Avant Hérédité et Midsommar, comment Ari Aster est devenu le roi du malaise

La Rédaction | 23 avril 2023 - MAJ : 25/04/2023 18:34
La Rédaction | 23 avril 2023 - MAJ : 25/04/2023 18:34

Avant Hérédité, Midsommar et Beau is AfraidAri Aster était déjà le roi du malaise. Retour sur ses premiers coups de maître.

Ari Aster s'est construit une petite réputation auprès des aficionados du cinéma d'horreur depuis 2018 et la sortie de son incursion terrifiante dans une famille maudite Hérédité. Et un an plus tard, avec son deuxième film Midsommar, délire folk-horror solaire enchaînant les séquences violentes et malaisantes, Ari Aster a de nouveau marqué les esprits durablement. Un double succès critique et commercial (un peu moins pour Midsommar cela dit) qui lui a permis de solidifier son statut de maître d'une nouvelle forme d'horreur au cinéma.

Et ce n'est pas Beau is Afraid, immense cauchemar parano jonglant entre la comédie, le surréalisme et l'horreur pure, qui devrait remettre en cause sa capacité à mettre mal à l'aise les spectateurs. Incontestablement, Ari Aster a une facilité à gêner le public profondément, le confronter à la fois à une forme d'horreur inédite, mais à le placer dans des situations aussi angoissantes qu'inconfortables, troublantes, voire répugnantes. Toutefois, ce talent était déjà au coeur des courts-métrages du jeune cinéaste. Retour sur les premiers ravages du roi du malaise .

 

 

Herman’s Cure-All Tonic

Sortie : 2008 - Durée : 12 minutes

 

 

 

Après avoir reçu une bourse pour le programme d'études supérieures en réalisation du Conservatoire de l'AFI, Ari Aster y a réalisé ses premiers courts-métrages étudiants. Avec Herman’s Cure-All Tonic, on perçoit les germes d’un style qui se cherche encore, mais qui se montre déjà hautement exaltant. Avec son pharmacien blafard, sorte de Pee-Wee Herman sorti d’un David Lynch, le réalisateur s’attarde déjà sur la bizarrerie d’un quotidien lénifiant. La répétition de gestes est même au cœur de cette démarche, surtout lorsqu’il s’agit de manufacturer un produit miracle et de le vendre comme une potion magique.

Si l’envie de stylisation extrême des plans engendre parfois une légère maladresse dans leur association, Aster se veut déjà brillant dans sa manière de révéler petit à petit une zone d’ombre, l’antre du monstre qui prend cette fois-ci la forme d’une réserve où l’on fait la popote. Dans le genre, un petit bijou plein de promesses, et diablement efficace.

 

The strange thing about the johnsons 

Sortie : 2011 - Durée : 29 minutes 

 

 

The Strange Thing About the Johnson a permis à Ari Aster de se faire remarquer par le monde (en tout cas, dans un premier temps) créant un buzz sur le net et des réactions franchement divisées. Et c'est normal puisque le jeune cinéaste pousse sans prévenir les spectateurs dans les antres du malaise.

L'introduction, où un adolescent est surpris par son père en train de se masturber, est évidemment un premier moment de gêne, mais Ari Aster en fait une scène pédagogique et bienveillante, le père (feu Billy Mayo) rassurant son fils en lui expliquant que tout cela est naturel. Sauf qu'Aster est là pour nous prendre de cours et surprendre nos attentes. Et lorsque la photo sur laquelle se masturbait l'adolescent dévoile le visage de son père, justement, le niveau d'embarras explose (et ce n'est que le début).

Avec habileté, Ari Aster nous confronte alors à une horreur tabou (l'inceste) tout en renversant les hiérarchies classiques. S'il nous place peu à peu en voyeurs, il a l'intelligence de montrer peu (la scène du trou) pour mieux nous faire entendre ce qui est laissé sous silence (des cris, des pleurs, des violences...). Et ainsi Ari Aster nous pose presque en complice, à l'image de cette mère dans le déni refusant d'affronter cette tragique réalité, cachée derrière les apparences. En résulte un court-métrage brutal mêlant brillamment comédie noire et horreur sociale, avec un culot destructeur (oui, c'était son film de thèse).

