen Fangmeier, ou encore, de À la croisée des mondes par Chris Weitz, les actes manqués sont légions au département des transpositions sérielles ou cinématographiques. Au sein de ce palmarès de l'incompétence, La Stratégie Ender de Gavin Hood a laissé comme un goût putride dans la bouche des aficionados de l'oeuvre originale. 

Pourtant, tout était là. Outre le succès du roman d'Orson Scott Card (prix Hugo et Nebula du meilleur roman en 1985 et 1986), l'appétence nouvelle du public pour les franchises à l'aube des années 2010, le casting 126751 étoiles et les 110 millions de dollars alloués à la production auraient dû lui garantir de belles performances critiques et commerciales. Que nenni.

Qualifier le film de Gavin Hood de carnage serait simultanément trop poli et un euphémisme tant le produit fini est aberrant. Mais alors, comment diable ce massacre a-t-il eu lieu malgré les présences des célèbres Harrison FordBen Kingsley et Viola Davis, mais aussi des jeunes étoiles montantes Asa ButterfieldHailee Steinfeld et Abigail Breslin ? 

 

Photo Asa Butterfield, Hailee Steinfeld"Comment on a pu en arriver là ?"

 

Ender’s script

Disons qu'en vérité, l'adaptation filmique de La Stratégie Ender n'a jamais réellement été bien embarquée. De la parution du roman en 1985 jusqu'à 1996, l'auteur se montre réticent à l'idée d'en céder les droits malgré les multiples demandes. Non pas que ce dernier ait refusé d'emblée chacune des opportunités qui se sont présentées à lui, mais plutôt qu'Orson Scott Card a préféré en stopper le développement au premier différend créatif par souci d'exigence.

En vue d'aboutir à ce long-métrage dont il saisit malgré tout le potentiel, l'auteur co-fonde en 1996 sa propre maison de production, Fresco Pictures. Il décide alors d'assurer lui-même la conversion du récit en scénario, mais relève aussitôt plusieurs obstacles. C'est ainsi qu'au détour d'un entretien accordé à Hatrack River en 1998, Orson Scott Card a révélé avoir éprouvé des difficultés à retranscrire la construction complexe de son récit :

 La Stratégie Ender : photo, Asa Butterfield, Harrison Ford"Non, sérieusement, comment on a pu en arriver là ?"

 

"Le roman est systématiquement écrit selon le point de vue d'Ender, à l'exception  de quelques brefs passages au début de chaque chapitre. Mais le lecteur ne sait pas qui parle à qui dans ces moments-là. Il s'agissait de mon ultime ressort afin de retenir quelques informations pour mieux préparer le twist final. Mais je n'avais pas accès à ce dispositif pour le film."

Afin de rendre son intrigue intelligible au spectateur qui n'aurait pas lu son livre, l'auteur n'hésite pas à sacrifier des arcs narratifs entiers jusqu'à ne garder que les grandes lignes. Peter et Valentine, les aînés de la fratrie Wiggin, sont ainsi relégués sans sommation au rang de figurants glorifiés. Orson Scott Card le reconnaît sans mal, cette décision déstabilisera immanquablement le public familier du récit original. Après tout, le frère et la soeur y jouent tous deux un rôle majeur, aussi bien vis-à-vis d'Ender que de l'histoire.

 

La Stratégie Ender : photo, Asa Butterfield, Hailee SteinfeldEnder's lovegame

 

Il s'agit pourtant du premier changement majeur à avoir été acté par l'auteur, lequel a ainsi argué qu'en termes purement visuels, la poursuite de cette trame narrative-ci "revenait à regarder des gens écrire sur un clavier à longueur de journée".

On en conviendra aisément, l'argument est valable, d'autant plus qu'Orson Scott Card a effectivement cherché à délester son scénario de tout élément susceptible d'enrayer le déroulement de l'action. Néanmoins, peut-être aurait-il été judicieux de chercher à explorer d'autres segments relatifs à Peter et Valentine plutôt que de congédier de la sorte des figures aussi prépondérantes à la caractérisation de son protagoniste. 

 

La Stratégie Ender : photo, Asa Butterfield, Abigail BreslinRIP à la personnalité de ce personnage

 

Stratégie perdante

Malgré les propositions passées, le projet ne trouve pas preneur. En 2003, Orson Scott Card essaie par exemple de soumettre le scénario à la Warner, sans succès. L'auteur se résigne alors à réécrire son adaptation, faisant cette fois-ci table rase de toutes les versions précédentes pour mieux repartir de zéro. C'est ainsi qu'en février 2009, soit plus de dix ans après l'élaboration de son premier scénario, il concède finalement à collaborer aux côtés d'un studio. Il achève dans la foulée un scénario pour Odd Lot Entertainment et participe à l'élaboration d'une équipe de production.

En septembre 2010, le cinéaste Gavin Hood se voit confier la remodélisation du script, ainsi que la direction du projet. Ça y est, La Stratégie Ender semble enfin sur de bons rails après une décennie de genèse laborieuse. Pourtant, c'est à peu près à ce moment-là que s'enclenche le début de la fin. Si le nom de Gavin Hood n'inspire probablement rien au grand public, son échec le plus notable parlera pour lui : à tous ceux qui ont un jour désiré la tête du réalisateur derrière l'infâme X-Men Origins : Wolverine, c'est à lui qu'il faut s'adresser.

 

X-Men Origins : Wolverine : photo, Hugh Jackman"Oui, celui-là monsieur l'agent"

 

Il serait toutefois bien malvenu de prendre le pauvre bougre en grippe sur la base de ce seul film : l'erreur est humaine, et le scénario n'est même pas de lui. En revanche, tout ce que l'adaptation finale de La Stratégie Ender a de douteux est principalement à imputer au cinéaste. Pour rappel, le film tel que le spectateur le connaît a vu le jour en plein raz de marée Young Adult. Si le roman original n'appartient nullement à ce registre, Hood a manifestement décidé que ce serait la vague à surfer en fignolant les réécritures du script final. Pourquoi, exactement ? Mystère.

Cette  approche douteuse est par ailleurs d'autant plus cimentée par l'implication de Summit Entertainment, laquelle assume simultanément une part de la production, mais aussi et surtout, la distribution du film. L'année est charnière pour la société : la franchise Twilight, alors sous son égide depuis 2008, touche bientôt à son terme, et Summit recherche une nouvelle petite poule aux oeufs d'or pour assurer la relève

 

Photo Hailee SteinfeldQuand Hailee Steinfeld remplace littéralement le présupposé acolyte (juste derrière)

 

Le film semble ainsi bien mal embarqué, et ce n'est que le début. Si le tournage et la post-production se sont manifestement déroulés sans accroc notable, le résultat final semble pourtant sous-entendre le contraire. Inutile d'y aller par quatre chemins, il n'y a pas grand-chose à rattraper.

Il est, à la rigueur, possible de pardonner au film son esthétique insipide et l'absence de toute proposition visuelle qui soit un tantinet ambitieuse. En revanche, son montage effectué à la truelle, son indigence narrative, ou encore, le recours à la voix off pour mieux gaver le spectateur d'exposition sans se soucier de la mise en scène se chargeront d'achever le spectateur. 

 

La Stratégie Ender : photo, Asa Butterfield"Sont-ils morts ?"

 

Orson Scott Bad

Que le film soit mauvais est une chose, néanmoins, la liste des charges s'alourdit un peu plus dès lors que le roman original est pris en considération. Il existe plusieurs façons de porter à l'écran un ouvrage : celle fermement appliquée à rester fidèle à l'oeuvre en question, celle qui n'en réemploie que les grandes lignes, et enfin, celle usant plus librement de l'oeuvre en question pour inspirer un autre récit. Quoi qu'il en soit, une adaptation se doit d'effectuer des choix afin de remplir au mieux son cahier des charges cinématographiques tout en respectant les intentions prises par rapport à l'oeuvre d'origine.