 

TDF Really Works

Sortie : 2011 - Durée : 3 minutes

 

 

Il y a quelque chose de réconfortant à étudier en profondeur les débuts de carrière d’un des cinéastes les plus talentueux de sa génération, pour tomber sur une fausse publicité autour de... pets de pénis. À tous ceux qui voudraient calquer une grille d’analyse un peu trop rigide sur le cinéma d’Ari Aster et sur le sérieux de son approche d'une horreur "élevée", TDF Really Works a le mérite de rappeler que le réalisateur s'ancre parfaitement dans son époque.

Ici, l'humour aussi débile qu'absurde va au bout de sa logique, entre faux schémas et tests de l'objet promu. Aster ne peut s'empêcher de vriller vers l'image de trop, ce qui semble autant définir son oeuvre que la comédie très spécifique des débuts de YouTube. À chaque raccord, on attend la bascule, la rupture qui veut être remarquée... et ça fait penser (étonnamment) aux scènes les plus marquantes d'Hérédité et de Midsommar (et l'un des éléments les plus WTF de Beau is Afraid).

 

beau

Sortie : 2011 - Durée : 6 minutes 

 

Beau is Afraid : Photo Billy Mayo dans le court-métrage BeauBeau a peur... déjà

 

Beau est tout simplement le court-métrage sur lequel reposent en grande partie les prémisses de Beau is Afraid. Et d'ailleurs, pour éviter que les spectateurs puissent trop en savoir sur le troisième film de Ari Aster, A24 l'a carrément supprimé de YouTube sans prévenir (même s'il est encore visible si on cherche un peu sur Internet). Pour ceux qui auront le bonheur de le trouver dans les entrailles du net, Beau est donc une excellente introduction à la grande folie paranoïaque de son petit frère de cinéma.

Dès le carton d'introduction, indiquant très furtivement que Beau "ne peut pas, ne devrait pas et ne dormira pas" puis la surprise des clés volées, la musique grinçante et la rencontre désarmante avec un voisin, le ton est donné. Pendant six minutes, Ari Aster suit ainsi la parano de son protagoniste en décrépitude dans un jeu pervers terriblement anxiogène. Et s'il n'y a rien de spécialement mémorable au niveau du scénario (outre l'épilogue énigmatique), c'est un petit précis de tension. La preuve que n'importe quel événement peut se transformer en véritable cauchemar chez notre bon Ari Aster.

 

MUNCHAUSEN 

Sortie : 2013 - Durée : 16 minutes 

 

 

Si on s'en tient aux premières minutes, Munchausen est l'histoire, triste, mais banale d'un adolescent qui prend son envol et de sa mère qui expérimente le douloureux syndrome du nid vide. Le court-métrage fait tout pour se travestir, pour apparaître comme une anomalie, un instant inoffensif dans une filmographie perturbante. Le fait de reprendre les codes du cinéma d'animation à la Pixar n'aide évidemment pas à voir clair dans son jeu. En plus de ressembler à une fin alternative de Toy Story 3 où le public aurait suivi Andy jusqu'à la fac, le cinéaste a fait le choix du muet, laissant une musique guillerette servir de narrateur.

Avec en plus son montage elliptique, Munchausen rappelle donc la séquence de Là-Haut, soit tout ce qu'il faut pour baisser la garde. Mais on aurait tort de croire à une tranche de vie douce-amère, à une étape obligatoire qu'il convient d'exorciser. Il serait pire d'imaginer que l'amour finira par apaiser cette maman nostalgique et surprotectrice, car on parle ici d'Ari Aster, le cinéaste qui traumatise avec des fleurs.

Et telles des proies faciles, ceux qui n'ont aucune idée de ce que le titre signifie verront probablement moins venir la bascule. Car la légèreté apparente finit par se craqueler pour laisser place à la perversion, au malsain et au choc. De fait, Munchausen préfigure Midsommar dans sa capacité à tromper, à installer l'horreur et l'effroi dans un cadre pourtant enchanteur, tout en confirmant d'ores et déjà l'obsession d'Aster pour la figure de la mère.