Dans le cas de La Stratétgie Ender toutefois, le spectateur est en droit de se demander quelle a été la démarche tant le film n'a pour ainsi dire rien à voir avec le roman d'Orson Scott Card. La chronologie par exemple, compressée à l'extrême, est drastiquement différente de celle du livre, ce qui amenuise l'impact de la totalité des évènements déroulés au spectateur. Les années semblent ainsi avoir été changées en mois, voire en semaines – la temporalité n'a même pas eu la décence d'être franchement perceptible. 

 

La Stratégie Ender : photo, Asa Butterfield, Harrison FordGâcher Harrison Ford devrait être un crime puni par la loi

 

Les séquences se succèdent bêtement les unes aux autres, tandis que les enjeux demeurent aux abonnés absents. Il devient ainsi difficile pour le spectateur de réellement s'engager dans le récit, ce que les différents personnages, chacun réduit à leurs traits les plus basiques, n'auront nullement l'occasion de rattraper. Il ne serait guère pertinent de dresser ici la liste des personnages clefs du roman à avoir été vidés de toute substance par le film – la liste serait bien trop longue.

Le traitement infligé à Petra mérite toutefois que l'on y consacre un instant. Figure ponctuellement majeure au sein du livre, celle-ci est surtout l'unique personnage féminin à ne pas être lié à Ender par le sang. De quoi permettre aux producteurs de nourrir la possibilité d'une romance entre les deux personnages, sciemment vieillis pour l'occasion (l'acteur Asa Butterfield était âgé d'une douzaine d'années lors du tournage, or, son personnage n'a que six ans dans le récit original). 

 

La Stratégie Ender : photo, Asa Butterfield, Hailee SteinfeldGavin Hood et la médiocrité

 

Certes, cette trame narrative n'a pas été pleinement exploitée dans le film. Toutefois, il apparaît évident que l'idée aurait bien fini par être exploitée sur le long terme. Après tout, ce premier film était censé impulser plusieurs suites. Il semble toutefois fort ambitieux d'avoir cherché à construire toute une saga sur un produit aussi formaté et dépourvu des intrications caractéristiques du roman.  

Pourtant, la production s'était donné bien du mal pour sortir l'artillerie lourde en jouant la carte de la production à gros noms et gros sous. La Stratégie Ender profitait notamment de quelque 110 millions de dollars de budget, et surtout, d'une pléthore de figures de renom à son affiche. Asa Butterfield et Hailee Steinfeld (dont les notoriétés étaient déjà relativement assises) mis à part, il était possible de retrouver au casting de belles pointures du cinéma hollywoodien telles que Harrison Ford, Viola Davis, Ben Kingsley ou encore Abigail Breslin. Du beau monde, quoi.

 

La Stratégie Ender : photo, Viola DavisQuand même Viola Davis ne peut pas sauver ton film, c'est perdu

 

Toutes ces jolies paillettes n'ont toutefois nullement suffi à travestir la vacuité du projet... pas plus que les propos ouvertement homophobes tenus à de multiples reprises par Orson Scott Card au fil des ans (et a fortiori, lors de la production). Puisque souffrir d'un récit vide et d'une direction inexistante ne suffisait manifestement pas à mettre les profits du film en péril, celui-ci a de surcroit écopé d'un appel au boycott par l'organisation GEEKS Out quelques mois avant sa sortie internationale. 

Somme toute, il n'y a rien de bien étonnant à ce que le film se soit écroulé au box-office. La Stratégie Ender n'est ainsi parvenu à engranger que 125,5 millions de dollars de recettes à travers le monde (150,7 millions en comptant les ventes et locations de supports physiques). Indubitablement, c'est un échec, tant et si bien que le film a atterri dans la liste des pires ratés du box-office de l'année éditée par Variety.

 

La Stratégie Ender : photo, Harrison FordRequiem pour un (vieux) con

 

Comme l'a maintes fois précisé l'auteur lui-même, La Stratégie Ender était difficilement adaptable. Son dispositif narratif, sa mythologie alambiquée et ses personnages multifacettes en faisaient effectivement un roman complexe à transposer à l'écran. Le récent Dune dirigé par Denis Villeneuve en 2021 a néanmoins prouvé que même les récits les plus riches et les plus abscons peuvent être portés au cinéma... si tant est que les intentions soient les bonnes.

Il est effectivement assez ardu de trouver à travers le film de Gavin Hood le même respect pour le roman d'origine que Villeneuve a voué à celui de Frank Herbert. Du reste, si une mauvaise adaptation peut donner lieu à un bon film, un mauvais film ne pourra jamais franchement engendrer une bonne bonne adaptation. Dans le cas de La Stratégie Ender toutefois, la question ne se pose pas, puisqu'il est mauvais en tous points.

Tout savoir sur La Stratégie Ender

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commentaires
Sanslanguedebois
02/02/2024 à 23:54

C'est un bon film, les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Rares sont les films "inoubliables" avec autant de jeunes acteurs.
Rappelez vous "les choristes", dans un autre genre bien évidemment, mais l'osmose entre les jeunes acteurs est là, devant nos yeux de spectateurs, le message passe.
A bon entendeur.

Gae
25/04/2023 à 07:42

En accord avec l'article. Quand il est sorti au ciné, j'ai vraiment apprécié et l'ai acheté en blu-ray à l'époque. Mais en voulant le remater il y a quelques mois, je n'ai pas pû le finir, il m'est devenu insipide

Redwan78
25/04/2023 à 07:25

Assez surprenant j'ai bien aimé le film. Je n'ai jamais lu le livre. Le film était intéressant.

Altaïr Demantia
24/04/2023 à 21:42

"Orson Scott Card a révélé avoir éprouvé des difficultés à retranscrire la construction complexe de son récit"

Tu m'étonnes. Et là on parle juste de l'adaptation du premier bouquin pas du Cycle Ender dans son ensemble.

Le film n'est pas honteux si on ne le compare pas au bouquin. Ça reste un film de SF à gros budget devant lequel on ne s'ennuie pas. Mais on n'est même pas dans l'adaptation on est plus dans le simplisme et la trahison.

Lisez le Cycle Ender, c'est autrement plus passionnant et le temps passé dans cet univers subtile et complexe vous permettra de voyager loin. Plus loin en tous cas qu'un long métrage.

Syfer
24/04/2023 à 21:16

Désolé je suis un grand cinéphiles pas du genre a apprécié Avengers et j ai adoré ce film. Je crois que pour vous il n'y aura aucun bon film a part le votre.
Cordialement

Cidjay
24/04/2023 à 12:31

La stratégie Ender en film, c'est Harry Potter dans l'espace... (en tout cas c'est l'impression que ça m'a donné)
Le reste c'est les bouquin qui le racontent le mieux, et en vrai, seuls les tomes 2 et 3 auraient réellement apporté du sang neuf, mais là, on aurait été sur du "vraiment" inadaptable.

Bishop
24/04/2023 à 11:16

"Du reste, si une mauvaise adaptation peut certes donner lieu à un bon film, un mauvais film ne pourra jamais franchement engendrer une bonne bonne adaptation"

c'est moi ou cette phrase ne veut rien dire ?

Bouddha5
24/04/2023 à 11:09

Je n'ai pas lu le livre mais j'ai vu le film et j'ai passé un très agréable moment.
Pourquoi vouloir détruire ce film à ce point ?

Liojen
24/04/2023 à 10:49

Ça fait beaucoup de texte pour un film aussi insignifiant ^^

Sinople
24/04/2023 à 01:37

Je veux bien que Le Hobbit soit perfectible, qu'il soit un peu laborieux ou qu'il soit diversement apprécié en tant qu'adaptation mais franchement, le ramener au même rang que Eragon ou La Croisée des Mondes en début d'article semble un tout petit peu disproportionné, non ? Voire carrément gonflé... En tout cas il y a un sens de la mesure qui semble se faire largement au détriment de la trilogie de Peter Jackson à mon très humble avis.

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