 

basically

Sortie : 2013 - Durée : 15 minutes

 

 

Après le conte muet Munchausen, Ari Aster change complètement de registre, voire au complet opposé, avec Basically. Ce nouveau court-métrage repose en effet sur un long monologue de 15 minutes : celui de Shandy, une jeune femme pourrie gâtée, brillante actrice, racontant aux spectateurs sa terrible vie de privilégiés dans sa villa de Los Angeles (dont sa relation avec sa mère). Un exercice d'autant plus passionnant qu'Ari Aster se contente de filmer ce récit à travers une série de plans fixes (Aster adore le cinéma de Roy Andersson).

Non seulement Basically est porté par une jeune Rachel Brosnahan déjà très talentueuse, mais il démontre une nouvelle fois la palette artistique d'Ari Aster. Capable de dresser tout un monde à travers un simple cadre et de captiver à travers un monologue, son dispositif épuré permet surtout de mettre en avant son anti-héroïne avec une majesté ahurissante.

Ari Aster explore ainsi ses failles dissimulées derrière les apparences idylliques (encore et toujours), et même s'il ne se refuse jamais un certain cynisme, crée une forme d'empathie crescendo et inattendue envers Shandy, pourtant détestable, aux premiers abords. Le monde est rempli de faux-semblants (voire en est uniquement composé) et c'est bien ce qui le rend si terrifiant.

 

the turtle's head 

Sortie : 2014 - Durée : 11 minutes

 

 

The Turtle's Head est peut-être le court-métrage le plus drôle d'Ari Aster (outre TDF Really Works). Il démarre sur une ambiance de film policier banal, s'ouvrant sur les pensées d'un détective en plein rendez-vous, les bruits de sirènes et une bande-originale jazzy assez classique pour le genre. Sauf que progressivement, le détective dévoile sa facette de pervers obsédé abusant de son pouvoir et le récit va rapidement se charger de l'engloutir dans une enquête autrement plus personnelle : le rétrécissement soudain de son propre pénis.

Ari Aster parvient ainsi à retourner les codes traditionnels du film d'enquête pour mieux les parodier. Le moyen parfait pour livrer une partition hilarante (vu l'absurdité de la situation), tout en n'oubliant jamais de rappeler l'horreur en cours au spectateur en le plaçant au coeur du malaise (l'image inévitable du pénis en question ou plutôt ce qu'il en reste). Soit finalement tout ce qui constitue le cinéma d'Ari Aster en seulement onze minutes, The Turtle's Head laissant le loufoque et la body horror se côtoyer dans un même mouvement. Du pur génie.

 

c'est la vie

Sortie : 2016 - Durée : 8 minutes

 

 

C'est la vie est forcément lié à Basically puisqu'il reprend le même concept ; un long monologue face-caméra composé uniquement de plans fixes. Sauf qu'Ari Aster explore ici l'extrême opposé de l'échelle sociale en suivant un SDF particulièrement virulent. L'homme est un toxicomane aux airs de complotistes que le récit dévoile sous un jour de moins en moins glorieux au fil des minutes (il assassine carrément une famille).

Toutefois, ce qui semblait aux premiers abords une simple harangue classique, voire parodique, de la société, se transforme progressivement en diatribe plus profonde. S'il nous plonge aux côtés d'un personnage assez détestable, ne valant pas spécialement mieux que ce qu'il dénonce (consumérisme, faux american dream...), le court-métrage finit par dévoiler sa vraie facette dressant le portrait d'un monde à l'inhumanité grandissante, et l'horreur, la colère, la violence qui en nait (c'est presque le Joker de Ari Aster en fait).

 

Ari Aster : Court-métrage C'est la vieUn personnage qui revient presque dans Beau is Afraid

 

Et si ce n'est pas franchement le court-métrage le plus réussi d'Ari Aster, C'est la vie détient probablement quelques-unes des paroles les plus percutantes de sa filmographie. Outre le glaçant, "Même maintenant, quand je dors, je fais des rêves qui te feraient pleurer", ce sont surtout les derniers mots du personnage qui dévoilent le vrai sens du court-métrage : "Vous savez ce que disait Freud sur la véritable nature de l'horreur ? C'est quand la maison devient invivable, effrayante".

Une ultime pensée qui scelle le destin de cette Amérique en déliquescence, devenue inhospitalière, et qui révèle in fine l'un des sujets phares de la courte filmographie d'Ari Aster au cinéma : comment vivre dans un monde aussi horrible si l'on ne peut même pas lui échapper en étant chez soi ?

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